Avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile et responsabilité du fait des produits défectueux

Publié le 23/06/2017

La responsabilité du fait des produits défectueux est susceptible de connaître certaines évolutions dans l’hypothèse où l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, élaboré par la Chancellerie et rendu public le 29 avril 2016, serait adopté. Le présent article vise ainsi à mettre en lumière les principales modifications apportées par cet avant-projet en la matière.

L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile, élaboré par la Chancellerie dans le prolongement de la réforme du droit des contrats, du régime général et du droit des obligations, a été rendu public le 29 avril 2016. Il propose d’insérer dans le titre III du livre III du Code civil un sous-titre II « La responsabilité civile » qui n’est pas seulement une codification à droit constant mais qui introduit également plusieurs innovations et notamment le devoir de prévenir l’aggravation de son préjudice (article 1263 de l’avant-projet de loi) ainsi que l’amende civile pour faute délibérée (article 1266 de l’avant-projet de loi).

Les dispositions de l’avant-projet de loi applicables aux produits défectueux se situent dans une section II « Le fait des produits défectueux », comprenant les articles 1289 à 1299-4, insérée dans un chapitre V intitulé « Les principaux régimes spéciaux de la responsabilité » dans lequel se trouve également le régime du fait des véhicules terrestres à moteur.

On relèvera que trois articles ont été supprimés par rapport aux dispositions actuelles relatives aux produits défectueux :

  • l’article 1245-4 du Code civil, qui définit la notion de mise en circulation d’un produit, laissant ainsi à la CJUE le soin de définir cette notion1 ;

  • les articles 1245-122 et 1 245-133 du Code civil, l’avant-projet de loi prévoyant un chapitre III sur « les causes d’exonération ou d’exclusion de la responsabilité », qui reprend en substance les dispositions des deux articles supprimés. La question se pose toutefois de l’applicabilité de telles dispositions dès lors que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est présenté comme un régime spécial de responsabilité4.

Dans l’ensemble, la responsabilité des produits défectueux demeure largement inchangée, la marge de manœuvre du législateur étant restreinte par la directive 85/374/CEE du 25 juillet 19855 qui, de surcroît, impose un contrôle des autorités européennes lorsqu’une modification des lois de transposition est envisagée6.

Ce cadre restreint explique pourquoi l’avant-projet de loi ne propose que des modifications limitées, bien que substantielles et qui ont principalement pour objectif d’harmoniser les dispositions françaises avec la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985.

Ainsi, outre les suppressions de textes déjà citées, les points essentiels de la responsabilité des produits défectueux que l’avant-projet de loi propose de modifier sont relatifs d’une part, à la réparation du dommage causé à un bien à usage professionnel (I) et d’autre part, à l’articulation du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux avec le droit commun (II).

I – Une clarification bienvenue quant à la réparation du dommage causé à un bien à usage professionnel

L’article 9 de la directive définit le dommage réparable comme étant celui qui doit être causé à une chose autre que le produit lui-même, à condition que cette chose « soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés ».

La France, dans le cadre de la transposition de la directive, n’avait pas repris la référence à l’usage privé du bien, l’article 1245-1 du Code civil se bornant à définir le dommage comme résultant « d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même »7.

Cette absence de précision posait donc la question de savoir si le dommage réparable, dans le cadre de la directive, pouvait être celui causé à une chose affectée à l’usage professionnel.

À cet égard, une question préjudicielle a été posée en 2009 à la CJUE par la Cour de cassation à l’occasion d’un litige entre le fabricant d’un alternateur et un hôpital dont le groupe électrogène avait brûlé. Le produit en cause avait été mis en circulation après le délai de transposition mais avant l’entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, de sorte que le droit commun de la responsabilité civile, applicable en l’espèce, devait être interprété « à la lumière de la directive ».

La CJUE, de façon surprenante, décida que la directive devait être interprétée en ce sens qu’elle ne s’opposait pas à l’interprétation d’un droit national selon lequel la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapportait seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage8.

La portée de l’arrêt de la CJUE était donc ambiguë et laissait à penser que le juge national disposait d’un large pouvoir d’appréciation de la notion de dommage au sens de l’article 9 de la directive9.

La transposition en droit français de la directive, par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, et l’interprétation qu’en a retenu la jurisprudence française, n’ont toutefois pas dissipé les doutes entourant le régime applicable aux dommages causés à des biens à usage professionnel, la victime disposant alors d’une option entre d’une part, les articles 1245 et suivants du Code civil et d’autre part, un régime de responsabilité contractuelle ou délictuelle10.

En effet, alors que l’interprétation des articles 1245 et suivants du Code civil à la lumière de la directive, aurait dû conduire à écarter la réparation des dommages causés à des biens à usage professionnel de leur champ d’application, la jurisprudence française a semblé admettre que la responsabilité des produits défectueux leur était applicable11.

En pratique, les difficultés d’interprétation des articles 1245 et suivants du Code civil, au regard de la directive, sont surtout source de complexité et permettent aux professionnels de contourner les règles applicables à la garantie des vices cachés12.

Dans ce contexte, l’article 1290 de l’avant-projet13, qui reprend à l’identique les dispositions de l’article 9 de la directive et vise à aligner le droit français, doit donc être accueilli favorablement, en ce qu’il mettrait un terme à l’ambiguïté actuelle14. Le dommage causé à un bien (autre que le produit défectueux lui-même) affecté à un usage professionnel ne serait plus réparable dans le cadre du régime de la responsabilité des produits défectueux, permettant ainsi de renouer avec les objectifs voulus par la directive : la protection du consommateur.

Si un tel texte était adopté, les victimes d’un dommage causé à un bien à usage professionnel devraient alors agir sur un autre fondement de responsabilité, ce qui pose la question de l’articulation du régime de la responsabilité des produits avec les régimes de droit commun, point que l’avant-projet se propose également de préciser.

II – Des précisions quant à l’articulation du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux avec les régimes de droit commun

L’articulation nécessaire entre les différents régimes de responsabilité avait été envisagée par l’article 13 de la directive, qui dispose que « la présente directive ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d’un dommage spécial de responsabilité existant au moment de la notification de la présente directive ».

La loi n° 98-389 du 19 mai 1998 avait ainsi transposé l’article susvisé de la directive en un article 1386-18, devenu l’article 1245-17 du Code civil, actuellement en vigueur, selon lequel, « les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d’un régime spécial de responsabilité ».

L’avant-projet de loi cherche toutefois à prendre en compte l’approche restrictive retenue en la matière, tant par la jurisprudence communautaire que française.

Ainsi, la CJUE dans le cadre d’une question préjudicielle portant sur l’article 13 de la directive, a considéré que les droits conférés par la législation d’un État membre aux victimes d’un dommage causé par un produit défectueux, au titre d’un régime général de responsabilité ayant le même fondement que celui mis en place par ladite directive, pouvaient se trouver limités ou restreints à la suite de la transposition de celle-ci dans l’ordre juridique interne dudit État. Selon la CJUE, « l’article 13 de la directive (doit être interprété en ce sens que le régime mis en place par ladite directive (…) n’exclut pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute »15.

Cette interprétation a également été retenue par la Cour de cassation, selon laquelle, dès lors que l’action de la victime est fondée sur le défaut de sécurité du produit, l’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux « est exclusif d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle »16.

Le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n’exclurait donc pas l’application d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle si ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux, telle la garantie des vices cachés ou la faute17, étant entendu que cette liste d’actions alternatives ne serait pas exhaustive et qu’il conviendrait d’y ajouter la garantie légale18.

C’est dans ce contexte que l’avant-projet de loi contient un nouvel article 1299-4 qui tient compte de l’interprétation de la directive et de son article 13 :

« Les dispositions de la présente section ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle.

Elles ne lui interdisent pas non plus d’invoquer les dispositions de la responsabilité extra-contractuelle prévues par le présent chapitre, ou d’autres régimes spéciaux de la responsabilité dès lors que ceux-ci ont un fondement différent de la responsabilité prévue à la présente section ».

L’article 1299-4 de l’avant-projet n’est toutefois pas exempt de toute critique, seule la responsabilité extra-contractuelle étant visée en son alinéa 2, tandis que l’alinéa 1 visant la responsabilité contractuelle ne reprend pas la restriction quant au fondement de cette responsabilité.

La question de savoir si la victime d’un produit défectueux pourrait donc fonder son action sur les règles de droit commun de la responsabilité contractuelle reste entière19.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. civ., art. 1245-4 : « Un produit est mis en circulation lorsque son producteur s’en est dessaisi volontairement. Un produit ne fait l’objet que d’une mise en circulation ».
  • 2.
    C. civ., art. 1245-12 : « La responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ».
  • 3.
    C. civ., art. 1245-13 : « La responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage ».
  • 4.
    Borghetti J.-S., « L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile », D. 2016, p. 1442, § 64.
  • 5.
    Directive du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
  • 6.
    Dir. n° 85/374/CEE, art. 20 ; Viney G., « Exposé des motifs » in « Rapport sur l’avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription », Doc. fr., 2005, p. 141.
  • 7.
    C. civ., art. 1245-1 : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte à la personne. Elles s’appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même ».
  • 8.
    CJUE, 4 juin 2009, C-285/08, Moteur Leroy Somer c/ Dalkia France et Ace Europe : JCP G 2009, 82, Jourdain P.
  • 9.
    Laurent Bloch, « Bouteilles de vin affectées de défauts », Resp. civ. et assur. 2015, comm. 295/1 (note sous l’arrêt Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18391).
  • 10.
    Bakouche D., « La responsabilité du fait des produits défectueux », JCP G, suppl. nos 30-35, 25 juill. 2016.
  • 11.
    Arrêt Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18876.
  • 12.
    Borghetti J.-S., préc. (note 4).
  • 13.
    Article 1290 prévu à l’avant-projet : « Les disposition de la présente section s’appliquent à la réparation des préjudices qui résultent d’un dommage corporel. Elles s’appliquent également à la réparation du préjudice supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même, à condition que ce bien soit d’un type normalement destiné à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisé par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée ».
  • 14.
    V. Bloch L., préc. (note 9), § 9.
  • 15.
    CJCE, 25 avr. 2002, n° C-183/00, Gonzales Sanchez c/ Medecina Asturiana SA.
  • 16.
    Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 14-29000 : « Attendu que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux est exclusif d’autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle de droit commun fondés sur le défaut d’un produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, à l’exception des hypothèses de responsabilités pour faute et de garantie des vices cachés (…) ».
  • 17.
    Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 13-18876 : « (…) Mais attendu que, si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux qui ne sont pas destinés à l’usage professionnel ni utilisés pour cet usage n’exclut pas l’application d’autres régime de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle, c’est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d’un défaut de sécurité du produit litigieux » ; Borghetti J.-S., « Quand le régime spécial du fait des produits défectueux exclut les règles de la responsabilité contractuelle… à tort ou à raison », RDC 2016, n° 113k6, p. 442.
  • 18.
    Bakouche D., « Régime autre que celui des articles 1386-1 et suivants du Code civil : Condition », Resp. civ. et assur. 2016, comm. 158.
  • 19.
    Bakouche, préc. (note 10) ; Borghetti J.-S., préc. (note 4).