Symptômes ou diagnostic ? L’incapacité de recevoir à titre gratuit est conditionnée à la maladie du disposant
L’infirmière ayant eu connaissance de la maladie ne peut être gratifiée par la personne âgée dont elle s’occupe, quand bien même elles auraient entretenu des relations d’amitié. Le testament doit ainsi être déclaré nul. L’établissement du diagnostic postérieur à l’acte ne peut permettre de prouver l’absence d’emprise et ne saurait faire obstacle à cette nullité. L’exception à la liberté de disposer doit demeurer d’appréciation stricte.
Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, no 19-15818, ECLI:FR:CCASS:2020:C100522
1. Le testament est un acte de dernières volontés, qui se mue, au jour du décès du testateur, en véritable obligation pour les vivants. Toutefois, au jour de son exécution, il arrive que la volonté du défunt ne soit pas respectée. C’est le cas lorsque l’on peut craindre que l’entourage ait exercé une emprise et soit ainsi tenté de capter l’héritage du défunt. Il est fait allusion à l’article 909 du Code civil, qui contient une incapacité de recevoir à titre gratuit pour les membres des professions médicales ayant prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt. Or en ce domaine, si la casuistique est reine, la position de la haute juridiction demeure, en dépit des circonstances, inflexible et constante. C’est, à tout le moins, ce que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation dans cet arrêt en date du 16 septembre 2020 publié au Bulletin.
2. Dans cette affaire, une personne âgée avait désigné son infirmière et amie comme légataire. Le testament olographe en date du 5 octobre 2012 avait été rédigé alors que la testatrice était malade sans qu’il n’ait pour autant été diagnostiqué de pathologie. En effet, ce n’est que plus tard, en l’espèce, après la rédaction du testament, que le diagnostic fut posé sur la maladie.
Quelques mois plus tard, la maladie ainsi diagnostiquée a emporté la testatrice. Le legs fut, suite au décès intervenu le 13 avril 2014, délivré à son amie infirmière. Or le frère de la défunte assigna l’infirmière légataire en restitution en invoquant le célèbre article 909 du Code civil, qui fait interdiction à un professionnel de santé ayant prodigué des soins au cours de la maladie qui a emporté la testatrice à recevoir à titre gratuit.
3. La cour d’appel de Versailles saisie du litige rejette purement et simplement l’application de ce texte au cas d’espèce. En effet, les juges du fond admettent la validité du testament au profit de l’infirmière et amie de la testatrice au motif que le diagnostic a été établi postérieurement à la rédaction de l’acte. En l’absence de diagnostic, la maladie ne peut être avérée et, par voie de conséquence, l’infirmière n’a pas pu capter l’héritage. En filigrane, c’est sans doute la volonté de la personne âgée de gratifier son amie infirmière que les juges du fond ont souhaité valoriser.
4. Il n’en demeure pas moins que la Cour de cassation, interrogée sur l’application de l’article 909 du Code civil, ne suit pas ce raisonnement et censure les juges du fond. En somme, il est reproché à la cour d’appel d’avoir ajouté une condition à la loi. Il lui est reproché d’avoir distingué là où la loi ne distingue pas. En effet, la haute juridiction se livre à une appréciation stricte du texte qui doit, du reste, être approuvée. Il importe peu, au jour de la rédaction du testament, que la maladie soit avérée, confirmée par un professionnel. Ce qui doit prévaloir, c’est la connaissance par le professionnel de l’état de santé dégradé du testateur. C’est précisément l’esprit du texte de l’article 909 du Code civil, qui établit une incapacité de recevoir en cas de suspicion de captation d’héritage (I) conduisant les hauts magistrats à une appréciation rigoureuse de la cause du legs (II).
I – L’incapacité de recevoir en cas de suspicion de captation d’héritage
5. Le droit favorise l’effacement patrimonial des personnes âgées en leur permettant de transmettre. Néanmoins, il se montre vigilant à l’égard de son entourage, qui peut exercer des pressions pour la contraindre à se dessaisir. Ainsi, certaines manœuvres peuvent viser à saisir une partie du patrimoine de la personne âgée.
6. Cependant, dans le même temps, il relève de la liberté de la personne âgée de gratifier son médecin, son infirmier, son aide à domicile ou quiconque aura pris soin de lui. L’équilibre est délicat et, en toutes hypothèses, subsiste un risque d’emprise que le droit ne veut pas prendre.
7. À cet égard, force est de constater qu’à mesure des années, le domaine d’application de l’article 909 du Code civil ne cesse de s’étendre. Sans remonter le fil de l’histoire à des temps trop éloignés, il est permis de penser à la loi du 5 mars 20071 qui a, au détour d’un changement de mot, considérablement étendu le champ d’application de l’article soumis à commentaire. En effet, il n’est pas excessif de penser qu’une simple substitution de mots est révélatrice d’une profonde mutation. C’est précisément le cas de la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui a remplacé le mot « traitement » par le mot « soins ». Ces termes, en apparence synonymes, se distinguent pourtant. Si les traitements ne visent que les soins de santé, le mot « soins » s’étend bien au-delà de la sphère médicale dans laquelle un préjugé l’enfermerait. Il comprend certes les soins de santé mais encore les bons égards2, la sollicitude. Cette extension du domaine vise naturellement à embrasser des situations plus diversifiées. Pourtant, dans une affaire dans laquelle le médecin était de surcroît l’ami du testateur, la Cour de cassation3 avait admis le legs. Il s’agissait en l’occurrence d’un professionnel de santé qui était médecin mais qui n’avait pas la qualité de médecin traitant. La haute juridiction s’était montrée plus réceptive à l’appréciation des circonstances largement factuelles qu’elle n’a pu le faire dans l’arrêt examiné. Elle avait à ce titre retenu, pour ne pas priver de libéralité le médecin, que ce dernier n’avait fait qu’apporter son assistance au disposant, ce qui était insuffisant à caractériser des soins de santé réguliers et durables au cours de la maladie du défunt.
8. Toutefois, il semble que cette différence de traitement entre les professionnels de santé ayant prodigué des soins au testateur et les amis du testateur, qui sont par ailleurs soignants et que le testateur souhaite librement gratifier, n’ait pas emporté l’adhésion de la Cour de cassation.
II – L’appréciation rigoureuse de la cause du legs
9. Les hauts magistrats se livrent ici à une interprétation très stricte qui peut manifestement trouver sa cause, à tout le moins, l’une de ses causes, dans la loi du 28 décembre 2015 portant adaptation de la société au vieillissement. Ce texte renforce en effet le dispositif existant4 et a étendu le domaine d’application du texte de l’article 909 du Code civil. L’article 909 vise désormais, en sus des professionnels de santé, toute personne intervenant à domicile, à titre médical ou social. Il est fait allusion ici, par exemple, aux aides ménagères. Ainsi, s’agissant des aides à domicile, la Cour de cassation admettait, notamment dans un arrêt du 25 septembre 20135, qu’une aide à domicile puisse bénéficier d’un legs consenti par la personne dont elle avait la charge. La loi du 28 décembre 2015 a mis un terme à cette faculté6 en introduisant l’article L.116-4 au sein du Code de l’action sociale et des familles.
10. Il s’ensuit que la personne âgée ne peut gratifier non seulement son médecin, son infirmier ou son pharmacien, mais encore tout autre membre d’une profession médico-sociale tels que les auxiliaires médicaux, mais encore les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Sont encore visés par cette interdiction de recevoir à titre gratuit, les intervenants à domicile ainsi que celui qui héberge à domicile et à titre onéreux une personne âgée7.
11. Dès lors, ce texte protecteur et, à certains égards, liberticide, pourrait conduire à faire « du grand âge une incapacité qui ne dirait pas son nom »8. Pour cette raison, il convient de veiller à l’interpréter de manière stricte. C’est vraisemblablement à cette rigueur que s’est astreinte la Cour de cassation dans cette décision qui doit, par souci d’unification du droit, être approuvée.
12. Il ne convient pas de distinguer là où la loi ne distingue pas. En effet, l’article 909 du Code civil n’opère aucune distinction selon la cause du legs. Les juges du fond se sont livrés ici à une interprétation extensive les ayant conduits à opérer une distinction entre la maladie, ses symptômes et le diagnostic corrélatif qui s’ensuit bien qu’il soit postérieur à la rédaction du testament. Certes, il pourrait être retenu que s’agissant d’une présomption simple de captation d’héritage, et donc susceptible de preuve contraire, la date du diagnostic consistait ici simplement à prouver l’absence d’emprise et, partant, l’absence de risque de captation pour désactiver l’application du texte du Code civil.
13. Toutefois, les dispositions rémunératoires telles que visées par l’article 909, alinéas 1 et 2, du Code civil restent admises. On le pressent, en pratique, la difficulté résidera dans l’appréciation de ce caractère rémunératoire car il est des cas dans lesquels la libéralité demeurera excessive par rapport à l’accompagnement affectif et effectif. En tout état de cause, les relations d’amitié et la date du diagnostic ne peuvent valablement être invoquées pour faire obstacle à l’application de l’article 909 du Code civil. L’exception au principe de liberté de disposer doit s’entendre de manière stricte.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2007-308, 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs : JO, 7 mars 2007.
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2.
Fabas-Serlooten A.-L., L’obligation de soins en droit privé, 2015, LGDJ, préf. Kenfack H.
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3.
Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-22950 : Defrénois 30 sept. 2014, n° 117m2, p. 982, comm. Autem D. ; Defrénois 15 juill. 2014, n° 116v0, p. 765, note Vareille B. ; Dr. famille 2014, comm. 44, Torricelli-chrifi S. ; LPA 8 avr. 2014, p. 9, comm. Fabas-Serlooten A.-L. ; Dalloz actualité, 31 janv. 2014, Douville T.
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4.
L. du 28 déc. 2015, art. 28.
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5.
Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-25160.
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6.
Pour une critique de cette disposition, v. Pollet D., « Une loi liberticide et discriminante pour les personnes dépendantes », AJ fam. 2015, p. 247.
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7.
CASF, art. L. 443-6.
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8.
Nicod M., « Le vieil homme et la liberté », Defrénois 15 sept. 2015, n° 120t1, p. 857.