Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2016) (2e partie)

Publié le 21/11/2017

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre l’année 2016 dans son intégralité.

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

1 – Les validations législatives

2 – Le contrôle de la procédure législative

3 – La compétence et le domaine de la loi

a – Partage des compétences entre la loi et le règlement

b – Incompétence négative

c – Dispositions législatives expérimentales

d – Contenu normatif de la loi

C – Le pouvoir juridictionnel

D – Le pouvoir financier

E – Les collectivités décentralisées

Au cours de l’année 2016, le Conseil constitutionnel a rendu sept décisions relatives aux collectivités locales.

– L’autonomie financière des collectivités territoriales :

Le principe de l’autonomie financière des collectivités territoriales est défini par les décisions n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, Loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, considérant 10, et n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, considérant 61. Il figure parmi les droits et libertés pouvant être invoqués dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a posteriori depuis la décision n° 2012-255/265 QPC du 29 juin 2012, Départements de la Seine-Saint-Denis et du Var, considérant 9.

Dans la décision n° 2016-549 QPC du 1er juillet 2016, Collectivité de Saint-Martin, le Conseil constitutionnel a jugé que, dès lors que la compensation financière des charges résultant des compétences transférées à la Collectivité de Saint-Martin est assurée et que les dispositions contestées n’ont pas pour effet de réduire le montant des ressources propres de la collectivité de Saint-Martin, les griefs tirés de la méconnaissance des principes de libre administration et d’autonomie financière doivent être rejetés (§ 8 à 10). Il s’agit du même raisonnement que celui adopté dans les décisions n° 2013-355 QPC du 22 novembre 2013, Communauté de communes du Val de Sèvre, considérant 6, et n° 2014-386 QPC du 28 mars 2014, Collectivité de Saint-Barthélemy, considérant 10.

En outre, il n’incombe pas au législateur de garantir une compensation intégrale des charges résultant des transferts de compétences entre collectivités. Le Conseil constitutionnel a ainsi refusé d’étendre sa jurisprudence concernant la compensation financière intégrale du transfert de compétences de l’État vers les collectivités territoriales exposée dans ses décisions n° 2011-142/145 QPC du 30 juin 2011, Départements de la Seine-Saint-Denis et autres. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de compensation des charges résultant de tels transferts de compétence est ainsi écarté (§ 12).

– La mise en œuvre du déclassement ultra marin :

Deux décisions ont été rendues en 2016 dans le cadre de la procédure dite « de déclassement ultra marin ».

Dans une première décision n° 2016-10 LOM du 3 juin 2016, Diverses dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le Conseil constitutionnel a étendu au déclassement ultramarin sa jurisprudence applicable en matière de déclassement d’une disposition de forme législative demandé par le gouvernement sur le fondement de l’article 37, alinéa 21 de la constitution. Il a ainsi jugé qu’il n’y a pas lieu pour lui de se prononcer sur une demande de déclassement portant sur des dispositions qui ont été modifiées ou abrogées par le législateur national, de sorte qu’elles ont disparu du droit positif. En l’espèce, il a ainsi considéré qu’il n’y avait pas lieu pour lui de statuer sur une demande de déclassement sur le fondement de l’article 12 de la loi organique du 27 février 2004 portant sur des dispositions qui ne sont plus applicables en Polynésie française (§ 4).

Ensuite, à propos des articles 7 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 mentionnant les matières ressortissant de la compétence de l’État, le Conseil constitutionnel a distingué les dispositions qui relèvent de la compétence de l’État et celles qui peuvent être déclassées au bénéfice de la Polynésie française, en suivant le même raisonnement que celui utilisé notamment dans la décision n° 2014-6 LOM du 7 novembre 2014, Droit de propriété intellectuelle en Polynésie française. Ainsi, les règles applicables aux agents publics, les dispositions en matière pénale, même en propriété intellectuelle, et les dispositions réglant l’état des personnes relèvent de la compétence de l’État et ne peuvent être déclassés (§ 6 à 8 ; 9 ; 13). Quant aux règles régissant le droit commercial ou la souscription d’obligations par voie électronique, le Conseil a procédé différemment, opérant une distinction selon que les dispositions dont le déclassement est demandé interfèrent ou non avec des compétences transversales demeurées de la compétence de l’État (§ 10 et 11 ; 12 ; 13 et 14).

Concernant le régime des annonces judiciaires et légales prévu dans la loi n° 55-4 du 4 janvier 1955, la décision n° 2016-11 LOM du 6 juillet 2016, Régime des annonces judiciaires et légales en Polynésie française, a procédé selon un raisonnement identique. En effet, le régime des annonces judiciaires et légales ne se rattachent, en lui-même, ni à l’une des matières pour lesquelles les dispositions législatives s’appliquent de plein droit à la Polynésie française en application de l’article 7 de la loi organique du 27 février 2004 ni à l’une des matières réservées à la compétence de l’État en application de l’article 14 de cette même loi organique (§ 8). En conséquence, les mots « en Polynésie française » des dispositions examinées de la loi du 4 janvier 1955 relèvent d’une matière qui est de la compétence de la Polynésie française lorsque l’obligation de publier une annonce concerne des actes intervenant dans un domaine relevant de la compétence de la Polynésie française ; et d’une matière qui est de la compétence de l’État lorsque l’obligation de publier une annonce concerne des actes intervenant dans son domaine (§ 9).

Au contraire, et de manière habituelle, les dispositions de cette loi qui prévoient une infraction délictuelle pour non-respect de cette loi ou des arrêtés pris pour son application relèvent de la matière pénale, matière ressortissant de la compétence de l’État en vertu de l’article 14 de la loi organique du 27 février 2004. En conséquence, les mots « en Polynésie française » figurant dans les dispositions examinées de la loi du 4 janvier 1955, en tant qu’ils rendent applicables en Polynésie française les dispositions de l’article 4 de cette même loi, relèvent d’une matière qui est de la compétence de l’État (§ 10).

– La méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriale :

Le principe de libre administration des collectivités territoriales a été consacré dans la décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979, Loi sur la Nouvelle-Calédonie, cons. 9. Il a été reconnu parmi les droits et libertés que la constitution garantit dans la décision n° 2010-12 QPC du 2 juillet 2010, Commune de Dunkerque, cons. 4. Il implique notamment l’attribution effective de compétences dans sa décision n° 85-196 DC du 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 10. En 2016, trois décisions ont été rendues en la matière.

La décision n° 2016-565 QPC du 16 septembre 2016, Assemblée des départements de France, a validé la conformité à la constitution de la clause de compétence générale des départements prévue à l’article L. 3211-1, alinéa 1er, du Code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015.

D’une part, les dispositions de l’article 72, alinéa 3, de la constitution impliquent qu’il est loisible au législateur d’énumérer limitativement les attributions effectives dont doit être dotée l’assemblée délibérante de toute collectivité territoriale (§ 4).

D’autre part, l’article 72, alinéa 3, de la constitution n’implique pas, par lui-même, que les collectivités territoriales doivent pouvoir intervenir dans les domaines pour lesquels aucune autre personne publique ne dispose d’une compétence attribuée par la loi. De même, compte tenu de l’étendue des attributions dévolues aux départements par les dispositions législatives en vigueur, à savoir des compétences exclusives, des compétences partagées avec d’autres catégories de collectivités territoriales et des compétences susceptibles d’être déléguées par d’autres collectivités territoriales, les dispositions contestées ne privent pas les départements d’attributions effectives (§ 5 et 6).

En conséquence, le grief tiré de la méconnaissance du principe de libre administration des collectivités territoriales est écarté et les mots « dans les domaines de compétences que la loi lui attribue » sont déclarés conformes à la constitution (§ 7).

Par la présente décision, le Conseil constitutionnel a donc validé la suppression de la clause générale de compétence en exigeant seulement l’exercice de compétences effectives. Il a ainsi confirmé qu’il n’existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République fondant la clause générale de compétence des collectivités territoriales et que la suppression de la clause générale ne porte pas atteinte au principe de libre administration2. Ainsi que l’écrit Michel Verpeaux à propos de cette décision, « le Conseil constitutionnel a donc tranché : la compétence générale des collectivités territoriales n’est pas une conséquence nécessaire de leur libre administration. Il leur suffit de bénéficier de « compétences effectives »3.

Le Conseil constitutionnel a également refusé d’insérer dans le principe de libre administration la capacité des collectivités territoriales à s’auto-saisir, interprétation extensive de sa décision du 9 décembre 2010 que lui suggérait l’Association requérante.

À propos du choix de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de rattachement pour les communes nouvelles, la décision n° 2016-588 QPC du 21 octobre 2016, Communauté de communes des sources du lac d’Annecy et autres, a censuré l’article L. 2113-5, § 2, du Code général des collectivités territoriales dans sa rédaction résultant de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui impose à la commune nouvelle issue de communes contiguës membres de plusieurs EPCI à fiscalité propre (EPCI-FP) de se prononcer, dans le mois de sa création, sur l’EPCI dont elle souhaite devenir membre. Le raisonnement se fait en deux temps.

D’abord, en autorisant le préfet à imposer à la commune nouvelle un autre rattachement que celui qu’elle souhaite, le législateur a entendu éviter que son choix puisse porter atteinte à la cohérence ou à la pertinence des périmètres intercommunaux existants. Le législateur a ainsi poursuivi un but d’intérêt général (§ 8).

Ensuite, alors que le rattachement à un EPCI-FP a nécessairement des conséquences pour la commune nouvelle, pour les communes membres des établissements publics concernés et pour ces établissements publics eux-mêmes, les dispositions contestées ne prévoient ni la consultation de l’organe délibérant de l’EPCI-FP auquel le rattachement est envisagé, ni celle des organes délibérants des EPCI-FP dont la commune nouvelle est susceptible de se retirer. Elles ne prévoient pas, non plus, la consultation des conseils municipaux des communes membres de ces établissements publics. Par ailleurs, en cas de désaccord avec le projet de rattachement, ni ces établissements publics, ni ces communes ne peuvent, contrairement à la commune nouvelle, provoquer la saisine de la commission départementale de coopération intercommunale. Dès lors, compte tenu des conséquences qui résultent du rattachement de la commune nouvelle à un EPCI-FP, les dispositions contestées portent à la libre administration des communes une atteinte manifestement disproportionnée (§ 9). En conséquence, les dispositions contestées sont déclarées contraires à la constitution (§ 10).

L’abrogation des dispositions contestées a été reportée au 31 mars 2017 car elle avait pour conséquence l’impossibilité de déterminer à quel EPCI-FP la commune nouvelle est rattachée, lorsqu’elle est issue de la fusion de plusieurs communes membres d’EPCI-FP distincts (§ 12).

Toutefois, afin de préserver l’effet utile de la présente décision, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir dont l’issue dépend de l’application des dispositions déclarées inconstitutionnelles. En cas d’annulation, par le juge administratif, de l’arrêté préfectoral prononçant le rattachement de la commune nouvelle à un EPCI-FP, les deux dernières phrases du troisième alinéa du paragraphe II de l’article L. 2113-5 du CGCT demeurent applicables, autorisant ainsi par exception la commune nouvelle à être membre de plusieurs EPCI, en restant membre des établissements publics auxquels appartenaient ses communes d’origine (§ 13).

La décision n° 2015-521/528 QPC du 19 février 2016, Commune d’Éguilles et autres, a abordé les règles relatives au rattachement de communes à un EPCI-FP et ses conséquences sur l’attribution des sièges des collectivités membres au sein de l’organe délibérant de l’EPCI dans le cadre de la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence.

Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant le suffrage, en attribuant des sièges supplémentaires à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne aux communes qui se sont vu allouer des sièges lors de la première répartition selon la même règle, le législateur a permis que la représentation des communes les plus peuplées de la métropole se rapproche de la représentation moyenne de l’ensemble des communes de la métropole. En outre, l’attribution de ces sièges a pour effet de réduire substantiellement l’écart entre le rapport du nombre de membres de l’organe délibérant alloués à une commune et sa population et le rapport du nombre total de membres de l’organe délibérant et la population de la métropole. Si, dans le même temps, cette attribution a pour conséquence d’accroître « l’écart à la moyenne » pour certaines communes, ces dernières ne représentent qu’une faible part de l’ensemble des communes et de l’ensemble de la population de la métropole. Il en découle que ces dispositions qui sont, examinées au regard de la jurisprudence constitutionnelle en matière de contrôle de répartition des sièges de l’organe délibérant d’un EPCI4, et qui ont pour effet d’améliorer la représentativité des membres de l’organe délibérant de la métropole d’Aix-Marseille-Provence, ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant le suffrage (cons. 8 et 11).

Ainsi le Conseil constitutionnel valide la règle correctrice qui, tout en améliorant la représentativité pour un certain nombre de communes, dégrade cette représentativité pour certaines communes sans toutefois méconnaître ni principe d’égalité devant le suffrage ni l’exigence de répartition des sièges selon le principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité qui en découle. La possibilité de règles correctrices avait déjà été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-711 DC du 5 mars 2015, Loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire, cons. 10 et 14. Michel Verpeaux, dans son commentaire de la présente décision, a ainsi relevé que le Conseil constitutionnel a validé la disposition opérant la répartition des sièges entre les communes membres au sein de l’organe délibérant, et « écrite sur mesure pour rétablir un équilibre jugé menacé par la commune de Marseille au sein de l’EPCI ». « Par une lecture constructive du principe d’égalité, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de cette mesure établie intuitu urbis »5.

Le grief tiré de la méconnaissance du droit de suffrage a été écarté comme inopérant en l’espèce (cons. 12) et celui tiré de l’atteinte à la libre administration des collectivités territoriale a été lui aussi écarté car manquant en fait en l’espèce (cons. 13).

Dans sa décision n° 2016-597 QPC du 25 novembre 2016, Commune de Coti-Chiavari, les dispositions qui attribuent à la collectivité territoriale de Corse la compétence pour fixer, d’une part, l’échelle des cartes et documents cartographiques annexés au plan d’aménagement et de développement durable de Corse et, d’autre part, la localisation de certains sites remarquables, ne méconnaissent ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni le principe d’interdiction de toute tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre (§ 11).

En effet, en vertu du § 3 de l’article L. 4424-9 du Code général des collectivités territoriales, les documents d’urbanisme élaborés par les communes et leurs groupements doivent être compatibles avec le plan d’aménagement et de développement durable de Corse (PADDUC) (§ 9).

En outre, lorsqu’elle fixe les échelles cartographiques et la localisation prévues par les dispositions contestées, l’assemblée de Corse est tenue de veiller, sous le contrôle du juge administratif, à la préservation d’un rapport de compatibilité, et non de conformité, entre les documents d’urbanisme et le plan d’aménagement et de développement durable de Corse (§ 10).

La présente décision s’inscrit dans la jurisprudence constitutionnelle relative à la libre administration des collectivités territoriales et d’interdiction de la tutelle d’une collectivité sur une autre6 ainsi que de la jurisprudence relative à la collectivité territoriale de Corse et ses compétences7.

La présente décision retient l’exigence de simple compatibilité, et non celle de conformité, pesant sur les documents d’urbanisme tels que les PLU et les SCOT, et a donné tout son effet aux dispositions de l’article L. 4424-9, § 3, du CGCT selon lesquelles les PLU et SCOT de la collectivité territoriale de Corse doivent être seulement compatibles avec le PADDUC. Le respect de cette simple compatibilité garantit la marge d’appréciation des communes. Il appartient toutefois au juge administratif de contrôler le respect de ce rapport de simple compatibilité.

Des dispositions relatives aux collectivités territoriales, insérées dans la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ont été examinées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016. Elles sont représentées dans la présente chronique (III. D. « Les droits sociaux ». Il en est de même pour la décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016, M. Jean-Marc P.)

CR

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

La période électorale commence et avec elle son lot d’ajustements des textes fondateurs.

C’est ainsi qu’en vue de la prochaine élection présidentielle un nouveau « paquet présidentiel » a été voté par le Parlement, comme c’est plutôt traditionnel depuis 1962.

À chaque paquet ses surprises et ses traditions.

Celui de 2016 n’aura pas dérogé à la règle, puisque ses dispositions les plus importantes sont sûrement celles relatives au recueil des « parrainages » et aux temps de parole sur les ondes audiovisuelles, ce qui reprend fidèlement les observations à la suite des élections présidentielles précédentes, qui se caractérisent par une continuité totale de cette double préoccupation.

Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre de la loi organique portant application de l’article 68 de la constitution et, le même jour, de la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections, de manière à ce que le conseil exerce un examen sur l’ensemble de la législation applicable. Les deux textes ont été adoptés après que le dernier mot ait été donné à l’Assemblée nationale, le 5 avril 2016.

Dans sa décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016 relative à la loi organique, le Conseil constitutionnel a confirmé qu’elle avait été adoptée suivant une procédure conforme et a seulement formulé une réserve sur son article 2. C’est la décision n° 2016-730 DC du 21 avril 2016, Loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections, qui contient l’essentiel des évolutions relatives à la matière électorale.

Le recueil des parrainages

La rapidité des nouvelles technologies n’a d’égale que les lenteurs législatives. En raison de l’important dispositif à mettre en place pour permettre un recueil électronique des parrainages, le législateur organique n’a pu remettre en cause le principe de la réception des signatures par courrier. Le Conseil constitutionnel a néanmoins assoupli par une réserve ces dispositions en prévoyant qu’il est possible de faire arriver les « présentations » par tout opérateur postal agréé et que les cas de retard de force majeur pourraient être pris en compte. Le Conseil constitutionnel avait fait part de la nécessité de permettre une meilleure transmission des parrainages dans ses observations suite aux élections de 2012, notamment en précisant que le recueil direct des parrainages par les soutiens du candidat – voire par le candidat lui-même – pouvait méconnaître un principe de personnalité du vote qui peut aisément s’appliquer à l’opération de parrainage d’un candidat. Les observations ont donc été entendues.

La grande innovation de la loi organique consistait surtout à prévoir que l’ensemble des noms des présentateurs d’un candidat fasse l’objet d’une publication par le Conseil constitutionnel, ce qui fait écho aux observations suite à l’élection de 2012 elles-mêmes assurément influencées par la QPC posée par Marine Le Pen qui invoquait une inégalité entre les candidats dont le nom des « parrains » était affiché et ceux qui ne subissaient pas cette pratique. Aussi, un système de publication en ligne par le Conseil de manière régulière a été inauguré pour la période électorale nouvelle.

Les règles de temps de parole

Le CSA est un législateur organique. C’est l’affirmation qui ressort directement de l’étude de la dernière loi organique et de la décision du Conseil constitutionnel rendue sur la constitutionnalité de cette dernière, qui ne fait qu’avaliser les régulations posées par le CSA depuis près de 15 ans.

C’est en effet au CSA que l’on doit, tout d’abord, la distinction entre les temps d’antenne (où les soutiens d’un candidat s’expriment, où il est question de ses idées) et du temps de parole (où il s’exprime directement).

Mais cette innovation n’est rien, eu égard à celle consistant, pour le CSA, à choisir de sa propre initiative le calendrier préélectoral et les règles qui méritent de s’y appliquer.

Depuis 1974, le CSA publie des observations qui mettent l’accent sur la nécessité d’anticiper l’application des textes relatifs à la période électorale (i.e. jusqu’alors la loi du 6 novembre 1962 prévoyait les seules règles de la campagne officielle qui ne débute que quinze jours avant l’élection du premier tour). C’est ainsi que l’organisme a progressivement créé trois périodes (établies de manière quasi définitive depuis 2002 et modifiées en 2007) : la période de pré-campagne, démarrant quelques mois avant le début de la période électorale officielle (environ trois mois depuis 2007), la période intermédiaire – qui dure de la publication de la liste officielle des candidats du premier tour jusqu’au jour d’application de la campagne officielle – et la campagne officielle.

Les deux principes créés par le CSA pour régir ces périodes sont celles de l’équité et de l’égalité. L’égalité ne s’appliquant strictement qu’à la période officielle, un panachage entre les règles d’équité et d’égalité s’applique aux temps d’antenne et de parole durant la période intermédiaire, là où l’équité règne en maître pendant la période de pré-campagne.

La création de l’équité avait été envisagée par le CSA depuis les années 1990 pour créer un juste équilibre entre les exigences de l’égalité entre les candidats à la fonction présidentielle et la nécessité de ménager une place à la représentativité politique dans le temps éditorial. L’équilibre entre impératifs contraires est en effet l’une des sources maîtresse de la régulation. Les chaînes de télévision s’étant multipliées, les candidats aussi, la période électorale s’étant rallongée, la création du principe d’équité (qui se fait sur le fondement des résultats des précédentes élections, des sondages et de la notoriété) était devenue nécessaire tout en étant nécessairement critiquable ; l’équité repose en effet sur des critères tirés des résultats acquis – et donc passés – d’une formation politique, ce qui ne favorise pas l’émergence de nouvelles forces politiques.

Aux frontières des libertés constitutionnelles d’expression, d’opinion, de pluralisme des courants de pensée et d’égalité à la candidature suprême, ces règles ont aujourd’hui un fondement organique dans la loi fondatrice du 6 novembre 1962.

Aussi, le CSA est devenu co-législateur puisqu’il a été amené à opérer un véritable choix démocratique en se fondant sur un équilibre instable. Le CSA a donné ses lettres de noblesses à la démocratie sondagiaire, a choisi de consolider le bipartisme en tempérant le pluralisme de manière à favoriser la liberté éditoriale des chaînes télévisées. Ces différents choix, d’intérêt général, auraient sûrement mérités d’être arrêtés, au moins sous le contrôle du législateur.

Par sa validation, le Conseil constitutionnel confirme que, depuis près de 15 ans, le CSA a choisi le rythme de notre vie politique nationale, sans que le Conseil constitutionnel n’ait véritablement exercé un contrôle bien qu’il ait toujours existé en la forme, comme la décision commentée le rappelle dans le considérant 13. Au regard de l’importance des libertés constitutionnelles en jeu, on peine à comprendre pourquoi le Conseil constitutionnel s’en est limité, en l’espèce, à un contrôle restreint, constatant une conciliation « non disproportionnée » entre exigences contraires. On note d’ailleurs que le contrôle du principe d’égalité exercé par le Conseil constitutionnel ouvre décidément au juge toutes les libertés. C’est ainsi qu’est ici tolérée une entorse à ce principe pour préserver « la clarté du débat démocratique » ; objectif que le Conseil a emprunté au CSA et qu’il a découvert à partir de la liberté d’expression (ici, celle des chaînes télévisées).

Nouvellement consacrée dans les textes, l’équité déploiera sûrement de nouveaux effets et créera de nouvelles surprises…

Toujours au titre des ajustements législatifs, le Conseil constitutionnel a exercé un contrôle minimal, dans sa décision n° 2016-734 DC du 28 juillet 2016, sur la loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France qui ne comportait pas de dispositions litigieuses.

Enfin, le Conseil constitutionnel a pris acte de la nouvelle règle de publication périodique des parrainages en prévoyant ce mécanisme dans son règlement intérieur8.

Par ailleurs, les élections législatives partielles se sont soldées dans quatre départements sans encombre, malgré les velléités d’un requérant d’habitude qui a vu ses quatre requêtes rejetées sans instruction en vertu de l’article 38 de l’ordonnance portant loi organique du 7 nov. 19589.

ACB

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

Avant de devenir l’outil d’un régime d’exception pesant de manière quasi-permanente sur l’exercice normal des libertés publiques, la loi relative à l’état d’urgence était une ordonnance comme les autres qui posait des problèmes classiques au Conseil constitutionnel.

Dans sa décision n° 2016-567/568 QPC du 23 septembre 2016 M. Georges F. et autres, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur la nature législative du 1° de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955. Plus précisément, il était question de l’ordonnance du 15 avril 1960, prise sur habilitation de la loi du 4 février 1960, modifiant la loi de 1955. N’ayant jamais fait l’objet d’une ratification expresse, l’ordonnance posait alors la question de sa ratification implicite – comme la pratique de l’article 38 le permettait avant la réforme du 23 juillet 2008. Le Conseil constitutionnel n’avait jamais fixé sa jurisprudence sur cette question de la forme des ratifications implicites ; l’espèce en a donné l’occasion.

Deux thèses pouvaient s’affronter – si l’on met à part l’hypothèse d’une ratification intervenue par la loi du 18 novembre 2005 – qui consistaient à soutenir que l’ordonnance avait été implicitement ratifiée, soit lors de la première utilisation de l’état d’urgence en 1961, soit lors de la deuxième, en 1985. Le Conseil constitutionnel a jugé que l’application de l’état d’urgence par décision du président de la République, décrétée le 24 avril 1961, dans le cadre de l’application de l’article 16 de la constitution, ne pouvait être considérée comme constitutive d’une ratification implicite. S’en remettant à un critère formaliste – suivant lequel seule une loi votée par le Parlement est susceptible de ratifier implicitement une ordonnance au sens de l’article 38 –, le Conseil constitutionnel n’a donc pas été au bout de la logique de l’article 16 de la constitution qui suppose une période de confusion des pouvoirs aux mains du président de la République. Les mesures prises dans le domaine de l’article 34 par le Président en ces périodes, sont donc bien matériellement législatives. Quant à la ratification implicite intervenue par la loi du 25 janvier 1985 relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, elle a été choisie par le Conseil en raison de sa régularité. Une loi, votée par le Parlement avait bien fait une référence à la loi de 1955, dans sa version modifiée en 1960, ce qui est susceptible de constituer une ratification implicite. Il est d’ailleurs intéressant de noter que c’est dans la décision relative au contrôle de cette même loi de 1985 que le Conseil constitutionnel a précisé son contrôle des lois modificatives de lois antérieures, reconnaissant bien que la loi de 1985 était liée à celle de 1955. En l’espèce, le Conseil constitutionnel a donc considéré que l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 avait donc bien valeur législative, en abandonnant au passage une jurisprudence isolée, qui avait laissé entendre que le Conseil se prononcerait sur la conformité des lois de ratification implicites d’ordonnances de l’article 38, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. L’ouverture au contrôle en QPC de ces dispositions de lois ratifiant implicitement des ordonnances ouvrant de nouvelles perspectives, le Conseil a exercé un examen de la disposition litigieuse au regard des droits et libertés constitutionnels qui s’est avéré particulièrement porteur et d’une extrême actualité.

Toujours au titre des actes susceptibles de contrôle, le Conseil constitutionnel s’est montré tout aussi scrupuleux quant au périmètre de saisine dans une décision n° 2016-10 LOM du 3 juin 2016. La procédure originale des LOM était ici en question puisqu’elle permet un déclassement de lois intervenues dans le domaine réservé aux lois du pays, ce qui constitue un emprunt à la procédure de l’article 37 transposée au partage des compétences entre la métropole et l’outre-mer. C’est ainsi que le Conseil a considéré que la demande portait sur les mots « en Polynésie française » figurant au premier alinéa du paragraphe I de l’article 57 de la loi du 21 juin 2004, en tant qu’ils rendent applicables dans cette collectivité d’outre-mer les dispositions des articles 3, 7, 8, 14, 15, 16, 19, 20 et 25 de cette loi (§ 3). Il a enfin considéré que seules les dispositions encore applicables en Polynésie française méritaient d’être intégrées dans le périmètre de la saisine, ce qui interdit de voir dans ce contrôle de la répartition des compétences une trace de contrôle de constitutionnalité, comme c’est d’ailleurs le cas des déclassements de l’article 37.

Enfin, une 6e décision LP est aujourd’hui à dénombrer10 qui s’est soldée par une déclaration de conformité à la constitution de l’article L. 450 du Code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie créé par l’article 1er de la loi du pays.

La diversité des actes susceptibles de contrôle n’a donc d’égal que la constance des verdicts.

Quant aux acteurs des recours, le Conseil constitutionnel a confirmé sa conception des interventions en QPC en choisissant de restreindre la notion « d’intérêt spécial » au vu de la question de conformité, telle que le Conseil la circonscrit a posteriori. Cette interprétation repose sur l’interprétation que fait le Conseil, qui considère que sa précision de l’objet du litige doit agir rétroactivement puisque c’est cet objet que les juridictions du filtre auraient dû retenir11. Par ailleurs, le Conseil a également rappelé qu’il était important qu’une critique de constitutionnalité soit valablement formulée à l’appui de la demande d’intervention, sans quoi cette dernière sera nécessairement rejetée12.

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)

C – Les techniques contentieuses

La pratique des moyens soulevés d’office en QPC par le Conseil constitutionnel ouvre la voie à un enrichissement, par sympathie, des techniques similaires du contentieux a priori.

Dans la décision n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016, M. Chérif Y, le Conseil constitutionnel a fait un usage original des moyens soulevés d’office qui correspond bien à leur nature profonde. Le Conseil a en effet travaillé sur les normes de référence applicables au litige notamment pour ajouter à l’objectif du législateur afin de confirmer la conformité de la disposition législative ; qui plus est la norme de référence choisie d’office par le Conseil constitutionnel est originale, l’article 12 du préambule de 1946 relatif au principe de solidarité que le Conseil utilise peu. Par cette jurisprudence, le Conseil confirme que les moyens soulevés d’office peuvent être utilisés pour sauvegarder la disposition législative et pour en donner une interprétation innovante. Les moyens soulevés d’office apparaissent ainsi comme des techniques d’interprétation qui ne sont pas seulement utiles au requérant dans un objectif de garantie des droits fondamentaux. L’usage a posteriori de ce moyen peut néanmoins paraître contestable puisqu’elle prive le requérant de l’effet utile de sa QPC dans la mesure où le Conseil offre ainsi rétroactivement au législateur un « label de constitutionnalité » en créant d’office un objectif nouveau.

Dans la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016, M. Michel O, la technique des moyens soulevés d’office est utilisée comme une forme de substitution de motif. C’est en effet en utilisant le grief soulevé d’office tiré d’une violation du principe d’égalité que le Conseil constitutionnel a censuré la disposition de loi, sans répondre aux motifs de la requête13.

Dans le cadre de la décision n° 2016-551 QPC du 6 juillet 2016, M. Eric B, le Conseil constitutionnel a simplement entendu contrôler l’incompétence négative du législateur, ce qui constitue une application classique des moyens soulevés d’office.

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel, depuis l’avènement de la procédure de QPC, travaille particulièrement sur l’autorité de ses décisions. Dans la période commentée, il a apporté des précisions sur les dispositions « spécialement examinées » par lui dans une précédente décision (1), mais il a également fait un usage original de l’abrogation avec effet immédiat (2) et différé (3) ainsi que de l’argument tiré de la chose jugée dans le contentieux a priori (4).

1 – Les dispositions « spécialement examinées » au sens de l’article 23-2 de la loi organique du 7 novembre 1958

Tout d’abord, le Conseil constitutionnel a confirmé, de manière classique, qu’une disposition de loi a déjà été spécialement examinée par le Conseil constitutionnel dès lors qu’elle apparaît dans les motifs et le dispositif de la décision et qu’aucun changement de circonstances ne peut être remarqué14. Pour vérifier si ces conditions sont réunies, le Conseil constitutionnel peut faire directement référence à son ancienne décision15 ; lorsque c’est le cas, il ne se prononce pas sur le surplus des arguments qui concernait la partie de la disposition déjà jugée16.

Dans la décision n° 2015-522 QPC du 19 février 2016, Mme Josette B.-M, le Conseil constitutionnel a censuré, pour méconnaissance du principe d’égalité, la condition de nationalité présente dans la disposition de loi. Notons également la référence originale, faite par le Conseil d’État au caractère sérieux que posait la question de la chose précédemment jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2010.

Par la décision n° 2016-582 QPC du 13 octobre 2016, Société Goodyear Dunlop Tires France SA, le Conseil constitutionnel a confirmé qu’une nouvelle interprétation jurisprudentielle pouvait constituer un changement de circonstances. Cela a été le cas en l’espèce où le Conseil constitutionnel avait censuré, dans une précédente décision17, un dispositif de plafonnement de l’indemnité prévue à l’article L. 1235-3 qui variait en fonction des effectifs de l’entreprise ; ce critère n’avait pas été considéré en adéquation avec l’objet de la loi. Cette interprétation a été considérée comme un changement de circonstances de droit (§ 4).

2 – Les décisions d’abrogation des décisions avec effet immédiat

Comme il le fait classiquement, le Conseil constitutionnel a plusieurs fois jugé que l’abrogation immédiate des dispositions de loi n’entraînant pas de déstabilisation excessive pour les droits fondamentaux devait rester la norme et avec elle l’application à toutes les instances introduites avant cette date et non jugées définitivement18. Dans le même sens, le Conseil a fait le choix d’une abrogation immédiate dans la décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016, M. Michel O, dans la mesure où l’abrogation immédiate de la disposition litigieuse permettait à tous les salariés licenciés pour faute lourde de conserver le bénéfice de leur indemnité compensatrice de congés payés, ce qui suffisait à mettre fin à la rupture d’égalité constatée. C’est sûrement l’application la plus logique de l’abrogation immédiate (cons. 11).

De manière plus originale, tout d’abord, on remarque l’utilisation audacieuse des Commentaires aux Cahiers par le Conseil constitutionnel. Ces colonnes peuvent désormais lui servir à donner l’interprétation à retenir des dispositions dont il n’est pas valablement saisi mais qui sont le corollaire de celles déclarées contraires à la constitution et « qui (…) ne sauraient postérieurement à la décision (…) recevoir application »19. Cet exemple constitue une sorte d’effet neutralisant par commentaire interposé.

Dans le même sens, dans la décision n° 2016-520 QPC du 3 février 2016, Société Metro Holding France SA, venant aux droits de la société CRFP Cash, le Conseil constitutionnel a précisé que dans la mesure où l’abrogation immédiate, s’appliquant en l’espèce aux seules situations antérieures à la modification de la loi déférée en 2006, ne pouvait pas avoir d’effets néfastes à l’avenir, une abrogation avec effet immédiat était justifiée. La lecture des Commentaires aux Cahiers nous apprend que la rupture d’égalité censurée en l’espèce était très originale puisque l’une des discriminations résultait directement de la transposition d’une directive (cons. 9) bloquant le contrôle du Conseil constitutionnel. L’information est ainsi délivrée à bon entendeur.

De même dans la décision n° 2016-539 QPC du 10 mai 2016, Mme Ève G., ce sont les Commentaires qui précisent que le Conseil constitutionnel s’est préoccupé des effets pour le passé de sa décision d’abrogation immédiate. Il a précisé que l’abrogation pourra être invoquée dans toutes les instances en cours (cons. 11) mais également par les contribuables ayant été soumis à cette législation dans la mesure où le délai de réclamation expirait le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la mise en recouvrement de l’impôt20.

On remarque ensuite que le Conseil constitutionnel fait un usage de plus en plus fréquent et original des réserves d’interprétation précisant, pour le passé, le sort de la disposition abrogée tant dans le cadre des abrogations avec effet immédiat qu’avec effet différé.

Ainsi, dans la décision n° 2016-544 QPC du 3 juin 2016, M. Mohamadi C., le Conseil a distingué plusieurs cas dans l’application de sa décision. Pour ce qui concerne les règles de composition et de majorité au sein des Cours d’assises, pour des raisons de stabilité de la justice, il a considéré que les effets de l’abrogation devaient être limités à un effet immédiat. En revanche, pour les règles processuelles substantielles, la déclaration d’inconstitutionnalité mérite d’être rendue applicable à toutes les instances en cours non définitivement jugées à la date de la décision. S’agissant de la déclaration d’inconstitutionnalité d’autres dispositions du Code de procédure pénale, le Conseil a pris en compte les impacts de la décision d’abrogation sur la règle de non-rétroactivité de la loi pénale et a précisé que sa décision ne serait rendue applicable qu’aux infractions commises après la date de lecture de la décision (§ 26). Il est topique de noter qu’il est précisé dans les Commentaires aux Cahiers que « la décision du Conseil (…) ne ferme pas pour autant la porte à ce que le législateur, prenant en considération les motifs de censure, puisse à nouveau introduire des aménagements de la législation adaptés à la situation de Mayotte », cadrant ainsi l’action, même future, du législateur !

Par ailleurs, au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et de poursuite des auteurs d’infraction, le Conseil n’a pas appliqué pour le passé les effets de son abrogation dans le cadre d’une affaire mettant en cause des règles de procédure pénale21. Enfin, le Conseil constitutionnel a procédé à une abrogation avec effet immédiat22 en référence à une décision antérieure où il avait agi de la sorte dans une situation analogue23.

3 – Les décisions d’abrogation avec effet différé

C’est toujours au regard du risque d’atteinte à une liberté constitutionnelle ou à un intérêt public que le Conseil constitutionnel procède à une abrogation différée.

Ainsi en est-il du risque de déstabilisation de l’objectif de pluralisme des courants politiques24 ou encore de la nécessité de conserver les voies de recours existantes25. Dans cette décision le Conseil constitutionnel a pris en compte le fait qu’une réforme législative en cours de discussion pourrait permettre de purger les dispositions des inconstitutionnalités constatées dans la décision mais également de l’inégalité que créerait l’abrogation avec effet immédiat pour certains détenus.

Dans le même sens26 le Conseil constitutionnel a fait le choix d’une abrogation différée eu égard aux risques qu’auraient entraîné une abrogation immédiate pour le contradictoire et les droits de la défense dans la mesure où la censure portait sur l’accès au dossier de procédure par les parties assistées par un avocat.

Dans la décision n° 2016-571 QPC du 30 septembre 2016, Société Layher SAS, le Conseil constitutionnel a également fait une application classique de l’abrogation avec effet différé dans le cadre d’une censure pour méconnaissance du principe d’égalité. L’abrogation différée a été choisie vu que l’abrogation immédiate aurait conduit à priver certains contribuables de l’exonération en faveur des distributions réalisées au sein d’un groupe fiscalement intégré ou, au contraire, à étendre l’application de l’impôt à des personnes que le législateur avait entendu exonérer.

Enfin et dans le même sens, le Conseil a précisé, dans la décision n° 2016-590 QPC du 21 octobre 2016, La Quadrature du Net et autres, que l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu des conséquences manifestement excessives eu égard à la préservation de l’impératif de surveillance des communications empruntant la voie hertzienne. Néanmoins, le Conseil a entendu fixer par plusieurs réserves certaines conditions afin de faire cesser immédiatement l’inconstitutionnalité. Les dispositions de loi ne devaient pas être interprétées comme pouvant servir de base légale à des interceptions de correspondances hors du cadre imposé par le Code de la sécurité intérieure (CSI). Une seconde réserve transitoire visait à éviter que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ne soit pas régulièrement informée tant sur le champ que sur la nature des mesures litigieuses (cons. 12). Le Conseil constitutionnel a ainsi entendu préserver le caractère résiduel des dispositions législatives en donnant ici une interprétation constructive.

4 – L’argument de la chose jugée dans le contrôle a priori

L’article 62 a fait l’objet d’une interprétation importante dans le cadre du feuilleton jurisprudentiel de l’ISF27. Tout d’abord, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel avait précisé en 2011 que la prise en compte des facultés contributives du contribuable était préservée par la modification du barème de l’ISF en liaison avec la suppression du plafonnement de cet impôt ainsi que celle du bouclier fiscal28. En 2012, le Conseil constitutionnel s’était néanmoins opposé à ce que le législateur rétablisse un barème de l’ISF tel qu’il était en vigueur avant 2012 sans l’assortir d’un mécanisme de plafonnement29. Le législateur avait réagi à cette décision par l’article 13 de la loi de finances pour 2013 rétablissant dans le CGI un article 885 CGI V bis plafonnant l’ISF. Parallèlement, la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 permit au Conseil constitutionnel de préciser que le législateur ne pouvait pas, sans violer l’exigence de prise en compte des facultés contributives, intégrer dans les revenus du contribuable pour le calcul du plafonnement de l’ISF, des revenus non encore réalisés.

En l’espèce, pour l’appréciation de conformité du § 1 de l’article 7 de la loi déférée, le Conseil n’a pas estimé que la chose jugée en 2012 méritait de s’appliquer. En effet, la chose déjà jugée ne peut être opposée que dès lors que les dispositions de loi déférées comportent un objet analogue aux dispositions déjà jugées. En l’espèce, ces conditions n’étaient pas réunies puisque les revenus, objets des dispositions contestées étaient différents de ceux ayant fait l’objet de la décision de 2012 (cons. 14–15).

Les requérants ont invoqué une seconde violation de la chose jugée en 2013. Dans le cadre de cette décision, le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions de l’article 100 de la loi de finances pour 2014 qui donnaient une nouvelle rédaction à l’article L. 64 du LPF élargissant sensiblement son champ d’application. Néanmoins le Conseil constitutionnel avait, déjà avant l’espèce, précisé que la solution dégagée en 2013 était liée à l’alourdissement de la sanction attachée à la procédure d’abus de droit qu’induisait la nouvelle rédaction de l’article L. 64 du LPF30. C’est pourquoi la chose jugée en 2013 ne pouvait pas valablement être invoquée dès lors que l’article L. 64 du LPF était modifié par un texte d’assiette. C’est la même interprétation qui a été retenue en l’espèce.

Au cas présent, le Conseil a toutefois assorti son interprétation d’une réserve en précisant au législateur que la rédaction choisie par la loi déférée ne devait pas laisser entendre que des revenus non encore réalisés puissent être contenus dans le calcul du plafonnement de l’ISF, revenant ainsi – par la fenêtre – à la chose jugée en 2012 !

ACB

(À suivre)

III – Les normes de référence

A – Les sources matérielles

1 – Les textes et principes constitutionnels

2 – Les rapports de systèmes

3 – Les droits et libertés

a – Sécurité et libertés

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

c – Liberté d’expression/liberté de conscience

d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

B – Le droit de propriété

C – Le principe d’égalité

1 – Principe d’égalité devant la loi

2 – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – droits et libertés en matière fiscale

D – Les droits sociaux

E – Les principes du droit répressif

1 – Cumul de sanctions et principe non bis in idem

2 – Principe de légalité des délits et des peines

3 – Principe de proportionnalité des peines

4 – Principe de la présomption d’innocence

F – Les droits processuels

1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

2 – Le principe de sécurité juridique

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour illustration, Cons. const, 9 juill. 1963, n° 63-24 L, Nature juridique de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1238 du 17 décembre 1958 modifiant le Code des douanes, cons. 1er.
  • 2.
    Décision fondactrice, Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, Loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 53 à 55.
  • 3.
    Verpeaux M., « Suppression de la compétence générale des départements : la fin du Vendée globe ? », JCP G 2016, n° 43-44, p. 1971-1975.
  • 4.
    Découlant de Cons. const., 26 janv. 1995, n° 94-358 DC, Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, cons. 48.
  • 5.
    Verpeaux M., « Le délicat équilibre entre les communes au sein des métropoles : le cas marseillais », JCP A 2016, n° 12, p. 32-36.
  • 6.
    Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, Loi relative à la Corse, cons. 29 ; Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, Loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 22.
  • 7.
    Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, préc., cons. 28 et 29.
  • 8.
    Décisions nos 2016-135 ORGA et 2016-136 ORGA.
  • 9.
    Cons. const., 14 avr. 2016, n° 2016-4953 AN ; Cons. const., 24 mai 2016, n° 2016-4954 AN ; Cons. const., 23 juin 2016, n° 2016-4956 AN ; Cons. const., 23 juin 2016, n° 2016-4955 AN.
  • 10.
    Cons. const., 16 juin 2016, n° 2016-6 LP.
  • 11.
    Cons. const., 16 sept. 2016, n° 2016-566 QPC, Mme Marie-Lou B. et a.
  • 12.
    Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-555 QPC, M. Karim B.
  • 13.
    Cons. const., 2 mars 2016, n° 2015-523 QPC.
  • 14.
    Cons. const., 7 janv. 2016, n° 2015-510 QPC, Assoc. Expert-comptable media association.
  • 15.
    Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-556 QPC, M. Patrick S.
  • 16.
    Cons. const., 25 nov. 2016, n° 2016-598 QPC, Sté Eurofrance.
  • 17.
    Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC, préc.
  • 18.
    Cons. const., 2 mars 2016, n° 2015-524 QPC, M. Abdel Manane M. K. ; Cons. const., 23 mars 2016, n° 2015-530 QPC, M. Chérif Y. ; Cons. const., 14 oct. 2016, n° 2016-587 QPC, Épx F.
  • 19.
    Cons. const., 15 janv. 2016, n° 2015-516 QPC, M. Robert M. et a.
  • 20.
    Dans le même sens, v. Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-554 QPC, M. Gilbert B.
  • 21.
    Cons. const., 23 sept. 2016, n° 2016-567/568 QPC, M. Georges F. et a.
  • 22.
    Cons. const., 8 juill. 2016, n° 2016-553 QPC, Sté Natixis SA.
  • 23.
    V. Cons. const., 3 févr. 2015, n° 520 QPC, préc.
  • 24.
    Cons. const., 7 janv. 2016, n° 2015-511 QPC, Sté Carcassonne presse diffusion SAS.
  • 25.
    Cons. const., 24 mai 2016, n° 2016-543 QPC, Section française de l’observatoire international des prisons.
  • 26.
    Cons. const., 16 sept. 2016, n° 2016-566 QPC, Mme Marie-Lou B. et a.
  • 27.
    Cons. const., 29 déc. 2016, n° 2016-744 DC, Loi de finances pour 2017.
  • 28.
    Cons. const., 28 juill. 2011, n° 2011-638 DC.
  • 29.
    Cons. const., 9 août 2012, n° 2012-654 DC.
  • 30.
    Cons. const., 29 déc. 2015, n° 2015-726 DC.
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