Sous toutes réserves…héréditaires
Le 5 octobre dernier, Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, a annoncé dans un tweet son intention de créer une réserve héréditaire au bénéfice des femmes pour empêcher qu’on ne les déshérite. Elle a précisé par la suite qu’elle visait l’application de la loi étrangère. Cependant, un tel projet risque de se heurter à plusieurs obstacles juridiques. Les explications de Nicolas Drancourt, avocat au barreau de Lille.
Un citoyen britannique bien connu a rappelé qu’en politique, « le succès, c’est aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ». Après le billant succès de la loi Avia, il semble que le gouvernement fasse sienne cette maxime.
En cause, un tweet de Marlène Schiappa, laquelle propose de créer une réserve héréditaire afin d’éviter qu’une femme ne soit lésée en matière d’héritage, du simple fait de son sexe.
Vous trouvez normal que des femmes soient déshéritées et se retrouvent sans rien parce qu’elles sont des femmes ?!
✅ Création d’une réserve héréditaire. #Laïcité pic.twitter.com/HuXR965MHU
— 🇫🇷 MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) October 5, 2020
La communauté juridique de twitter, toujours prompte à pardonner les petites imprécisions récurrentes de notre chère ministre, ne manque pas de lui rappeler que c’est déjà ce que prévoit le code civil, avec la réserve héréditaire et la protection du conjoint survivant.
Pas du tout fâchée (1), elle complète donc son innovation d’une précision :
Qu’est-ce que ça change ?👇🏾
Concrètement, lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne connaît aucun mécanisme réservataire, un prélèvement compensatoire sur les biens situés en France sera appliqué pour récupérer la part due à l’héritière. Ça n’existe pas jusque là ! https://t.co/23hCSKBIVg
— 🇫🇷 MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) October 5, 2020
Après quelques explications, il serait question d’intégrer dans la loi sur le séparatisme (2), une disposition qui permettrait de créer une réserve héréditaire, au profit d’une Française, qui se retrouverait déshéritée dans le cadre d’une succession soumise à la loi étrangère.
Une idée généreuse, n’est-ce-pas ?
Qu’est-ce que c’est que ces législations qui autorisent les parents à exhéréder (3) un de leurs enfants, surtout une fille ?
D’ailleurs, notre EDM (4) national, grand pénaliste connu et reconnu, soutient ardemment cette mesure civiliste et cette lutte salutaire contre ces législations honnies.
Les lois étrangères n’ont pas vocation à s’appliquer en France quand elles permettent à des parents de déshériter leur fille. C’est totalement contraire à nos valeurs.https://t.co/BuNqie9Isf pic.twitter.com/TrnEwT6IVf
— Eric Dupond-Moretti (@E_DupondM) October 6, 2020
Le traumatisme de l’affaire Hallyday a bien touché l’ensemble de la classe politique française.
Mais reprenons l’ensemble.
La réserve héréditaire n’est pas pratiquée dans tous les pays
D’abord, définissons la réserve héréditaire, ce n’est pas le lourd patrimoine génétique que vos parents vous ont légué, mais la partie de leur succession qui est réservée à leurs enfants et dont ils ne peuvent vous écarter, même si votre tête ne leur revient pas.
Le reste, c’est la quotité disponible et ils sont libres d’en faire ce qu’ils veulent, notamment s’ils veulent avantager un enfant, comme ce frère qu’ils ont toujours préféré à vous.
La réserve héréditaire empêche donc les parents (sauf exceptions (5)) de priver un enfant de toute succession ; c’est un mécanisme assez commun en Europe.
Mais, car dans toute bonne histoire, il y a toujours un mais, certains pays ne connaissent pas ce régime de réserve héréditaire et des parents indignes, au profit d’une idéologie poussiéreuse, voire arriérée, peuvent écarter certains de leurs enfants de leur succession.
C’est par exemple le cas dans ces lieux barbares que sont les pays de Common Law, qui comptent, entre autres, la Grande-Bretagne, l’Irlande, les Etats-Unis et les pays du Commonwealth.
Dans ces pays à la limite de l’état de droit, les parents peuvent parfaitement décider de ce qu’ils feront de leur patrimoine, y compris ne rien léguer du tout à leurs enfants, pour tout réserver à Panzer, le caniche schizophrène du de cujus.
Donc, si l’on s’en tient à la position de notre ministre, il s’agit de soumettre à la loi française, une succession relevant d’une loi étrangère, dès lors qu’une fille est déshéritée, qu’il y a des biens en France et qu’il est possible de créer une réserve héréditaire au profit de cette fille.
En d’autres termes, une personne résidant à l’étranger qui n’a pas d’autre lien avec la France que les biens qu’elle y détient, qui décède à l’étranger, qui a choisi par testament l’application de sa loi nationale (étrangère), pourrait quand même se voir appliquer le droit français (6).
Quelques limites aux ambitions ministérielles
Le premier obstacle sera européen, car le règlement n°650/2012 règle les questions de détermination de la loi applicable à une succession : c’est soit le lieu de résidence du défunt, soit sa loi nationale s’il a opté pour celle-ci par testament.
La solution est simple et par ailleurs identique à celle de la Convention de la Haye à laquelle la France est partie.
Ce qui veut dire que la volonté de la France, en violation de ce règlement, de soumettre une partie de la succession à la loi française, est totalement inconventionnelle.
Le règlement européen étant supérieur à la loi nationale, cette dernière connaîtra le destin d’une voiture sans permis percutée par un 38 tonnes.
Mais, il y a aussi le traitement fiscal de la succession, car, dans la situation envisagée par la ministre, la fille, ainsi déshéritée, n’est pas héritière, au sens juridique et fiscal.
Elle n’est donc pas redevable de droits de succession.
En créant une réserve et donc un droit à héritage en France, sur les biens situés en France, la loi rend cette femme héritière… et redevable d’une imposition au titre des droits de succession.
Alors que dans l’autre état, les héritiers vont être imposés sur la totalité de la succession, dès lors que les conventions fiscales signées entre la France et, par exemple, les pays de Common Law, ne prévoient pas ce particularisme.
Donc, là encore, la loi nouvelle va se trouver en conflit avec des conventions internationales et le juge français, saisi de la difficulté, devra faire prévaloir la convention internationale sur le droit français.
Et l’égalité face à la loi ?
Le droit international n’est pas le seul écueil, car la ministre ne vise que les héritières comme bénéficiaires exclusive de ce régime, excluant donc les hommes qui seraient victimes d’une exhérédation.
Quand bien même les femmes seraient les premières victimes d’une telle situation, cela n’autorise pas à créer un recours qui ne profiterait qu’à 50% de la population française.
Cela heurtera, cette fois, la Constitution française et notamment l’égalité des citoyens devant la loi.
Enfin, pour compléter sur l’affirmation de notre ministre de la justice, la réserve héréditaire si chère à la France, pour répandue qu’elle soit dans le monde, n’appartient pas à l’ordre public international français.
La Cour de cassation (7) a ainsi rappelé que « une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français. »
La réserve héréditaire n’est pas un élément essentiel qui s’inscrit dans les « valeurs » de la République française, à supposer que lesdites valeurs aient une quelconque force et soient identifiables.
Il est devenu assez commun de s’interroger sur la baisse de la qualité des textes juridiques produits par l’Etat, qu’il s’agisse de projets ou de propositions de loi.
Cet épisode est symptomatique d’une politique où la loi est vue comme un moyen de communication et non plus comme la construction d’un système juridique cohérent.
La décision du Conseil constitutionnel sur la loi Avia était, clairement, un avertissement sur la nécessité de ne pas construire la loi dans l’urgence et de se garder d’empiler les textes au risque d’en rendre l’application malaisée, voire impossible
Il faut croire que la leçon n’est pas encore apprise.
(1) Elle soulignera d’ailleurs la pertinence des commentaires en en qualifiant l’auteur de « Jean-Michel Twittos ».
(2) Qui devrait être « rebrandée » Loi sur la laïcité d’ici son arrivée à l’Assemblée Nationale.
(3) Oui, ça veut dire la même chose que déshériter mais ça permet à l’auteur de faire semblant d’être lettré.
(4) EDM pour Eric Dupod-Moretti et pas Episode Dépressif Majeur.
(5) Le fait de tenter d’assassiner vos parents est une cause pour vous exhéréder, en revanche les laisser mourir dans un EPHAD ne l’est pas.
(6) Encore plus fort que les américains.
(7) Cass.civ 127 septembre 2017, n°16-17.198.
Référence : AJU74752