L’entreprise et l’insolvabilité

Les procédures de redressement avant insolvabilité en Allemagne

Publié le 30/03/2018

Le droit allemand ne régit pas le redressement avant la faillite. Des réorganisations sont alors négociées sans procès. En cas de désaccord, une procédure d’insolvabilité aura lieu. Dans ce cas également, l’entreprise peut survivre. Elle sera souvent vendue, mais sa réorganisation est encore possible.

I – Dualisme entre le redressement volontaire avant insolvabilité et l’aide au redressement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité

En allemand, le terme vorinsolvenzliches Sanierungsverfahren (littéralement « procédure de redressement pré-insolvabilité ») indique clairement que la procédure ainsi définie doit intervenir avant l’insolvabilité du débiteur et donc en dehors du cadre d’une procédure d’insolvabilité portant sur son patrimoine. Le droit processuel allemand ne prévoit pas (plus) de procédure judiciaire de ce type spécialement dédiée au redressement1. Le redressement fait aujourd’hui partie des missions des dirigeants de l’entreprise (turnaround management). Il incombe à l’entrepreneur d’identifier suffisamment tôt les risques susceptibles de menacer l’existence de l’entreprise2 puis de lancer des mesures correctives appropriées. Le système judiciaire ne l’y aide pas. Les capitaux frais (capital étranger et capital propre) pour un redressement doivent être levés sur le marché ; une éventuelle décote de la dette doit également être négociée par l’entrepreneur avec ses créanciers et nécessite l’accord de chacun des créanciers concernés en tant que contrat de remise de dette3. Le redressement est « libre » avec tout ce que cela comporte de négatif et de positif. Dans un contexte de généralisation du financement des entreprises par les crédits bancaires, toutes les banques se sont préparées à conduire des négociations de redressement « libre » en se dotant de services spécialisés en restructuration.

II – Pouvoir majoritaire des créanciers obligataires

Naturellement, l’Allemagne aussi connaît depuis toujours un débat quant à l’opportunité d’une aide précoce aux entrepreneurs souhaitant procéder à un redressement. Mais à la grande différence du droit français, le droit allemand est extrêmement circonspect à ce sujet après des expériences négatives avec les Codes de règlement transactionnel de 1927 et 1935 et n’a réintroduit (au-delà du redressement d’établissements de crédit) une aide au redressement hors procédure d’insolvabilité qu’en 2009, uniquement pour les obligations ayant été émises selon la loi allemande relative aux obligations (Schuldverschreibungsgesetz, abrégé en SchVG). D’après le paragraphe 5, alinéa 1er, de la SchVG, les conditions d’emprunt peuvent prévoir que les créanciers du même emprunt obligataire approuvent par décision majoritaire (accord de 75 % des obligations votantes) les modifications des conditions d’emprunt, ces modifications incluant notamment d’après le paragraphe 5, alinéa 3, de la SchVG des mesures de redressement typiques en cas de crise du débiteur obligataire. L’examen judiciaire éventuel de la décision a lieu a posteriori et uniquement sur demande4. La restructuration d’emprunt obligataire avant insolvabilité ne constitue donc pas non plus une procédure de redressement judiciaire.

III – L’ouverture de la procédure d’insolvabilité pour des redressements précoces

Outre la restructuration d’emprunt obligataire, les entreprises allemandes ne trouvent aucune aide judiciaire au redressement avant insolvabilité dans le droit allemand. Elles demeurent toutefois libres de demander volontairement l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité sans attendre la survenue effective de l’insolvabilité conformément au paragraphe 18 de l’InsO, afin d’imposer grâce aux moyens très efficaces du droit de l’insolvabilité et malgré les résistances de certains créanciers ou associés un redressement qui n’aurait pas pu être imposé extrajudiciairement, c’est-à-dire sur la seule base du droit des contrats et des sociétés.

Dans l’opposition entre redressement libre et redressement judiciaire, il convient d’observer que dans le cadre de la procédure d’insolvabilité, les créanciers forment une communauté qui prend des décisions à la majorité5. Dans ce cas également, un plan de redressement soutenu majoritairement peut donc être imposé malgré la résistance de certains créanciers ou associés. Parallèlement, le droit des employeurs à des indemnités d’insolvabilité sur fonds publics (Insolvenzgeld), qui peuvent être utilisées pour le financement de la procédure en cas d’insolvabilité, permet de préserver de façon souvent déterminante les réserves de liquidités. Comparativement à un redressement libre, le droit de l’insolvabilité offre dans cette mesure des aides au redressement considérables, qui peuvent être prises en compte dans les calculs d’un débiteur et exploitées pour une insolvabilité stratégique.

L’inconvénient évident de cette situation juridique réside dans le fait qu’une demande d’insolvabilité est toujours requise, qu’il faut toujours ouvrir une procédure d’insolvabilité devant le tribunal d’insolvabilité (Insolvenzgericht) et que le redressement y est toujours fixé via un plan d’insolvabilité. Chacune des étapes de cette procédure reste donc marquée du sceau de l’insolvabilité. En outre, la procédure allemande d’insolvabilité unitaire ne garantit en aucun cas que le débiteur pourra diriger son entreprise en gestion directe (Eigenverwaltung) et donc la garder sous son contrôle lors de la procédure, ne serait-ce que jusqu’au vote du plan d’insolvabilité, car il n’existe pas de garantie de gestion directe pour les procédures de redressement. Pour les groupes d’entreprises (Konzerne), il convient également d’observer que chaque ouverture de procédure rompt le lien juridique entre les entreprises du groupe, qui doit toujours être maintenu péniblement à travers la coordination des différentes procédures d’insolvabilité. En pratique, cette situation juridique a notamment conduit à ce que des grandes entreprises et groupes d’entreprises allemands ont surmonté leurs difficultés de refinancement grâce à des procédures non pas de droit allemand mais souvent de droit anglais. Lors d’une première vague d’émigration à la fin des années 2000, ils ont tiré parti du droit anglais de l’insolvabilité, notamment du Company Voluntary Arrangement6. Avec l’établissement de la jurisprudence généreuse de la High Court en ce qui concerne l’accès des entreprises étrangères au Scheme of Arrangement anglais au début des années 2010, des entreprises allemandes ont également utilisé le droit des sociétés anglais pour effectuer des restructurations financières7.

La réaction du législateur allemand à ces évolutions dans la pratique des restructurations en Allemagne s’est jusqu’à présent limitée à l’introduction de la procédure dite « d’écran de protection » (Schutzschirmverfahren) dans l’article 270b de l’InsO. Cette procédure garantit au débiteur souhaitant procéder à un redressement la gestion directe de la société en cas de risque d’insolvabilité, dans le cadre d’un moratoire de trois mois au maximum. Mais cet écran de protection ne constitue lui aussi qu’un premier stade d’une procédure d’insolvabilité, qui devra être ouverte par le tribunal d’insolvabilité au bout de trois mois pour faire adopter le plan de redressement du débiteur comme plan d’insolvabilité. La procédure d’écran de protection n’est donc pas une procédure de redressement « avant insolvabilité », car elle ne permet pas un redressement avant une procédure d’insolvabilité.

IV – Perspectives

En pratique, l’introduction de la procédure d’écran de protection n’a pas été un franc succès, car cette procédure nécessite des conseils intensifs et a donc été principalement utilisée par un petit nombre de grandes entreprises. Elle n’est d’aucun secours aux petites entreprises. Les groupes d’entreprises restent rebutés par les effets négatifs de la simple ouverture d’une procédure d’insolvabilité. L’ajout (la réintroduction) d’une procédure de redressement avant insolvabilité dans le droit allemand demeure donc tributaire des impulsions du législateur européen et de la transposition d’une directive relative aux procédures de redressement avant insolvabilité. Compte tenu de l’évolution prudente de la législation allemande, il y a fort à penser que la transposition de cette directive se fera tout d’abord a minima. Avec de bonnes raisons, il ne faut pas s’attendre à l’introduction prochaine dans le droit allemand d’un cadre de redressement préventif complet comme il existe par exemple avec diverses formes de procédure en droit français.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Code allemand de règlement transactionnel (Vergleichsordnung, abrégé en VglO) n’est plus applicable depuis 1999 et l’entrée en vigueur du Code allemand de l’insolvabilité (Insolvenzordnung, abrégé en InsO). Il était alors déjà caduc dans la pratique depuis un certain temps.
  • 2.
    V. Loi allemande sur les sociétés par actions (AktG), § 91, al. 2.
  • 3.
    Code civil allemand (BGB), § 397.
  • 4.
    SchVG, § 20.
  • 5.
    V. InsO, § 76, al. 2 et § 244 al. 1er.
  • 6.
    V. par ex. Deutsche Nickel AG.
  • 7.
    V. par ex. Rodenstock ou APCOA Parking.
X