Sous-location dans des conditions prohibées

Publié le 23/10/2018

À l’heure actuelle, il apparaît difficile de ne pas entrevoir une distorsion du contrat de location. Conclu en principe pour une longue durée, le contrat de bail classique est aujourd’hui délaissé au profit de la location temporaire. Solution attractive pour les propriétaires qui voient leurs biens se louer rapidement, et qui ne sont pas liés par un bail de longue durée, évitant ainsi la plupart des contentieux longs et coûteux, notamment celui de l’expulsion.

Dans cette décision, la troisième chambre civile de la Cour de cassation fait preuve de fermeté à l’égard du propriétaire et retient que la sous-location réalisée par le preneur n’exclut pas la responsabilité du bailleur si cette sous-location n’entre pas dans les conditions précisées par les articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation. Cette solution offre alors une nouvelle dimension des faits, en ce que le preneur sous-loue le bien du propriétaire par le biais des plates-formes de locations saisonnières.

Cass. 3e civ., 12 juill. 2018, no 17-20654

Le propriétaire d’un appartement meublé parisien conclut un bail d’habitation le 2 juin 2010 avec une société. À ce contrat est adjoint une autorisation expresse donnée au locataire de sous-louer de manière temporaire le logement. Le preneur diffuse alors sur plusieurs plates-formes spécialisées le bien afin de réaliser la sous-location.

La ville de Paris intente une action contre le propriétaire du bien. La cour d’appel de Paris en date du 7 mars 2017 rendue en référé condamne ce dernier au paiement d’une amende civile pour avoir accepté la sous-location de son bien de façon temporaire, répétée et à une clientèle de passage au regard de l’article L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l’habitation.

Le propriétaire forme un pourvoi devant la Cour de cassation au moyen que l’amende civile est contraire aux articles 8 et 9 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ainsi que du principe de personnalité de peines. Il reproche à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si le propriétaire avait commis personnellement l’infraction ou s’il avait donné des instructions à son preneur.

Cet arrêt présente une double problématique. Principalement, c’est la personnalité de la peine qui est visée, car le propriétaire n’avait pas réalisé lui-même la sous-location ; pourtant, celui-ci s’est retrouvé tenu des agissements de son locataire.

Mais plus précisément, le problème sous-jacent concerne la responsabilité du propriétaire. En effet, pouvait-il être tenu responsable de la sous-location opérée dans des conditions prohibées par le preneur ?

I – La conformité de l’amende civile

Eu égard à la personnalité des peines, il s’agit d’un principe du droit pénal qui rappelle qu’une peine ne peut frapper une autre personne que l’auteur ou le complice des faits comme en témoigne l’article 121-1 du Code pénal. Malgré ce principe, il existe de nombreuses situations dans lesquelles la responsabilité peut être partagée ou placée sur une personne autre que l’auteur. C’est notamment le cas en matière civile, sans pour autant que soit heurté le principe de personnalité des peines. En effet, en matière de responsabilité du commettant du fait de son préposé lorsque celui-ci a agi dans les conditions et les circonstances prévues par son contrat de travail, sa responsabilité personnelle ne peut être engagée. Plus près du cas d’espèce, par un arrêt du 24 octobre 20171, la Cour de cassation avait admis que la responsabilité pénale du bailleur pouvait être recherchée dans le cas où ses locataires avaient exécuté des travaux sans permis de construire. Le cas d’espèce est une illustration de cette responsabilité du bailleur. Les magistrats du fond raisonnant sur le fait que le propriétaire avait lui-même proposé la location saisonnière de son bien sur ces mêmes plates-formes. De plus, par l’autorisation de sous-location offerte au locataire, il avait connaissance et conscience du projet de ses locataires. Cette amende civile ne pouvait pas être confrontée au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

II – Le non-respect des conditions à la sous-location

Eu égard à la sous-location, elle est prévue par l’article 1717 du Code civil qui reconnaît la possibilité pour le preneur de sous-louer le bien et même de céder son bail à un autre si cette faculté ne lui est pas interdite. Néanmoins, l’article 8 de la loi du 6 juillet 1989 est venu tempérer ce principe en interdisant la sous-location sauf avec accord du bailleur en présence d’un bail d’habitation. D’ailleurs, nombreux sont les litiges dans lesquels le bailleur n’avait pas donné son autorisation à la sous-location2. Concernant la nature de la sous-location, il s’agit d’un contrat qui vient s’ajouter au contrat de location. Il n’y a donc pas de relation directe entre le bailleur et le sous-locataire. Le locataire assure alors une double fonction. Il est dans un premier temps « bailleur » à l’égard du sous-locataire. En ce sens, il doit garantir au sous-locataire une jouissance paisible des lieux et une mise à disposition conforme du bien. Ensuite, il est tenu à l’égard du propriétaire de l’exécution des obligations qui découlent du contrat de bail. Néanmoins, le bailleur reste responsable de la sous-location pratiquée dans des conditions prohibées par son preneur. Rappelons à ce titre que de nombreuses villes, particulièrement celle de Paris, luttent contre la location saisonnière de courte durée afin de pallier le risque de concurrence déloyale envers les professionnels de l’hôtellerie. Pour réaliser ce type de location, le preneur qui souhaite sous-louer le bien pris en location peut l’exercer de manière ponctuelle et pour 4 mois maximum. De plus, il doit se déclarer auprès de la mairie afin de remplir un formulaire de location saisonnière et obtenir un numéro à 13 caractères.

La Cour de cassation suit le raisonnement des juges du fond et rejette en conséquence le pourvoi du demandeur. En effet, le propriétaire avait loué le bien avec l’autorisation expresse de sous-location temporaire et une telle connaissance de cause ne pouvait dégager le propriétaire de la responsabilité qu’il encourait eu égard à sa qualité. De plus, ce dernier avait déjà proposé son bien sur ces mêmes plates-formes avant de signer le contrat de location. Il n’était donc pas novice en la matière. Cette solution est défavorable au bailleur, qui n’a finalement qu’appliqué le principe d’autorisation de sous-location. Néanmoins, il est difficile de ne pas soupçonner la stratégie du bailleur. En effet, lorsqu’un propriétaire souhaite pratiquer la location saisonnière meublée, elle n’est pas soumise à la réglementation sur les baux d’habitation3, mais elle relève du Code civil. Ce qui revient à dénaturer le contrat de bail classique. Pour cela, le bailleur doit alors se conformer aux réglementations municipales en vigueur. En louant le bien à une société spécialisée sous l’empire des baux d’habitation, le propriétaire avait sûrement pour objectif d’éviter toutes ses formalités4.

Cet arrêt a aussi le mérite de s’inscrire en faveur des professionnels de l’hôtellerie qui doivent répondre à des conditions strictes pour exercer leur activité. La France n’est d’ailleurs pas le seul pays en lutte, à titre d’exemple, la Catalogne a relevé près de quelques millions d’euros d’amendes depuis 2014.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 24 oct. 2017, n° 16-87178.
  • 2.
    TI Paris VI, 6 févr. 2018, n° 11-17-000190 : Tranchant L., « Sous-location illicite : Airbnb condamné », LEDIU avr. 2018, n° 111j5, p. 5.
  • 3.
    L. n° 89-462, 6 juill. 1989, loi Alur.
  • 4.
    Bollant Blanchard A., « La location meublée touristique : ça déménage ! », LPA 27 sept. 2016, n° 120d5, p. 7.
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