Pour une définition harmonisée de l’insolvabilité en Europe

Publié le 07/06/2022
Union européenne
Sebestyen Balint/AdobeStock

La convergence des droits européens en matière de faillites d’entreprises et une définition harmonisée de l’insolvabilité constitueraient un pas supplémentaire dans la construction de l’Union européenne.

Alors que la situation économique de certains pays de l’UE se dégrade sous l’effet de l’inflation faisant craindre une recrudescence des défaillances, un projet important de directive européenne en matière d’insolvabilité des entreprises est annoncé d’ici fin 2022.

Face à la montée du populisme en Europe, la convergence des droits nationaux de l’insolvabilité constituerait peut-être un pas supplémentaire dans la construction de l’Union européenne et un symbole de l’unité des États membres.

Un contexte international propice à la convergence des droits de l’insolvabilité

Pilier de la construction européenne, le régime des aides d’État a été temporairement assoupli pendant la crise sanitaire. Les banques européennes ont ainsi pu soutenir les entreprises au travers notamment des prêts garantis par l’État limitant ainsi le nombre de défaillances. La Commission européenne a également adopté le 23 mars 2022 un encadrement temporaire du régime des aides d’État dans le contexte d’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Sur le plan des finances publiques, la Commission a en outre annoncé le 23 mai 2022 que la suspension actuelle des règles du pacte de stabilité, qui devait prendre fin le 31 décembre 2022, serait prolongée jusqu’à fin 2023. La suspension, activée en mars 2020 pour faire face à la crise sanitaire, est désormais justifiée par les répercussions de la situation ukrainienne. Les États membres ne sont donc temporairement pas tenus de limiter strictement leur déficit public à 3 %.

Compte tenu de l’ampleur de la crise sanitaire et du niveau historique des aides financières, il existe désormais une sorte de contrat moral tacite entre les entreprises, les États membres et les peuples européens en matière de maintien d’emplois et de préservation d’activités économiques. L’assouplissement du régime des aides d’État met aussi en exergue la solidarité existante entre les États membres. Il s’agit plus largement d’un signal positif à l’égard des citoyens européens et une réponse aux critiques des eurosceptiques concernant le fonctionnement de l’UE. Les dispositifs européens de soutien à l’économie ont toutefois vocation à prendre fin dans les semestres à venir et auront nécessairement pour conséquence un rattrapage du nombre de défaillances d’entreprises.

Absence d’harmonisation sur le plan juridique et financier

Sur le plan financier, l’insolvabilité désigne, pour un individu ou une société, l’impossibilité de faire face à ses obligations financières et de procéder aux paiements correspondants avec tous les actifs disponibles. La situation d’illiquidité se matérialise, quant à elle, lorsque l’entreprise ne peut plus faire face à ses échéances, conséquence d’une durée des emplois supérieure à celle des ressources.

Sur le plan juridique, l’insolvabilité est la situation dans laquelle se trouve une personne physique ou morale dont la trésorerie n’est pas en mesure de faire face aux dettes qu’elle a contractées dès lors qu’elles sont devenues liquides et exigibles.

Les différents concepts ne recoupent pas exactement les mêmes situations et ne conduisent pas forcément au constat de la nécessité d’ouvrir une procédure d’insolvabilité. Par ailleurs, les économistes et les juristes n’emploient pas exactement la même terminologie. Le vocable de « faillite » reste par exemple un terme de référence en économie.

Règlement insolvabilité du 20 mai 2015 et directive restructuration préventive du 20 juin 2019

Le règlement 2015/848 du 20 mai 2015 ne définit pas clairement les procédures d’insolvabilité. L’article 2 de ce règlement qualifie seulement – pourrait-on dire – les procédures collectives comme « les procédures auxquelles participe la totalité ou une partie importante des créanciers d’un débiteur, pour autant que, dans ce dernier cas, les procédures ne portent pas atteinte aux créances des créanciers qui ne sont pas parties à ces procédures ». Ce même article, qui reprend les anciennes dispositions du règlement 1346/2000 du 29 mai 2000, renvoie, s’agissant des procédures d’insolvabilité, à l’annexe A du règlement, laquelle liste les différentes procédures existantes au sein des États membres, sans en définir les principales caractéristiques.

La directive 2019/1023 du 20 juin 2019 a constitué une étape importante dans la convergence des droits de l’insolvabilité en Europe. L’un des objectifs de la directive du 20 juin 2019 est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et de lever les obstacles à l’exercice des libertés fondamentales, comme la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement, qui sont dus aux différences entre les législations et procédures nationales en matière de restructuration préventive, d’insolvabilité et de remise de dettes. Selon l’article 2 de la directive du 20 juin 2019, la définition de la situation d’insolvabilité ou de probabilité d’insolvabilité a néanmoins été laissée à chaque État membre.

Au niveau international, seul le guide législatif sur le droit de l’insolvabilité élaboré par la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et adopté en 2004, définit l’insolvabilité. Il s’agit, selon ce texte international, de l’état d’un débiteur qui est généralement dans l’incapacité d’acquitter ses dettes à leur échéance ou la situation dans laquelle son passif excède la valeur de ses actifs.

L’exemple français : des concepts peu lisibles

En France, le droit des entreprises en difficulté moderne s’est construit depuis 1985 autour de la notion désormais désuète d’état de cessation des paiements (L. n° 85-98, 25 janv. 1985, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises).

L’état de cessation des paiements se caractérise par l’impossibilité pour l’entreprise de faire face au passif exigible avec son actif disponible. La procédure de sauvegarde, qui est statistiquement un échec depuis son entrée en vigueur en 2006, peut être ouverte au profit de l’entreprise qui justifie de difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter.

En réalité, la situation d’une entreprise qui sollicite l’ouverture d’une sauvegarde est assez proche de celle qui se trouve en état de cessation des paiements. Il s’agit davantage d’une photographie de l’entreprise en difficulté, alors même que la situation de celle-ci évolue et est en perpétuel mouvement.

Le concept d’état de cessation des paiements est d’autant plus critiquable qu’il existe des passerelles entre les procédures. La sauvegarde dite « accélérée » peut par exemple être ouverte en présence d’un état de cessation des paiements. Une sauvegarde « classique » peut être transformée en redressement judiciaire sans état de cessation des paiements lorsqu’une cession de l’entreprise est envisagée. Kafkaïen ou presque ! On imagine aisément le désarroi du dirigeant d’entreprise, des investisseurs et des créanciers face à ces différentes notions obscures.

Il convient d’ajouter à ces différentes définitions, difficilement accessibles pour le justiciable, la situation de surendettement des particuliers qui est caractérisée, quant à elle, par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes, professionnelles et non professionnelles, exigibles et à échoir.

Le couple franco-allemand, moteur de l’harmonisation du droit des faillites

De nombreux pays européens partagent des frontières communes. Chaque jour, des milliers d’Européens traversent la frontière d’un pays de l’Union pour y travailler. Les entreprises européennes commercent et échangent également tous les jours entre elles, sans pourtant partager malheureusement un droit des sociétés commun.

Le couple franco-allemand a un rôle important à jouer dans l’évolution du droit des sociétés et plus particulièrement du droit de l’insolvabilité en Europe. Le Traité d’Aix-la-Chapelle prévoit ainsi comme objectif une harmonisation du droit des faillites qui pourrait se concrétiser par un Code européen des affaires. La prochaine étape doit conduire à un rapprochement des différentes législations et à une convergence du fonctionnement des procédures collectives au niveau européen.

Proposition de définition

La notion d’insolvabilité revêt une particularité. Elle renvoie à la fois à la situation financière de l’entreprise mais également à la procédure judiciaire elle-même résultant du constat des difficultés du débiteur.

La situation d’insolvabilité devrait en fait se matérialiser lorsque les partenaires de l’entreprise n’accordent plus de crédit, au sens premier comme au sens économique du terme. Elle se caractérise concrètement par l’impossibilité pour l’entreprise d’honorer ses engagements contractuels vis-à-vis des fournisseurs ou des banques et de procéder au règlement des charges sociales et fiscales dont elle est redevable. La procédure d’insolvabilité a, quant à elle, pour objet de suspendre provisoirement les poursuites individuelles de tout ou partie des créanciers à l’encontre du débiteur.

À un moment de l’histoire où le modèle des démocraties libérales est parfois remis en cause aux frontières de l’Europe, la convergence des droits européens en matière de faillites d’entreprises et une définition harmonisée de l’insolvabilité constitueraient une étape supplémentaire dans la construction de l’Union européenne et un signal fort de son unité.

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