Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (2e semestre 2017) (5e partie)

Publié le 29/03/2019

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre le deuxième semestre de l’année 2017.

I – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative

1 – Les validations législatives

2 – Le contrôle de la procédure législative

3 – La compétence et le domaine de la loi

4 – L’incompétence négative du législateur

C – Le pouvoir juridictionnel

D – Le pouvoir financier

E – Les collectivités décentralisées

F – Droits électoraux, contentieux des élections et des référendums

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel (…)

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel

C – Les techniques contentieuses (…)

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

III – Les normes de références

A – Les sources matérielles

1 – Les textes constitutionnels

2 – Les rapports de systèmes

B – Les droits et libertés

Nouvelle censure du nouveau délit de consultation habituelle de sites internet terroristes : du neuf avec du vieux

Cons. const., 15 déc. 2017, n° 2017-682 QPC, M. David P. [Délit de consultation habituelle des sites internet terroristes II]. Saisi le 9 octobre 2017 par la Cour de cassation (Cass. crim., 4 oct. 2017, n° 17-90017, arrêt n° 2518 du 4 octobre 2017) d’une QPC portant sur l’article 421-2-5-2 du Code pénal résultant de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique ayant remis en vigueur le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, le Conseil constitutionnel a rendu une deuxième décision de censure qui s’inscrit dans la lignée de la première.

L’article 421-2-5-3 du Code pénal, dans sa première comme dans sa seconde mouture, vise à réprimer pénalement la consultation habituelle de sites internet mettant en avant l’idéologie terroriste.

Dans sa première décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la constitution l’article 421-2-5-2 du Code pénal pour atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication. Il a estimé que ce délit, non nécessaire, était non proportionné à son objectif, puisqu’il réprimait une simple intention sans pour autant permettre de punir la menace terroriste réelle.

Le législateur n’a pas entendu s’avouer vaincu à la suite de la censure du Conseil constitutionnel et a profité de la discussion concomitante par le Parlement de la loi relative à la sécurité publique pour y inclure, au stade de la commission mixte paritaire (le 13 février 2017), le délit de consultation habituelle de sites terroristes « II ». On notera que ce type de « deuxième législation » à la suite d’une décision de censure du Conseil constitutionnel est assez rare (ce fut le cas avec la loi Hadopi qui fut suivie quelques semaines plus tard d’une loi Hadopi II). Une telle insistance tend à démontrer que le législateur dispose du dernier mot, au point qu’il lui faille moins de quelques jours pour remettre en vigueur un délit récemment censuré. Toutefois, contraint par le dogme de l’article 62 de la constitution, il est tenu de travailler avec la chose jugée par le Conseil constitutionnel ; il reprend donc chacun des éléments censurés pour leur apporter une réponse tout en conservant la cohérence d’un dispositif dont la nature est déjà problématique. Le pari de ces deuxièmes moutures semble ainsi par avance risqué lorsque la censure du juge constitutionnel porte sur un élément de fond du dispositif législatif. En l’espèce, la censure de l’absence de nécessité et de proportionnalité du délit apparaissait suffisamment lourde pour condamner l’avenir du délit, quelle que soit sa forme. Sa réintroduction aurait peut-être mérité que le législateur s’y attarde plus longuement, notamment quant à avérer la nécessité du délit en droit français, sur laquelle la haute juridiction n’a pas été convaincue.

Dans cette seconde décision, le Conseil constitutionnel a à la fois repris son raisonnement ancien (I) et dénigré toute valeur aux aménagements que le législateur avait entrepris (II).

I. La reprise d’un raisonnement troublant

Le texte adopté, le 16 février 2017, a rétabli le délit en se fondant sur la nécessité de disposer d’outils de prévention et de répression de l’action terroriste au seul stade de l’intention. Néanmoins, le législateur a pris soin de prendre en compte la censure de la cause exonératoire de consultation des sites lorsqu’elle est « de bonne foi », en introduisant la notion de « motifs légitimes » pouvant justifier la consultation de sites. Il a non seulement substitué une notion à une autre mais a également publié une liste de « motifs » légitimes pour la consultation des sites litigieux. De plus, le législateur a ajouté une nouvelle condition à la pénalisation de la consultation habituelle, celle de la preuve d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée par le consultant du site au moment de la commission des faits.

Même habillé de ses nouvelles restrictions, la réintroduction d’un tel délit dans l’ordre juridique restait susceptible de discussion. La requête avait d’ailleurs profité de la similitude de ce délit avec l’ancien pour débattre à nouveau de sa nécessité. Si lors du premier examen, le Conseil constitutionnel avait considéré, avec circonspection, la nécessité du délit en énumérant la longue liste des dispositifs pénaux concurrents, il semblait évident que la deuxième mouture allait connaître le même sort. Ajoutons que la nécessité de restreindre la liberté de communication doit être particulièrement avérée par le législateur, eu égard au caractère fondamental de cette liberté consacrée comme étant le fondement de toutes les autres1. Ainsi, la nécessité d’encadrer cette liberté pour des raisons de sécurité publique n’est pas jugée en elle-même suffisante si le législateur n’y ajoute pas des justifications particulières2.

Consciente de la faiblesse de la législation quant à la nécessité du délit, la Cour de cassation avait d’ailleurs transmis au Conseil constitutionnel la QPC (le 4 octobre 2017) sur ce fondement notamment au vu de la faiblesse des nouveaux « motifs légitimes » que le législateur avait listés. Dans le même sens, les requérants entendaient obtenir une motivation de la part du Conseil constitutionnel au sujet de la nécessité du délit avant qu’il ne se prononce sur la proportionnalité ou l’adéquation du délit, imaginant sans doute qu’une censure sur le seul fondement de la nécessité était possible, voire attendue.

Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi ce raisonnement en deux temps et a poursuivi dans la voie ouverte par la décision Hadopi I3 en consacrant une égale valeur à la nécessité, à la proportionnalité et à l’adaptation du délit à l’objectif poursuivi par le législateur dans la motivation de sa décision.

Immanquablement, le juge a recouru à un raisonnement similaire à celui qu’il avait inauguré lors de la première décision, en estimant que le législateur disposait déjà d’un arsenal répressif important de « l’intention terroriste » et cela en se fondant sur la liste importante de dispositifs existants. Le Conseil constitutionnel signe ainsi son intention de rendre l’examen de constitutionnalité dépendant d’éléments extérieurs. Il semble d’ailleurs qu’il n’estime plus gênant de substituer sa propre appréciation de la nécessité d’un délit à celle du législateur ; en l’espèce, il a en effet estimé dépourvu d’une quelconque « nécessité » dans l’ordre juridique existant, un délit que le législateur avait estimé utile, au point de le réintroduire dans l’ordre juridique à deux reprises.

II. L’insuffisance des nouveaux motifs avancés

Le délit nouveau n’a pas non plus passé avec succès l’examen de sa proportionnalité et de son adaptation à l’objectif du législateur.

À ce stade, toute la question était de savoir si le travail du législateur sur la cause exonératoire tirée du « motif légitime » de consultation aurait pu « sauver » le dispositif nouveau.

À notre sens, cette cause pouvait largement se réclamer d’une amélioration par rapport à la seule nécessité de la preuve, plus aléatoire, d’une bonne foi dans la consultation du site. De nombreux délits utilisent le « motif légitime » comme cause exonératoire de la responsabilité et ne sont pas pour autant taxés d’inintelligibilité ou d’arbitraire dans leur sanction par le juge pénal. Dans la logique du droit pénal, le juge est d’ailleurs censé, au vu de l’exigence d’individualité des peines, pouvoir (devoir ?) adapter le quantum de la peine aux circonstances, apprécier isolément chaque situation juridique, ce qui laisse entendre que la loi donne la règle générale et que le juge précise son application au cas par cas.

En l’espèce, le gouvernement faisait précisément valoir qu’il s’agissait d’un motif traditionnel en droit pénal que le Conseil constitutionnel a néanmoins considéré de nouveau insuffisant. En effet, prouver le motif légitime de consultation du site renverse la charge de la preuve sur la personne accusée, ce qui constitue un danger de la procédure pénale lorsqu’elle se préoccupe de prévenir la commission d’infraction, et affaiblit par voie de conséquence la présomption d’innocence.

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a considéré que la portée de cette cause exonératoire de la responsabilité pénale était trop indéterminée (§ 15). Il a en effet estimé que l’intention terroriste n’était pas l’élément central de l’infraction et que ce faisant le justiciable était incapable d’anticiper son agissement dès lors que le motif légitime apparaît impossible à déterminer à l’avance.

Enfin, portant le coup de grâce à la viabilité du délit dans l’ordre juridique, le Conseil constitutionnel a pointé l’incohérence du législateur à propos de la liste des « motifs légitimes ».

Le législateur avait par ailleurs veillé à faire évoluer la rédaction des éléments de l’incrimination contestée afin de répondre à la motivation du Conseil constitutionnel sur l’absence de caractère adapté et proportionné de l’atteinte portée à la liberté de communication. L’élément constitutif complémentaire de l’infraction tiré de la « manifestation de l’adhésion à l’idéologie » exprimée par la consultation du site n’a cependant pas été jugé suffisant par le Conseil constitutionnel, d’abord parce que cette manifestation ne constitue pas la racine même du délit et surtout parce qu’elle apparaît particulièrement insaisissable et insusceptible d’établir la volonté d’un individu de commettre un acte terroriste.

Se pose alors la question générale de la décision : est-ce bien légitime que le Conseil constitutionnel détermine lui-même la cohérence et la nécessité de la législation pénale ?

ACB

1 – Les libertés

a – Sécurité et libertés

Droit des étrangers : l’inconstitutionnalité partielle des assignations à résidence illimitées

Cons. const., 30 nov. 2017, n° 2017-674 DC. Le 30 novembre 2017, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la constitution du régime particulier des assignations à résidence sans limitation de durée qui peuvent être prononcées à l’encontre d’étrangers faisant l’objet d’une interdiction du territoire ou d’un arrêté d’expulsion4. Derrière cette affaire se jouait le sort du « plus ancien assigné à résidence de France ». L’assignation à résidence est une mesure destinée à limiter les déplacements d’un individu en l’obligeant à résider dans un lieu déterminé et à se présenter périodiquement aux forces de l’ordre afin de contrôler son respect. Elle peut être prononcée par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention comme alternative à l’emprisonnement. Dans le cadre de l’État d’urgence, le ministre de l’Intérieur peut également y avoir recours quand il existe des « raisons sérieuses de penser » que le comportement d’une personne « constitue une menace pour l’ordre public ». Enfin, cette mesure existe en droit des étrangers depuis l’ordonnance du 2 novembre 1945, modifiée notamment par la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité et par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France. C’est plus précisément l’article L. 561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa rédaction résultant de cette dernière loi, qui constituait l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité transmise au Conseil constitutionnel.

Afin de comprendre les enjeux qui s’attachaient à la saisine du Conseil constitutionnel, il convient de revenir aux origines de cette affaire. Le 14 décembre 2005, le requérant est condamné pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme à 6 ans d’emprisonnement. Il fait également l’objet d’une interdiction définitive du territoire français et il est déchu de la nationalité française. Le 3 décembre 2009, cependant, la Cour européenne des droits de l’Homme juge qu’il existe des motifs sérieux et avérés de penser que son expulsion en Algérie lui ferait courir un risque réel se subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Le requérant ne pouvant être expulsé, depuis sa sortie de prison en 2008, il a fait l’objet, de façon ininterrompue, d’assignations à résidence prises sur le fondement de l’article L. 561-1. À l’occasion d’un recours en annulation contre certains de ces arrêtés l’assignant à résidence, il a soulevé une QPC portant sur cette disposition devant le tribunal administratif de Paris, qui a transmis la question au Conseil d’État. Ce dernier, jugeant que la question présentait un caractère sérieux, l’a renvoyée au Conseil constitutionnel.

Selon le requérant, en ne fixant pas de limite de durée à l’assignation à résidence et en ne prévoyant pas un réexamen périodique de la situation de l’assigné, le législateur aurait méconnu la liberté d’aller et venir, le droit au respect de la vie privée et le droit à une vie familiale normale. En application de l’article 6 du règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, deux associations justifiant d’un intérêt spécial ont adressé leurs observations en intervention. Avec le requérant, elles faisaient valoir, en particulier, que la possibilité reconnue à l’Administration de changer discrétionnairement le lieu d’assignation à résidence portait atteinte au droit au respect de la vie privée. Elles estimaient, en outre, que le législateur avait méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif. Enfin, l’une des deux associations reprochait à la loi de violer le principe d’égalité.

La confrontation de l’article L. 561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à ces droits et libertés que la constitution garantit a conduit le Conseil constitutionnel à censurer une partie du dispositif et à conditionner la constitutionnalité du restant au respect de deux réserves d’interprétation. D’une part, le Conseil a abrogé la disposition qui autorisait, in fine, les assignations à résidence sans limitation de durée (I). D’autre part, il a limité la marge de manœuvre de l’Administration en matière de détermination du lieu de l’assignation et de la plage horaire de l’astreinte à domicile (II).

I. L’encadrement des conditions d’existence des assignations à résidence illimitées

Le Conseil constitutionnel était confronté à un régime spécifique d’assignation à résidence des étrangers prévu par la troisième phrase du neuvième alinéa de l’article L. 561-1. En vertu de ce dispositif, par exception au principe de leur limitation dans le temps, les assignations peuvent être prononcées sans limitation de durée si l’étranger a fait l’objet d’une condamnation à l’interdiction du territoire français ou d’un arrêté d’expulsion. Si le Conseil a estimé que les assignations illimitées ne portaient pas atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe d’égalité (A), il a en revanche considéré qu’elles portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir (B).

A. L’absence de violation des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789

Le droit à un recours effectif est protégé par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Le Conseil constitutionnel refusant de prendre le droit supranational comme norme de référence dans le cadre de son contrôle, depuis sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996, il considère que le droit à un recours juridictionnel effectif est garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Dans le cas présent, il a considéré que l’assignation à résidence sans limitation de durée ne portait pas atteinte à ce droit dans la mesure où l’absence de décision de renouvellement de l’assignation à résidence n’interdisait pas à l’étranger de demander la levée de l’assignation (§ 19). Autrement dit, l’assigné à résidence sans limitation de durée dispose de la faculté de demander le réexamen de sa situation par l’Administration et, en cas de réponse défavorable, il lui est loisible de contester cette décision devant le juge.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a estimé que l’assignation à résidence sans limites de temps ne méconnaissait pas le principe d’égalité qu’il rattache à l’article 6 de la Déclaration de 1789. Selon une jurisprudence constante inspirée par celle du Conseil d’État, le principe d’égalité autorise à traiter différemment des personnes se trouvant dans une situation différente à condition que cette différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit5. Or, le Conseil constitutionnel a relevé que les étrangers assignés à résidence sans limitation de durée se trouvaient dans une situation différente de celle des autres étrangers « compte tenu de la gravité de la menace que leur présence constitue pour l’ordre public » (§ 22). Sans étayer son analyse, il a considéré que la différence de traitement établie était en rapport avec l’objet de la loi (§ 22).

La confrontation de l’article L. 561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec la liberté d’aller et venir, en revanche, a conduit le Conseil à abroger une partie du dispositif.

B. La nécessaire justification de « circonstances particulières »

La question de la conformité à la liberté d’aller et venir de la possibilité reconnue à l’Administration d’assigner à résidence, sans limitation de durée, un étranger faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire ou d’un arrêté d’expulsion apparaissait plus délicate.

Dans un contexte certes différent, le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité d’assignations à résidence sans limitation de durée lors de son contrôle de deux dispositions de la loi du 19 décembre 2016 prorogeant l’application de l’État d’urgence. Ces dispositions prévoyaient, plus précisément, les conditions dans lesquelles les assignations à résidence décidées dans le cadre de ce régime d’exception pouvaient être renouvelées au-delà d’une durée totale de 12 mois. Dans sa décision n° 2017-624 QPC du 16 mars 2017, il avait estimé que le législateur ne portait pas atteinte à la liberté d’aller et venir sous trois réserves. D’abord, le comportement de l’assigné à résidence doit constituer une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics (§ 15). Ensuite, l’Administration doit pouvoir produire des informations complémentaires justifiant la prolongation de la mesure (§ 16). Enfin, elle doit tenir compte, notamment, de la durée totale de l’assignation à résidence et des obligations complémentaires dont la mesure est assortie (§ 17).

En l’espèce, la dernière phrase du huitième alinéa de l’article L. 561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permettait à l’Aministration d’assigner à résidence sans limitation de durée un étranger faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire ou d’un arrêté d’expulsion. Concernant l’étranger assigné à résidence en raison d’un arrêté d’expulsion, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi ne portait pas atteinte à la liberté d’aller et venir. Selon lui, en effet, le maintien de l’arrêté d’expulsion atteste de la persistance de la menace à l’ordre public (§ 10). Il est loisible à l’étranger assigné à résidence de demander l’abrogation de la mesure et, en cas de refus, de demander sa suspension et son annulation devant le Conseil d’État. Concernant l’étranger assigné à résidence en raison d’une interdiction judiciaire du territoire, le Conseil a déploré que le législateur n’ait pas prévu « qu’au-delà d’une certaine durée, l’Administration doive justifier de circonstances particulières imposant le maintien de l’assignation aux fins d’exécution de la décision d’interdiction du territoire » (§ 10). Le Conseil ne disposant pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, il ne pouvait pas, dans le cadre d’une réserve d’interprétation, déterminer lui-même cette durée (§ 25). Il a donc déclaré contraire à la constitution cette partie du dispositif6.

Les conditions d’existence des assignations à résidence illimitées des étrangers ayant été précisées, le Conseil constitutionnel s’est attaché à préciser le régime des assignations à résidence.

II. L’encadrement des conditions d’application des assignations à résidence illimitées

Dans le cadre de cette saisine, le Conseil constitutionnel a apprécié la constitutionnalité des dispositions en cause à la lumière de l’application qui en est faite par l’Administration. Cette appréciation l’a conduit à émettre deux réserves d’interprétation, la première concernant la détermination du lieu de l’assignation à résidence par l’autorité administrative (A), la seconde étant relative à la plage horaire de l’astreinte à domicile (B).

A. La limitation de l’autonomie de l’Administration en matière de fixation du lieu de l’assignation

Aux termes de la troisième phrase du neuvième alinéa de l’article L. 561-1, l’étranger assigné à résidence peut « être astreint à résider dans des lieux choisis par l’autorité administrative dans l’ensemble du territoire de la République ». La mesure apparaissait potentiellement attentatoire, en particulier, au droit de mener une vie familiale normale qui trouve son fondement, selon le Conseil constitutionnel, au dixième alinéa du préambule de la constitution de 1946 qui dispose que « [l]a Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement »7. En l’espèce, le requérant se plaignait de l’éloignement géographique de sa famille, sa femme et ses enfants vivant à plus de 400 km de son lieu de résidence.

Le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés garantis par la constitution, sous réserve toutefois que l’Administration tienne compte « du temps passé sous ce régime et des liens familiaux noués » par l’étranger (§ 11). Autrement dit, l’Administration se voit imposer de réexaminer périodiquement la situation de l’étranger assigné à résidence, en gardant à l’esprit que « la durée indéfinie de la mesure d’assignation à résidence en accroît la rigueur » (§ 11). En pratique, le Conseil d’État s’estime lié aux réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 15 mai 2013, par exemple, il a rappelé que « les réserves d’interprétation (…) sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et lient le juge administratif pour l’application et l’interprétation de cette disposition »8. Par conséquent, en cas de méconnaissance de cette interprétation de la loi par l’Administration, les recours exercés devant la juridiction administrative seront susceptibles d’être accueillis.

La technique de la réserve d’interprétation a donc été utilisée, ici, afin de limiter la rigueur de la disposition législative relative à la détermination du lieu de l’assignation à résidence. Dans cette même optique, le Conseil constitutionnel a fixé l’interprétation qu’il convenait de donner à la première phrase du neuvième alinéa de l’article L. 561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

B. La limitation de la durée quotidienne des astreintes à domicile

Le Conseil constitutionnel rattache le principe de liberté individuelle, dont la protection est assurée par le juge judiciaire, à l’article 66 de la constitution. Les atteintes portées par la loi à cette liberté sont soumises au triple contrôle de proportionnalité. Dans le cadre de ce contrôle, inspiré des jurisprudences allemandes et de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil apprécie l’adéquation, la nécessité et la proportionnalité au sens strict de la disposition en cause au regard des objectifs poursuivis.

Selon le requérant et les associations intervenantes, l’astreinte à domicile dont est susceptible de faire l’objet l’étranger assigné à résidence en vertu de l’article L. 561-1 portait atteinte à l’article 66 de la constitution. En réponse à ce moyen, le Conseil constitutionnel n’a pas exercé de contrôle de proportionnalité. Il s’est borné à exprimer une nouvelle réserve d’interprétation, en considérant que la plage horaire de l’astreinte à domicile « ne saurait dépasser 12 heures par jour sans que l’assignation à résidence ne soit regardée comme une mesure privative de liberté contraire à l’article 66 » (§ 15). Ce refus de qualifier l’astreinte à domicile de mesure privative de liberté semble s’expliquer par le fait qu’une telle reconnaissance aurait impliqué de faire intervenir le juge judiciaire, conformément à l’article 66 attribuant à ce dernier la mission d’assurer le respect de la liberté individuelle.

Au moyen d’une censure avec effet différé et de deux réserves d’interprétation, le Conseil constitutionnel a donc partiellement modifié le mécanisme de l’assignation à résidence illimitée des étrangers faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction du territoire français. En réponse à cette abrogation partielle, le législateur a adopté un dispositif conforme aux attentes des juges de la rue de Montpensier. Le 5° de l’article L. 561-1 prévoit désormais qu’« [a]u delà d’une durée de 5 ans, le maintien sous assignation à résidence fait l’objet d’une décision spécialement motivée faisant état des circonstances particulières justifiant cette prolongation ». Il reste à déterminer, désormais, le traitement qui sera réservé par la juridiction administrative à ces décisions « spécialement motivées ».

Dans la période récente, le Conseil constitutionnel a apprécié la conciliation opérée par le législateur entre les exigences de protection des atteintes à l’ordre public et de la liberté à la suite de la transmission de deux questions prioritaires de constitutionnalité.

Dans la décision n° 2017-677 QPC du 1er décembre 2017, le Conseil a été saisi de la conformité à la constitution de l’article 8-1 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 juillet 20169. À l’issue de cet article, dans les zones où l’État d’urgence a été déclaré, le préfet dispose de la faculté d’habiliter certains agents des forces de l’ordre à procéder à des contrôles d’identité, des fouilles de bagages et des visites de véhicules. Selon le requérant, l’absence de subordination de ces mesures à des circonstances particulières portait atteinte, en particulier, à la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel a donné raison au requérant en estimant que le législateur, en permettant la conduite de ces opérations « de manière généralisée et discrétionnaire », n’avait pas assuré une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et les droits et libertés garantis par la constitution dont la violation était alléguée (§ 6)10.

Dans la décision n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017, le Conseil constitutionnel s’est prononcé une nouvelle fois sur la constitutionnalité du délit de consultation habituelle des sites internet terroristes. Ce dispositif, introduit à l’article 421-2-5-2 du Code pénal, avait été déclaré contraire à la constitution dans la décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017. Le Conseil constitutionnel avait alors considéré que l’atteinte portée à la liberté de communication n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée au regard des objectifs poursuivis par le législateur (§ 16). Le législateur a réinséré le délit de consultation habituelle des sites internet terroristes dans une forme renouvelée censée prendre en compte la décision du Conseil constitutionnel. D’une part, il a restreint le champ de l’incrimination à la consultation habituelle de sites internet terroristes effectuée « sans motif légitime ». D’autre part, il a ajouté un deuxième élément constitutif de l’infraction en prévoyant que la consultation sans motif de ces sites doit se conjuguer avec une « manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service ». Donnant raison à certains parlementaires qui doutaient de la constitutionnalité de ce nouveau dispositif, le Conseil a, une fois de plus, censuré l’article 421-2-5-2 du Code pénal. En plus d’apprécier le respect de l’autorité de la chose jugée de ses décisions11, le Conseil constitutionnel a contrôlé la nouvelle conciliation opérée par le législateur entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la libre communication des pensées défendue par l’article 11 de la Déclaration de 1789. À l’issue du triple test de proportionnalité que le Conseil exerce traditionnellement en présence de lois portant atteinte à des dispositions constitutionnelles bénéficiant d’une protection renforcée, il a conclu à la méconnaissance, par le législateur, du principe de libre communication des pensées. D’une part, le Conseil a relevé que la disposition n’était pas nécessaire dans la mesure où les autorités administrative et judiciaire ont déjà à leur disposition de nombreux moyens leur permettant de contrôler les services de communication au public en ligne et de surveiller les personnes consultant ces services (§ 13). D’autre part, il a considéré que les exigences d’adaptation et de proportionnalité n’étaient pas remplies. Selon le Conseil, en effet, la consultation d’un site faisant l’apologie du terrorisme et la manifestation d’une adhésion à cette idéologie ne suffisent pas à établir l’existence d’une volonté de commettre des actes terroristes (§ 14). En outre, la référence au « motif légitime » permettant d’exclure la pénalisation, compte tenu de son imprécision, est apparue de nature à faire naître un doute concernant la licéité de la consultation de certains sites (§ 15).

b – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel rattache les principes de liberté individuelle, de respect de la vie privée et de responsabilité à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Dans trois décisions récentes, ce dernier a eu l’occasion de préciser le niveau de protection apporté par ces articles face à des dispositions législatives permettant la consultation et le traitement de données personnelles.

Le 21 juillet 2017, il s’est prononcé sur la conformité au droit au respect de la vie privée d’une disposition de l’article L. 621-10 du Code monétaire et financier prévoyant, dans sa rédaction résultant de la loi du 26 juillet 2013, la possibilité pour les enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers de se faire communiquer des données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunications et leurs prestataires12. Selon les requérants, le législateur n’avait pas assorti cette procédure de communication des données de garanties suffisantes permettant d’assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions. Le Conseil constitutionnel a accueilli ce moyen, après avoir considéré que la soumission des enquêteurs de l’AMF au secret professionnel et leur absence de pouvoir d’exécution forcée ne constituaient pas des garanties suffisantes pour assurer la conciliation équilibrée entre ces deux exigences (§ 9)13.

Dans la décision n° 2017-648 QPC du 4 août 2017, l’article 2 de la Déclaration de 1789 a servi de norme de référence pour le contrôle de constitutionnalité de l’article L. 851-2 du Code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Afin de prévenir les actes terroristes, la disposition prévoyait le recueil en temps réel des données de connexion sur les réseaux d’une personne préalablement identifiée. Elle autorisait ce recueil, en outre, pour les individus dans l’entourage de la personne concernée dans les cas où il y a des « raisons sérieuses » de penser qu’elles lui fournissent des informations en lien avec la finalité justifiant l’autorisation. Le Conseil constitutionnel a d’abord rejeté le grief tiré de la violation du secret des correspondances découlant du principe de liberté individuelle au motif que la procédure excluait l’accès au contenu de ces correspondances (§ 6). Ensuite, il a rappelé son considérant de principe suivant lequel il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public, et d’autre part, l’exercice des droits et des libertés garantis par la constitution, parmi lesquels figure le droit au respect de la vie privée (§ 4)14. En application de celui-ci, il a apprécié la constitutionnalité du recueil de données de la personne préalablement identifiée. Après avoir relevé que ce recueil ne pouvait être mis en œuvre que pour les besoins de la prévention du terrorisme, qu’il s’exerçait dans des conditions assez strictes (autorisation du Premier ministre ou de ses collaborateurs directs, avis préalable de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement…) et sous le contrôle de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel a estimé que la conciliation opérée par le législateur n’était pas manifestement déséquilibrée (§ 10). À l’inverse, il a considéré que cette conciliation n’était pas équilibrée s’agissant de l’application de cette procédure de réquisition à l’entourage de la personne préalablement identifiée. À l’appui de cette analyse, le Conseil a relevé que l’article L. 851-2 était potentiellement applicable à « un nombre élevé de personnes, sans que leur lien avec la menace soit nécessairement étroit » (§ 11). Tout en censurant la disposition, le Conseil constitutionnel a indiqué au législateur, en creux, la voie à suivre afin d’adopter un dispositif conforme à la constitution (§ 11)15.

La QPC transmise au Conseil constitutionnel le 26 juillet 2017 lui a donné l’occasion de rappeler les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent collecter, enregistrer, conserver, consulter et communiquer des données à caractère personnel. Dans sa décision n° 2017-670 QPC du 27 octobre 2017, il a souligné une nouvelle fois que le droit au respect de la vie privée imposait que l’action des forces de l’ordre en ce domaine soit justifiée par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif (§ 7)16. En l’espèce, était en cause le premier alinéa de l’article 230-8 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Aux termes de cet article, les décisions de relaxe ou d’acquittement devenues définitives entraînent l’effacement des données personnelles qui avaient été recueillies lors des enquêtes, sauf en cas d’opposition du procureur de la République. Ce dernier peut également ordonner l’effacement des données personnelles en cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite. En revanche, l’article 230-8 ne s’appliquait pas aux autres catégories de personnes. Selon le requérant, l’exclusion de ces catégories de personnes portait atteinte au droit au respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel a accueilli le moyen. Selon lui, en adoptant cette disposition, le législateur poursuivait bien les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de prévention des atteintes à l’ordre public (§ 9). En revanche, le Conseil a jugé que ces objectifs n’avaient pas été mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée. Il a relevé, en particulier, que les fichiers qui n’étaient pas effacés contenaient des données particulièrement sensibles (§ 10) portant sur un nombre élevé de personnes (§ 11) et qu’aucune durée de conservation de ces informations n’avait été fixée dans la loi (§ 12)17.

BLC

c – Liberté d’expression / Liberté de conscience (…)

d – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

L’article 4 de la Déclaration de 1789 est traditionnellement utilisé comme norme de référence pour le contrôle du respect de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle18. Dans la décision n° 2017-649 QPC du 4 août 2017, c’est à la lumière de ces deux principes qu’il a apprécié la constitutionnalité d’une disposition de l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. À l’issue de cette disposition, par dérogation au principe du droit exclusif des artistes-interprètes et des producteurs, ces derniers ne peuvent s’opposer à la communication par la radio et par internet de leurs enregistrements. Dans le cadre de son contrôle, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé que le législateur avait la faculté d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle « des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (§ 6). Après avoir décelé dans la volonté de diversifier l’offre culturelle proposée au public un objectif d’intérêt général (§ 10), le Conseil a considéré que les atteintes portées à l’article 4 de la Déclaration de 1789 n’étaient pas manifestement disproportionnées. D’une part, il a relevé que « les prérogatives des titulaires de droits voisins [n’étaient limitées] qu’à l’égard des services de radio par internet dont les modalités d’offre et de diffusion sont comparables à celles de la radiodiffusion hertzienne » (§ 11). D’autre part, il a considéré que les titulaires de droits voisins au titre de l’exploitation des enregistrements bénéficiaient d’une rémunération équitable (§ 11).

BLC

2 – Le droit de propriété (…)

3 – Le principe d’égalité

a – Principe d’égalité devant la loi

La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

À propos de l’organisation de la procédure de consultation du comité d’entreprise et de la fixation des délais impartis en la matière par les articles L. 2323-3 et L. 2323-4 du Code du travail, le Conseil considère, dans la décision n° 2017-652 QPC du 4 août 2017, que les dispositions contestées prévoient des règles et délais identiques pour les comités d’entreprise qui saisissent le juge en application du deuxième alinéa de l’article L. 2323-4 du Code du travail. Elles n’établissent donc pas de différence de traitement entre les justiciables. En outre, l’éventualité d’une méconnaissance, par le juge, du délai fixé par la loi ne constitue pas une différence de traitement établie par la loi mais tient à des motifs tenant aux conditions de fonctionnement des juridictions. De ce fait, cette différence de traitement qui est étrangère à la loi ne peut entacher celle-ci d’inconstitutionnalité. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

Ne constitue pas non plus une rupture d’égalité devant la loi, aux termes de la décision n° 2017-653 QPC du 15 septembre 2017, le renvoi à la négociation entre l’employeur et le salarié du contrat de travail qui établit une rémunération des temps de restauration et de pause en l’absence d’une convention ou d’un accord collectif qui la fixerait. En renvoyant au contrat de travail dont le seul objet est de définir une rémunération des temps de restauration et de pause et de prévoir soit des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage, soit de les assimiler à du temps de travail effectif, le législateur a traité de la même manière tous les salariés placés dans la même situation.

Il en a fait de même en permettant à un employeur de licencier un salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un accord de préservation et de développement de l’emploi, dès lors qu’il a placé dans la même situation juridique l’ensemble des salariés refusant cette modification. Il n’a donc pas établi de différence de traitement entre eux. Il a respecté ainsi les exigences issues du principe d’égalité devant la loi selon la décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017.

Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits, toute différence instituée ne doit pas procéder de distinctions injustifiées19 et lorsqu’un traitement différent est institué, il convient dans tous les cas qu’il soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Le Conseil fait application de ce principe dans la décision n° 2017-661 QPC du 13 octobre 2017. La différence de traitement résultant de ce que les salariés mis à disposition sont éligibles en qualité de délégués du personnel alors qu’ils ne le sont pas à la délégation unique du personnel, repose effectivement sur une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi. Elle trouve sa justification dans la volonté d’éviter que des salariés qui continuent de dépendre d’une autre entreprise puissent avoir accès à certaines informations confidentielles, d’ordre stratégique, adressées à cette délégation unique lorsqu’elle exerce les attributions du comité d’entreprise.

Il en allait différemment des conditions d’organisation de la consultation des salariés sur un accord minoritaire d’entreprise ou d’établissement. Dans la décision n° 2017-664 QPC du 20 octobre 2017, la différence de traitement instituée ne repose ni sur une différence de situation ni sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi. L’exclusion des syndicats représentatifs non signataires d’un accord d’entreprise ou d’établissement de la participation à la négociation et à la conclusion du protocole organisant la consultation des salariés sur cet accord contrevient au principe d’égalité devant la loi. S’il était loisible au législateur, d’une part, de renvoyer à la négociation collective la définition des modalités d’organisation de la consultation et, d’autre part, d’instituer des règles visant à éviter que des organisations syndicales non-signataires de l’accord puissent faire échec à toute demande de consultation formulée par d’autres organisations, c’est en méconnaissance des exigences issues du principe d’égalité devant la loi qu’il a imposé la conclusion du protocole fixant les modalités d’organisation de cette consultation aux seules organisations syndicales qui ont signé un accord d’entreprise ou d’établissement et ont souhaité le soumettre à la consultation des salariés.

LB

b – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale

4 – Les droits sociaux

5 – Les principes du droit répressif

a – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines

b – Principe de proportionnalité des sanctions

6 – Les droits processuels

a – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 10 juin 2009, n° 580 DC.
  • 2.
    Cons. const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
  • 3.
    Cons. const., 10 juin 2009, n° 2009-580 DC.
  • 4.
    Cons. const., 30 nov. 2017, n° 2017-674 QPC.
  • 5.
    CE, sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques : Lebon, p. 274 ; Cons. const., 22 mai 2015, n° 2015-468/469/472 QPC, § 14.
  • 6.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 7.
    V. par ex., Cons. const., 28 janv. 2011, n° 2010-92 QPC, Mme Corinne C. et a. (Interdiction du mariage entre personnes de même sexe).
  • 8.
    CE, 15 mai 2013, n° 340554, Cne de Gurmençon.
  • 9.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 10.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 11.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 12.
    Cons. const., 21 juill. 2017, n° 2017-646/647 QPC.
  • 13.
    Concernant les conditions d’abrogation de la mesure, v. autres parties de la chronique
  • 14.
    Cons. const., 23 juill. 2015, n° 2015-713 DC, loi relative au renseignement, § 56.
  • 15.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 16.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 17.
    V. supra II, D. « L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel ».
  • 18.
    V. par ex. Cons. const., 1er juill. 2004, n° 2004-497 DC, loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, § 20.
  • 19.
    Cons. const., 30 juin 2017, n° 2017-641 QPC.
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