Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2016) (1re partie)

Publié le 20/11/2017

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre l’année 2016 dans son intégralité.

Avant-propos

Trois nouveaux membres ont été nommés les 18 février et 19 février 2016 au Conseil constitutionnel. Il s’agit de Corinne Luquiens par le président de l’Assemblée nationale1 de Michel Pinault par le président du Sénat2, et de Laurent Fabius (promotion « Voltaire » de l’ENA 1980) par le président de la République3. Toutes ces nominations ont été publiées au JO du 20 février 2016. Ces nouveaux membres succèdent respectivement à Guy Canivet, Renaud Denoix de Saint-Marc et Jean-Louis Debré, qui avaient été nommés en février 2007 et qui ont donc accompli un mandat complet de neuf ans.

La nomination de M. Fabius semblait acquise depuis plusieurs mois, mettant ainsi fin à une longue carrière politique d’ancien ministre puis de Premier ministre de François Mitterrand, ministre de Lionel Jospin et de François Hollande, de député et de président de l’Assemblée nationale à deux reprises (1988-1992 et 1997-2000). Il fut aussi ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres modernes et ancien élève de l’École nationale d’administration, avant d’intégrer le Conseil d’État de 1973 à 1981, date de sa première élection en qualité de député.

Celle de Corinne Luquiens s’inscrit dans une tradition de nomination de hauts fonctionnaires des assemblées au Conseil constitutionnel, après M. Ameller en 1995 et Jean-Louis Pezant en 2004. Mme Luquiens a fait toute sa carrière de fonctionnaire au sein de l’Assemblée nationale depuis 1975 et a été, de 2010 à 2016, secrétaire générale de l’Assemblée nationale et de la Présidence.

Quant à M. Pinault, il a été diplômé de l’École des hautes études commerciales (HEC) et ancien élève de l’École nationale d’administration (promotion « Guernica »). Il a intégré le Conseil d’État en 1976 à 2015, mais a également exercé des fonctions au sein de compagnies d’assurances.

Ces nominations marquent l’arrivée d’une nouvelle femme au Conseil constitutionnel, permettant au Conseil de se rapprocher d’une forme de parité entre les femmes et les hommes, difficile à atteindre en état de cause dans un organe composée de neuf membres. Il y a donc, à l’heure actuelle, quatre femmes au Conseil constitutionnel.

L’année 2016 a également été marquée par une mini-révolution rédactionnelle. Le nouveau Président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a souhaité, après sa nomination, adopté une rédaction destinée à « juridictionnaliser » davantage l’institution. Cette rédaction est devenue effective à compter de la décision n° 2016-539 QPC du 10 mai 2016, Mme Eve G. et n° 2016-540 QPC du même jour, Société civile Groupement foncier rural Namin et Co. Dans son commentaire de ces premières décisions, le Conseil signale, sans autre justification, qu’il s’agit d’une modernisation de la rédaction de ses décisions, à vocation pérenne, applicable à l’ensemble des décisions du Conseil constitutionnel et destinée à renforcer l’intelligibilité et la lisibilité des décisions et à permettre une motivation plus approfondie de celles-ci. Ces deux décisions du 10 mai 2016 n’ont été accompagnées que d’un communiqué du président du Conseil.

Cette modification s’inspire sans doute du rapport du Conseil d’État rendu en avril 2012, sous la présidence de Philippe Martin du Groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative. Ce rapport a fait l’objet d’expérimentations devant certains tribunaux administratifs mais à ce jour le Conseil d’État lui-même ne paraît pas très enthousiaste à vouloir apporter de très grands changements dans la rédaction de ses propres décisions, et cela malgré les propositions de ce rapport de 2012 qui recommande notamment d’abandonner les considérants. La généralisation de l’application des propositions de ce rapport devant les autres juridictions administratives ne semble pas être à l’ordre du jour.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a souhaité aller dans le sens de ce rapport qui, pourtant, n’a pas été rédigé pour lui. La question se pose de savoir ce qui a conduit le Conseil constitutionnel à adopter ces nouveautés rédactionnelles pour ses décisions.

Cette nouvelle rédaction ne change pas la structuration des décisions DC en quatre points. Elle supprime la rédaction en une seule phrase et avec des considérants et les remplace par les paragraphes. Les visas sont remplacés par la formule suivante : « au vu des textes suivants », ce qui n’est qu’une modification apparente.

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif

Le Défenseur des droits, créé par l’article 71-1 de la constitution et régi par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, dont la loi examinée par le Conseil modifie plusieurs articles, peut aider toute personne s’estimant victime d’une discrimination à identifier les procédures adaptées à son cas, y compris les lanceurs d’alerte qui courent le risque d’être discriminés par l’organisme faisant l’objet de leur signalement. Néanmoins, la constitution ne lui confie pas la mission d’apporter lui-même une aide financière aux personnes qui peuvent le saisir4.

MV

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

1 – Les validations législatives

Au cours de l’année 2016, le Conseil constitutionnel a rendu deux décisions de censure des dispositions de validation législative, au motif de l’absence d’un motif impérieux d’intérêt général, et une décision de conformité à la constitution, sous réserve d’interprétation.

Les deux premières décisions s’inscrivent dans sa jurisprudence habituelle en matière de validation législative reposant sur trois décisions : les décisions n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, loi portant validation d’actes administratifs (cons. 6, 7 et 9) et n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 (cons. 18 et 19), qui fixent les conditions à respecter par les lois de validation, et la décision n° 2014-366 QPC du 14 février 2014, SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France (cons. 3), qui formule l’actuel considérant de principe.

Dans une première décision, 2015-522QPC Mme Josette B.-M.5, sont qualifiées de validation législative les dispositions contestées de l’article 52, § 2, de la loi du 18 décembre 2013 relatif au bénéfice des allocations et rentes de reconnaissance en faveur des anciens harkis, moghaznis et personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie, au motif que ces dispositions visaient à valider les refus opposés par l’administration aux demandes formulées entre la censure prononcée par la décision n° 2010-93 QPC, Comité Harkis et Vérité, du 4 février 2011, et le 20 décembre 2013, date d’entrée en vigueur de la loi du 18 décembre 2013 (cons. 9). Il s’agit d’une application de la jurisprudence dite loi Anti-Perruche6.

Le Conseil constitutionnel a ensuite relevé que le droit des intéressés à bénéficier d’une allocation de reconnaissance a été ouvert pendant plus de 34 mois et que les dispositions contestées avaient pour effet d’entraîner l’extinction totale de ce droit, y compris pour les personnes ayant engagé une procédure administrative ou contentieuse en ce sens à la date de leur entrée en vigueur. En outre, l’existence d’un enjeu financier n’était pas démontrée. Le Conseil a alors jugé que la volonté du législateur de rétablir un dispositif d’indemnisation correspondant pour partie à son intention initiale ne constitue pas en l’espèce un motif impérieux d’intérêt général (cons. 10 et 11).

Concernant les effets dans le temps de la décision présentée, le Conseil limite le bénéfice de la censure aux personnes ayant formé une demande d’indemnité entre la publication de la décision n° 2010-93 QPC précitée et le 19 décembre 2013 et qui, à la suite du refus opposé par l’administration, ont engagé une procédure contentieuse non définitivement close à la date de la présente décision (cons. 13).

Dans une deuxième décision, n° 2015-525 QPC du 2 mars 2016, Société civile immobilière PB 12, le Conseil constitutionnel a abrogé l’article 32, § 3, de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

D’abord, comme l’indique le Conseil constitutionnel, il n’est pas établi que, du fait de la décision du Conseil d’État du 5 février 2014, Société Ishtar7, fixant le mode d’évaluation de la valeur locative d’un local commercial ou d’un local à usage d’habitation ou professionnel autre que commercial ayant été détruit ou ayant changé de consistance, d’affectation ou de caractéristiques physiques, le nombre de contestations de la fixation des valeurs locatives s’accroisse dans des conditions de nature à perturber l’activité de l’administration fiscale et de la juridiction administrative (cons. 7 et 8). En outre, compte tenu de l’incertitude pesant sur l’issue d’une contestation de la valeur locative d’un local fondée sur le caractère inapproprié du terme de comparaison utilisé par l’administration quant au montant de la cotisation d’impôt fixée finalement, l’existence d’un risque financier pour l’État et les collectivités territoriales n’est pas établie (cons. 9).

Il en découle qu’aucun motif impérieux d’intérêt général ne justifie l’atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des contribuables et le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraire à la constitution le § 3 de l’article 32 de la loi du 29 décembre 2014 (cons. 10).

S’agissant des effets dans le temps de la présente décision, la déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision et peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement (cons. 12).

Dans une troisième décision, n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016, Époux M. D., le Conseil constitutionnel fait application de sa jurisprudence sur les situations légalement acquises, selon laquelle ces dernières doivent être protégées contre la rétroactivité des lois, sauf s’il est justifié d’un motif d’intérêt général suffisant. Cette jurisprudence repose sur les décisions n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006 (cons. 45) et n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 (cons. 14).

Ainsi, en cas de report d’imposition à la demande expresse du contribuable, le Conseil a considéré que le contribuable a volontairement sollicité, plutôt qu’une imposition immédiate et certaine, une imposition différée et en partie aléatoire. En conséquence, l’imposition de la plus-value selon le taux applicable l’année de cet événement ne porte, par elle-même, atteinte à aucune exigence constitutionnelle (cons. 14). Le Conseil suit ici le même raisonnement que dans sa décision n° 2015-474 QPC du 26 juin 2015, Société ICADE (cons. 12 et 13).

Au contraire, en cas de report d’imposition obligatoire s’imposant au contribuable, le Conseil a validé les dispositions législatives, sous une réserve d’interprétation : dans cette hypothèse, seul un motif d’intérêt général suffisant peut justifier que la plus-value soit rétroactivement soumise à des règles de liquidation qui n’étaient pas déterminées à la date de sa réalisation (cons. 15). Toutefois, aucun motif d’intérêt général suffisant ne pouvant être identifié, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux situations légalement acquises, avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d’assiette et de taux autres que celles applicables au fait générateur de l’imposition de plus-values mobilières obligatoirement placées en report d’imposition (cons. 15).

CR

2 – Le contrôle de la procédure législative

Dans sa décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016, loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser les exigences procédurales relatives à la mise en œuvre de l’article 49, alinéa 3, de la constitution. Les députés requérants faisaient valoir que le Premier ministre avait engagé la responsabilité du gouvernement à trois reprises sur le vote d’un même texte alors qu’il n’y avait qu’une délibération du Conseil des ministres l’y autorisant (cons. 2). Cela signifie que le Premier ministre engage la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte qui peut avoir été, depuis la délibération du Conseil des ministres, sensiblement modifié. Le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de rappeler que « l’exercice de la prérogative conférée au Premier ministre par le troisième alinéa de l’article 49 n’est soumis à aucune condition autre que celles résultant de ce texte »8. Ainsi, en 1989, le Premier ministre a pu engager la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte bien après la délibération du Conseil des ministres l’y autorisant, alors même que le texte avait fait l’objet de modifications et qu’il n’était pas encore en fonction au moment de cette délibération9. Toutefois, cette délibération n’avait donné lieu qu’à un engagement de responsabilité. Par ailleurs, le Conseil a récemment rappelé que les modifications résultant de la révision constitutionnelle « n’ont eu ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions dans lesquelles la prérogative conférée au Premier ministre par le troisième alinéa de l’article 49 de la constitution est mise en œuvre »10. Dans cette décision du 5 août 2016, il avait déclaré « qu’aucune exigence constitutionnelle n’a été méconnue lors de la mise en œuvre de la procédure prévue par le troisième alinéa de l’article 49 de la constitution »11, alors même que la responsabilité du gouvernement avait été engagée à trois reprises et que le Conseil des ministres n’en avait délibéré qu’une fois. Conformément à sa jurisprudence antérieure, le Conseil constitutionnel a estimé qu’une seule délibération suffisait pour engager la responsabilité du gouvernement pour toutes les lectures successives d’un même texte (§ 3).

Dans la décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 précitée, les députés requérants faisaient valoir que des délais pour déposer des amendements de six heures, au stade de la commission, et de vingt heures, au stade de la séance publique, étaient trop courts. Ils invoquaient une violation de l’exercice effectif du droit d’amendement et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. L’instauration d’un délai pour exercer le droit d’amendement n’est pas inconstitutionnelle mais elle est soumise à la condition que ce délai ne s’applique ni au gouvernement ni aux sous-amendements et qu’il soit « déterminé de façon à ne pas faire obstacle à l’exercice effectif du droit d’amendement »12. En 2009, lorsque l’Assemblée nationale a instauré un délai limite pour le dépôt des amendements, le Conseil a déclaré ces dispositions conformes à la constitution en rappelant la nécessité de « garantir le caractère effectif de l’exercice du droit d’amendement conféré aux parlementaires par l’article 44 de la constitution »13. Il avait également estimé « qu’il appartiendra au président de la commission de concilier cette exigence avec les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire »14. Dans la présente décision, les deux exigences n’étaient pas à concilier, mais allaient « de pair »15 (§ 6 et 7). Le Conseil a implicitement opéré une distinction entre la première lecture et les lectures suivantes en estimant que la fixation de tels délais était conforme à la constitution, « à ce stade de la procédure, compte tenu de l’état d’avancement des travaux législatifs » (§ 9). Il justifie la constitutionnalité de délais si courts par le fait que « les dispositions du texte servant de base à ces amendements étaient connues dès l’issue de l’examen par le Sénat, en première lecture, des articles du projet de loi » (§ 8). L’exercice effectif du droit d’amendement n’est donc pas simplement évalué au regard du nombre d’heures dont disposent des parlementaires pour déposer leurs amendements, mais dépend du temps dont ils ont réellement disposé pour les élaborer et de la nouveauté du texte à amender. Ainsi, au stade d’une nouvelle lecture, en raison de la règle de l’entonnoir, les délais fixés peuvent être excessivement courts.

Le Conseil veille à ce que les lois qu’il contrôle ne contiennent pas de cavaliers législatifs. Cela constitue une limite au droit d’amendement en première lecture. Depuis la révision de 2008, l’article 45 de la constitution dispose en son alinéa premier que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ainsi, le Conseil contrôle, le plus souvent d’office, le respect de cette exigence. En conséquence, des dispositions, qui « ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi », sont considérées comme ayant été adoptées selon une procédure contraire à la constitution. De telles dispositions furent donc censurées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 2016-736 DC du 4 août 2016 précitée (§ 41 à 44) et n° 2016-737 DC du 4 août 2016, loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (§ 41 à 44).

Conformément à une jurisprudence bien établie16, le Conseil constitutionnel veille également au respect de la règle dite de « l’entonnoir » qui restreint le droit d’amendement. Ainsi, après la première lecture, les amendements, qu’ils soient présentés par les membres du Parlement ou par le gouvernement, « doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion »17. Cette règle ne s’applique pas aux « amendements destinés à assurer le respect de la constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle »18. Les dispositions ayant été adoptées en violation de ces principes ont donc été censurées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, loi de modernisation de notre système de santé (cons. 100 à 103), n° 2016-728 DC du 3 mars 2016, loi relative au droit des étrangers en France (cons. 2 à 4), n° 2016-736 DC du 4 août 2016 précitée (§ 45 à 46), n° 2016-737 DC du 4 août 2016 précitée (§ 45 à 48).

MB

3 – La compétence et le domaine de la loi

a – Partage des compétences entre la loi et le règlement

L’année 2016 n’a vu la publication que de quatre décisions « L » rendues sur le fondement de l’article 37, alinéa 2, contre 10 en 2015, qui ont toutes conclu au caractère réglementaire des dispositions de « forme législative » qui étaient soumises au Conseil constitutionnel. C’est le cas de l’article L. 2332-3 du Code de la défense prévoyant une action de centralisation et de coordination de la réglementation et de l’orientation du contrôle de l’État sur la fabrication et le commerce des matériels de guerre, armes et munitions exercée par le ministre de la défense19 de deux articles de la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel20, de dispositions relatives à la conférence des finances publiques issues de la loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014-201921 et de certaines dispositions de l’article L. 1333-18 du Code de la santé publique22.

Dans tous ces cas, le Conseil a jugé que les dispositions ne mettaient en cause aucun des principes ou règles que la constitution a placés dans le domaine de la loi ni, pour la décision n° 264 L, aucune des autres dispositions dont la loi organique permet l’inclusion dans une loi de programmation des finances publiques.

b – Incompétence négative

Il est nécessaire de distinguer, s’agissant de l’incompétence négative, le contrôle a priori et le contrôle a posteriori.

Dans le premier cas, le Conseil veille à ce que le législateur n’abandonne pas une compétence trop grande au pouvoir réglementaire en encadrant ce dernier de manière insuffisante, car le législateur doit « exercer pleinement la compétence que lui confie la constitution et, en particulier, son article 34 »23. À propos du paquet neutre de cigarettes, le législateur a pu renvoyer à un décret en Conseil d’État la fixation des conditions de cette neutralité et de cette uniformisation, sans permettre à ce dernier de prévoir des règles différenciées ou d’interdire que la marque et la dénomination commerciale figurent sur chacun de ces supports.

Dans plusieurs décisions QPC de l’année 2016, le Conseil constitutionnel a été aussi confronté au même grief selon lequel les dispositions législatives auraient méconnu la propre compétence du législateur. La solution est alors différente et le Conseil a été conduit à rappeler sa jurisprudence selon laquelle « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la constitution garantit24. Dans cette décision, la méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence dans la détermination de l’assiette ou du taux d’une imposition (ici, la taxe générale sur les activités polluantes) n’affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la constitution garantit.

Le Conseil a statué dans le même sens dans la décision n° 2016-583 QPC du 21 octobre 2016, Société Eylau Unilabs et autres (cons. 6). Le respect du droit de propriété n’imposait pas au législateur de prévoir le maintien de certains sites en dépit de leur implantation devenue irrégulière. Dès lors, il pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire les conditions dans lesquelles des dérogations aux règles d’implantation sont accordées25.

En revanche, il incombe au législateur, en vertu de l’article 34 de la constitution, de fixer les règles concernant la procédure pénale et, à ce titre, de déterminer les conditions d’extinction de l’action publique.

En renvoyant ainsi au pouvoir réglementaire le soin de délimiter le champ d’application d’une procédure ayant pour objet l’extinction de l’action publique, le législateur26 a méconnu sa compétence dans des conditions affectant l’égalité devant la procédure pénale27.

c – Dispositions législatives expérimentales

Dans une décision DC de l’année 2016, le Conseil a eu à statuer sur des dispositions de caractère expérimental introduites dans la loi, en application de l’article 37-1 de la constitution inséré par la révision constitutionnelle du 28 mars 200328, à propos de la création de « salles de shoot » ou « salles de consommation à moindre risque au sein des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogues ». Il a considéré que si, sur le fondement de l’article 37-1 de la constitution, le Parlement peut autoriser, dans la perspective de leur éventuelle généralisation, des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d’égalité devant la loi, il doit en définir de façon suffisamment précise l’objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle. Dans le cas de cette loi la durée d’expérimentation de 6 ans à compter de la date d’ouverture de la première salle de consommation, n’était pas excessive.

d – Contenu normatif de la loi

La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a donné au Conseil constitutionnel l’occasion de préciser ce que doit être le contenu d’une loi. Dans la décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, il a rappelé, notamment sur le fondement de l’article 6 de la Déclaration des droits et des « autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative » (cons. 9). Comme les dispositions critiquées énoncent un principe d’amélioration constante de la protection de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment qui s’impose au pouvoir réglementaire, elles ne sont pas dépourvues de portée normative.

Ce contenu normatif n’empêche pas le législateur de pouvoir adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité. Il peut également à cette fin modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Dans l’un et l’autre cas, il ne saurait priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Ont été ainsi écartés les griefs tirés de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, et les articles 3, 39 et 44 de la constitution, qui garantiraient ce que les députés requérants désignaient sous l’expression imagée de « liberté de légiférer ».

La même décision répond aussi au grief, souvent invoqué, de méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, et qui impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la constitution qu’à la loi. Cet objectif, comme cela a été rappelé souvent dans des chroniques antérieures, présente l’inconvénient de se confondre avec l’incompétence négative mentionnée ci-dessus. Dans la décision n° 737 DC, les dispositions n’étaient entachées d’aucune inintelligibilité.

MV

C – Le pouvoir juridictionnel

Le cas particulier des règles spécifiques à Mayotte relatives à la composition du jury d’assises29 est au centre de la décision n° 2016-544 QPC du 3 juin 2016, M. Mohamadi C. Les assesseur-jurés sont notamment tirés au sort, pour chaque session, à partir d’une liste de personnes, proposées par le procureur de la République ou les maires, qui est arrêtée par le préfet et le président du tribunal de grande instance. Les personnes ainsi choisies doivent être de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, savoir lire et écrire en français, présenter des garanties de compétence et d’impartialité et jouir des droits politiques, civils et de famille. Ces règles ne sont pas contraires au principe d’égalité devant la justice car l’article 73 de la constitution autorise, pour les collectivités situées outre-mer régies par cet article, le législateur à adopter des mesures particulières du fait des « caractéristiques et contraintes particulières ». Ces mêmes dispositions ne méconnaissent pas non plus les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, « indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles » et fondées sur l’article 16 de la Déclaration des droits30.

L’indépendance de la justice peut être envisagée comme une conséquence de la séparation des pouvoirs sous la réserve que celle-ci n’est pas, en soi, une liberté ou un droit que la constitution garantit. C’est ce que rappelle le Conseil dans la décision n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016 M. Karim B. : « La méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la constitution garantit » (cons. 9). L’indépendance de la justice judiciaire est affirmée à l’article 64 de la constitution et concerne aussi bien le siège que les magistrats du parquet : il en résulte le principe selon lequel le ministère public exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, l’action publique devant les juridictions pénales (cons. 10). Alors que les dispositions de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales, qui n’autorisent pas le procureur de la République à mettre en mouvement l’action publique en l’absence de plainte préalable de l’administration (ce qui est communément appelé le « verrou de Bercy »), limitent le libre exercice de l’action publique par le procureur de la République en matière fiscale, elles ne le privent pas, une fois la plainte déposée, de la faculté de décider librement de l’opportunité d’engager des poursuites, conformément à l’article 40-1 du Code de procédure pénale. Comme le préjudice est causé principalement aux intérêts financiers de l’État, le Trésor public est à même d’apprécier la gravité des atteintes portées à ces intérêts collectifs protégés par la loi fiscale, et l’absence de mise en mouvement de l’action publique ne constitue pas un trouble substantiel à l’ordre public (cons. 13).

La loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature a fait l’objet d’un examen complet, comme l’exige le contrôle obligatoire des lois organiques, dans la décision n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016. Le Conseil est ainsi conduit à « passer en revue » l’ensemble des articles de la loi et à se prononcer expressément sur chacun, y compris en les regroupant lorsqu’ils, selon la formule utilisée « n’appellent pas de remarque de constitutionnalité ». En dehors des dispositions censurées ou déclarées conformes à la constitution « sous réserve », le Conseil peut ainsi décider que « les autres dispositions de la loi organique déférée sont conformes à la constitution » dans l’article 3 du dispositif.

Ce même examen minutieux lui permet, évidemment, d’identifier les inconstitutionnalités et, en principe, sans en oublier aucune.

C’est ainsi que le législateur organique a pu supprimer, sans méconnaître les exigences constitutionnelles de l’article 13, de la liste des emplois pourvus en conseil des ministres, ceux de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d’appel en modifiant l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 modifiée portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État (§ 13). N’ont pas appelé non plus de remarque de constitutionnalité les dispositions de la loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature qui ont modifié certaines règles relatives aux affectations, au serment, à l’évaluation (§ 15 à 24). Le législateur organique a pu également augmenter la part des fonctions exercées, au sein d’un tribunal, par des magistrats recrutés provisoirement, cette part passant d’un quart à un tiers. Le Conseil rappelle cependant que les « fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent consacrer leur vie professionnelle à la carrière judiciaire. La constitution ne fait cependant pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n’entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, à condition que, dans cette hypothèse, des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d’indépendance qui est indissociable de l’exercice de fonctions judiciaires. Il importe à cette fin que les intéressés soient soumis aux droits et obligations applicables à l’ensemble des magistrats sous la seule réserve des dispositions spécifiques qu’impose l’exercice à titre temporaire de leurs fonctions » (§ 73). Sur ce fondement et afin de ne pas méconnaître le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, le Conseil énonce une stricte réserve d’interprétation selon laquelle la nouvelle disposition organique ne saurait permettre qu’au sein d’un tribunal plus d’un tiers des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées par des magistrats recrutés provisoirement, que ce soit à temps partiel ou à temps complet. Cette réserve sonne comme un avertissement adressé au législateur face à un mouvement consistant à confier de plus en plus de fonctions judiciaires à des magistrats qui ne sont pas « de carrière ».

N’ont pas été censurées non plus les modifications de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, et relatives à la prévention des conflits d’intérêts susceptibles d’affecter les membres du CSM (§ 97).

Ont été, en revanche, jugées contraire à la constitution, pour violation du principe d’égalité dans le traitement des magistrats dans le déroulement de leur carrière, les restrictions de reclassement indiciaire opposées à des magistrats ayant occupé certaines fonctions administratives, parce que cette différence ne repose pas sur une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi et n’est pas justifiée par un motif d’intérêt général (§ 37).

La loi a introduit de nombreuses obligations relatives aux déclarations d’intérêts à propos desquelles le Conseil a jugé que le législateur organique était compétent « au titre de l’article 64 de la constitution pour fixer les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts pour les magistrats » (§ 46), sous réserve de respecter le droit au respect de la vie privée qui découle du principe de liberté affirmé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme. La recherche de cet équilibre était déjà présente dans la décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique. Pour être conformes à la constitution, ces atteintes à la vie privée doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et mises en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif (§ 48). L’intérêt général est satisfait dans ce cas, car l’obligation de dépôt auprès d’une autorité judiciaire des déclarations d’intérêts des magistrats a pour objectif de renforcer les garanties de probité et d’intégrité de ces personnes, de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre ceux-ci. De même, le législateur organique pouvait imposer la mention, dans les déclarations d’intérêts, des activités professionnelles exercées à la date de la nomination par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée compte tenu de la vie commune avec le déclarant (§ 50).

Le Conseil constitutionnel a statué dans le même sens, à propos des déclarations de situation patrimoniale imposées à certains magistrats et remises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par la loi organique examinée. L’article 64 de la constitution justifie également la compétence du législateur organique pour fixer les règles relatives au contrôle de la situation patrimoniale des magistrats car cette obligation a pour objectif de renforcer les garanties de probité et d’intégrité de ces personnes et elle est, ainsi, justifiée par un motif d’intérêt général (§ 56). Néanmoins, en n’imposant cette déclaration qu’aux magistrats les plus élevés dans la hiérarchie judiciaire, le législateur organique a introduit une différence de traitement entre ces magistrats et les autres magistrats exerçant des fonctions en juridiction qui est sans rapport avec l’objectif poursuivi par la loi (§ 57). En effet, au regard des exigences de probité et d’intégrité qui pèsent sur les magistrats exerçant des fonctions juridictionnelles et de l’indépendance qui leur est garantie dans cet exercice, la restriction aux seuls magistrats énumérés par les 1° à 6° du § 1 de l’article 7-3 est contraire à la constitution. Si l’on comprend bien, c’est donc sur l’ensemble des magistrats que cette obligation devait peser et pas seulement sur les chefs de juridiction. Dans son sommentaire de la décision, le Conseil relève que ce « raisonnement de type hiérarchique, consistant à n’imposer une déclaration de situation patrimoniale qu’à certaines personnes, à l’exclusion des autres, légitime lorsqu’il s’applique à une administration ou une entreprise, n’a pas le même sens lorsque sont concernées des personnes dont l’indépendance est constitutionnellement garantie et qui exercent, de façon indépendante, des fonctions juridictionnelles ». Les magistrats, pour être des agents publics, ne sont pas des fonctionnaires.

De manière particulièrement significative, le Conseil a censuré deux dispositions introduites sous la forme d’amendements et qui ont été considérées comme ne présentant pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi organique déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, qui sont prises sur le fondement des articles 13, 64 et 65 de la constitution. Adoptées selon une procédure contraire à la constitution, elles lui sont donc contraires. Le plus remarquable est que ces deux dispositions intéressent au premier chef le contentieux constitutionnel et qu’alors qu’il avait été soutenu, un peu rapidement, qu’il ne saurait exister de cavaliers législatifs au sein de lois organiques, le Conseil les a censurées sans aucune hésitation pour cette raison. À moins de penser qu’elles l’ont été pour des motifs de fond, déguisés sous des motifs de procédure.

Une précédente décision, n° 2011-637 DC du 28 juillet 2011, Loi organique relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française, avait déjà censuré l’insertion de dispositions organiques qui n’avaient pas le même fondement constitutionnel que celles figurant dans le projet de loi organique. La première censure intéresse l’obligation de dépôt de déclarations d’intérêts et de déclarations de situation patrimoniale pour les membres du Conseil constitutionnel qui venait modifier l’ordonnance du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel, en ajoutant deux très longs articles 3-1 et 3-2 au sein de cette ordonnance. Les obligations qui s’imposent aux membres du Conseil constitutionnel, sont prises sur le fondement de l’article 63 de la constitution alors que le projet de loi organique reposait sur le fondement d’autres articles de la constitution (§ 101).

Le Conseil en a décidé de même à propos d’une autre modification de l’ordonnance du 7 novembre 1958, cette fois relative aux conditions de dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité en matière correctionnelle et contraventionnelle afin d’en limiter le nombre. Les règles relatives aux QPC trouvent leur fondement constitutionnel dans l’article 61-1, et non dans les articles justifiant le projet de loi organique. Pour la même raison, l’article 49 de la loi organique a été adopté selon une procédure contraire à la constitution (§ 102).

Par comparaison, la loi ordinaire de modernisation de la justice du XXIe siècle soumise au Conseil constitutionnel par des députés et des sénateurs ne comprend que peu de contestations au regard des exigences constitutionnelles relatives au pouvoir juridictionnel31. Alors qu’il était soutenu qu’en attribuant à l’officier d’état civil la compétence pour connaître des demandes de changement de sexe, le législateur aurait méconnu le second alinéa de l’article 66 de la constitution, dès lors que cette matière relève de la liberté individuelle, le Conseil a jugé que la modification de la mention du sexe à l’état civil n’entre pas dans le champ de l’article 66 de la constitution (§ 65).

MV

D – Le pouvoir financier

De manière traditionnelle, le contrôle des lois financières repose sur le respect du principe budgétaire de sincérité de la loi financière issu des alinéas 14 et 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre qu’elle détermine32. La loi de finances rectificative pour 2016 ainsi que la loi de finances pour 2017 n’ont pas échappé à la règle, leur examen n’a révélé pour l’une comme pour l’autre, respectivement dans les décisions nos 2016-743 DC et 2016-744 DC rendues toutes deux le 29 décembre 2016, aucun motif d’insincérité.

Pour renforcer son contrôle de la sincérité des lois de finances, le Conseil s’est appuyé, comme il est désormais coutume, sur le dispositif institué par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques qui impose aux États signataires le respect des règles d’équilibre des finances publiques. À cet égard, le Conseil avait souligné dans sa décision n° 2012-653 DC relative au TSCG que le contrôle de conformité à la constitution notamment à la loi de finances, opéré sur le fondement de l’article 61 de la constitution en vue d’apprécier la sincérité de ces lois, devait, une fois le pacte budgétaire entré en vigueur, s’exercer « en prenant en compte l’avis des institutions préalablement mises en place », en l’occurrence, celui du haut conseil des finances publiques institué par la loi organique du 17 décembre 2012. En l’espèce, même si le haut conseil a estimé, dans son avis du 24 septembre 2016, la prévision pour 2016 « un peu élevée », celle pour 2017 « optimiste compte tenu des facteurs baissiers » et « incertain le retour en 2017 du déficit nominal sous le seuil de trois points du PIB » (cons. 4), aucune de ces appréciations n’est de nature à établir l’insincérité de la loi de finances. Au contraire, le Conseil constitutionnel relève une série d’éléments qui attestent plus volontiers du respect de l’impératif de sincérité.

Tel est le cas de la révision de la prévision de croissance pour 2016 rapportée de 1,5 % à 1,4 % par amendement gouvernemental lors de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale de la présente loi de finances pour 2017, sachant, au surplus, qu’il ne ressort nullement des prévisions de croissance du produit intérieur brut pour 2016 et 2017 établies par différentes institutions telles que la Commission européenne, la Banque de France, le fonds monétaire international ou encore l’organisation de coopération et de développement économiques, que les hypothèses économiques sur lesquelles est fondée la loi de finances sont entachées d’une intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre de la loi de finances. L’avis du haut conseil des finances publiques s’inscrit dans la même ligne et n’établit pas une présentation insincère des ressources et des charges de l’État pour 2017.

Si, toutefois, leur évolution venait à modifier substantiellement les grandes lignes de l’équilibre budgétaire, il appartiendrait en tout état de cause au gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative comme le précise le Conseil.

C’est aussi en se fondant sur les prévisions de croissance de ces mêmes institutions et sur la prise en compte d’économies à venir sur le prix des médicaments remboursés par l’assurance maladie dans le calcul de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie que le Conseil écarte, dans la décision n° 2016-742 DC du 22 décembre 2016, le grief tiré du défaut de sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017.

Ce même grief est également rejeté dans la décision n° 2016-743 DC du 29 décembre 2016 en ce qui concerne la loi de finances rectificative pour 2016 mise en cause en raison des sous-budgétisations de la mission Défense ayant conduit à l’ouverture de crédits supplémentaires. Cet état de fait n’est en rien de nature à entacher la loi d’insincérité.

De manière non moins traditionnelle, le contrôle des lois financières en cause révèle, une fois de plus, la vigilance avec laquelle le Conseil veille au respect de leur procédure d’adoption. C’est ainsi que la loi de finances pour 2017 a été épurée de sept cavaliers budgétaires qui, pour chacun, permettait aux services du ministère de l’Économie et des finances d’accéder au fichier dénommé « Système d’immatriculation des véhicules » (art. 110 de la loi de finances) ; prévoyait la remise au Parlement d’un rapport sur la révision de la carte des zones défavorisées simples (art. 113 de la loi de finances) ; modifiait le régime juridique des pièces de collection en métaux précieux fabriquées et commercialisées par la Monnaie de Paris (art. 126 de la loi de finances) ; prorogeait un dispositif d’accès à l’emploi titulaire organisé en faveur de certains agents contractuels de la fonction publique (art. 131 de la loi de finances) ; modifiait les règles relatives au contrôle des arrêts de travail et des cumuls d’activité dans la fonction publique (art. 132 de la loi de finances) ; modifiait les modalités de calcul des ressources personnelles prises en compte pour l’attribution de la prestation de compensation du handicap (art. 153 de la loi de finances) et qui permettait l’expérimentation par les collectivités territoriales et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie du financement de l’information et du soutien des tuteurs familiaux (art. 154 de la loi de finances).

Ces dispositions qui ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties ou la comptabilité de l’État, qui n’ont pas trait à des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État, qui n’ont pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d’approuver des conventions financières et qui ne sont pas, non plus, relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l’information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, ne trouvent pas leur place dans la loi de finances.

C’est aussi pour ce même motif que, dans la décision n° 2016-743 DC du 29 décembre 2016, la loi de finances rectificative pour 2016 est épurée de son article 84 qui modifiait les règles relatives à la compensation financière de transferts de compétences entre les départements et les régions en matière de transports urbains.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 a fait l’objet d’une attention similaire par la censure d’office, dans la décision n° 2016-742 DC, de 8 cavaliers sociaux. Trois des dispositions censurées n’avaient pas pour objet d’améliorer l’information et le contrôle du Parlement sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Il en allait ainsi des dispositions prévoyant la remise d’un rapport de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale aux ministres chargés de la sécurité sociale et du budget sur les systèmes d’information utilisés pour le recouvrement des cotisations sociales (art. 16, § 7, de la LFSS) ; la remise d’un rapport du gouvernement au Parlement sur les conditions d’obtention d’une rente viagère par les ayants droit des agents de la fonction publique et la remise d’un rapport du gouvernement au Parlement sur la mise en place d’un fonds d’amorçage visant à éviter le départ de personnes handicapées vers des établissements sociaux et médico-sociaux en Belgique. Les cinq autres dispositions censurées n’avaient, quant à elles, pas d’effet ou un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relevaient pas, non plus, des autres catégories mentionnées au § 5 de l’article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale. Elles ont donc été jugées inconstitutionnelles dès lors qu’elles ne trouvaient pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale.

LB

(À suivre)

E – Les collectivités décentralisées

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)

C – Les techniques contentieuses

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

1 – Les dispositions « spécialement examinées » au sens de l’article 23-2 de la loi organique du 7 novembre 1958

2 – Les décisions d’abrogation des décisions avec effet immédiat

3 – Les décisions d’abrogation avec effet différé

4 – L’argument de la chose jugée dans le contrôle a priori

III – Les normes de référence

A – Les sources matérielles

1 – Les textes et principes constitutionnels

2 – Les rapports de systèmes

3 – Les droits et libertés

a – Sécurité et libertés

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

c – Liberté d’expression/liberté de conscience

d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

B – Le droit de propriété

C – Le principe d’égalité

1 – Principe d’égalité devant la loi

2 – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – droits et libertés en matière fiscale

D – Les droits sociaux

E – Les principes du droit répressif

1 – Cumul de sanctions et principe non bis in idem

2 – Principe de légalité des délits et des peines

3 – Principe de proportionnalité des peines

4 – Principe de la présomption d’innocence

F – Les droits processuels

1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

2 – Le principe de sécurité juridique

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 18 févr. 2016, n° 83 NOM.
  • 2.
    Cons. const., 19 févr. 2016, n° 84 NOM.
  • 3.
    Cons. const., 19 févr. 2016, n° 85 NOM.
  • 4.
    Cons. const., 8 déc. 2016, n° 2016-740 DC, Loi organique relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte, cons. 5.
  • 5.
    Décision rendue à la suite des décisions Cons. const., 4 févr. 2011, n° 2010-93 QPC, Comité Harkis et Vérité (Allocation de reconnaissance), cons. 10, et Cons. const., 4 déc. 2015, n° 2015-504/505 QPC, Mme Nicole B. veuve B. et a. (Allocation de reconnaissance II).
  • 6.
    Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2 QPC.
  • 7.
    CE, 5 févr. 2014, n° 367995, Sté Ishtar : pour l’application de la méthode d’évaluation de la valeur locative des locaux commerciaux prévue au 2° de l’article 1498 du CGI, le Conseil d’État a jugé « qu’un local-type qui, depuis son inscription régulière au procès-verbal des opérations de révision foncière d’une commune, a été entièrement restructuré ou a été détruit ne peut plus servir de terme de comparaison, pour évaluer directement ou indirectement la valeur locative d’un bien soumis à la taxe foncière au 1er janvier d’une année postérieure à sa restructuration ou à sa disparition ».
  • 8.
    Voir les décisions Cons. const., 29 déc. 1989, n° 89-268 DC, Loi de finances pour 1990, cons. 6 ; Cons. const., 9 janv. 1990, n° 89-264 DC, cons. 3 ; Cons. const., 22 janv. 1990, n° 89-269 DC, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, cons. 4 ; Cons. const., 12 août 2004, n° 2004-503 DC.
  • 9.
    Cons. const., 29 déc. 1989, n° 89-268 D, Loi de finances pour 1990, cons. 5 à 9.
  • 10.
    Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, cons. 13.
  • 11.
    Ibid.
  • 12.
    Cons. const., 7 nov. 1990, n° 90-278 DC, Résolution modifiant les articles 16, 24, 29 et 48 du règlement du Sénat et introduisant dans celui-ci des articles 47 ter, 47 quater, 47 quinquies, 47 sexies, 47 septies, 47 octies, 47 nonies et 56 bis A, cons. 9.
  • 13.
    Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-581 DC, Résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, cons. 35.
  • 14.
    Ibid.
  • 15.
    Commentaire, p. 5.
  • 16.
    Cons. const., 19 janv. 2006, n° 2005-532 DC, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, cons. 26.
  • 17.
    Ibid.
  • 18.
    Ibid.
  • 19.
    Cons. const., 3 mars 2016, n° 2016-262 L.
  • 20.
    Cons. const., 16 juin 2016, n° 2016-263 L.
  • 21.
    Cons. const., 17 nov. 2016, n° 2016-264 L.
  • 22.
    Cons. const., 22 déc. 2016, n° 2016-265 L.
  • 23.
    Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC, Loi de modernisation du système de santé, cons. 16.
  • 24.
    Cons. const., 22 avr. 2016, n° 2016-537 QPC, Sté Sofadig exploitation, cons. 11.
  • 25.
    Cons. 12 ; v. aussi Cons. const., 18 nov. 2016, n° 2016-595 DC, Sté Aprochim et a., à propos de l’article 7 de la Charte de l’environnement, cons. 4, v. infra.
  • 26.
    CPP, art. 41-1-1, I, 4°.
  • 27.
    Cons. const., 23 sept. 2016, n° 2016-569 QPC, Syndicat de la magistrature.
  • 28.
    Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC, Loi de modernisation de notre système de santé.
  • 29.
    CPP, art. 877, al. 2, CPP, art. 885, al. 1er et 2 et CPP, art. 888, dérogatoires aux articles 259 à 267 du même code.
  • 30.
    V. infra.
  • 31.
    Cons. const., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC.
  • 32.
    V. par ex. Cons. const., 17 déc. 2015, n° 2015-723 DC, LFSS pour 2016 ; Cons. const., 29 déc. 2015, n° 2015-725 DC, LF pour 2016.
X