Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2e partie)

Publié le 24/10/2017

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre les mois de juillet à décembre 2015 et, afin de mieux correspondre aux réalités du contentieux de la Constitution, son plan a été légèrement modifié.

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

1 – Les validations législatives (…)

2 – Le contrôle de la procédure législative

3 – Le principe de séparation des pouvoirs en faveur du Parlement

4 – La compétence et le domaine de la loi

a – Le recours aux travaux préparatoires de la loi

b – L’incompétence négative

c – La répartition des compétences normatives entre la loi et le règlement

C – Le pouvoir juridictionnel (…)

D – Le pouvoir financier

De manière traditionnelle, le contrôle des lois financières repose, sur le respect du principe budgétaire de sincérité de la loi financière issu des alinéas 14 et 15 de la Déclaration des droits de 1789 qui se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre qu’elle détermine1. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 ainsi que la loi de finances pour 2015 n’ont pas échappé à la règle. En ce qui concerne la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, son insincérité a été contestée au motif d’une évaluation incorrecte de données financières (décision n° 2015-723 DC, cons. 2). Pour ce qui est de la sincérité de la loi de finances pour 2016, ont été mis en cause la surévaluation des hypothèses de croissance et d’inflation pour 2016, le caractère particulièrement aléatoire des prévisions de recettes et de charges pour 2016 ainsi que l’introduction tardive dans la loi de finances d’un nouveau compte d’affectation spéciale.

Depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, du Pacte budgétaire européen du 2 mars 20122, le contrôle de la sincérité des lois financières ne se limite plus à celui de l’absence de fausser les grandes lignes de l’équilibre mais se trouve renforcé par le dispositif institué par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques3 qui impose aux États signataires le respect des règles d’équilibre des finances publiques. À cet égard, le Conseil avait souligné, dans sa décision n° 2012-653 DC relative au TSCG que le contrôle de conformité à la Constitution notamment des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale, opéré sur le fondement de l’article 61 de la Constitution, en vue d’apprécier la sincérité de ces lois, devrait, une fois le pacte budgétaire entré en vigueur, s’exercer « en prenant en compte l’avis des institutions préalablement mises en place », en l’occurrence, celui du Haut conseil des finances publiques institué par la loi organique du 17 décembre 2012. En l’espèce, l’avis rendu le 25 septembre 2015 ne fait état d’aucune intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre que la loi de finances détermine. Est sans incidence sur la constitutionnalité de la loi de finances, la réserve émise par le Haut conseil des finances publiques sur la décision de révision à la hausse par le gouvernement, dans la présente loi de finances, de l’hypothèse de croissance potentielle (+ 1,5 %) contenue dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 (1,3 %)4 dont il peut seulement lui être reproché de « ne pas permettre de suivre convenablement l’évolution de la composante structurelle du déficit et [de] nui[re] à la lisibilité de la politique budgétaire » (cons. 6).

A également été repoussé, le grief d’insincérité invoqué pour contester l’insertion tardive dans la loi de finances du nouveau compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » ainsi que d’un nouveau programme « Service public de l’énergie » au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durable ». Il convient de relever ici l’usage peu habituel de ce grief auquel il est plutôt fait recours pour contester l’évaluation des recettes et des charges.

De manière non moins traditionnelle, le contrôle des lois financières en cause révèle, une fois de plus, la vigilance avec laquelle le Conseil veille au respect de leur procédure d’adoption. C’est ainsi que la loi de financement de la sécurité sociale a été épurée d’un cavalier budgétaire (article 35 de la LFSS) qui prévoyait la remise d’un rapport sur l’extension de l’assurance complémentaire santé d’entreprise. C’est aussi ainsi qu’il a été fait application d’office de la règle dite de « l’entonnoir » pour deux dispositions (articles 23 et 62 de la LFSS) issues d’amendements introduits en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale qui, à ce stade de la procédure, n’étaient pas en relation directe avec une disposition restant en discussion, pas plus qu’ils n’étaient destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d’examen ou à corriger une erreur matérielle. C’est enfin ainsi que la loi de finances s’est, quant à elle, heurtée à la censure d’une de ses dispositions, adoptée selon une procédure contraire à la Constitution. L’article 30 de la loi de finances élargissait le champ d’application de la taxe sur les transactions financières aux opérations intra-journalières. Or, compte tenu de son entrée en vigueur le 31 décembre 2016, il ne pouvait logiquement avoir d’impact sur le budget de l’année 2016 dès lors que la taxe est exigible le premier jour du mois suivant celui au cours duquel s’est produite l’acquisition du titre. C’est donc à tort qu’il a été placé dans la première partie de la loi de finances (cons. 14).

LB

E – Les collectivités territoriales

Décision n° 2015-717 DC du 6 août 2015 Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Loi NOTRe)

I. Une saisine du Conseil constitutionnel limitée par ses auteurs à un seul article

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (dit loi NOTRe) adopté au Conseil des ministres le 18 juin 2014, a donné lieu, après deux lectures au Sénat et à l’Assemblée nationale, à l’élaboration d’un texte commun en commission mixte paritaire le 9 juillet 2015. Il a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat le 16 juillet 2015.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi, sur les 136 articles que compte ce texte de loi, les auteurs des deux saisines, l’une émanant de députés l’autre de sénateurs, n’ont fait valoir des griefs qu’à l’encontre d’un seul article, dont le caractère éminemment politique explique pourquoi il a fait l’objet d’une saisine.

Selon les députés et sénateurs requérants, les dispositions du paragraphe XX de l’article 59 introduisant des règles de répartition des sièges de conseillers métropolitains pour la commune de Paris différentes de celles applicables aux autres communes portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi. Ils estimaient qu’il en était de même pour le mode d’élection, prévu à titre transitoire, des conseillers métropolitains par les conseillers de Paris de l’arrondissement. La combinaison des deux modes de scrutin à la représentation proportionnelle dans le cadre de l’arrondissement, en amplifiant la représentation majoritaire au sein de chaque arrondissement, portait atteinte au principe d’égalité devant le suffrage, à l’exigence de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et au principe d’égal accès aux dignités, places et emplois publics. Les sénateurs requérants ajoutaient la méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Les députés requérants invoquaient également l’atteinte à l’exigence de clarté et de loyauté du scrutin par la modification des règles de désignation des membres du conseil de la métropole du Grand Paris par la commune de Paris postérieurement aux élections municipales de 2014.

Dès lors que le Conseil constitutionnel a retenu la méconnaissance du principe d’égalité devant le suffrage, il n’a pas eu besoin d’examiner les autres griefs.

II. Le principe d’égalité devant le suffrage : une jurisprudence bien établie

Le Conseil constitutionnel a défini le principe d’égalité devant le suffrage depuis les décisions 196 DC et 208 DC, rendues en 1985 et 19865.

Ce principe exige notamment une répartition des sièges sur une base essentiellement démographique. Une dérogation est toutefois admise, dans une mesure limitée, lorsque le législateur souhaite tenir compte d’impératifs d’intérêt général susceptibles d’atténuer la portée de cette règle constitutionnelle6.

Cette jurisprudence a été étendue ensuite aux élections locales par la décision 618 DC dans laquelle le Conseil a jugé que, dès lors qu’il est supérieur à un seuil de 20 % d’écart à la moyenne, l’écart est jugé excessif7. Le Conseil n’a fait que reprendre le seuil que le législateur s’était lui-même fixé en 1986 puis en 20098.

Le contrôle exercé par le Conseil est un contrôle restreint, ce qui signifie que le juge constitutionnel n’examine pas les écarts à la moyenne à l’intérieur de la fourchette comprise entre plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne9.

Cette jurisprudence a déjà été mise en œuvre concernant la Ville de Paris. Dans sa décision 667 DC, le Conseil a jugé que la représentation minimale de trois sièges par arrondissement à Paris ne suffit pas à justifier la méconnaissance du seuil d’écart de 20 %10.

Cette jurisprudence a également été transposée aux établissements de coopération intercommunale. Ainsi, dans sa décision 405 QPC, Commune de Salbris, le Conseil a considéré que le critère de la population pour déterminer le nombre et la répartition des sièges de conseillers communautaires n’autorise pas à déroger au principe de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune membre de l’EPCI dans une mesure manifestement disproportionnée11.

À la suite de la décision 405 QPC, le législateur a été amené à adopter une nouvelle disposition législative12 qui a été soumise à l’examen du Conseil constitutionnel. Celui-ci a alors jugé, dans sa décision 711 DC, par une réserve d’interprétation, que ces nouvelles modalités de répartition des sièges entre communes ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant le suffrage13.

III. Le principe d’égalité devant le suffrage appliqué à la Métropole du Grand Paris

Dans la décision commentée, le Conseil a été amené à faire application du principe d’égalité devant le suffrage à un échelon infra-communal, à savoir les arrondissements parisiens à partir desquels est composé le Conseil de Paris.

Le Conseil a d’abord rappelé les principes de sa jurisprudence en la matière (cons. 5). Notamment, il résulte des dispositions de l’article 72, alinéas 1er et 3, de la Constitution, de l’article 3 de la Constitution et de l’article 6 de la Déclaration de 1789, que « dès lors que des établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales exercent en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur sont dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques » (cons 5).

La première disposition déférée prévoyait que les 63 sièges de conseillers métropolitains attribués à la commune de Paris sont répartis entre les arrondissements de la commune de Paris en fonction de leur population, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, chaque arrondissement devant disposer d’au moins un siège.

Cette répartition aboutissait, sur le fondement de la population de chaque arrondissement, à l’attribution d’un siège pour chacun des neuf premiers arrondissements, de trois sièges pour le Xe arrondissement, de quatre sièges pour les XIe, XIIe et XIVe arrondissements, de cinq sièges pour les XIIIe, XVIe, XVIIe et XIXe arrondissements, de six sièges pour les XVIIIe et XXe arrondissements et de sept sièges pour le XVe arrondissement.

Le Conseil a considéré qu’« en prévoyant une répartition des sièges de conseillers métropolitains de Paris par arrondissement, le législateur a entendu assurer une représentation de chaque arrondissement de Paris au sein du conseil du Grand Paris ; que, toutefois, compte tenu du nombre de sièges à répartir et de la population respective de chaque arrondissement, en appliquant une règle de répartition à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne combinée à un minimum d’un siège par arrondissement, ces dispositions conduisent à ce que, dans les Ier, IIe, IVe, Ve, VIe, VIIe et IXe arrondissements, le rapport du nombre des conseillers métropolitains à la population de l’arrondissement s’écarte de la moyenne constatée à Paris dans une mesure qui est manifestement disproportionnée ». Le Conseil a jugé que le 3e alinéa de l’article L. 5219-9 du Code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la loi déférée, méconnaissait le principe d’égalité devant le suffrage (cons. 7).

Quant à la période transitoire jusqu’au prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la Métropole du Grand Paris, prévue en principe en 2020, la loi prévoyait, pour la représentation de la commune de Paris, l’attribution d’un siège pour le conseil de Paris et une répartition des autres sièges entre les arrondissements de la commune de Paris en fonction de leur population, à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, chaque arrondissement devant disposer d’au moins un siège. Les conseillers métropolitains de chaque arrondissement de Paris devaient être élus par les conseillers de Paris de l’arrondissement parmi les conseillers de Paris de l’arrondissement (cons. 8). La perte d’un siège par le Xe arrondissement conduisait à sa sous-représentation. La répartition transitoire était identique au régime applicable après 2020.

Aussi, par un raisonnement identique, le Conseil a considéré que les dispositions transitoires prévues au paragraphe XX de l’article 59 méconnaissaient le principe d’égalité devant le suffrage et étaient donc contraires à la Constitution (cons. 9). Il déclaré également le dernier alinéa de ce paragraphe inséparable du paragraphe XX (cons. 10).

La décision du Conseil a eu pour conséquence que les dispositions spécifiques à l’attribution des sièges à la commune de Paris et à leur répartition entre les arrondissements ont été supprimées. L’article L. 5219-9 du CGCT se limite ainsi à prévoir que « le conseil de la métropole est composé de conseillers métropolitains élus dans les conditions prévues au titre V du livre 1er du Code électoral. La répartition entre communes des sièges au conseil métropolitain est effectuée dans les conditions prévues à l’article L. 5211-6-1 du présent code » (9° du paragraphe II de l’article 59).

Il en résulte que, sauf à ce que le législateur souhaite adopter des modalités spécifiques, les conseillers métropolitains de la commune de Paris seront désignés selon les règles applicables dans les autres communes du Grand Paris pour la première désignation de ces conseillers, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle par le conseil municipal et le droit commun des métropoles devra s’appliquer à la Métropole du Grand Paris14.

Dans sa décision n° 2015-716 DC du 30 juillet 2015, loi organique relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté le Conseil constitutionnel a jugé que la loi organique précitée, qui lui était déférée conformément à l’article 61, alinéa 1er, de la Constitution et qui modifie la loi organique du 19 mars 1999 prise en application de l’article 77 de la Constitution, est conforme à la Constitution.

Sur la procédure, la loi organique examinée a été adoptée dans les conditions prévues à l’article 90 de la loi organique du 19 mars 1999 et à l’article 46 alinéas 1 à 3 de la Constitution (cons. 5).

Sur le fond, la loi organique examinée a pu renvoyer à un décret le soin de déterminer les modalités de désignation de la personnalité qualifiée adjointe à la commission administrative spéciale chargée, dans chaque bureau de vote, de l’établissement de la liste électorale spéciale pour l’élection du congrès et des assemblées de province et du tableau annexe des électeurs non admis à participer à ce scrutin. De même, elle peut attribuer au président de la commission le pouvoir de consulter les représentants de la coutume ainsi que le pouvoir de procéder ou de faire procéder à des investigations en lieu et place de la commission (cons. 8 et 9).

La loi organique examinée a pu prévoir l’organisation d’une troisième consultation, dans l’hypothèse où la majorité des suffrages exprimés lors de la deuxième consultation conclurait au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, et étendre à cette troisième consultation les conditions de délai et de forme prévues pour la deuxième consultation (cons. 13).

La loi organique a pu instituer une commission consultative d’experts et renvoyer à un décret le soin d’en déterminer les règles de désignation, d’organisation et de fonctionnement. Cette commission est chargée de rendre un avis, à la demande de tout membre d’une commission administrative spéciale mentionnée à l’article 189, sur les demandes d’inscription fondées sur la condition, liée au « centre des intérêts moraux et matériels », prévue à l’article 218 pour être admis à participer à la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté (cons. 18).

La loi organique a pu prévoir l’inscription automatique de certaines catégories d’électeurs mentionnées au point 2.2.1 de l’accord de Nouméa, qui définit le corps électoral pour la consultation relative à l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie, sans préjudice du droit pour les intéressés de demander volontairement leur inscription (cons. 20).

En particulier, l’inscription d’office pour les personnes atteignant la majorité électorale à la date de clôture des listes électorales et relevant de l’article 218, est conforme à la Constitution, dans la mesure où cette inscription d’office est subordonnée, lorsque la commission l’estime nécessaire, à la fourniture des pièces justifiant que ces personnes remplissent bien ces conditions. En outre, cette inscription d’office ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi (cons. 21).

La loi organique a pu compléter l’énumération des documents à partir desquels les électeurs remplissant les conditions fixées à l’article 218 sont inscrits sur la liste électorale spéciale à la consultation. Elle a pu confier la tenue de cette liste électorale à l’Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie et prévoir le caractère permanent de cette liste électorale, sa révision annuelle dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, une possibilité de fixer par décret une période de révision complémentaire l’année du scrutin ainsi qu’une inscription sur cette liste, dans les conditions prévues à l’article 218-2, des personnes qui remplissent la condition d’âge entre la dernière clôture définitive de la liste et la date du scrutin (cons. 24).

Par sa décision n° 2015-721 DC du 12 novembre 2015, loi organique portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy, le Conseil constitutionnel a censuré les articles 5 et 6, de la loi organique examinée.

Sur le plan procédural, la consultation du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy par le représentant de l’État s’est faite à la demande du président du Sénat, dans les délais impartis. Les conditions dans lesquelles l’avis a été rendu n’ont pas affecté la sincérité des débats parlementaires.

Sur le fond, conformément à sa jurisprudence sur la séparation des pouvoirs fondée sur l’article 16 de la Déclaration des droits, combinée à l’article 21 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a jugé « qu’en prévoyant que le Premier ministre est tenu de prendre dans un délai préfixe un décret d’approbation ou de refus d’approbation d’actes [du conseil territorial de Saint-Barthélemy] dans le domaine du droit pénal, le 1° de l’article 5 de la loi organique méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs et les dispositions de l’article 21 de la Constitution ». Ces dispositions de l’article 5 de la loi organique ont en conséquence été censurées (cons. 14 et 15).

Le Conseil constitutionnel rappelle ainsi qu’il lui revient de veiller au respect par le législateur des prérogatives du pouvoir exécutif et plus largement au respect de la séparation des pouvoirs.

Pour les mêmes motifs, le Conseil a censuré la procédure spécifique de référé devant le Conseil d’État permettant d’enjoindre au Premier ministre de prendre un tel décret, le cas échéant sous astreinte (cons. 15).

Le juge constitutionnel a censuré la disposition autorisant l’État à habiliter, par décret en Conseil d’État et pour une durée maximale de 3 ans, le conseil territorial de Saint-Barthélemy à adopter des actes afin de prévoir les conditions de gestion du régime général de sécurité sociale par un établissement situé dans son ressort géographique. En effet, se fondant sur l’article 74 de la Constitution, le Conseil a rappelé que le législateur organique avait méconnu l’étendue de sa compétence, jugeant que les dispositions de l’article 6 attribuent au pouvoir réglementaire, sans encadrement, le soin de décider, par l’édiction d’un décret en Conseil d’État, si la collectivité de Saint-Barthélemy est habilitée à participer à l’exercice des compétences de l’État dans le domaine de la sécurité sociale (cons. 16 à 18).

Le Conseil constitutionnel a jugé enfin, sur le fondement de l’article 74 de la Constitution qui détermine les compétences attribuées aux collectivités d’outre-mer régies par cet article, que relèvent de la compétence de la collectivité de Saint-Barthélemy : les modalités du droit de préemption (cons. 8) ; les sanctions administratives pour réprimer la violation de règles fixées par le conseil territorial dans les matières relevant de la compétence de la collectivité (cons. 10) ; les règles applicables à la location de véhicules terrestres à moteur (cons. 11) ; les règles applicables aux cartes et titres de navigation des navires de plaisance à usage personnel non soumis à francisation (cons. 12) ; la composition de la Commission consultative d’évaluation des charges (cons. 20) ; les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité de Saint-Barthélemy (cons. 26).

CR

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

Après une saisine anticipée15, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de juger effectivement la situation d’incompatibilité de M. Robert dans la décision n° 2015-32 I du 17 décembre 2015. Cette dernière a confirmé que le député n’exerçait pas, à l’heure de la requête, de fonctions incompatibles avec l’exercice de son mandat. C’est dans le même sens que le Conseil s’est prononcé dans la décision n° 2015-33 I du 22 décembre 2015.

Les contentieux parlementaires se suivent et se ressemblent.

Le Conseil constitutionnel a confirmé l’essentiel des griefs des sénatoriales dans le cadre des législatives. Ainsi, la non-réception des carnets de reçus-dons pour un candidat n’ayant pas obtenu 1 % des suffrages, induit qu’il ne peut être regardé comme n’ayant pas reçu de dons et l’oblige donc à déposer un compte de campagne. Si, au cours de l’instruction, le candidat parvient à présenter un carnet de reçus-dons, il régularise sa situation16. À l’inverse, il encourt 3 ans d’inéligibilité s’il ne présente pas les carnets en l’absence de circonstances particulières17. Dans l’espèce n° 4949 AN, le candidat avait pourtant été pugnace en présentant une requête en rectification d’erreur matérielle alors qu’il estimait n’avoir pas pu produire d’observations et avoir produit un carnet de reçus-dons devant la CNCCFP. L’appréciation des faits n’étant pas susceptible d’être discutée en rectification d’erreur matérielle la requête a, de nouveau, été rejetée18.

Dans le cadre de la décision du 19 novembre 2015 n° 2015-4942 SEN, Wallis-et-Futuna, le Conseil constitutionnel a fait usage de son pouvoir de modulation de la sanction d’inéligibilité d’1 à 3 ans en fonction de la nature du manquement. Pour le compte de campagne non présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables et des comptables agréés, l’inéligibilité a été d’1 an. Dans la décision n° 2015-4952 SEN Haute-Loire, l’inéligibilité a été de 3 ans en raison du cumul de plusieurs irrégularités notoires. Quant aux griefs tirés du déroulement de la campagne, le Conseil constitutionnel a, dans la décision n° 2015-4948 SEN Polynésie française, rejeté toute une série de griefs tirés de l’inégalité entre les candidats ou de soutiens inégaux qui ne relevaient pas de manœuvres suffisantes pour conduire à l’annulation. Les sénatoriales se terminent donc classiquement…

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

« En tant que président de la République, il m’appartient de veiller au respect de la Constitution. (…) J’ai donc estimé que, s’agissant d’une loi aussi importante pour notre République, il est de ma responsabilité de saisir le Conseil ». Cette phrase est suffisamment importante dans l’histoire du contentieux constitutionnel pour qu’elle mérite d’être reproduite dans son intégralité. La décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, loi relative au renseignement, marque en effet d’une pierre blanche le contentieux constitutionnel et ses acteurs puisqu’il s’agit de la première saisine du président de la République. La « mission » de celui-ci comporte bien la garantie de la Constitution en vertu de l’article 5 de la Constitution qui est indirectement rappelé par le Président dans le cadre de cette saisine. Ce rappel scrupuleux évoque ces « labels de constitutionnalité » que sollicite parfois le Premier ministre au Conseil constitutionnel pour certifier une loi dont il n’entend pas supporter la critique, alors même qu’elle est celle de sa majorité. Ici, le chef de l’État ne disposait pas de « modèle » et a donc innové en créant un nouveau type de saisine que l’on pourrait qualifier de semi-blanche ou semi-motivée selon le point de vue. Le Conseil constitutionnel était en l’espèce mis en face d’un panel complet de saisines : une saisine parlementaire motivée, la saisine blanche du président du Sénat et la saisine présidentielle. Entendant faire certifier la conformité d’une loi dont il ne remet jamais en cause la conformité dans sa rédaction, le président de la République se contraint en l’espèce à rappeler, pour chaque disposition de la loi qu’il soumet, l’équilibre qu’elle contient entre sécurité et liberté. Ces griefs – si tant est qu’on puisse les qualifier de la sorte – sont d’ailleurs précédés d’un long rappel des objectifs de la loi et du vote au Parlement et sont suivis de la courte mention de son rôle (reproduite supra). C’est seulement en conclusion que le chef de l’État précise qu’il entend proposer ces dispositions à l’examen du Conseil au vu « du droit au respect de la vie privée, de la liberté de communication et du droit à un recours au juridictionnel effectif ». La saisine propose donc des questions de constitutionnalité – plusieurs articles sont expressément contestés – et des moyens – puisqu’un choix est opéré dans les normes de référence auxquelles confronter ces dispositions.

Déférant, le Conseil a pris la mesure de ce caractère inédit d’une saisine présidentielle en s’obligeant à un examen « spécial » – c’est-à-dire fouillé et de nature à empêcher toute QPC pour le futur – des dispositions critiquées. La décision – outre qu’elle apporte la première saisine présidentielle à l’étude du contentieux – offre au commentateur l’occasion de s’interroger sur le rôle qu’elle doit revêtir. Conforté dans son rôle d’arbitre, c’est-à-dire neutre du point de vue de l’engagement juridique quant au sort de la loi, le président de la République a finalement servi cette loi en lui évitant d’être remise en cause à l’avenir sans pour autant restreindre la liberté d’examen du Conseil, si nécessaire à l’exercice du contrôle a priori. L’initiative peut donc être saluée puisqu’elle tient compte des exigences d’une saisine utile du Conseil, tout en ménageant la neutralité de la fonction du chef de l’État.

La décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015 M. Gilbert A, est venue préciser le champ des interventions extérieures en QPC telles qu’elles sont régies par l’article 6 du règlement intérieur du Conseil. Alors qu’était en jeu la constitutionnalité des articles 81, 56, 57 et 96 du Code de procédure pénale – eu égard à la possibilité que ces dispositions ouvrent de saisir toute pièce d’une juridiction – le Conseil a estimé que la question ne portait, en substance que sur l’article 56. Courantes, ces restrictions de l’objet tempèrent la jurisprudence selon laquelle le Conseil ne vérifie plus après les juridictions de transmission l’applicabilité au litige des dispositions législatives. Restreindre l’objet conduit le juge constitutionnel à contredire les juridictions de transmission, mais également le justiciable dans ses écritures. En l’espèce, le Conseil a refusé deux interventions extérieures qui justifiaient pourtant d’un intérêt spécial, puisqu’elles critiquaient les mêmes dispositions que le requérant dans d’autres QPC. Si la première intervention a pu être rapidement évacuée (une décision de transmission l’avait déjà rejetée) ce n’était pas le cas de la seconde intervention sérieuse et valide, mais qui a été rejetée car ne portant pas sur les dispositions telles que reprécisées par le Conseil. Ainsi, le Conseil a fait rétroagir sa précision de l’objet pour les intervenants qui avaient pourtant forgé en amont leur argumentation sur la base de la requête et de la décision de transmission. Le juge y voyait un élargissement indu de la contestation. Cette décision apparaît donc dommageable à une discussion enrichie de la QPC.

Au titre des actes du contrôle, il est topique de noter la décision n° 2015-482 QPC du 17 septembre 2015 Société Gurdebeke SA dans laquelle le Conseil était saisi des dispositions des A, B et C du tableau du a) du A du 1 de l’article 266 nonies du Code des douanes, tableau directement reproduit dans le texte de la décision, ce qui lui confère un effet graphique certain. Le Conseil a prouvé que la QPC s’appliquait bien à tous types de « dispositions de lois » au sens de l’article 61-1.

Dans le cadre de la décision n° 2015-488 QPC du 7 octobre 2015 M. Jean-Pierre E., le Conseil constitutionnel a confirmé que son examen de constitutionnalité de QPC pouvait porter tant sur la disposition législative contestée que sur la « portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ». Était en cause ici la différence de traitement créée par la jurisprudence entre les époux divorcés débiteurs d’une indemnité exceptionnelle sous forme de rente, et ceux débiteurs de la prestation compensatoire en vertu de l’article 280-1 ancien du Code civil, en ce que les premiers ne pourraient obtenir révision de la somme, contrairement au second. Bien que résultant d’un arrêt isolé, cette jurisprudence rappelée par la Cour de cassation dans son arrêt de transmission, a fait l’objet du contrôle du Conseil qui l’a considérée à l’origine de la différence de traitement. Le juge constitutionnel a examiné la différence de situation – qui était réelle (cons. 9) entre débiteurs de l’indemnité et débiteurs de la prestation compensatoire en raison de leurs différences de fonctions – mais il a été plus loin en examinant si la discrimination, fondée sur l’interprétation de la législation de 1975, était encore fondée au vu des évolutions législatives postérieures. Repoussant le grief de la saisine qui entendait se fonder sur une inégalité créée par la situation du débiteur avant la réforme du système par la loi de 2004, en précisant qu’il ne lui revenait pas de contrôler les différences de traitement résultant de lois distinctes, le Conseil a déduit que « par elle-même » la disposition n’était pas inconstitutionnelle (cons. 11), ce qui laisse entendre que certaines des interprétations – des applications ? – étaient susceptibles de l’être. Il demeure que le Conseil pousse son contrôle de plus en plus loin en ne contrôlant plus la loi elle-même mais la cohérence de son interprétation dans un contexte législatif évolutif. La décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015 M. Gabor R. apporte également un éclairage sur le contrôle des interprétations. Il ressortait de la jurisprudence du Conseil d’État19, que les personnes soumises à une imposition commune sont, même lorsqu’elles sont séparées ou divorcées, réputées continuer à se représenter mutuellement dans le cadre des instances relatives à la dette fiscale des revenus du foyer perçus pendant la période d’imposition commune. En l’espèce, le Conseil constitutionnel rappelle que, bien que dans des situations différentes, les anciens époux ne doivent pas nécessairement être traités différemment par la loi fiscale. Ce faisant, il innove encore une fois en élargissant la portée de son interprétation, non pas à des lois futures comme dans la décision précédente, mais à d’autres conjoints faisant l’objet d’une imposition distincte, à l’instar des époux (visés aux a) et c) du 4 de l’article 6 du CGI) ou des conjoints pacsés. Le Conseil s’est fondé sur « l’effet erga omnes de ses décisions » dont on apprend en l’espèce qu’il l’autorise à élargir ses interprétations à des dispositions dont il n’est pas saisi ! Par ailleurs, la décision précise que la codification par décret de dispositions législatives ne modifie pas leur nature législative, les rendant attaquables en QPC.

La décision n° 2015-508 QPC du 11 décembre 2015, M. Amir F., confirme que l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel constitue un changement de circonstances de droit. En l’espèce, la disposition contestée – reprécisée par le Conseil – avait en effet déjà été jugée par lui dans une précédente décision. Mais c’est l’évolution de la jurisprudence en matière de garde à vue spéciale, intervenue depuis la précédente décision, qui était susceptible de constituer un changement de circonstances. La jurisprudence primitive du Conseil20 autorisait pour des cas particuliers, les gardes à vues exceptionnelles sous réserve qu’elles soient conduites dans le respect des prérogatives de l’autorité judiciaire et que les droits constitutionnellement garantis ne soient limités que de manière nécessaire à l’émergence de la vérité judiciaire et proportionnés à la gravité ou à la complexité de l’infraction. Depuis la décision du 4 décembre 201321, le Conseil distingue les mesures de garde à vue des autres pouvoirs spéciaux d’enquête, en examinant les garanties qu’entouraient les dispositifs pour confirmer leur constitutionnalité. Concernant les gardes à vue, en dehors des délits susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité et à la vie des personnes, toute procédure exceptionnelle est considérée comme attentatoire à la liberté individuelle et aux droits de la défense. Dans la décision étudiée, le Conseil a estimé être saisi d’une seule disposition de loi. La législation énumérant une série de dispositions, il s’est autorisé à préciser le champ de sa saisine à « la référence au 8° bis figurant dans les mots “1° à 13°” au 14° de l’article 706-73 du Code de procédure pénale et dans les mots “1° à 14” au 15° du même article ». Ce faisant, il a isolé un seul item figurant dans un article de loi, ce qui est à ce jour inédit. Si sa décision a mené à une abrogation, le Conseil s’est tout de même autorisé à une forme de réécriture « purement formelle »22 des dispositions codifiées qui se veut certes plus scrupuleuse de l’objet du litige mais qui en arrive à changer le sens de la législation. De plus, le Conseil a accepté ici de réexaminer la disposition sans recourir au changement de circonstances. En effet, les dispositions du 8° de l’article 706-73 ne figuraient pas dans la décision antérieure – elles avaient été rétablies seulement par une loi du 17 mai 2011 – ni dans la décision appliquant sa jurisprudence nouvelle – qui n’avait pas jugé la disposition spécialement. Comme le rappellent les commentaires « en QPC, le Conseil constitutionnel ne saurait contrôler d’autres dispositions » de la loi. La question a donc été jugée au prix d’arrangements avec la jurisprudence et de reprécisions complexes de la loi.

Avec la décision n° 9 LOM du 21 octobre 2015, au titre des actes contrôlés, le Conseil constitutionnel a été saisi pour la 9e fois d’une disposition en vue de son « déclassement outre mer ». De telles décisions permettent, ici sur saisine du président de l’Assemblée de la Polynésie française, en application du 9e alinéa de l’article 74 de la Constitution, de faire reconnaître qu’une disposition de loi prise par l’État entrait en réalité dans les compétences de la Polynésie française. En l’espèce, le Conseil, après un rappel du partage des compétences tel qu’issu de la loi organique du 27 février 2004, précise que les dispositions critiquées n’entraient pas dans la compétence de l’État. Celles-ci se voient par conséquent déclassées au profit d’un meilleur respect des compétences de la Polynésie.

La décision n° 2015-714 DC du 23 juillet 2015, loi organique relative à la nomination du président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, est intéressante en raison de sa liaison avec la décision n° 713 DC. Elle confirme que le gouvernement a souhaité labelliser complètement la procédure du renseignement français en soumettant le « paquet » loi ordinaire et organique pour cette matière. Le Premier ministre confirme ici le rôle parfois non contentieux de sa saisine qui lui permet de passer en revue la législation-phare de son programme.

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel

Dans le cadre de la décision n° 2015-31 I du 13 octobre 2015, au regard du régime des incompatibilités parlementaires, le Conseil constitutionnel rappelle avec soin les conditions de sa saisine. Comme il le fait en matière de procédure législative pour le préalable parlementaire de l’article 40 de la Constitution, il réaffirme qu’en matière d’incompatibilité, il ne peut être utilement saisi que si le bureau de l’Assemblée nationale s’est préalablement prononcé et a émis un doute sur la situation du député. La requête était irrecevable, ce qui confirme une jurisprudence constante.

La décision n° 2015-491 QPC du 14 octobre 2015, M. Pierre G. renseigne sur la saisine directe du Conseil prévue par l’article 23-7 de la loi organique du 7 novembre 1958. Le Conseil y précise à nouveau qu’en cas de décision de refus de transmission, la requête est irrecevable, comme c’était le cas en l’espèce. On note néanmoins la perte de temps qu’a constitué le début d’instruction, au vu du visa qui prouve qu’un grief susceptible d’être soulevé d’office avait été étudié. Mais le requérant était pugnace et la décision de rectification matérielle n° 2015-491 R QPC du 11 décembre 2015 le confirme. Ce dernier entendait y contester l’irrecevabilité de sa requête dans la décision précédente ; le Conseil n’a fait que constater que ce grief ne constituait pas une rectification d’erreur matérielle. L’autorité de l’article 62 de la Constitution est brutale et nette : il est impossible de faire rejuger au Conseil une précédente décision, fût-ce sous le prétexte d’une rectification.

C – Les techniques contentieuses

La décision n° 2015-719 DC du 13 août 2015 loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, est une forme de coup de force contentieux. Le juge constitutionnel y démontre la force de son pouvoir d’examen – qui plus est d’office – qui peut conduire, comme en l’espèce, jusqu’à l’amputation presque totale d’une loi affectée. La saisine, déjà fournie, entendait contester les articles « 8, 9, 10, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36 et 38 » de la loi, en tant qu’ils étaient issus d’amendements sans liens avec le projet de loi initial ; seuls les articles 35 et 38 ont été sauvés. Le Conseil constitutionnel a enfoncé le clou en choisissant d’ajouter d’office l’article 12 à la non-conformité. Il a enfin été porté à réécrire la loi du fait de cette déclaration d’inconstitutionnalité en prévoyant de restreindre aux seuls articles conformes l’entrée en vigueur échelonnée que prévoyait l’article 38 de la loi. Le Conseil aura démontré sa capacité à remettre en cohérence l’ordre juridique après censure et son souci d’une procédure législative respectueuse, quitte à ne sauver qu’une infime partie d’une loi – qu’elle soit de transposition ou pas.

La décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015 loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, offre un cas d’étude intéressant des questions soulevées d’office dans le contentieux a priori. Le Conseil se montre ici à nouveau attaché au respect du grief de séparation des pouvoirs dont on sait qu’il a une existence difficile en contentieux de la QPC. Il considère que, méconnaissait ce grief le fait de soumettre la nomination des membres d’une autorité administrative indépendante à un examen devant les assemblées parlementaires, en dehors des cas où l’article 13 de la Constitution y renvoie expressément. Il avait déjà censuré en ce sens le fait de soumettre à un avis la nomination des membres du Haut-commissariat des finances publiques23. La décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 Société Gecop, offre quant à elle un cas de moyen soulevé d’office en QPC. Dans ce cadre, c’est l’article 7 du règlement intérieur de l’institution qui est pertinent. Il offre au Conseil la possibilité de soulever un nouveau grief d’office. Le Conseil renoue en l’espèce avec ses exigences de rédaction classiques, c’est-à-dire : un rappel de la possibilité de soulever d’office et l’échange des lettres aux visas, une place réservée au rappel de l’article 7 du règlement intérieur dans les motifs et enfin la motivation sur le moyen soulevé d’office. Le moyen choisi en l’espèce, le principe de responsabilité associé à l’article 4 de la Déclaration de 1789, confirme l’éclectisme du Conseil dans l’usage de cette technique qui permet toutefois d’orienter la saisine vers des griefs complexes. C’est ce que confirme la décision n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015 Association Plastics Europe, où le Conseil a soulevé d’office l’incompétence négative du législateur, ce qui est très fréquemment le cas. Il a utilisé ce grief pour confirmer la constitutionnalité de la disposition législative. On note que l’usage du pouvoir d’office peut conduire le Conseil – et l’on peut espérer que cela soit également le cas dans l’a priori – à préférer se poser trop de questions que pas assez.

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

Le Conseil travaille sur l’autorité de ses décisions en fonction de l’évolution de la législation applicable. C’est ce que démontre la décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015, M. Gabor R., où le Conseil constitutionnel a eu à préciser les effets d’une réserve d’interprétation en matière fiscale. Il a énoncé au considérant 14 que ne méconnaissait pas le droit au recours l’installation d’une présomption de représentation mutuelle entre les personnes soumises à imposition commune pour toute procédure de contrôle de l’impôt pendant la période d’imposition commune, qui vaut lorsque les deux personnes anciennement soumises à imposition commune font l’objet d’une imposition distincte au moment de la notification de l’avis de mise en recouvrement. Cette réserve pouvait en effet poser de sérieux problèmes d’autorité de chose jugée du juge de l’impôt puisque dès lors que les deux époux sont considérés comme une seule et même « partie » au contentieux, l’identité de partie au sens de la chose jugée serait systématiquement remplie. Le Conseil a donc tout d’abord limité la portée de la réserve dans le temps en prévoyant qu’elle ne puisse être invoquée qu’à compter de la date de publication de la décision. Néanmoins, pour préserver l’effet utile de la décision pour les cotisations supplémentaires établies antérieurement à la décision, il convient qu’une mise en jeu de la responsabilité solidaire de l’une des personnes antérieurement soumises à l’imposition commune soit préservée. Le Conseil choisit donc d’imposer aux juges d’application de la décision la création d’un délai propre à ménager ce droit de réclamation qu’il entend d’ailleurs ouvrir en comptant sur la jurisprudence du Conseil d’État qui offre aux débiteurs solidaires la possibilité de former une réclamation. On retrouve ici des mécanismes qui font du Conseil constitutionnel un quasi-législateur dans le travail sur la chose jugée. De plus, en l’espèce « il avait été mis fin à l’inconstitutionnalité constatée » par une loi postérieure, ce qui justifie qu’une abrogation n’ait pas été prononcée. Quant aux actes pris avant l’abrogation par la loi postérieure de 2015, le Conseil a considéré que des conséquences manifestement excessives auraient été attachées au fait de les remettre en cause (cons. 15). Dans le même sens, dans la décision n° 509 QPC le Conseil a décidé que la disposition fiscale abrogée ayant cessé de s’appliquer depuis 2001, une abrogation immédiate était souhaitable et, le délai de réclamation étant passé, elle pouvait s’appliquer aux instances en cours (cons. 8).

Le Conseil constitutionnel a fait, dans la décision n° 2015-487 QPC du 7 octobre 2015 M. Patoarii R. application de son pouvoir d’abrogation au jour de la lecture de la décision mais cette fois-ci dans un contexte particulier. Dans la mesure où elle prenait un effet immédiat, la censure des dispositions des 5° et 7° du paragraphe I de l’article L. 624-5 du Code de commerce applicable en Polynésie privait de base légale les dispositions des articles L. 625-4 et L. 625-8 du Code de commerce dans leur rédaction applicable à la Polynésie. Eu égard aux particularités de la législation outre-mer, le Conseil a précisé que la Polynésie n’était pas privée de la possibilité de modification des autres dispositions afin de tenir toutes conséquences utiles de la déclaration d’inconstitutionnalité.

Dans le cadre de décisions de modulation, le Conseil s’est montré à plusieurs reprises soucieux de la préservation du droit au recours. Dans la décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015, Association communauté rwandaise de France, le Conseil a reporté l’abrogation au 1er octobre 2016. Néanmoins, tirant toutes les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité dans le cas où une nouvelle législation serait prise, il a suspendu les délais de prescription applicables à la mise en mouvement de l’action publique par la partie civile dans le cadre de l’apologie des crimes de guerre et contre l’humanité et cela jusqu’à ce que la nouvelle législation entre en vigueur ou au plus tard jusqu’au 1er octobre 2016. Les commentaires font directement le lien avec le sursis à statuer qu’il avait imposé aux juges dans le cadre de la décision 1 QPC du 28 mai 2010 mais le Conseil va plus loin ici en tenant compte des actions en justice possibles et de leur articulation dans le contexte de l’abrogation.

Dans le même sens, dans la décision n° 2015-494 QPC du 16 octobre 2015, Consorts R, le Conseil a reporté l’abrogation de manière à ne pas faire disparaître toute voie de droit pour la restitution de biens placés sous main de justice. C’est encore le cas dans la décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 Société Foot Locker France SAS dans laquelle le Conseil a reporté l’abrogation pour ne pas faire disparaître toute voie de recours contre les décisions de recours à l’expertise et la prise en charge de ces frais (cons. 12). Il est allé plus loin avec la décision n° 2015-499 QPC du 20 novembre 2015 M. Hassan B. En l’espèce, l’abrogation de l’article 308 du Code de procédure pénale pour méconnaissance du droit au recours aurait pu avoir des conséquences néfastes. Aussi, le Conseil a prévu que les actions en nullité que l’abrogation pourrait ouvrir ne soient recevables que dans les conditions posées par le Code de procédure pénale (CPP, art. 802). Il n’a d’ailleurs pas souhaité que soient remis en cause les procès d’assises non encore définitivement jugés avant la date de la décision, de manière à ne pas déstabiliser le droit au recours. Il a également mobilisé le standard des « conséquences manifestement excessives » en raison du risque de blocage d’un certain nombre de procès d’assises mais notamment parce que le législateur pouvait disposer d’une latitude de choix importante qui justifiait qu’un délai lui soit laissé pour choisir le sens de la législation future. La date d’effet choisi correspond à une période où les sessions d’assises sont peu probables pour éviter de déstabiliser le service public de la justice.

Le juge constitutionnel s’est trouvé confronté à ce même souci de la stabilité des procédures dans la décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015 M. Gilbert A. où le choix de l’inapplicabilité de l’abrogation aux mesures prises avant la décision a été précisé par l’effet d’une réserve transitoire, ce qui s’est également doublé du choix de l’effet différé, comme dans le cadre de la précédente décision, de manière à préserver les procédures en cours.

En matière d’autorité de chose décidée par le Conseil constitutionnel, la décision n° 2015-726 DC du 29 décembre 2015, loi de finances rectificative pour 2015, apporte des éclairages majeurs sur le contexte du contentieux a priori. Le Conseil avait à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article L 64 du LPF dont il avait censuré la modification par la loi de finances pour 2014. Il a donc donné son interprétation de l’article 62 de la Constitution. Il a précisé que la déclaration d’inconstitutionnalité de la précédente décision du 29 décembre 2013 était relative à l’élargissement de la notion d’abus de droit qui conduisait à des confusions dans l’application de la procédure de sanction – sévère – qui y est associée, eu égard au principe de légalité des infractions. En l’espèce, la loi ajoute une nouvelle condition à laquelle est subordonné le bénéfice du régime fiscal dérogatoire des sociétés-mères au sein de l’article L 64 LPF. Le Conseil considère que le non-respect de cette condition n’emporte pas l’application des majorations du b) de l’article 1729 du CGI et qu’ainsi les dispositions critiquées ont un objet différent des dispositions censurées dans la décision de 2013. Il confirme ici sa conception objective de la chose jugée : il ne s’attache pas tant à la disposition de loi jugée qu’à son objet. En cela, des dispositions non déjà jugées qui ont le même objet que des dispositions déjà jugées seront considérées comme déjà jugées, alors qu’une même disposition modifiée et qui n’a plus le même objet ne sera pas considérée comme déjà jugée ; c’est le cas en l’espèce. Les griefs tirés de la légalité des peines qui avaient été soulevés en 2013 étaient inapplicables ici dès lors que n’était pas en cause le mécanisme de sanction. Cette précision n’est pas anodine puisqu’elle signifie que l’application des dispositions est jugée conforme en ce qu’elle ne conduit pas à l’application de mécanismes de sanction, ce qui constitue une forme de réserve à son application que le législateur devra entendre.

ACB

III – Les normes de référence

A – Les sources matérielles

1 – Les textes constitutionnels

2 – Les rapports de systèmes

B – Les droits et libertés

1 – Les libertés

a – Sécurité et libertés : décision du Conseil constitutionnel n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, loi sur le renseignement

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

c – Liberté d’expression / liberté de conscience (…)

d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

2 – Le droit de propriété

3 – Le principe d’égalité

a – Principe d’égalité devant la loi

b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – droits et libertés en matière fiscale

c – Principe d’égal accès aux emplois publics (…)

4 – Les droits sociaux

5 – Les principes du droit répressif

a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines (art. 8 de la Déclaration des droits)

b – Principe de la présomption d’innocence (art. 9 de la Déclaration des droits).

6 – Les droits processuels

a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

b – Principe de sécurité juridique

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 6 août 2009, n° 2009-585 DC (cons. 2) ; Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-659 DC, loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ; Cons. const., 29 déc. 2012, n° 2012-662 DC, loi de finances pour 2013 : v. notre chronique, LPA 14 oct. 2013, p. 18.
  • 2.
    Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG) dit « Pacte budgétaire européen » au sein de l’Union économique et monétaire du 2 mars 2012.
  • 3.
    L. org. n° 2012-1403, 17 déc. 2012.
  • 4.
    L. n° 2014-1653, 29 déc. 2014.
  • 5.
    Cons. const., 8 août 1985, n° 85-196 DC, loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 16 – Cons. const., 2 juill. 1986, n° 86-208 DC, loi relative à l’élection des députés et autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales, cons. 24.
  • 6.
    Cons. const., 8 août 1985, n° 85-196 DC, préc., cons 16 – Cons. const., 2 juill. 1986, n° 86-208 DC, préc., cons. 24.
  • 7.
    Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 38.
  • 8.
    Cons. const., 2 juil. 1986, n° 85-208 DC, préc. – Cons. const., 8 janv. 2009, n° 2008-573 DC, loi relative à la commission prévue à l’article 25 de la Constitution et à l’élection des députés, cons. 26.
  • 9.
    Cons. const., 18 déc. 2010, n° 2010-602 DC, loi ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, cons. 22.
  • 10.
    Cons. const., 16 mai 2013, n° 2013-667 DC, loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons. 48 à 51.
  • 11.
    Cons. const., 20 juin 2014, n° 2014-405 QPC, Cne de Salbris, cons. 6.
  • 12.
    Loi du 9 mars 2015 autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire.
  • 13.
    Cons. const., 5 mars 2015, n° 2015-711 DC, cons. 6, 10 et 11.
  • 14.
    Verpeaux M., « La loi portant nouvelle organisation territoriale de la République devant le Conseil constitutionnel : une nouvelle illustration de la parabole du moustique et du chameau », JCP A, nos 38-39.
  • 15.
    Cons. const., n° 2015-31 I, préc.
  • 16.
    Cons. const., 19 nov 2015, n° 2015-4950 AN, Doubs, 4e circ.
  • 17.
    Cons. const., 19 nov. 2015, n° 2015-4951 AN, Doubs, 4e circ. et Cons. const., n° 2015-4949 AN, Doubs, 4e circ.
  • 18.
    Cons. const., 22 déc. 2015, n° 2015-4949R AN, Doubs, 4e circ.
  • 19.
    CE, 20 oct. 2010, Mme Lafarge.
  • 20.
    Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC.
  • 21.
    Cons. const., 4 déc. 2013, n° 2013-679 DC, loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
  • 22.
    Commentaires aux Cahiers de la décision.
  • 23.
    Cons. const., 13 déc. 2012, n° 2012-658 DC, loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.
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