Les procédures de prévention des difficultés des entreprises : la vision du droit français
Grâce aux procédures de mandat ad hoc et de conciliation se développe en France une véritable « culture de la prévention ». Le succès de ces techniques de traitement des difficultés des entreprises s’explique à la fois par leur souplesse et leur simplicité, car elles reposent sur la désignation d’un conciliateur par le président du tribunal à l’initiative du seul dirigeant, ainsi que par leur confidentialité, gage de leur efficacité.
1. Les procédures de prévention sont apparues en droit français avec la loi du 1er mars 1984 intitulée loi sur la prévention et le règlement amiable des difficultés des entreprises qui a mis en place des procédés permettant d’anticiper les difficultés des entreprises, de les détecter avant la cessation des paiements, et d’y apporter des solutions amiables en dehors de l’ouverture d’une procédure judiciaire et collective. S’est développée ensuite une véritable « culture de la prévention », expliquant que tout le titre II du livre VI du Code de commerce soit consacré à « la prévention, au mandat ad hoc et à la conciliation ».
2. La prévention a deux visages. La « prévention-détection », d’une part, qui regroupe des règles visant à identifier les indices de défaillance le plus en amont possible de la cessation des paiements, par des procédures d’alerte, la convocation des dirigeants par le président du tribunal ou la tenue d’une comptabilité prévisionnelle. La « prévention-traitement », d’autre part, qui a pour objet de résoudre, à l’amiable, par des négociations consensuelles entre le débiteur et ses créanciers, les risques de rupture dans la continuité de l’exploitation.
3. La « prévention-traitement » repose sur deux techniques : le mandat ad hoc, réglementé par l’article L. 611-3 du Code de commerce et la procédure de conciliation, plus élaborée, régie par les articles L. 611-4 à L.611-12 du même code. Une procédure analogue existe pour les exploitations rurales sous le nom de « règlement amiable agricole ». Il s’agit de procédures souples et efficaces qui rencontrent un grand succès pratique.
4. Ce sont, d’abord, des procédures souples dans la mesure où il appartient au débiteur (personne physique ou dirigeant), et à lui seul, de saisir, par une simple requête, le président du tribunal de commerce (pour les commerçants et les artisans) ou de grande instance (pour les autres professionnels indépendants) afin que soit désigné un mandataire ad hoc ou un conciliateur (pour une durée limitée à quatre mois). Celui-ci est, en général, un professionnel des procédures collectives : administrateur ou mandataire judiciaire dont la mission est d’inciter le débiteur et ses créanciers à négocier un accord de conciliation de nature à sauvegarder l’entreprise. En principe, le débiteur ne doit pas être en état de cessation des paiements, mais la demande de conciliation est recevable si celle-ci date de moins de 45 jours. Dans les deux cas, la demande demeure confidentielle et ne fait l’objet d’aucune publicité légale de nature à inquiéter les tiers. Elle n’est d’ailleurs pas transmise aux salariés.
5. Ce sont ensuite des procédures efficaces car elles permettent le sauvetage des entreprises en difficulté, mais la procédure de conciliation est plus affinée. Dans le mandat ad hoc, le président de la juridiction définit la mission du mandataire et lui demande de lui en rendre compte. Aucune mesure particulière n’est prévue. La souplesse est totale. En conciliation, différentes dispositions visent à favoriser la conclusion de l’accord : possibilité de remises de dettes de créanciers publics (rares cependant) ; droit du président d’arrêter les poursuites d’un créancier non partie à l’accord en lui imposant des délais de grâce1 ; limitation de la responsabilité des créanciers qui prêtent leur concours à l’entreprise en difficulté, etc.2 Le conciliateur recherche un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l’entreprise et peut « également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l’entreprise, à la poursuite de l’activité économique et au maintien de l’emploi », ainsi que recevoir « la mission d’organiser une cession partielle ou totale de l’entreprise ». C’est la pratique du « prepack-cession »,
6. Le mandat ad hoc et la conciliation se différencient surtout par leurs effets. En mandat ad hoc, il s’agit d’un accord ordinaire qui oblige les parties qui l’ont signé sur le fondement du droit des obligations. L’accord est secret et aucune voie de recours n’est recevable. Au contraire, l’accord de conciliation – tout en ne liant que ceux qui l’ont signé lesquels s’interdisent d’exercer des poursuites pour les créances portées à l’accord ce qui bénéficie aux garants –, revêt une force particulière qui dépend de sa formalisation. S’il est simplement constaté par le président du tribunal, il est alors revêtu de la force exécutoire et chaque créancier, partie à l’accord, peut en demander une copie qui lui permettra, le cas échéant, de poursuivre l’exécution de sa créance. L’accord demeure secret. Au contraire, si l’accord est homologué par le tribunal de commerce3, le jugement est publié et susceptible de voies de recours. L’accord de conciliation homologué produit des effets importants : levée de l’interdiction d’émettre des chèques frappant le débiteur, impossibilité, par la suite, de contester l’accord par les nullités de la période suspecte et surtout, reconnaissance d’un privilège de la conciliation4 à ceux qui ont fait un nouvel apport en trésorerie au débiteur ou qui lui ont fourni un nouveau bien ou un nouveau service afin d’assurer la poursuite d’activité. Ce « privilège de new money » permet aux créanciers, d’être payés, en cas d’ouverture d’une procédure collective par priorité à tous les autres créanciers, à l’exception des salariés pour leurs créances super-privilégiées et des frais de justice postérieurs à l’ouverture de la procédure.
7. Le succès de ces procédures est assuré par leur confidentialité dont la Cour de cassation a rappelé l’absolue nécessité dans deux décisions récentes du 15 décembre 20155 et du 22 septembre 20156 estimant, la première, que la presse ne doit pas se faire l’écho de ces procédures et, la seconde, qu’il est interdit au mandataire de fournir une attestation stigmatisant le comportement d’un créancier pendant les négociations. Le secret des affaires doit primer toute autre considération ce qui explique une large utilisation du mandat ad hoc et de la conciliation pour résoudre les difficultés des entreprises7.
Notes de bas de pages
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1.
C. com., art. L.611-7.
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2.
C. com., art. L.650-1.
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3.
C. com., art. R. 611-43.
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4.
C. com., art. L. 611-11 : v. Saint-Aary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., 2016, LGDJ, n° 371.
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5.
Cass. com., 15 déc. 2015, n° 14-11500.
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6.
Cass. com., 22 sept. 2015, n° 14-17377.
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7.
Entre 2006 et 2011 ont été dénombrées 9 227 ouvertures de procédures amiables et, pour la seule année 2014, 4 800 demandes dont 3 152 aux présidents des tribunaux de commerce et 1 646 aux présidents de tribunaux de grande instance, en matière agricole principalement.