Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2e semestre 2017) (4e partie)
La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.
La chronique présentée ci-dessous couvre le deuxième semestre de l’année 2017.
I – Les institutions constitutionnelles
A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif
B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative
1 – Les validations législatives
2 – La compétence et le domaine de la loi
3 – L’incompétence négative du législateur
C – Le pouvoir juridictionnel
D – Le pouvoir financier
E – Les collectivités décentralisées
F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums
II – Le procès constitutionnel
A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel (…)
B – La procédure devant le Conseil constitutionnel
C – Les techniques contentieuses (…)
D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel
III – Les normes de références
A – Les sources matérielles
1 – Les textes constitutionnels
La décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017, Association Entre Seine et Brotonne et a., est relative à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit du 1° de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui prévoit notamment une obligation de démolition du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique dans plusieurs zones définies dans la même disposition. La QPC ne portait précisément que sur les mots « et si la construction est située dans l’une des zones suivantes ». La modification de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme résultant de la loi du 6 août 2015 visait donc à réserver l’action en démolition aux seuls cas dans lesquels elle est indispensable et, partant, à redonner au permis de construire son caractère exécutoire et au juge administratif des référés son rôle de prévention.
Les associations requérantes, rejointes par certaines parties intervenantes, reprochaient à ces dispositions, qui fixaient de nombreuses conditions restrictives, notamment celle selon laquelle le permis de construire doit avoir été annulé pour excès de pouvoir par une décision du juge administratif, devenue définitive depuis moins de 2 ans, d’interdire sur la majeure partie du territoire national l’action en démolition d’une construction édifiée en méconnaissance d’une règle d’urbanisme, sur le fondement d’un permis de construire annulé par le juge administratif. Il en résulterait une méconnaissance du droit des tiers d’obtenir la « réparation intégrale » du préjudice causé par une telle construction et une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité. Ces dispositions violeraient le principe de contribution à la réparation des dommages causés à l’environnement garanti par les articles 1er et 4 de la Charte de l’environnement.
En outre, elles seraient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif, qui implique celui d’obtenir l’exécution des décisions juridictionnelles1.
Le principe de responsabilité est fondé sur l’article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi » (§ 5). Il résulte de cette disposition, pour le Conseil constitutionnel, qu’en principe, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et doit permettre l’action en responsabilité. Ce principe de responsabilité fondé sur l’article 4 a été consacré dès la décision n° 82-144 DC du 22 octobre 19822.
Toutefois, cette dernière ne peut interdire au législateur d’aménager, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée, y compris en prévoyant des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 17893. Le Conseil constitutionnel n’a d’ailleurs jamais reconnu un droit à réparation intégrale4.
Les restrictions à cette action en démolition ont été jugées conformes à la constitution, dans la décision n° 2017-672 QPC, car elles visent à réduire l’incertitude juridique pesant sur les projets de construction et à prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements et sont donc d’intérêt général (§ 8). Il résulte d’ailleurs des travaux de réflexion préalables à la loi que cet objectif de limitation des recours était au cœur de la loi du 6 août 2015. S’il n’existe pas un principe de sécurité juridique, la lutte contre l’insécurité causée par des recours abusifs est reconnue. Les zones qui sont protégées le sont du fait de leur importance pour la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain ou en raison des risques naturels ou technologiques qui y existent, et la démolition peut également être demandée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile lorsque la construction a été édifiée sans permis de construire ou en méconnaissance du permis délivré, en violation, non d’une règle d’urbanisme ou d’une servitude d’utilité publique, mais d’une règle de droit privé. Enfin, une personne ayant subi un préjudice causé par une construction peut en obtenir la réparation sous forme indemnitaire, notamment en engageant la responsabilité du constructeur ou de la personne publique du fait du préjudice causé par la délivrance fautive du permis de construire irrégulier.
Les dispositions contestées ne portent pas d’atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’obtenir réparation de leur préjudice, ni d’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
L’une des parties intervenantes soutenait par ailleurs que la limitation de l’action en démolition par les dispositions contestées portait une atteinte disproportionnée à l’obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement découlant des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l’environnement. Les deux premiers articles disposent que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Selon le Conseil, il résulte de ces dispositions que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité (§ 14). Si le législateur peut définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation, il ne peut restreindre le droit d’agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée. Le principe de responsabilité en matière environnementale est en outre précisé à l’article 4 de la Charte selon lequel « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi ». Dans sa décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel a admis que les articles 1er, 2, 3 et 4 de la Charte de l’environnement sont invocables à l’appui d’une QPC5.
Si la limitation de l’action en démolition aux seules zones énumérées au 1° de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme a privé la personne lésée par une construction édifiée en dehors de ces zones, conformément à un permis de construire annulé, de la possibilité d’obtenir sa démolition sur ce fondement, le législateur a veillé à ce que l’action en démolition demeure possible dans les zones présentant une importance particulière pour la protection de l’environnement (§ 17). D’autre part, les dispositions contestées ne font pas obstacle aux autres actions en réparation, en nature ou sous forme indemnitaire, mentionnées aux paragraphes 10 et 11 de la présente décision. Les droits et obligations qui résultent des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l’environnement n’ont pas été méconnus par les dispositions contestées du Code de l’urbanisme.
MV
2 – Les rapports de systèmes
Cons. const., 31 juill. 2017, n° 2017-749 DC, accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part. Dans sa décision n° 2017-749 DC du 31 juillet 2017 relative à l’accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part (AECG, aussi appelé CETA), le Conseil constitutionnel définit le contrôle de constitutionnalité qu’il opère sur les accords mixtes et rappelle la spécificité de son contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux.
L’AECG a pour objectif de « créer un marché élargi et sûr pour les marchandises et les services des parties et d’établir des règles claires, transparentes, prévisibles et mutuellement avantageuses pour régir leurs échanges commerciaux et leurs investissements » (§ 16). Pour la première fois, le Conseil avait à connaître d’un accord dit « mixte », c’est-à-dire un accord conclu concomitamment par l’Union européenne et les États membres de l’Union avec un ou plusieurs États tiers.
L’accord avait été ratifié par le Parlement européen le 15 février 2017, comme le rappelle le Conseil (§ 1), et doit encore être ratifié par les États membres de l’Union. Cet accord est au nombre de ceux qui doivent être ratifiés en vertu d’une loi d’après l’article 53 de la constitution, comme semble le rappeler le Conseil qui cite cet article parmi les normes de référence de son contrôle (§ 8). Le vote de la loi de ratification est prévu pour la fin de l’année 2018. Néanmoins, avant la ratification, les autorités de saisine du contrôle de constitutionnalité a priori peuvent saisir le Conseil pour qu’il examine la conformité de l’accord à la constitution en application de l’article 54 C. Plus d’une centaine de députés ont saisi le Conseil en application de cet article, faisant usage du droit dont ils disposent depuis la loi constitutionnelle n° 92-554 du 26 juin 1992.
Le Conseil a pris plus de 5 mois pour rendre sa décision. L’article 54 ne prévoit aucun délai pour que le Conseil se prononce et ne renvoie pas non plus à la procédure prévue à l’article 61 de la constitution qui exige que le Conseil statue dans le délai d’un mois. Néanmoins, l’article 19 de l’ordonnance n° 58-1064 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose : « L’appréciation de la conformité à la constitution est faite sur le rapport d’un membre du Conseil dans les délais fixés par le troisième alinéa de l’article 61 de la constitution ». Cet article semble s’appliquer indistinctement aux procédures de l’article 54 et de l’article 61 qui sont les deux procédures de « déclaration de conformité à la constitution » (chap. 2 de l’ordonnance organique). Le Conseil s’affranchit ici complètement de ce délai sans pour autant motiver cette décision.
Le Conseil a également procédé à dix auditions et reçu seize contributions extérieures6, communément appelées « portes étroites ». Depuis février 2017, le Conseil publie la liste des contributions extérieures, mais la transparence ne s’étend pas à la liste des personnes auditionnées et encore moins au contenu de ces auditions. De plus, contrairement à la plupart des décisions, la décision commentée n’a pas fait l’objet d’un commentaire par les services du Conseil, ce qui peut surprendre étant donnée son importance tant politique que juridique, sa longueur et sa complexité.
Le Conseil n’avait jamais été saisi d’un accord mixte. L’enjeu de cette décision était, d’une part, de savoir quelle allait être l’étendue du contrôle du Conseil sur un accord mixte et, d’autre part, dans le cadre du CETA, de déterminer si les transferts de compétences consentis par la France n’excédaient pas les limites de ce qui peut être consenti dans le cadre d’un accord international.
Cette décision est l’occasion pour le Conseil de définir un contrôle de constitutionnalité ad hoc pour les accords mixtes (I). S’agissant du CETA, elle permet de rappeler la spécificité du contrôle de constitutionnalité des conventions internationales (II).
I. La définition d’un contrôle de constitutionnalité ad hoc pour les accords mixtes
Le Conseil, reconnaissant la nécessité d’un contrôle spécifique pour les accords mixtes (A), module l’intensité de son contrôle selon que les stipulations relèvent d’une compétence exclusive de l’Union ou d’une compétence partagée ou exclusive de la France (B).
A. La nécessité d’un contrôle spécifique pour les accords mixtes
Cette décision est l’occasion pour le Conseil de préciser l’articulation entre les contrôles de constitutionnalité et d’unionité des engagements internationaux.
En application de la jurisprudence IVG de 19757, le Conseil n’opère pas de contrôle de conventionnalité des lois8. Dans la présente décision, le Conseil rappelle qu’il ne contrôle pas non plus « la compatibilité d’un engagement international avec les autres engagements internationaux et européens de la France » (§ 30). Ce principe avait déjà été affirmé pour le contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux dans le cadre de l’article 61 C et est ici étendu au contrôle fondé sur l’article 54 C9.
De plus, le Conseil précise les limites de la compétence dont il estime avoir été investi par l’article 88-1 de la constitution : il s’estime incompétent pour contrôler la conformité d’un accord international au droit primaire de l’Union (§ 30) et précise d’ailleurs qu’« il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne de contrôler la compatibilité de l’accord avec le droit de l’Union européenne » (§ 14).
La conformité d’un accord international aux autres engagements internationaux et au droit de l’Union primaire ou dérivé n’est donc pas considérée par le Conseil comme une question de constitutionnalité.
La nature mixte de l’accord conduit également le Conseil à définir un contrôle spécifique qui se distingue du contrôle classique de constitutionnalité des accords internationaux. L’accord est indirectement affecté par la spécificité du droit de l’Union dans l’ordre interne. La décision est d’ailleurs rendue aux visas de « la constitution, notamment son article 88-1 », du « traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » (ci-après TFUE) et du « traité sur l’Union européenne » (ci-après TUE) soulignant ainsi la singularité du contrôle de conventionnalité ici opéré par le Conseil.
Les normes de références de son contrôle sont donc tant celles qu’il invoque dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité d’un engagement international10 (§ 5 à 8) et des traités européens11 (§ 9-11) que celles qui fondent un contrôle restreint de constitutionnalité des directives européennes12. L’accord n’est pas considéré comme un simple accord international, mais comme un engagement souscrit en « étroite coordination » avec la fin poursuivie par la construction européenne (§ 11). Le Conseil reconnaît ainsi une nouvelle catégorie d’accords intermédiaires qui ne sont ni conclus directement en vue de la construction européenne, ni conclus entièrement hors de celle-ci. Ces accords doivent donc faire l’objet d’un contrôle qui tienne compte de leur spécificité.
Le Conseil doit donc s’assurer que les accords mixtes ne « contiennent [pas] une clause contraire à la constitution, [ne] remettent [pas] en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou [ne] portent [pas] atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », sans quoi ces accords ne pourraient être ratifiés qu’après révision de la constitution (§ 11). Néanmoins, il doit, dans le cadre de ce contrôle, respecter la compétence de l’Union reconnue par la constitution elle-même. C’est pourquoi il module l’étendue de son contrôle.
B. La modulation du contrôle du Conseil en fonction des compétences respectives de l’Union et de la France
En raison du transfert de certaines compétences à l’Union européenne, le Conseil constitutionnel ne s’autorise pas à exercer un contrôle similaire sur les stipulations de l’accord qui relèvent d’une compétence exclusive de l’Union et les stipulations de ce même accord qui relèvent d’une compétence partagée entre l’Union et les États membres ou d’une compétence exclusive des États membres (§ 12).
Les accords qui relèvent entièrement d’une compétence exclusive de l’Union n’ont pas à être ratifiés par les États membres car ces compétences ont été transférées à l’Union. Les accords avec des États tiers relatifs à la politique commerciale commune sont donc conclus uniquement par l’Union selon la procédure prévue aux articles 207 et 218 du TFUE. En conséquence, ils entrent en vigueur sans avoir pu faire l’objet d’un quelconque contrôle par le Conseil constitutionnel. Pour cette raison, le gouvernement, dans ses observations, estimait « qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel d’apprécier la conformité à la constitution de clauses qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union et qui ne lui sont soumises que par voie de conséquence de la présence dans l’accord de celles des clauses qui nécessitent une ratification par la France ».
Le Conseil n’a néanmoins pas adopté cette position et il a suivi le raisonnement qu’il tient à propos des directives européennes. Il ne peut pas être directement saisi d’une directive européenne. Néanmoins, lorsque les dispositions d’une telle directive sont soumises à son contrôle par le truchement de la loi de transposition, il se reconnaît compétent pour s’assurer que la transposition d’une directive ne va pas « à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti »13. S’agissant des « stipulations de l’accord qui relèvent d’une compétence exclusive de l’Union européenne », le Conseil considère donc qu’il doit « veiller à ce qu’elles ne mettent pas en cause une règle ou un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (§ 14). Le contrôle du Conseil est donc restreint pour les stipulations relevant d’une compétence de l’Union.
Pour les stipulations relevant d’une compétence partagée ou d’une compétence exclusive des États membres, le Conseil opère un contrôle entier de conventionnalité (§ 13). Le Conseil module donc son contrôle suivant les stipulations de l’accord.
Restait donc à déterminer quelles stipulations relevaient d’une compétence exclusive de l’Union et quelles stipulations n’en relevaient pas. La question de la compétence du Conseil pour trancher une telle question pouvait être soulevée puisqu’il s’agissait d’interpréter les traités européens sur une question sur laquelle aucune institution européenne ne s’était encore prononcée. Le Conseil aurait certainement pu poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le recours à cette procédure aurait d’ailleurs été facilité par la liberté qu’il avait prise avec les délais pour rendre sa décision. Néanmoins, cela ne lui est pas apparu nécessaire car, par un avis récent, la CJUE s’était prononcée sur un accord de libre-échange similaire avec la République de Singapour.
Le Conseil s’en remet donc à l’autorité de la CJUE pour déterminer l’interprétation qu’il convient de donner aux traités européens. Sa décision est rendue au visa de l’avis n° 2/15 de la CJUE du 16 mai 2017 et il s’y réfère expressément dans le corps de sa décision (§ 17). En s’appuyant sur les « principes dégagés par l’avis » de la CJUE, il estime que « les stipulations de l’accord figurant au chapitre 8 relatives aux investissements autres que directs », « celles qui définissent, à sa section F, la procédure de règlement des différends relatifs aux investissements entre investisseurs et États » et les « stipulations des chapitres 1er, 21, 26, 27, 28, 29 et 30, pour autant que celles-ci concernent une compétence partagée entre l’Union européenne et ses États membres » ne relèvent pas d’une compétence exclusive de l’Union (§ 16). Ces stipulations doivent donc faire l’objet d’un contrôle entier de constitutionnalité de la part du Conseil.
En revanche, les autres dispositions ne font l’objet que d’un contrôle restreint et sont déclarées constitutionnelles dans un considérant « balai ». Le Conseil estime, après avoir examiné les stipulations faisant l’objet d’un contrôle normal, que « les autres stipulations de l’accord (…) ne mettent en cause aucune règle ou principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (§ 73).
II. La réaffirmation de la spécificité du contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux : respect de la souveraineté nationale et exigence de garanties équivalentes
Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des engagements internationaux, le Conseil doit contrôler la conformité de l’accord à la constitution, de manière plus spécifique, il doit s’assurer que la conclusion de l’accord, d’une part, ne remette pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis (B) et, d’autre part, ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale (A) (§ 11 et 13).
A. L’absence d’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale
Le Conseil apprécie « au cas par cas » et d’après une « démarche pragmatique » les atteintes aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Les critères qu’il utilise sont les suivants : « importance de la matière transférée au regard de l’exercice de la souveraineté nationale ; ampleur du transfert opéré : abandon d’une compétence ou simple exercice en commun des compétences nouvellement transférées ; dans ce dernier cas : modalités d’exercice de ces compétences par les organes de la Communauté [ou un organe international], une importance particulière étant attachée au maintien du vote à l’unanimité au Conseil [ou dans l’institution internationale] »14.
En conséquence, plus une matière touche à la souveraineté, plus le Conseil est exigeant quant au maintien d’un contrôle de la part de l’État. Par exemple, « appellent une révision de la constitution les dispositions du traité qui transfèrent à l’Union européenne, et font relever de la “procédure législative ordinaire”, des compétences inhérentes à l’exercice de la souveraineté nationale »15. De même, la modification des règles de décision, en faveur de la réduction du pouvoir de l’État, « dans une matière inhérente à l’exercice de la souveraineté nationale mais relevant déjà des compétences de l’Union ou de la Communauté », appelle une révision de la constitution16. Il a pu ainsi sembler que, hors de ces domaines dits « de souveraineté », les compétences pouvaient être transférées sans qu’il puisse en résulter une atteinte à la souveraineté nationale17. Néanmoins, et alors même que l’engagement international ne touche pas un domaine inhérent à la souveraineté (§ 70), le Conseil s’assure que l’ampleur ou les modalités du transfert de compétences n’affectent pas les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté. Une limitation excessive de l’autonomie normative de l’État pourrait constituer une atteinte à ces conditions essentielles, alors même qu’elle n’interviendrait pas dans un domaine « de souveraineté ».
Le respect des conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale était invoqué d’abord s’agissant des tribunaux prévus par l’accord ; ensuite, à propos de l’encadrement par l’accord de l’édiction de normes législatives et réglementaires ; enfin, concernant les conditions d’application provisoire et les conditions de dénonciation de l’accord.
L’accord prévoit un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États. Les requérants reprochaient à l’accord de permettre « aux investisseurs du Canada, à leur seule discrétion, d’échapper à la compétence des juridictions françaises pour mettre en cause la France devant le tribunal institué par l’accord » (§ 21). Le Conseil avait déjà eu l’occasion de déclarer « “le principe de l’interdiction du recours à l’arbitrage par les personnes publiques” (…) a valeur législative et non constitutionnelle »18. Le recours à l’arbitrage est donc admis dans son principe, mais il ne doit néanmoins pas se réaliser selon des modalités telles qu’il porterait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.
S’agissant des juridictions internationales, le Conseil s’assure, entre autres, qu’elles ne disposent pas de pouvoir de coercition. Il avait par exemple considéré qu’une procédure de poursuite transfrontalière ne procédait pas à un transfert de souveraineté dans la mesure où les agents étrangers ne disposaient ni du droit d’interpellation ni de la possibilité d’entrer dans des domiciles ou des lieux non accessibles au public19. En revanche, lorsqu’il avait examiné le statut de la Cour pénale internationale (ci-après CPI), le Conseil avait estimé que la possibilité de « procéder à certains actes d’enquête hors la présence des autorités de l’État requis et sur le territoire de ce dernier » portait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté « alors même que ces mesures sont exclusives de toute contrainte »20. En l’espèce, le Conseil souligne que les pouvoirs des tribunaux sont restreints et clairement définis : à titre définitif, ils ne peuvent qu’attribuer des dommages et intérêts ou ordonner une restitution de biens ; à titre provisoire, ils ne peuvent ordonner de saisie ou interdire l’application d’une mesure. Enfin, l’exécution de leurs décisions est régie par le droit du territoire où est demandée l’exécution (§ 23).
Le Conseil semble également considérer que porte atteinte à la souveraineté nationale le fait de permettre à une autorité indépendante de faire échec à l’exécution de normes de droit interne qu’elles soient législatives, réglementaires ou juridictionnelles. Dans sa décision relative au statut de la CPI, il avait estimé que sa ratification nécessitait une révision constitutionnelle car ce statut permettait à la Cour de requérir l’arrestation d’une personne, à raison de faits couverts par la prescription ou l’amnistie21. En l’espèce, le Conseil relève que l’accord n’a pas pour objet de « faire obstacle à toute mesure que les États sont susceptibles de prendre en matière de contrôle des investissements étrangers » (§ 22). Plus précisément, le tribunal « ne détient (…) aucun pouvoir d’interprétation ou d’annulation des décisions prises par des organes de l’Union européenne ou de ses États membres » (§ 23) et il est lié par les interprétations fournies par le comité mixte (§ 27). En outre, la décision du tribunal ne peut aller à l’encontre d’une décision rendue par une juridiction française puisque l’investisseur est contraint d’abandonner tout recours parallèle s’il saisit le tribunal (§ 27) et peut toujours saisir une juridiction française en lieu et place du tribunal (§ 28). Les actes édictés par les autorités étatiques ne peuvent donc être annulés ou suspendus par les tribunaux, mais peuvent simplement conduire ce dernier à accorder des dommages et intérêts ou la restitution d’un bien. Les tribunaux n’interfèrent pas avec l’ordre juridique interne. De plus, leur compétence est cantonnée aux cas énumérés par l’accord (§ 24).
Le Conseil s’est aussi assuré que la composition du tribunal offrait des garanties suffisantes s’agissant du respect de la souveraineté nationale. Il relève que la moitié des membres seront désignés par l’Union au terme d’une procédure nécessitant le consentement de chaque État membre (§ 25). Ce mode de désignation permet de s’assurer que l’État ne peut se voir imposer de décisions émanant d’organes dans lesquels les membres qu’ils auraient nommés seraient minoritaires. En outre, le Conseil rappelle l’article relatif aux qualifications nécessaires pour être désigné membre de ce tribunal (§ 26). L’accord garantit à l’État un contrôle partiel sur la composition de cette institution, ce qui garantit que l’exercice en commun de cette compétence ne se réalise pas selon des modalités telles qu’elles porteraient atteinte aux conditions d’exercice de la souveraineté nationale.
L’objet de l’accord, les pouvoirs des tribunaux, leur composition et le champ d’application du mécanisme permettent au Conseil de considérer que les « stipulations instituant ce mécanisme ne méconnaissent pas les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (§ 29).
Les députés requérants faisaient également valoir que « l’accord comporte des règles contraignantes pour l’élaboration des normes de droit interne dans une mesure qui affecte les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (§ 43).
Après avoir rappelé qu’il appartient « aux divers organes de l’État de veiller à l’application de cet accord dans le cadre de leurs compétences respectives »22 (§ 44), il affirme alors que : « l’ordre juridique interne défini par la constitution impose au législateur de respecter les stipulations des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés » (§ 44). Le Conseil rappelle ici que les engagements internationaux font partie de l’ordre juridique interne dès qu’ils sont ratifiés et n’ont pas besoin d’être transposés dans l’ordre interne par d’autres actes réglementaires ou législatif ; cela est conforme à la conception moniste consacrée à l’article 55 de la constitution. Le législateur, comme les autres organes de l’État, sont donc tenus de se soumettre aux obligations des engagements internationaux qui ont pour objet d’encadrer la production normative des parties à cette convention. En conséquence, il estime qu’il lui appartient « de s’assurer que la capacité à édicter des normes de droit interne n’est pas limitée dans une mesure telle qu’il en résulterait une atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (§ 44).
Le Conseil rappelle donc que l’accord n’entrave pas la « capacité des parties à légiférer et à réglementer » (§ 45). Il relève, d’une part, que les mesures de limitation ou de restriction de nature à entraver les accès aux marchés couverts par l’accord, qui sont prohibées par l’accord, relèvent de la compétence exclusive de l’Union et, d’autre part, que cette prohibition comporte des exceptions (§ 46). Il souligne également le caractère « volontaire » de la coopération (§ 47). L’ensemble de ces éléments indique que l’accord n’a pas pour objet de limiter l’autonomie normative de l’État.
L’accord institue également un comité mixte et lui confère des compétences. Ce comité mixte peut notamment prendre des décisions qui lient les parties et adopter des interprétations des stipulations de l’accord qui lient les tribunaux institués par l’accord (§ 48). Le Conseil relève que « les décisions du comité mixte qui lient les parties ne peuvent être adoptées (…) que “par consentement mutuel” entre les représentants de l’Union européenne et les représentants du Canada » et « dès lors qu’une décision du comité mixte relève de la compétence des États membres, la position de l’Union et de ses États membres au sein du comité mixte “est adoptée d’un commun accord” au Conseil » (§ 50). Cela signifie que le comité ne pourra pas imposer à la France une décision à laquelle elle n’aurait pas consenti. En conséquence, l’autonomie normative de la France est préservée. De même, il constate que la stipulation confiant au comité la capacité de donner des interprétations « a pour objet de garantir que l’Union européenne, ses États membres et le Canada, parties à l’accord, ne se voient pas imposer par le tribunal une interprétation distincte de celle qui recueille leur assentiment » (§ 51). Pour faire ce constat, il s’appuie sur la déclaration n° 19 du Conseil et des États membres du 14 janvier 2017, s’en remettant ainsi à l’interprétation donnée par les instances européennes. En conséquence, il ne s’agit pas de confier au comité la capacité d’édicter des normes complémentaires, mais simplement celle de faire respecter les termes de l’accord. Il n’y a donc pas d’entrave à l’autonomie normative de l’État. De même, les dispositions qui ont « pour seul objet de veiller à la bonne application de l’accord », en instituant une procédure de règlement des différends portant sur l’interprétation ou l’application de l’accord et en obligeant les parties à se conformer à certaines décisions du groupe d’arbitrage, « n’ont, par elles-mêmes, pas pour effet d’affecter l’élaboration des normes de droit interne » (§ 52).
L’ensemble de ces mécanismes ne donne donc pas à un organe international la compétence d’édicter des normes de droit interne et les décisions contraignantes qui pourraient être prises ne peuvent l’être qu’avec le consentement de la France.
Enfin, le Conseil devait se prononcer sur le caractère révocable de l’accord, tant s’agissant de la faculté de mettre fin à l’application provisoire de l’accord, que concernant les conditions de dénonciation de cet accord.
Les requérants faisaient valoir que « la faculté des États membres de mettre fin à l’application provisoire de l’accord sur le fondement de ces stipulations est incertaine » (§ 63). Le Conseil ne se prononce pas sur cette faculté, mais il se contente de relever que l’application provisoire ne peut intervenir qu’à propos de stipulations relevant de la compétence exclusive de l’Union (§ 64). Pour ce faire, il s’appuie à nouveau sur une décision européenne, décision (UE) n° 2017/38 du Conseil du 28 octobre 2016 relative à l’application provisoire de l’AECG, au visa de laquelle la décision est rendue. En conséquence, la décision n’a pas a à être ratifiée par chacun des États membres puisqu’elle ne concerne que des stipulations relevant de la compétence exclusive de l’Union. Ces compétences, ayant été transférées à l’Union, n’ont plus à être sous le contrôle de l’État. En outre, il relève que, citant la déclaration n° 20 du Conseil du 14 janvier 2017, si la « ratification échoue de façon définitive (…) l’application provisoire devra être et sera dénoncée » (§ 65). Ainsi, la France ne pourrait être obligée de continuer à appliquer un accord dont la ratification a définitivement échoué. Le Conseil conclut que ces deux éléments permettent de garantir l’absence d’atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté.
Concernant les conditions de dénonciation de l’accord, les députés estimaient que « l’accord lierait irrévocablement la France, ce qui porterait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (§ 68). Le Conseil rappelle les limites relatives à une adhésion irrévocable qu’il avait formulées à propos des engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort23 : « l’adhésion irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à la souveraineté nationale porte atteinte aux conditions essentielles de son exercice » (§ 69). Contrairement aux cas précédents, ici, les conditions sont cumulatives. L’atteinte aux conditions d’exercice de la souveraineté ne résulte pas simplement d’une limitation de l’autonomie normative, qui est la conséquence nécessaire du caractère irrévocable d’un engagement international. Il faut également que l’engagement international irrévocable touche un domaine inhérent à la souveraineté nationale. Tel était le cas d’un engagement qui abolit la peine de mort, car il « lierait irrévocablement la France même dans le cas où un danger exceptionnel menacerait l’existence de la Nation »24. La France pourrait donc théoriquement souscrire des engagements irrévocables, tant qu’ils n’interviennent pas dans un domaine inhérent à la souveraineté nationale. En l’espèce, le Conseil relève que l’accord n’est pas irrévocable et qu’il ne touche pas à un domaine inhérent à la souveraineté nationale (§ 72).
Cette décision est donc l’occasion pour le Conseil de préciser sa jurisprudence sur les atteintes aux conditions essentielles de la souveraineté nationale. Elle résulte d’une limitation excessive des compétences normatives de l’État. Lorsque cette limitation intervient dans un domaine ou une matière inhérents à la souveraineté nationale, le Conseil opère un contrôle accru s’assurant que de telles compétences ne sont pas transférés à un organe autonome25 et interdit notamment que soient souscrits des engagements irrévocables.
B. L’exigence d’une garantie équivalente pour les principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions, d’égalité et de précaution
Lorsqu’une compétence est transférée à un organe international ou assurée en commun avec d’autres États, le Conseil exige que soient maintenues des garanties équivalentes à celles dont bénéficieraient les individus dans l’ordre interne. Dans une jurisprudence antérieure, le Conseil avait défini les conditions essentielles de l’exercice de la souveraineté nationale comme le respect du « devoir pour l’État d’assurer le respect des institutions de la République, la continuité de la vie de la Nation et la garantie des droits et libertés des citoyens »26. Depuis la décision relative au statut de la CPI, l’exigence d’absence de mise « en cause [d]es droits et libertés constitutionnellement garantis »27 est une condition séparée du respect des conditions d’exercice de la souveraineté.
Le Conseil s’assure donc du respect des principes d’indépendance et d’impartialité dans le mécanisme de règlement des différends. Ces principes, fondés sur l’article 16 de la Déclaration de 1789, sont applicables à tous les organes exerçant des fonctions juridictionnelles28. Le Conseil présente donc les garanties d’impartialité et d’indépendance fournies par l’accord : indépendance par rapport aux gouvernements ou aux autres organisations, encadrement des conflits d’intérêts, incompatibilités professionnelles, possibilité de contester la nomination d’un membre devant la Cour internationale de justice, possibilité de révoquer un membre ne respectant pas ses obligations (§ 32). Il admet, pour la première fois, qu’un mandat renouvelable une fois ne constitue pas une atteinte à l’indépendance d’un organe exerçant des fonctions juridictionnelles (§ 32). Il considère que les principes d’indépendance et d’impartialité ne sont donc pas méconnus par l’accord.
Le Conseil s’assure également que l’institution de ces tribunaux arbitraux ne méconnaît pas le principe d’égalité. Le Conseil estime que l’accord n’instaure pas de différence de traitement en ce qui concerne les « droits substantiels » des investisseurs, car « le a du paragraphe 6 de l’instrument interprétatif commun prévoit que l’accord “ne conduira pas à accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers qu’aux investisseurs nationaux” » (§ 36). En revanche, il crée effectivement « une différence de traitement entre les personnes investissant en France en réservant l’accès aux tribunaux qu’elle institue aux seuls investisseurs canadiens » (§ 37).
Une telle différence de traitement peut néanmoins être constitutionnelle à la double condition que l’accord déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général et que la différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de l’accord qui l’établit29. Le Conseil transpose donc son application du principe d’égalité devant la loi aux traités et accords internationaux. À cette occasion, il ne modifie pas la formulation de son considérant de principe se référant au « législateur » et à la « loi » (§ 35) et l’applique à un accord international. Il maintient bien un niveau d’exigence identique à celui qui existe en matière de contrôle de constitutionnalité des lois.
En l’espèce, il estime que la différence de traitement déroge au principe d’égalité « au double motif d’intérêt général tenant, d’un côté, à créer, de manière réciproque, un cadre protecteur pour les investisseurs français au Canada et, de l’autre, à attirer les investissements canadiens en France » (§ 38) et est en rapport direct avec l’objet de l’accord qui l’établit (§ 39). Il considère, en conséquence, qu’il n’y a pas de méconnaissance du principe d’égalité des citoyens devant la loi (§ 40).
Le Conseil s’assure également que le principe de précaution reste préservé, malgré la conclusion de l’accord.
Ce principe a acquis valeur constitutionnelle avec l’intégration de la Charte de l’environnement dans la constitution. Le Conseil l’a appliqué pour la première fois en 200830. Dans la présence décision, le Conseil l’emploie pour la première fois dans le cadre du contrôle de constitutionnalité d’un traité.
Il relève que figure au traité l’objectif de développement durable (§ 56) et estime que « l’absence de mention expresse du principe de précaution dans les stipulations de l’accord n’emporte pas de méconnaissance de ce principe » (§ 57). Cette conclusion semble logique puisqu’il serait assez fastidieux de reproduire dans un traité l’ensemble des principes supérieurs qui s’imposent à lui. Le Conseil relève également que les décisions prises par le comité mixte devront respecter le « principe de précaution protégé par le droit de l’Union » (§ 57). Il considère donc implicitement qu’il existe une équivalence des protections entre la conception française et européenne du principe de précaution.
Par ailleurs, il tente de montrer que le traité ne fera pas obstacle à l’application du principe de précaution dans l’ordre interne. D’une part, il relève que les parties peuvent « prendre des mesures économiquement efficaces visant à prévenir la dégradation de l’environnement en cas de risque de dommages graves ou irréversibles » (§ 58). D’autre part, le traité prévoit « d’assurer et d’encourager des niveaux élevés de protection de l’environnement » et laisse la liberté aux États membres « de définir leurs propres priorités environnementales, d’établir leurs propres niveaux de protection de l’environnement et d’adopter ou de modifier en conséquence leur législation et leurs politiques en la matière » (§ 59). L’accord n’interdit donc pas la mise en place de politique visant à assurer le respect du principe de précaution.
En conséquence, le Conseil estime que le principe de précaution est garanti tant dans le cadre des décisions prises au sein de l’Union qu’au niveau étatique.
MB
La décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017, Société de participations financières, est symptomatique d’un dialogue européen. La constitutionnalité du paragraphe I de l’article 235 ter ZCA qui instituait la contribution sur les revenus distribués de 3 % était en cause. Cette contribution a été créée par le législateur dans un objectif de rendement financier pour pallier la suppression de la retenue à la source de 30 % sur les OPCVM qui résultait d’une jurisprudence de la CJUE.
Tout a commencé par une saisine du Conseil d’État de la part d’un requérant qui posait la question de la méconnaissance du principe d’égalité par le dispositif qui s’applique aux groupes de sociétés et qui peut méconnaître la directive Mère-fille relative aux mères et filiales intra-européennes. Le Conseil d’État, face à une double question de constitutionnalité et conventionalité, a procédé de manière novatrice (reprenant la solution de l’arrêt M. Jacob de 2016) en choisissant de ne pas considérer comme sérieuse la QPC (dans un premier temps) pour poser une question préjudicielle à la CJUE, ce qui suppose qu’après la réponse de celle-ci le requérant pose de nouveau la question de la constitutionnalité. La priorité de la constitutionnalité est donc à notre sens quelque peu malmenée, et les belles paroles des décisions Jeux de hasard, qui prétendaient que les deux questions de constitutionnalité et de conventionalité pourraient être traitées en même temps, sont déjà oubliées.
Sans surprise, la CJUE par un arrêt du 17 mai 2017 a considéré que la contribution était contraire à la directive, ce qui a permis au requérant d’attaquer en REP les interprétations publiées par l’administration fiscale pour obtenir du Conseil d’État qu’il puisse enfin déclarer sérieuse la QPC, ce qu’il a fait par un arrêt du 7 juillet 2017. Il a considéré que la situation jugée par la CJUE était valable pour les sociétés transcommunautaires, ce qui crée une différence de traitement avec les groupes de sociétés établis en France.
Le Conseil constitutionnel avait déjà jugé dans la décision n° 520 QPC de la constitutionnalité du b ter du 6 de l’article 145 du CGI qui posait une question identique de discrimination à rebours relativement à la directive Mère-fille, ce qui avait conduit le Conseil d’État à neutraliser par une réserve l’application des dispositions contestées pour assurer leur conformité au droit de l’Union européenne.
Dans une décision n° 571 QPC, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré le régime d’exonération de la contribution des 3 % sur les revenus distribués entre sociétés d’un groupe fiscalement intégré (qui résulte du 1° du § 1 de l’article 235 ter ZCA) pour méconnaissance du principe d’égalité. Peu après la décision, le Conseil d’État fit cette fois-ci jouer le droit européen des droits de l’Homme (Conv. EDH, art. 14) pour déclarer le mécanisme non conforme, avant d’attendre l’application de l’abrogation à effet différé qui résultait de la décision du Conseil constitutionnel.
En l’espèce, sans surprise, le Conseil constitutionnel a censuré la contribution de 3 % sur le montant des revenus distribués eu égard à la discrimination que la persistance de cette taxe pour les seules situations non intra-communautaires et pour les sociétés non fiscalement intégrées créait entre les différentes sociétés ; différence de traitement qui n’était pas justifiée par une différence de situation. Quant au motif d’intérêt général qui aurait été susceptible de « sauver » la viabilité de la taxe, ce dernier n’était pas non plus avéré et le Conseil constitutionnel a sur ce point été particulièrement scrupuleux. Le législateur avait avancé un objectif fiscal particulier en estimant que la taxe sur les revenus distribués devait inciter les entreprises à réinvestir leur capital autrement ; le Conseil constitutionnel ne l’a pas même considéré comme l’objectif principal de la taxe qu’il a estimé justifiée par de purs motifs de rendement.
La décision n° 2017-749 DC du 31 juillet 2017, Accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part est à marquer d’une pierre blanche.
Le Conseil constitutionnel y a ajouté une nouvelle facette à son contrôle de constitutionnalité des traités et engagements internationaux.
L’article 54 de la constitution de 1958 décrit un contrôle de constitutionnalité des accords internationaux qui conduit le Conseil à contrôler la compatibilité de l’engagement international aux dispositions de la constitution ; en cas d’incompatibilité, le Conseil constitutionnel conclut à la nécessité de réviser la constitution. Depuis 1958, les traités fondateurs (droit primaire) de l’Union européenne ont chacun passé l’étape du contrôle de constitutionnalité devant le juge constitutionnel nécessitant des révisions importantes : citoyenneté, monnaie, élections nationales… jusqu’à l’inscription dans la constitution de dispositions propres au droit de l’Union, les articles 88-1 à 88-7 qui ont conduit le Conseil constitutionnel à créer de nouveaux types de contrôles de constitutionnalité.
Consacrant l’indépendance de l’Union européenne de l’ordre international, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 88-1 de la constitution pour créer une indépendance de l’ordre juridique de l’Union d’avec l’article 54 de la constitution. Sur le fondement de ce nouvel article de la constitution, le Conseil constitutionnel a également développé un contrôle de constitutionnalité des lois transposant les directives de l’Union européenne en s’autorisant à vérifier que la loi correspond aux objectifs de la directive et que ce texte ne méconnaît pas lui-même l’identité constitutionnelle de la France.
Quelques précisions plus tard, notamment eu égard à l’articulation de ce contentieux avec celui de la QPC (comme le consacre magistralement la décision Jeux de hasard), les données semblaient fixées.
C’était sans compter sur les diversités propres à l’Union européenne, organisation internationale autonome, productrice de textes de diverses natures : les directives, les traités fondateurs, les traités spécifiques (à l’instar du TECE) et notamment les traités qui concernent ces compétences exclusives comme le traité CETA. Ce traité, conclu entre le Canada, l’Union européenne et ses États membres, est en effet d’une nature particulière. C’est l’Union européenne, dans ses compétences propres (pour l’essentiel), qui a conclu cet accord avec un État partenaire – ce qui fait rentrer cette organisation internationale dans un processus quasi étatique déjà largement engagé qui renouvelle le travail sur la nature de l’Union. Traité international d’un genre nouveau, cet accord conclu par l’Union implique bien évidemment les États qui en sont membres et qui constituent la base même de l’Union. Restait donc à savoir si les Cours constitutionnelles des États membres étaient légitimes à contrôler ce traité par rapport aux normes nationales et notamment par rapport à des standards qu’elles ont forcément dégagés eu égard à des traités d’une toute autre nature.
Le Conseil constitutionnel, face au contrôle par l’article 54 de la constitution de cet accord international, a donc adapté son contrôle en créant une technique juridictionnelle nouvelle. Fidèle à la nature même de cet accord, il a choisi de distinguer entre les dispositions qui concernent l’Union européenne dans ses compétences propres en tant qu’organisation indépendante, et celles qui impliquent directement les États membres puisque ces dispositions portent sur des compétences partagées.
Pour les premières séries de dispositions, les plus inédites et délicates à intégrer dans le contrôle de l’article 54 qui, rappelons-le, est propre au contrôle des traités internationaux (impliquant directement l’État français avec d’autres États partenaires), le Conseil a dégagé du neuf avec de l’ancien. Il a considéré qu’il méritait de contrôler le texte de l’accord eu égard à « l’identité constitutionnelle française » exactement comme il l’a décidé pour le contrôle de la constitutionnalité du texte des directives. L’identité constitutionnelle de la France apparaît ainsi comme le standard dégagé par le Conseil constitutionnel propre au contrôle des dispositions nationales par rapport à celles propres au droit de l’Union. Censé représenter la bonne mesure entre l’intrusion du droit national dans le droit de l’Union (qui est l’apanage de la Cour de justice de l’Union européenne) et le respect du « minimum » constitutionnel face à l’expansion du droit de l’Union dans le droit national, ce standard apparaît pourtant à plusieurs égards imparfait. D’abord quant à sa consistance, il apparaît si large qu’il peut englober le droit constitutionnel dans son entier et perd ainsi de sa force. Ensuite, quant à son identité dans le droit de l’Union européenne, aucune disposition des traités fondateurs, aucun espace laissé par n’importe quelle institution de l’Union ne permet aux juges nationaux de protéger leur ordre national constitutionnel des dispositions du droit de l’Union. Un tel agissement reviendrait à effectuer un contrôle de constitutionnalité des dispositions du droit de l’Union que la primauté du droit de l’Union interdit par principe (c’est le principe depuis l’affaire Costa de 1964). Le Conseil constitutionnel appliquera pourtant dans l’avenir ce nouveau standard aux dispositions des traités conclus par l’Union européenne en tant qu’institution et pour ses compétences propres.
Pour la deuxième série de dispositions – concernant les compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres – le Conseil constitutionnel exerce un véritable contrôle de constitutionnalité « classique » sur les dispositions de l’accord.
L’article 54 de la constitution connaît donc une nouvelle exception. Le traité CETA aura pour but d’élargir le contrôle du Conseil constitutionnel aux traités conclus par l’Union européenne en tant qu’ils impliquent nécessairement la France, mais cela en restreignant son contrôle traditionnel de l’article 54 à la seule compatibilité de cet engagement à l’identité constitutionnelle de la France.
ACB
B – Les droits et libertés
1 – Les libertés
a – Sécurité et libertés
b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité
c – Liberté d’expression / Liberté de conscience (…)
d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle
2 – Le droit de propriété (…)
3 – Le principe d’égalité
a – Principe d’égalité devant la loi
b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale
4 – Les droits sociaux
5 – Les principes du droit répressif
a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines
b – Principe de proportionnalité des sanctions
6 – Les droits processuels
a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions
(À suivre)
Notes de bas de pages
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1.
Sur cette question, v. infra, « Droits processuels ».
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2.
Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel, cons. 3, mais qui ne fait pas référence à l’article 4.
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3.
Cons. const., 20 juill. 1983, n° 83-162 DC, loi relative à la démocratisation du secteur public, cons. 79 formulant cette restriction avec prudence ; Cons. const., 22 juill. 2005, n° 2005-522 DC, cons. 10 l’affirmant de manière beaucoup plus explicite.
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4.
Cons. const., 7 sept. 2017, n° 2017-751 DC, loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, § 29 à 33.
-
5.
Cons. const., 8 avr. 2011, n° 2011-116 QPC, M. Michel Z. et a., cons. 5 et 6.
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6.
Communiqué de presse de la décision.
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7.
Cons. const., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC, loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.
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8.
La présente formulation de cette jurisprudence se trouve pour la première fois dans Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, cons. 11.
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9.
Cons. const., 17 juill. 1980, n° 80-116 DC, loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, cons. 7 ; Cons. const., 25 juill. 1991, n° 91-294 DC, loi autorisant l’approbation de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, cons. 60.
-
10.
V. par exemple Cons. const., 9 avr. 1992, n° 92-308 DC, traité sur l’Union européenne, « Maastricht I », cons. 9 à 12 ; Cons. const., 22 janv.1999, n° 98-408 DC, traité portant statut de la Cour pénale internationale, cons. 8 à 14.
-
11.
Cons. const., 9 avr. 1992, n° 92-308 DC, cons. 13 et 14 ; Cons. const., 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC, traité établissant une constitution pour l’Europe, cons. 9 ; Cons. const., 20 déc. 2007, n° 2007-560 DC, traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, cons. 7 à 9.
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12.
Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, loi pour la confiance dans l’économie numérique, cons. 7 ; Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 16 à 20.
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13.
Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, cons. 19.
-
14.
Commentaire de la décision Cons. const., 31 déc. 1997, n° 97-394 DC, traité d’Amsterdam modifiant le Traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, p. 4.
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15.
Cons. const., 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC, traité établissant une constitution pour l’Europe, cons. 27.
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16.
Cons. const., 19 nov. 2004, n° 2004-505 DC, cons. 29. V. aussi Cons. const., 31 déc. 1997, n° 97-394 DC, cons. 28.
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17.
V. en ce sens, Roux J., « Accord économique et commercial global (AECG/CETA) », JCP G 2017, 1821-1827, spéc. n° 41.
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18.
Cons. const., 2 déc. 2004, n° 2004-506 DC, loi de simplification du droit, cons. 32.
-
19.
Cons. const., 25 juill. 1991, n° 91-294 DC, loi autorisant l’approbation de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, cons. 38.
-
20.
Cons. const., 22 janv. 1999, n° 98-408 DC, traité portant statut de la Cour pénale internationale, cons. 38.
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21.
Cons. const., 22 janv. 1999, n° 98-408 DC, traité portant statut de la Cour pénale internationale, cons. 34.
-
22.
V. égal. Cons. const., 3 sept. 1986, n° 86-216 DC, loi relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, cons. 6 ; Cons. const., 29 déc. 1989, n° 89-268 DC, loi de finances pour 1990, cons. 79 ; Cons. const., 9 août 2012, n° 2012-653 DC, traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, cons. 18.
-
23.
Cons. const., 13 oct. 2005, n° 2005-524/525 DC, engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort, cons. 5.
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24.
Cons. const., 13 oct. 2005, n° 2005-524/525 DC, engagements internationaux relatifs à l’abolition de la peine de mort, cons. 7.
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25.
V. par ex., Cons. const., 31 déc. 1997, n° 97-394 DC, cons. 21.
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26.
Cons. const., 22 mai 1985, n° 85-188 DC, protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort, signé par la France le 28 avril 1983, cons. 2.
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27.
Cons. const., 22 janv. 1999, n° 98-408 DC, cons. 13.
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28.
Cons. const., 21 févr. 1992, n° 92-305 DC, loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, cons. 64 ; Cons. const., 29 août 2002, n° 2002-461 DC, loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 15.
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29.
V. par ex., Cons. const., 7 janv. 1988, n° 87-232 DC, loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole, cons. 10.
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30.
Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, loi relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 18.