Quand le candidat à la location se voit exonéré de signature : quid du contrat de location ?
Nous examinerons successivement ce que vaut un contrat de location non signé par le preneur, puis les conséquences économiques et sociales de l’absence matérielle d’un acte de volonté privé d’un consentement juridiquement opposable.
I – La signature en droit des contrats locatifs
Le gouvernement, pris en défaut de moyens et d’anticipation, a publié à la hâte une mesure réglementaire qui déroge au droit commun des contrats. Au Journal officiel du 5 octobre 2019 (n° 0232), le décret n° 2019-1019 du 3 octobre 2019 supprime la condition de signature de la pièce justificative d’identité pouvant être demandée au candidat à la location et à la caution. Ce décret, selon l’exposé des motifs présenté en notice, a pour but de favoriser les ressortissants étrangers, en les exemptant de fournir la preuve matérielle de leur pièce d’identité. L’exécutif exprime ici sa volonté de faciliter l’accès au logement locatif aux réfugiés. Mais en exonérant ces derniers de produire la preuve de l’authenticité de leurs documents, au motif que les autorités étrangères n’imposent pas systématiquement l’obligation de la signature, ils sont fréquemment dans l’incapacité de certifier leur patronyme ; le bailleur devra désormais se contenter d’un signalement informel et non certifié du postulant au contrat de location.
Cette déresponsabilisation des réfugiés issus des pays les moins avancés (PMA)1 ne participe en rien à l’intégration et l’éducation desdits migrants, sachant qu’exempter ces populations exogènes des devoirs de prescriptions administratives et juridiques ne peut que renforcer leur marginalisation dans un monde qui leur est étranger, certes aux formules alambiquées, mais suscite un devoir de loyauté nécessaire à l’apprentissage d’une assimilation réussie. Cette démission des pouvoirs publics, impuissants devant la production massive de faux documents ou d’attestations de complaisance inexploitables que produisent des réfugiés, autorise, voire pourrait encourager les falsifications (usurpation d’identité, non-production d’actes indispensables à l’établissement d’un contrat, etc.).
Cependant, un décret n’a pas force de loi pour infirmer le droit légiféré. Ainsi, l’article 2 dudit décret susmentionné a tout simplement omis que les articles 3-8°, 3-1, 3-3, 4, 5-I, 17-1, 22 et 25-13-9° de la loi n° 89-462 du 23 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs qui fixent la liste des pièces justificatives pouvant être demandées au candidat à la location ou à la caution, ne peuvent être effacés par une décision réglementaire. C’est ainsi que la signature exigée du postulant à une location apparaît une dizaine de fois dans ce texte de loi ; une disposition certes suspendue mais non gommée dans le décret du 5 novembre 2015 revisité, autant dire une suppression qui n’a aucune signification juridique contraignante2. Voilà donc un travail inachevé, signé par deux ministres, Julien Denormandie (Ville Logement) et Jacqueline Gourault (Cohésion des territoires), évidemment contresigné par le Premier ministre, donc en conseil des ministres sous la présidence du chef d’État.
Certes, l’exécutif n’est plus en mesure de faire face aux 123 000 demandes d’asile – nombre record – enregistrées en 2018, de surcroît l’immigration clandestine est en progression, les refuges pour les sans-abri (SDF), les centres d’hébergement temporaires et les foyers d’hébergement de travailleurs migrants sont saturés. L’urgence réclamait une mesure d’exception pour faciliter l’accession au parc locatif aux exilés ayant trouvé refuge sur l’Hexagone. Mais en déréglementant dans la précipitation, les ministres ne se sont pas attardés à examiner la législation sous l’angle des obligations et du droit des contrats explicités à l’article 1101 du Code civil : « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » (mod. par Ord. n° 2016, 10 avr. 2016, art. 2).
Au surplus, l’article 1128 du même code dispose que « sont nécessaires à la validité d’un contrat : 1° le consentement des parties ; 2° leur capacité de contracter et 3° un contenu licite et certain ». Autrement dit, émarger de son nom est en soi un acte licite et obligatoire pour sanctuariser un acte contractuel, consenti et certain. Y déroger consiste à contourner le droit positif, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes n’ayant pas la pratique de la langue française et encore moins la connaissance des arcanes du droit des obligations. De fait, en ne recueillant qu’une seule signature3, celle du bailleur, une seule partie s’oblige. Le contrat de location devient un acte unilatéral proche d’un acte oral de maquignonnage en ajoutant que le réfugié ne sait pas toujours lire le français, se présente souvent comme apatride, donc sans papiers attestant de ses origines, outre la carte de séjour, documents de circulation et autorisations provisoires de résident étranger que lui délivrent les autorités françaises.
Affranchir de la signature seulement l’une des parties au contrat, c’est invalider le contrat lui-même. Selon Serge Braudo, conseiller honoraire à la cour d’appel de Versailles4, « la signature est le graphisme par lequel une personne s’identifie dans un acte et, par lequel elle exprime son approbation au contenu du document. La validité de tout engagement est subordonnée à l’existence de cette signature manuscrite qui confère au document sa force probatoire »5.
Acte de courtoisie, engagement sur l’honneur ou manifestation unilatérale de volonté, voyons là l’extinction d’une obligation tangible et irréfragable, celle de requérir l’accord du preneur sans constitution d’un droit personnel, ni même protection du droit réel sui generis du propriétaire. Il ne s’agit donc plus ici d’un contrat qui a force de loi (C. civ., art. 1103), mais d’intentions adoubées de promesses verbales, donc sans engagement à valeur sincère et irréfragable du candidat au logement. Voyons là une prise de risque sans aucune garantie pour le bailleur, dès lors que le locataire, s’il s’avère indélicat en n’honorant pas ses appels de loyers, devient ipso facto un squatteur spoliant le bien d’autrui par son occupation illicite, quoiqu’abusivement protégée par des obligations, comme le devoir de reloger l’occupant sans titre, avec le concours du préfet de police. A contrario, l’expulsion forcée par le propriétaire dépossédé ne répondant pas légalement aux obstacles dressés par la loi Alur de 2014 pourra faire l’objet de lourdes sanctions suivant l’article 226-4-2 du Code pénal6.
II – Le devenir du parc locatif à travers la suppression d’une contrainte d’un côté, et la confiscation explicite d’une garantie de l’autre
Gageons que les investissements locatifs risquent très rapidement de fondre devant cette mesure de facilitation unilatérale, en rappelant que le bailleur n’a pas le droit de choisir son locataire, en ne tenant pas compte de l’ordre prioritaire des postulants dans une liste d’attente (discrimination au faciès et/ou au patronyme). Désormais, le bailleur ainsi destitué de tous ses droits de propriété (l’usus, le fructus et virtuellement l’abusus), aura même perdu le droit de requérir la signature du candidat, et donc d’exiger une garantie à la réalisation du contrat. Qui plus est, même la caution sera exemptée de signature ; donc une caution sans valeur, précisément pour répondre à une obligation d’égalité de traitement contractuel.
Quelle sera la position commune des compagnies d’assurances dans le contrat de location au chapitre de la garantie assurée par le propriétaire et celle obligatoire du locataire, nonobstant les deux derniers alinéas de l’article susvisé en note n° 8 ? L’assurance habitation sera-t-elle possible sans la signature du locataire au contrat de location ? L’assureur acceptera-t-il que le contrat de garantie ne soit pas également signé par le locataire avant la remise des clés, ou faudra-t-il que le bailleur prenne à charge les deux garanties7 pour assurer correctement son bien immeuble à défaut du consentement écrit et signé du locataire… sous réserve de la décision de la société d’assurance ? Quid de la responsabilité civile du locataire en cas de dommages importants s’il n’a pas lui-même souscrit à l’assurance habitation8 ? Comment, à défaut de la charge de la preuve, déterminer la franchise du sinistre et qui, en définitive, en assumera le coût ?
Dès lors que l’on se souvient de la loi Alur9 qui a réduit le délai de restitution du dépôt de garantie pour une location vide à 1 mois de loyer hors charges (au lieu de 2 mois auparavant) et de 2 mois hors charges pour le montant du dépôt de garantie des meublés (au lieu de 3), cette nouvelle entrave étreindra vraisemblablement les baux de location. Lorsque l’article 22-2 de la loi du 6 juillet 1989 susvisée (modifiée par la loi Alur) explicite la liste des pièces justificatives pouvant être exigées du candidat à la location par le bailleur10, c’est précisément parce que cette procédure est définie par décret en Conseil d’État qui garantit le droit de la propriété, pris après avis de la commission de concertation. C’est pourquoi dans ce texte, le préalable à l’établissement dudit contrat exige la signature du cocontractant, seulement la sienne, sans qu’il soit requis la cosignature d’un ascendant ou d’un descendant du candidat à la location.
L’absence d’une pièce d’identité ou la présentation d’un passeport non signé, tant sur les documents exigés au contrat que sur le contrat lui-même, ne procurent aucune valeur juridique pour son titulaire. En l’occurrence cette acceptation implicite d’un droit d’usage ou de jouissance sur le bien immeuble d’autrui abandonne le bailleur aux risques inhérents aux dettes de charges et des loyers impayés, sans possibilité de recours, ni auprès d’un huissier, ni auprès du greffe de la juridiction judiciaire territoriale compétente. Ce désengagement de l’État ne peut être autrement vécu que comme un abandon de la situation juridique et financière du propriétaire bailleur. En effet, cette réglementation équivoque autorisant de facto la falsification et l’absence de preuve matérielle du locataire au contrat, tout recours en justice devient alors irrecevable.
Comprenons ici qu’un pan de l’État de droit s’effondre, alors que les organismes de HLM se retrouvent fréquemment dans l’incapacité pécuniaire de réhabiliter de nombreux appartements loués, ascenseurs, halls d’entrée, caves, locaux annexes et autres parties communes devenus insalubres et dangereux, notamment dans les quartiers tendus. Comment, en l’absence de signature au contrat de location, demander réparation du mobilier et des équipements, puis le recouvrement des arriérés de loyers, si le titulaire de la location abandonnée décline avoir été l’occupant, puisqu’aucune preuve matérielle ne l’atteste sur les documents à la remise des clés ?
Notes de bas de pages
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1.
Ce raccourci prend le relais de l’expression « pays du tiers-monde ».
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2.
Un contrat de location (nécessairement de nature synallagmatique) non signé par les parties engagées équivaut à une location sans contrat de location.
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3.
Ou pas en l’absence de précision dans le texte, puisque ne sont concernés que les mots « signature » présents dans les paragraphes « A » des annexes I et II : les candidats à la location et leurs cautions.
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4.
Définition de Signature in Dictionnaire juridique, section du droit privé, édition libre en ligne, en partenariat avec Baumann Avocats et Droit informatique.
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5.
L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier (v. C. civ., art. 1316-1). V. égal. C. civ., art. 287 et C. civ., art. 288-1.
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6.
3 ans de prison et 30 000 € d’amende.
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7.
La sienne n’étant pas obligatoire.
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8.
L’obligation d’assurance est énoncée au Code des assurances, titre Ier bis, article L. 215-1 modifié par l’article 7 de l’Ordonnance n° 2019-770 du 17 juillet 2019, article 13.
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9.
L. n° 214-366, 24 mars 2014, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
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10.
Hormis les pièces d’identité pour les étrangers, un document justifiant un droit de séjour est requis, de même qu’une attestation d’élection de domicile établissant le lien avec un organisme agréé au titre de l’article L. 264-2 du Code de l’action sociale. Cinq documents sont exigibles… mais plus la signature !