Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (1er semestre 2017) (Suite et fin)

Publié le 25/07/2018

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre le premier semestre de l’année 2017.

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

1 – Les validations législatives (…)

2 – Le contrôle de la procédure législative

3 – La compétence et le domaine de la loi

C – Le pouvoir juridictionnel (…)

D – Le pouvoir financier (…)

E – Les collectivités décentralisées

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)

C – Les techniques contentieuses (…)

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

III – Les normes de références

A – Les sources matérielles (…)

B – Les droits et libertés

1 – Les libertés

a – Sécurité et libertés

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

c – Liberté d’expression/Liberté de conscience

d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

2 – Le droit de propriété (…)

3 – Le principe d’égalité

a – Principe d’égalité devant la loi

La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

À propos de l’amende pour défaut de déclaration de trust, le Conseil pose dans la décision n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, le principe selon lequel l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales autorise le législateur, compte tenu des potentialités différentes de fraude que recèlent les comptes bancaires ouverts à l’étranger et les trusts, de sanctionner différemment la méconnaissance des obligations déclaratives qui s’y attachent. Néanmoins, dans le cas d’espèce, il relève que les dispositions contestées du paragraphe IV bis de l’article 1736 du Code général des impôts sanctionnent de la même manière le seul non-respect des obligations déclaratives, qu’un impôt ait été éludé ou non. Elles n’instituent donc aucune différence de traitement.

Ces obligations déclaratives s’imposent aussi bien au constituant d’un trust qu’à l’administrateur d’un trust sous peine de sanction. En l’occurrence, lorsque le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires d’un trust, tel que défini à l’article 792-0 bis du Code général des impôts, a son domicile fiscal en France ou lorsque ce trust comprend un bien ou un droit qui y est situé, l’article 1649 AB du même code impose à l’administrateur de ce trust d’en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu de ses termes. Lorsque l’administrateur d’un trust a son domicile fiscal en France, l’article 1649 AB lui impose d’en déclarer la constitution, la modification ou l’extinction ainsi que le contenu de ses termes. Dans les deux cas, il est, en outre, tenu de déclarer la valeur vénale au 1er janvier de l’année des biens, droits et produits du trust.

Les dispositions contestées, dans leur rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011, sanctionnent la méconnaissance de ces obligations par une amende d’un montant forfaitaire de 10 000 € ou, s’il est plus élevé, d’un montant proportionnel égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés. Dans leur rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013, les dispositions contestées portent le montant de l’amende forfaitaire à 20 000 € et le taux de l’amende proportionnelle à 12,5 %. Cette sanction s’applique à chaque défaut aux obligations déclaratives mentionnées ci-dessus, même en l’absence de soustraction à l’impôt.

L’amende forfaitaire ainsi instituée ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi, l’objectif étant que soit puni chaque manquement au respect des obligations déclaratives incombant aux administrateurs de trusts.

Il résulte également de l’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, que le principe d’égalité n’oblige pas nécessairement à traiter différemment des personnes qui se trouvent dans des situations différentes. C’est ce que rappelle le Conseil dans la décision n° 2017-627/628 QPC du 28 avril 2017 à propos de l’institution d’une contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites. La société requérante reprochait aux dispositions contestées de traiter de manière identique les sociétés qui attribuent les actions gratuites à raison desquelles la contribution a été acquittée et celles qui ne le font pas, alors que pour ces dernières, la contribution serait sans cause. Il résulte des prescriptions de l’article 6 de la Déclaration de 1789 qu’en prévoyant dans les deux cas une même date d’exigibilité de la contribution patronale le mois suivant la date de la décision d’attribution des actions gratuites sans distinguer si les actions gratuites sont ou non effectivement attribuées, le législateur n’a institué aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi est ainsi écarté.

Il l’est également dans la décision n° 2017-633 QPC du 2 juin 2017 dès lors que l’article 6 de la Déclaration de 1789 autorise un traitement différent en cas de situation différente. Tel est le cas en ce qui concerne la rémunération par la collectivité publique des seuls ministres du culte catholique en Guyane. Il n’y a pas là matière à relever une différence injustifiée entre les cultes étant entendu que dans ce territoire, les dispositions contestées de l’article 36 de l’ordonnance royale du 27 août 1828 concernant le gouvernement de la Guyane française et de l’article 33 de la loi du 13 avril 1900 portant fixation du budget général des dépenses et recettes de l’exercice 1900 relatives à la rémunération des ministres du culte catholique, sont demeurées en vigueur. En effet, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État n’a jamais été étendue à la Guyane faute de texte réglementaire auquel l’application de cette loi dans les colonies était subordonnée et de décret introduisant cette loi en Guyane postérieurement au classement de ce territoire en département français par la loi du 19 mars 1946. En conséquence, la rémunération des ministres du culte catholique en Guyane devant être assurée par la collectivité publique, le législateur peut en imposer à la collectivité territoriale de la Guyane la prise en charge plutôt qu’à l’État. Il ne fait que traiter différemment des collectivités placées dans une situation différente.

Lorsqu’un traitement différent est institué, il convient dans tous les cas qu’il soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Il en va ainsi des exigences mêmes du principe d’égalité qui font défaut, aux termes de la décision n° 2017-629 QPC du 19 mai 2017, quant à l’application du taux effectif de la CVAE pour les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés. Si la différence de traitement pour la détermination du taux effectif de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), entre les sociétés membres d’un groupe, selon que celui-ci relève ou non du régime de l’intégration fiscale peut être justifiée par le motif d’intérêt général consistant à faire obstacle à des comportements d’optimisation résultant d’opérations de restructuration, le critère retenu par le législateur pour fonder la différence de traitement n’est toutefois pas en adéquation avec l’objectif poursuivi. Il ne peut distinguer entre ces groupes selon qu’ils relèvent ou non du régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’ils peuvent tous réaliser des opérations de restructuration susceptibles de conduire à une optimisation. Ainsi, le critère de l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale n’est donc pas en adéquation avec l’objet de la loi.

Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, toute différence instituée ne doit pas procéder de distinctions injustifiées. Le Conseil rappelle cet impératif dans la décision n° 2017-641 QPC du 30 juin 2017 qu’il lie aux exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 selon lesquelles : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Cette combinaison autorise le législateur à prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent à la condition, toutefois, que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense. Il n’en va pas ainsi des dispositions contestées du premier alinéa de l’article 206 de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 instituant un Code du travail dans les territoires et territoires associés relevant des ministères de la France d’outre-mer, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 82-1114 du 23 décembre 1982 relative au régime législatif du droit du travail dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances. Elles prévoient un délai d’appel des jugements des juridictions du travail, dans les quinze jours du prononcé du jugement, applicable uniquement dans certains territoires ultramarins, dont Mayotte. L’exclusion qui en résulte du délai de droit commun ne trouve sa justification ni dans une différence de situation des justiciables dans ce territoire par rapport à ceux des autres territoires, ni dans l’organisation juridictionnelle, les caractéristiques ou les contraintes particulières propres au département de Mayotte. Le principe d’égalité devant la justice s’en trouve méconnu.

Il en va différemment dans la décision n° 2017-623 QPC du 7 avril 2017 à propos de l’obligation de secret professionnel et de celle de discrétion qui pèse sur le défenseur syndical dans sa fonction d’assistance et de représentation du salarié ou de l’employeur devant le conseil de prud’hommes et la cour d’appel en matière prud’homale. En l’absence d’une quelconque insuffisance de ces obligations de confidentialité comparativement à celles auxquelles sont assujettis les avocats, le Conseil déduit une équivalence de garanties pour les parties, qu’elles soient représentées par un avocat ou par un défenseur syndical, en ce qui concerne l’équilibre de leurs droits et le respect des droits de la défense. Le principe d’égalité devant la justice est, de fait, préservé.

Les exigences issues de l’article 6 de la Déclaration de 1789 emportent également le principe d’égal accès aux dignités, places et emplois publics. En ce sens, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». C’est sur ce fondement que le Conseil examine dans la décision n° 2017-640 QPC du 23 juin 2017, la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la condition d’éligibilité du conseiller communautaire représentant une commune qui ne dispose que d’un seul siège au sein d’un EPCI telle qu’elle est définie au septième alinéa du 1° de l’article L. 5211-6-2 du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Le quatrième alinéa de l’article L. 5211-6 du Code général des collectivités territoriales, impose, lorsqu’une commune dispose d’un seul siège de conseiller communautaire, qu’un « conseiller communautaire suppléant » soit désigné au sein du conseil municipal. Ce conseiller suppléant peut participer, avec voix délibérative, aux réunions de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale en cas d’absence du conseiller titulaire. Selon le septième alinéa du 1°, dans les communautés de communes et dans les communautés d’agglomération, lorsqu’une commune ne dispose que d’un seul siège de conseiller communautaire, la liste des candidats à ce siège comporte deux noms. Le second candidat de la liste qui a été élue devient conseiller communautaire suppléant. La fixation à deux du nombre de candidats devant figurer sur la liste lorsqu’une commune ne dispose que d’un seul siège, est une garantie pour une telle commune de pouvoir bénéficier d’un conseiller communautaire suppléant. Comme le relève le Conseil, le législateur n’a pas entendu lier la recevabilité de cette dernière liste au respect de l’exigence d’une dualité de candidats. Ainsi, la candidature présentée par un conseiller communautaire sortant sur une liste comprenant son seul nom est régulière. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égal accès aux dignités, places et emplois publics doit être écarté.

b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale

Les exigences issues du principe d’égalité devant les charges publiques qui découlent des dispositions de l’article 13 de la DDHC de 1789 imposent que l’appréciation des facultés contributives dont il appartient au législateur de déterminer les règles, repose sur des critères objectifs et rationnels afin d’éviter toute rupture caractérisée du principe. La tâche du Conseil consiste donc en la recherche de l’existence ou non, dans la loi, de tels critères au regard du but qu’elle poursuit. L’exigence de ces critères est remplie, aux termes de neuf décisions sur onze rendues sur la période considérée dont deux faisant l’objet d’une déclaration de conformité sous réserve.

Ainsi, aucune rupture d’égalité devant les charges publiques n’est à relever dans la décision n° 2016-609 QPC du 27 janvier 2017 quant à l’institution d’un crédit d’impôt réservé au seul bénéfice des entreprises industrielles du secteur « textile-habillement-cuir » au titre des dépenses exposées pour l’élaboration de nouvelles collections. Les entreprises commerciales qui en sont exclues se situent dans une situation différente qui justifie, de ce fait, l’octroi d’un tel avantage fiscal uniquement aux entreprises industrielles afin de soutenir l’industrie manufacturière en favorisant les systèmes économiques intégrés qui allient la conception et la fabrication de nouvelles collections.

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques est également écarté dans la décision n° 2016-612 QPC du 24 février 2017 à propos de l’institution d’un dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties en cas de vacance d’une maison normalement destinée à la location ou en cas d’inexploitation d’un immeuble à usage commercial ou industriel utilisé par le contribuable lui-même. Le dégrèvement qui est subordonné à la triple condition que la vacance ou l’inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, qu’elle dure au moins trois mois et qu’elle affecte la totalité de l’immeuble ou une partie susceptible de location ou d’exploitation séparée est établi selon des critères objectifs et rationnels conformément aux exigences des dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de 1789.

Le respect de ces dispositions est par ailleurs garanti par la limitation du droit d’exercer un recours subrogatoire contre le responsable d’un dommage à l’origine d’une atteinte à la personne, aux seuls tiers payeurs qu’elles énumèrent et à l’égard des prestations qu’elles visent, en vue d’accélérer le cours des procédures judiciaires de réparation du préjudice subi par la victime. Le département et la prestation de compensation du handicap ne sont pas au nombre des personnes et des prestations limitativement énumérées par l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985. L’exclusion du département de la faculté d’exercer un tel recours est donc justifiée. C’est ce que le Conseil décide dans la décision n° 2016-613 QPC du 24 février 2017 dans laquelle il cautionne la conciliation de cet objectif avec la préservation des intérêts financiers de certains tiers payeurs chargés d’assurer l’indemnisation des victimes d’atteintes corporelles. Le département, lorsqu’il verse la prestation de compensation du handicap, qui est une prestation d’aide sociale reposant sur la solidarité nationale, limitée à certaines dépenses découlant du handicap, n’est pas placé dans la même situation que les autres tiers payeurs qui versent les prestations énumérées à l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que la différence de traitement instituée est fondée sur une différence de situation qui est en rapport direct avec l’objet de la loi. En outre, et en tout état de cause, le département dispose dans tous les cas de la possibilité de récupérer auprès du bénéficiaire de la prestation, les sommes qui lui auraient été indûment versées.

Dans la décision n° 2016-615 QPC du 9 mars 2017, le Conseil valide également la différence de traitement au regard de l’assujettissement à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles relevant du régime de sécurité sociale d’un État tiers. Celle-ci s’explique par une différence de situation qui découle de son objet : assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union européenne, ce qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union. Au regard de cet objet, il existe une différence de situation, qui découle notamment du lieu d’exercice de leur activité professionnelle, entre ces personnes et celles qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers. La différence de traitement établie par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi.

Il en va de même dans la décision n° 2016-622 QPC du 30 mars 2017, en ce qui concerne les dispositions du 1° du paragraphe I qui instituent une différence de traitement entre les employeurs autorisés à assurer le transport collectif de leurs salariés jusqu’à leur lieu de travail et ceux qui, notamment en raison d’un plan de prévention des risques technologiques, ne le seraient pas. Cette différence de traitement est fondée sur la différence de situation existant entre, d’une part, les employeurs qui organisent le logement de leurs salariés sur le lieu de travail ou qui prennent en charge intégralement et à titre gratuit leur transport collectif et, d’autre part, ceux qui ne supportent aucune de ces charges. Ce sont des critères objectifs et rationnels qui dictent cette différence de traitement voulue pour tenir compte du fait que certains salariés n’ont pas à utiliser les transports publics collectifs, grâce à la politique conduite par leurs employeurs. Est donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.

Ce principe est également respecté par la détermination des conditions de modulation du montant du droit départemental de passage sur les ponts reliant une île maritime au continent. Le Conseil en a décidé ainsi dans la décision n° 2017-631 QPC du 24 mai 2017. Aux termes de l’article L. 321-11 du Code de l’environnement, le conseil départemental peut effectivement instituer un droit départemental de passage dû par les passagers de chaque véhicule terrestre à moteur empruntant cet ouvrage entre le continent et l’île. Ce montant peut être modulé selon des critères spécifiques définis par la loi et jugés objectifs et rationnels par le Conseil au regard de la finalité de diminution de l’impact environnemental du transport routier poursuivie par le législateur. D’une part, le critère de la « silhouette » des véhicules permet de prendre en compte leur caractère plus ou moins polluant. Il permet de mesurer, au regard de l’emprise au sol et du gabarit des véhicules, leur impact sur le trafic routier et sur l’environnement. D’autre part, la possibilité d’accorder des tarifs différents ou la gratuité aux usagers ayant leur domicile ou leur lieu de travail dans l’île, à ceux ayant leur domicile dans le département ou à ceux accomplissant une mission de service public, est en rapport direct avec l’objectif poursuivi. Le législateur a voulu tenir compte de la fréquence particulière à laquelle ces usagers sont susceptibles d’emprunter l’ouvrage d’art, qui les place dans une situation différente de celle des autres usagers. En procédant de même s’agissant des usagers accomplissant une mission de service public, il a souhaité ne pas entraver l’exercice d’une telle mission.

Aux termes de la décision n° 2017-638 QPC du 16 juin 2017, sont considérées conformes au principe d’égalité devant les charges publiques les mesures de sursis d’imposition en cas d’échanges de titres avec soulte. Le législateur a voulu ainsi favoriser les restructurations d’entreprises susceptibles d’intervenir par échanges de titres tout en évitant, au nom de la lutte contre l’évasion fiscale, que bénéficient d’un tel sursis d’imposition celles de ces opérations qui ne se limitent pas à un échange de titres, mais dégagent également une proportion significative de liquidités. À cette fin, poursuivant ces buts d’intérêt général, il a prévu que les plus-values résultant de tels échanges avec soulte soient soumises à l’impôt sur le revenu au titre de l’année de l’échange, lorsque le montant des liquidités correspondant à la soulte dépasse une certaine limite. La fixation à 10 % de la valeur nominale du montant de la soulte au-delà duquel il n’est pas possible de bénéficier du sursis d’imposition repose, à ce titre, sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objectif poursuivi. Il n’en résulte pas d’effets de seuil manifestement disproportionnés qui feraient peser sur les assujettis, s’agissant de conditions requises pour bénéficier d’un sursis d’imposition, une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.

À propos de la majoration de 25 % de l’assiette des contributions sociales sur les rémunérations et avantages occultes résultant du c du paragraphe I de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, combiné avec les dispositions du premier alinéa du 7 de l’article 158 du Code général des impôts, le Conseil a émis, dans la décision n° 2016-610 QPC du 10 février 2017, une réserve d’interprétation quant à sa conformité au principe d’égalité devant les charges publiques. Il conduit non seulement à soumettre à l’impôt des revenus dont le contribuable n’a pas disposé mais aussi, pour l’établissement des contributions sociales, à établir une majoration d’assiette de 25 % injustifiée, contrairement à ce qu’il peut en être en matière d’impôt sur le revenu, par l’intégration de l’ancien abattement de 20 % au barème de cet impôt, ou par l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

C’est aussi par une interprétation sous réserve que le Conseil a reconnu, dans la décision n° 2017-627/628 QPC du 28 avril 2017, la conformité aux dispositions de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de la contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites. Pour ce type d’attribution, la contribution est due par les employeurs sur les actions attribuées, son taux étant fixé à 10 %. Elle est exigible le mois suivant la date de la décision d’attribution des actions gratuites. En instituant la contribution patronale sur les attributions d’actions gratuites, le législateur a entendu que ce complément de rémunération, exclu de l’assiette des cotisations de sécurité sociale en application de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, participe au financement de la protection sociale. Néanmoins, si le législateur peut prévoir l’exigibilité de cette contribution avant l’attribution effective, il ne peut, sans créer une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, imposer l’employeur à raison de rémunérations non effectivement versées. Dès lors, le Conseil considère que les dispositions contestées ne sauraient faire obstacle à la restitution de cette contribution lorsque les conditions auxquelles l’attribution des actions gratuites était subordonnée ne sont pas satisfaites. C’est donc sous cette réserve que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques a été écarté.

Ce grief a été, en revanche, retenu dans la décision n° 2016-604 QPC du 17 janvier 2017 en ce qui concerne la réforme du régime du report en arrière des déficits. Celle-ci s’applique non seulement aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi aux déficits qui restaient à reporter à la clôture de l’exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date. Ont donc été remises en cause les options exercées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le report en arrière des déficits reportables à la clôture de l’exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur. Or, en application de l’article 220 quinquies du Code général des impôts, l’exercice de l’option pour le report en arrière « fait naître au profit de l’entreprise une créance » sur l’État. Ainsi, dans la mesure où sont remises en cause des créances dont le fait générateur était intervenu avant leur entrée en vigueur, il est porté atteinte à des situations légalement acquises. Dans la mesure où cette atteinte n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général suffisant, il y a méconnaissance de la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789.

C’est aussi à une déclaration de non-conformité que s’est heurtée la question de la taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision dans la décision n° 2016-620 QPC du 30 mars 2017.

L’exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. Les dérogations à cette règle qui peuvent être dictées par des motifs de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscales doivent, dans tous les cas, être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs. Or, dans le cas d’espèce, se retrouvent inclus dans l’assiette de la taxe dont sont redevables les éditeurs de services de télévision, les sommes versées par les annonceurs aux régisseurs de messages publicitaires, ce qui conduit à soumettre un contribuable à une imposition dont l’assiette inclut des revenus dont il ne dispose pas. Le Conseil considère, dès lors, qu’en posant le principe de l’assujettissement systématique et en toutes circonstances, des éditeurs de services de télévision au paiement d’une taxe assise sur des sommes dont ils ne disposent pas, le législateur a méconnu les exigences résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789.

LB

4 – Les droits sociaux (…)

5 – Les principes du droit répressif

Parmi les griefs adressés à la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté (v. supra), figurait l’atteinte au principe de légalité des délits et des peines dans la mesure où la notion d’identité de genre, qui faisait l’objet de controverses, était imprécise1. De manière habituelle, le Conseil a rappelé que l’article 8 de la Déclaration de 1789 dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » et qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution (al. 4) : « La loi fixe les règles concernant (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient alors de ces dispositions constitutionnelles l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire (§ 88).

Les dispositions contestées substituaient, dans plusieurs articles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les termes d’« identité de genre » à ceux d’« identité sexuelle » et ajoutaient ainsi, à l’interdiction des discriminations liées au sexe et à l’orientation sexuelle, celles liées à l’identité de genre. Le Conseil constitutionnel a rejeté ce grief d’atteinte au principe de légalité des délits et des peines, en estimant que les termes d’« identité de genre » utilisés par le législateur sont suffisamment clairs et précis, et ce pour deux séries de raisons. Il a considéré, en effet, qu’il résultait des travaux parlementaires qu’en ayant recours à la notion d’identité de genre, le législateur avait entendu viser le genre auquel s’identifie une personne, qu’il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l’état civil ou aux différentes expressions de l’appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin. En second lieu, les termes « identité de genre », ne sont pas inconnus en droit français puisqu’ils figurent à l’article 225-1 du Code pénal dans sa version issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, et dans la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du 12 avril 2011 et dans la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. Néanmoins, le fait d’être déjà utilisés dans des textes antérieurs, soit de valeur législative soit de conventionnelle, ne rend pas les termes employés plus conformes à un principe de valeur constitutionnelle. Il est vrai que, saisi de la loi de modernisation de la justice dans la décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016, le Conseil n’a pas jugé nécessaire de statuer de manière expresse sur cette disposition.

L’absence d’ambiguïté dans la définition d’une mesure répressive a été également constatée dans la décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017, à propos de la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse qui était critiquée en ce qu’elle contrevenait aux exigences résultant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, du fait de l’incertitude sur les éléments constitutifs de l’infraction. Le principe de légalité est souvent associé à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui sont examinés ensemble dans cette décision. Le Conseil rappelle le considérant de principe cité ci-dessus tiré des articles 8 de la Déclaration des droits et de l’article 34 de la Constitution (§ 4) L’objectif de valeur constitutionnelle, qui découle, quant à lui, des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques (§ 5). Pour le moins, ces deux obligations pesant sur le législateur sont proches !

Dans le cas de la loi examinée, les dispositions contestées réprimaient le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de pratiquer les actes préalables à celle-ci par tout moyen, en perturbant l’accès ou le fonctionnement des établissements pratiquant l’interruption de volontaire de grossesse, soit par des pressions morales et psychologiques, menaces ou actes d’intimidation exercés à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse. Les dispositions de l’article L. 2223-2 du Code de la santé publique ont été jugées suffisamment claires et précises pour que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi (§ 8).

La même appréciation de conformité aux principes de l’article 8 de la DDHC est portée dans la décision n° 2017-634 QPC du 2 juin 2017, M. Jacques R. et a., à propos d’une sanction prononcée par l’AMF de tout manquement aux obligations visant à protéger les investisseurs ou le bon fonctionnement du marché. Le Conseil y précise que l’exigence d’une définition des manquements réprimés se trouve satisfaite, en matière administrative, dès lors que les textes applicables font référence aux obligations auxquelles les intéressés sont soumis en raison de l’activité qu’ils exercent, de la profession à laquelle ils appartiennent, de l’institution dont ils relèvent ou de la qualité qu’ils revêtent (§ 6). Le principe de légalité des délits et des peines n’est ainsi pas méconnu parce qu’il ressort des travaux parlementaires qu’en sanctionnant « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché », le législateur a entendu uniquement réprimer des manquements à des obligations définies par des dispositions législatives ou réglementaires ou par des règles professionnelles (§ 8), mais aussi parce que les dispositions contestées sanctionnent les manquements aux obligations édictées afin de protéger les investisseurs sur les marchés financiers et afin d’assurer le bon fonctionnement de ceux-ci. Les personnes soumises à ces obligations le sont ainsi en raison de leur intervention sur ces marchés (§ 9).

Dans la décision n° 2017-639 QPC du 23 juin 2017, Mme Yamina B., était contesté comme contraire au principe de légalité des délits et des peines, l’article 5-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du Code électoral, et relative à la transparence financière de la vie politique, car la notion de « part substantielle » du patrimoine, dont dépend la caractérisation du délit réprimé par ces dispositions, ne répondrait à aucune définition précise et ne permettrait donc pas de déterminer l’élément constitutif de l’infraction (§ 2). Ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution car en faisant référence à une « part substantielle » de patrimoine, les dispositions contestées répriment les seules omissions significatives, au regard du montant omis ou de son importance dans le patrimoine considéré. Dès lors, s’il appartient aux juridictions compétentes d’apprécier les situations de fait correspondant à l’omission d’une « part substantielle » de patrimoine, ces termes, qui ne revêtent pas un caractère équivoque, sont suffisamment précis pour garantir contre le risque d’arbitraire et le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté (§ 6).

En revanche, l’imprécision de la définition de l’infraction a été censurée dans la décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Selon le Conseil, et de manière encore habituelle, les principes énoncés par cet article s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition (§ 6). S’il était loisible au législateur de soumettre les sociétés entrant dans le champ d’application du paragraphe I de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce à différentes obligations ayant pour but de concourir au respect, par ces sociétés et leurs partenaires économiques, de différents droits et libertés, il lui revenait toutefois, dès lors qu’il assortissait les obligations qu’il posait d’une sanction ayant le caractère d’une punition, de définir celles-ci en termes suffisamment clairs et précis (§ 8). Compte tenu de la généralité des termes qu’il a employés, du caractère large et indéterminé de la mention des « droits humains » et des « libertés fondamentales » et du périmètre des sociétés, entreprises et activités entrant dans le champ du plan de vigilance qu’il instituait, le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 et en dépit de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la loi déférée, qui était d’obliger ces sociétés à concourir au respect de différents droits et libertés, retenir que peut être soumise au paiement d’une amende d’un montant pouvant atteindre 10 millions d’euros la société qui aurait commis un manquement défini en des termes aussi insuffisamment clairs et précis (§ 13). Comme les obligations pesant sur la société mise en cause pesaient aussi sur certains de ses partenaires économiques, le législateur n’a pas précisé si la sanction était encourue pour chaque manquement à l’obligation qu’il a définie ou une seule fois quel que soit le nombre de manquements. Ce sont ces différentes imprécisions qui ont conduit le Conseil constitutionnel à censurer ces dispositions de l’article L. 225-102-4 du Code de commerce introduites par la loi nouvelle.

L’article 8 de la Déclaration des droits constitue aussi le fondement du principe de proportionnalité et d’individualisation des peines puisqu’il proclame que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Dans la décision n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, Mme Michelle Theresa B., le Conseil a rappelé que « si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » (§ 6). En outre, le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789 implique qu’une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l’Administration, sous le contrôle du juge, l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales2. En prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les biens et droits placés dans le trust n’ont pas été soustraits à l’impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer (§ 8), alors même qu’il a entendu faciliter l’accès de l’administration fiscale aux informations relatives aux trusts et prévenir la dissimulation d’actifs à l’étranger et poursuivi l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (§ 7). Le Conseil constitutionnel, en revanche, n’a pas statué dans le même sens à propos de l’amende forfaitaire qui s’applique à chaque manquement aux obligations déclaratives prévues par l’article 1649 AB du Code général des impôts et pour laquelle il a considéré que les dispositions contestées ne méconnaissaient pas le principe d’individualisation des peines. Pour chaque sanction prononcée, le juge décide en effet, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l’Administration, soit de maintenir l’amende, soit d’en décharger le redevable si le manquement n’est pas établi. Il peut ainsi adapter les pénalités selon la gravité des agissements commis par le redevable.

Dans la décision précitée n° 2017-634 QPC du 2 juin 2017, M. Jacque R. et a., le Conseil constitutionnel a rappelé que l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre le manquement et la peine encourue (§ 12). Alors que la loi prévoit de réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché d’une amende d’un montant pouvant aller jusqu’à un plafond de 100 millions d’euros, le législateur n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée au regard de la nature des manquements réprimés, des risques de perturbation des marchés financiers, de l’importance des gains pouvant en être retirés et des pertes pouvant être subies par les investisseurs. Il n’a donc pas méconnu le principe de proportionnalité (§ 14).

Le caractère automatique de la punition était contesté par la société Segula Matra Automotive, en ce qu’il méconnaissait les principes de nécessité et d’individualisation des peines qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 17893. Le Conseil y a rappelé, sans invoquer ici la limitation de son pouvoir par comparaison avec celui du Parlement, le principe mentionné ci-dessus relatif au principe de proportionnalité (§ 3). En outre, le principe d’individualisation des peines implique qu’une sanction administrative ne puisse être appliquée que si l’Administration, sous le contrôle du juge, l’a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. La sanction contestée qui réprimait le défaut de remboursement des sommes versées pour financer des actions de formation professionnelle continue n’ayant pas été exécutées, présente le caractère d’une punition. En assurant ainsi l’effectivité du remboursement, y compris lorsque le créancier ne réclame pas ce remboursement, le législateur a entendu garantir la bonne exécution des actions de formation professionnelle continue. Si la décision de sanction doit être prise en tenant compte des observations de l’intéressé, la loi a assuré la modulation de la peine en fonction de la gravité des comportements réprimés en prévoyant que la somme versée au Trésor public est égale aux sommes non remboursées et le juge peut, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’Administration, annuler la décision prononçant la sanction en tant qu’elle oblige à verser une telle somme. Pour toutes ces raisons, les dispositions contestées ne méconnaissaient pas le principe d’individualisation des peines (§ 7).

De la même manière, le Conseil constitutionnel a fait application des mêmes principes tirés de l’article 8 de la Déclaration des droits dans la décision n° 2017-636 QPC du 9 juin 2017, Sté Edenred France, à propos de l’amende sanctionnant le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l’état de suivi des plus-values en sursis ou report d’imposition. Alors que la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe toutefois au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue. Ce principe ne saurait ainsi interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales (§ 5). Le Conseil a jugé que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d’individualisation des peines et les exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789. D’une part, en effet, en réprimant la méconnaissance de l’obligation déclarative, qui permet directement le suivi de la base taxable et ainsi l’établissement de l’impôt sur la plus-value placée en sursis ou en report, le législateur a poursuivi l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. D’autre part, en punissant d’une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l’impôt exigible ultérieurement, chaque manquement au respect de l’obligation déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d’un régime de sursis ou de report d’imposition, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l’infraction et l’amende n’est pas manifestement disproportionnée au regard de la gravité des faits qu’a entendu réprimer le législateur, compte tenu des difficultés propres au suivi des obligations fiscales en cause (§ 8).

Le principe de proportionnalité s’applique aussi dans le cas d’un cumul de sanctions à l’issue de deux procédures différentes. Tel est le sens de la décision n° 2016-621 QPC du 30 mars 2017, Sté Clos Teddi et a., relative au cumul des poursuites pénales et administratives en cas d’emploi illégal d’un travailleur étranger. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues (§ 4). Le premier alinéa de l’article L. 8253-1 du Code du travail doit être ainsi déclaré conforme à la Constitution.

MV

6 – Les droits processuels

a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

Le Conseil constitutionnel reconnaît, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, un droit constitutionnel à un recours juridictionnel effectif4. Ce droit peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité5. Sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789, le Conseil reconnaît également le droit à un procès équitable6, le principe du contradictoire7 et les droits de la défense8. Il considère également que « les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice des fonctions juridictionnelles »9.

Dans la décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, M. Sofiyan I. [Assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence II], le Conseil constitutionnel avait à connaître du dispositif de prorogation d’une assignation à résidence, au-delà de 12 mois, dans le cadre de l’état d’urgence (loi du 3 avril 1955, art. 6). Ce dispositif prévoyait l’autorisation préalable du juge des référés du Conseil d’État pour ordonner une telle prolongation. Le législateur pensait, en instaurant une autorisation préalable du juge, offrir des garanties aux individus assignés à résidence. La prolongation au-delà de 12 mois devait être autorisée par un juge et ne dépendait pas simplement d’une décision administrative. Conférer de telles fonctions au juge administratif était sans précédent et le Conseil a relevé d’office un moyen tiré de la non-conformité de cette procédure au droit au recours effectif et au principe d’impartialité des juridictions. Il a censuré le dispositif uniquement en ce qu’il nécessite l’autorisation préalable du juge des référés administratifs (§ 12). Il a estimé que donner, au Conseil d’État statuant au contentieux, la double compétence, d’une part, d’autoriser la décision d’assignation et, d’autre part, de statuer en dernier ressort en cas de recours contre cette décision, était contraire au droit au recours effectif et au principe d’impartialité des juridictions (§ 12). Le raisonnement peut surprendre, car il arrive souvent au Conseil d’État de statuer sur une décision sur laquelle il a été amené à rendre un avis, soit dans le cadre de ses fonctions administratives, soit dans le cadre de ses fonctions contentieuses. Le principe d’impartialité est alors garanti par le fait qu’un même juge ne siège pas deux fois sur la même affaire. L’interprétation que le Conseil constitutionnel fait du principe d’impartialité semble ici très exigeante. En outre, en raison de la censure partielle du Conseil, l’Administration est maintenant libre de décider de la prolongation d’une assignation à résidence. La seule garantie dont dispose l’administré est la possibilité d’exercer un recours où la charge de la preuve pèsera sur lui et non sur l’Administration : dans le cadre d’un référé, il devra apporter la preuve soit d’un doute sur la légalité soit d’une illégalité manifeste et, dans le cadre d’un recours au fond, il devra prouver que la mesure est illégale. Le Conseil vient donc, sur la base d’un raisonnement spécieux, priver les individus des garanties que le législateur avait mises en place. De surcroît, cette décision conduit à modifier substantiellement la loi puisque plus aucun juge, qu’il soit judiciaire ou administratif, ne participe à la décision de prolonger l’assignation. Le Conseil se substitue ainsi au législateur en mettant en place un dispositif qui ne fait plus l’objet d’un contrôle juridictionnel a priori et dont il est impossible de savoir si le parlement l’aurait adopté.

Dans la décision n° 2016-616/617 QPC du 9 mars 2017, Sté Barnes et a. [Procédure de sanction devant la Commission nationale des sanctions], le Conseil avait à connaître de la procédure de sanction de la Commission nationale des sanctions prévue aux articles L. 561-41 et L. 561-42 du Code monétaire et financier. Selon une jurisprudence constante, lorsqu’une autorité administrative indépendante exerce un pouvoir de sanction, les principes d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 doivent être respectés10. Le principe d’impartialité implique notamment « la séparation au sein de l’Autorité entre, d’une part, les fonctions de poursuite et d’instruction des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement des mêmes manquements »11. En l’espèce, le Conseil a estimé que la Commission nationale des sanctions est une « autorité administrative dotée d’un pouvoir de sanction, qui n’est pas soumise au pouvoir hiérarchique d’un ministre » et « doit en conséquence respecter les exigences d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme » (§ 8). Il a estimé que le législateur n’avait pas distingué « la phase de poursuite et celle de jugement » (§ 9). En reprenant les termes de sa jurisprudence constante, il a estimé que les dispositions n’opéraient « aucune séparation au sein de la Commission nationale des sanctions entre, d’une part, les fonctions de poursuite et d’instruction des éventuels manquements et, d’autre part, les fonctions de jugement de ces mêmes manquements » (§ 10). En conséquence, il les a déclarées contraires au principe d’impartialité.

Dans la décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté], le Conseil avait à connaître de la procédure permettant de décider de la limitation ou de l’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté. Aucune voie de recours spécifique n’étant prévue contre cette procédure, le recours s’exerce dans les conditions du droit commun. Cela signifie, d’une part, qu’aucune procédure de notification de la décision aux personnes intéressées n’est prévue et, d’autre part, que le recours n’est pas suspensif. Concernant la notification de la décision, le Conseil estime qu’il est inconstitutionnel que la loi ne prévoie pas une procédure de notification, car cela prive d’effet le droit au recours des personnes intéressées. Le Conseil ne censure toutefois pas le dispositif et estime simplement que « le droit à un recours juridictionnel effectif impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile » (§ 17). Concernant l’absence de caractère suspensif, il a simplement estimé que le recours doit « pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée » (§ 17). Le Conseil se substitue donc une nouvelle fois au législateur pour fixer, par voie de réserves d’interprétation, les garanties du droit au recours12.

MB

b – Le principe de sécurité juridique (…)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Déc. Cons. const., 26 janv. 2017, n° 2016-745 DC.
  • 2.
    Ibid.
  • 3.
    Déc. Cons. const., 16 mars 2017, n° 2016-619 QPC.
  • 4.
    Implicitement : Cons. const., 21 janv. 1994, n° 93-335 DC, loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction et, explicitement : Cons. const., 9 avr. 1996, n° 96-373 DC, loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 83.
  • 5.
    Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC.
  • 6.
    V. par ex. Déc. Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, cons. 11.
  • 7.
    V. par ex. Déc. Cons. const., 13 mai 2011, n° 2011-126 QPC, Sté Système U Centrale Nationale et a. [Action du ministre contre des pratiques restrictives de concurrence], cons. 6.
  • 8.
    V. par ex. Déc. Cons. const., 30 mars 2006, n° 2006-535 DC, loi pour l’égalité des chances, cons. 24.
  • 9.
    Cons. const., 26 mars 2006, n° 2010-110 QPC.
  • 10.
    V. par ex.Cons. const., 12 oct. 2012, n° 2012-280 QPC, Sté Groupe Canal Plus et a. [Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction], cons. 16.
  • 11.
    Cons. const., 5 juill. 2013, n° 2013-331 QPC, Sté Numéricâble SAS et a. [Pouvoir de sanction de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes], cons. 12.
  • 12.
    V. par ex., Cons. const., 31 juill. 2015, n° 2015-479 QPC, Sté Gecop [Solidarité financière du donneur d’ordre pour le paiement des sommes dues par un cocontractant ou sous-traitant au Trésor public et aux organismes de protection sociale en cas de travail dissimulé], cons. 14.
X