Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (premier semestre 2020)

Publié le 22/12/2021
Chronique
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La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique, divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

La chronique présentée ci-dessous couvre le premier semestre de l’année 2020.

I – Les normes de référence

A – Les textes constitutionnels

1 – L’article 15 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789

Dans sa décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020, Union nationale des étudiants de France (UNEF) (Cons. const., 3 avr. 2020, n° 2020-834 QPC), le Conseil s’est prononcé sur la communicabilité et la publicité des algorithmes mis en œuvre par les établissements d’enseignement supérieur pour l’examen des demandes d’inscription en premier cycle, à propos de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants. Celui-ci prévoit que « les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ».

Selon l’UNEF, ces dispositions seraient contraires au droit à la communication des documents administratifs qui découlerait de l’article 15 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (DDHC). En effet, ces dispositions excluraient tout accès, pour les candidats comme pour les tiers, aux algorithmes susceptibles d’être utilisés par les établissements pour traiter les candidatures à l’entrée dans une formation donnée, formulées sur la plate-forme numérique dite Parcoursup. Or une telle exclusion ne serait justifiée ni par le secret des délibérations des jurys ni par aucun autre motif. L’article 15 de la déclaration de 1789 dispose : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Le Conseil a déduit de cette disposition constitutionnelle, pour la première fois, qu’est garanti un droit général d’accès aux documents administratifs. Néanmoins, il est loisible au législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Le Conseil a souhaité protéger ainsi le secret des délibérations des équipes pédagogiques des universités pour assurer leur indépendance et l’autorité de leurs décisions. Il a assorti cette reconnaissance de constitutionnalité d’une réserve d’interprétation selon laquelle les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le droit d’accès aux documents administratifs, être interprétées comme dispensant chaque établissement de publier, à l’issue de la procédure nationale de préinscription et dans le respect de la vie privée des candidats, le cas échéant sous la forme d’un rapport, les critères en fonction desquels les candidatures ont été examinées et précisant dans quelle mesure des traitements algorithmiques ont été utilisés pour procéder à cet examen.

S’agissant de l’article 15 de la déclaration, ce n’est pas la première fois que le Conseil a été amené, non seulement à faire référence mais à confronter une disposition législative à cette disposition longtemps restée dans les limbes du contentieux. Le Conseil dénombre cinq décisions faisant référence à cet article 15 mais sans nécessairement en faire utilisation : ce sont les décisions n° 97-388 DC du 20 mars 1997, n° 2011-641 DC du 8 décembre 2011, n° 2015-471 QPC du 29 mai 2015, n° 2016-599 QPC du 2 décembre 2016 et n° 2017-655 QPC du 15 septembre 20171.

Il avait ainsi, dans cette dernière décision, consacré un droit d’accès aux documents d’archives publiques, fondé sur l’article 15, à propos des archives publiques émanant du président de la République, du Premier ministre et des autres membres du gouvernement. Il avait ainsi jugé : « Est garanti par cette disposition le droit d’accès aux documents d’archives publiques. Il est loisible au législateur d’apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».

L’intérêt de la décision n° 2020-834 QPC du 3 avril 2020 est donc bien de formuler, pour la première fois, l’existence d’un principe général d’accès aux documents administratifs qui, après avoir été consacré au niveau législatif2, est ainsi hissé au rang constitutionnel.

2 – La Charte de l’environnement

Le paragraphe IV de l’article L. 253-8 du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, interdit la production et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne en raison de leurs effets sur la santé humaine. Ces dispositions font obstacle non seulement à la vente de tels produits en France, mais aussi à leur exportation.

Dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes (UIPP), le Conseil a dégagé un nouvel objectif de valeur constitutionnelle (OVC), celui de « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains », issu du préambule de la charte de l’environnement de 2004, et plus spécialement de la phrase selon laquelle « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ; (…) l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ; (…) la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ; (…) afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins » (§ 4). Au cours de l’année 2019, le Conseil avait déjà eu l’occasion de se préoccuper de l’environnement3. Dans la première décision citée, il avait jugé, rappelant qu’il ne disposait pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, que l’appréciation opérée par le législateur n’était pas, « en l’état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de l’objectif d’intérêt général de protection de l’environnement poursuivi », sans faire référence à la charte de l’environnement de 2004 (§ 8). Dans la seconde décision citée, il avait jugé que l’objectif de parvenir à la décarbonation complète du secteur des transports terrestres d’ici à 2050 n’était pas manifestement inadéquat aux exigences de l’article 1er de la charte de l’environnement qui proclame que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », ce qui impliquait que les « objectifs assignés par la loi à l’action de l’État ne sauraient contrevenir à cette exigence constitutionnelle » (§ 36).

La décision n° 2019-823 QPC est donc originale à plus d’un titre, et deux enseignements peuvent en être tirés. Le premier intéresse la source de ce nouvel OVC. La doctrine s’était interrogée sur la possibilité ou non de reconnaître au préambule de la charte une valeur normative identique à celle des articles numérotés de ce texte. La question méritait d’être posée, à la fois parce qu’il s’agissait d’un préambule et parce que ce dernier était particulièrement programmatique, pour ne pas dire lyrique. C’est donc désormais toute la charte qui a valeur constitutionnelle ou qui peut donner naissance à des règles et principes constitutionnels. Le Conseil ne s’est pas arrêté à ce qui aurait pu être un obstacle rédactionnel ou même de conception, le préambule n’étant pas nécessairement conçu comme devant avoir valeur normative. Pour autant, il ne déduit pas de ce préambule qu’il contient des droits ou des libertés susceptibles d’être invoqués dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), mais qu’il peut être la source de normes de valeur constitutionnelle.

Dans cette décision, cet objectif nouveau et l’OVC de protection de la santé tiré du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel la Nation « garantit à tous (…) la protection de la santé » ont été conciliés avec la liberté d’entreprendre qui est, sans conteste, une liberté au sens de la QPC et qui découle de l’article 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Il déduit de cette conciliation, tout en rappelant qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (§ 9), que le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement, tant en France qu’à l’étranger, au nom de la protection de la santé et de l’environnement, écartant ainsi le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté d’entreprendre (§ 10).

Dans une contribution parue au rapport annuel 2020 du Conseil constitutionnel, le professeur Daniel C. Esty, de l’université de Yale, souligne les avancées du juge français en matière de protection de l’environnement, y compris sur le plan international, fondées sur les trois décisions précitées. Il en conclut cependant que la décision UIPP fait de la durabilité un objectif si important qu’il peut prévaloir sur d’autres droits constitutionnels. Sans vouloir doucher son enthousiasme, le Conseil s’est limité à concilier des normes ayant toutes valeur constitutionnelle.

En dehors de la question de la valeur législative des ordonnances, qui a surtout retenu l’attention de la chronique, la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5 (Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC), intéresse le droit de l’environnement au sujet de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité, s’agissant d’une question souvent invoquée devant le Conseil : celle du droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, droit protégé par l’article 7 de la charte de l’environnement qui énonce que « toute personne a le droit (…) de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement »4.

Michel VERPEAUX

B – Les rapports de systèmes

Les rapports de système connaissent une nouvelle hypothèse de dialogue jurisprudentiel à plusieurs voix dont la décision n° 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020, M. Marc S. et a. [Exclusion de certaines plus-values mobilières du bénéfice de l’abattement pour durée de détention] (Cons. const., 3 avr. 2020, n° 2019-832/833 QPC), offre une confirmation. Les directives européennes connaissent une application particulièrement florissante en matière fiscale, ce qui ouvre la voie à un contentieux original. Le Conseil d’État, placé en juge pivot de l’application du droit l’Union européenne et de la priorité de la QPC en matière de directive fiscale, a utilisé pour la première fois avec la jurisprudence Métro Holding5 un raisonnement tiré de l’interprétation dégagée par le Conseil constitutionnel dans la décision n° 2010-605 DC dite Jeux en ligne6 en matière de priorité de la QPC et de conventionnalité – dont la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est ensuite réclamée. Le Conseil d’État opère une interprétation conforme de la disposition de droit national au droit de l’Union européenne et si cette interprétation est susceptible de poser un problème de constitutionnalité, il choisit de juger dans un premier temps la QPC non sérieuse – le temps de saisir la CJUE d’une question de conventionnalité du mécanisme – puis, une fois la disposition législative jugée euro-compatible, il retrouve la faculté de juger la QPC sérieuse, afin d’en faire contrôler la constitutionnalité par le Conseil constitutionnel7.

Ce dialogue à plusieurs niveaux est rendu possible par le principe d’égalité qui est le premier à être affecté par les directives fiscales ; en effet, le Conseil d’État, en retenant l’interprétation la plus conforme aux directives, exclut régulièrement des opérations fiscales intracommunautaires de l’application de la réglementation nationale, conduisant ainsi à une discrimination à rebours. Cette discrimination est caractérisée lorsque le droit national se trouve être le moins protecteur des droits du contribuable, ce qui conduit alors à faire censurer auprès du Conseil d’État la non-conformité au principe d’égalité de la carence en protection du droit national eu égard à la situation offerte par le droit de l’Union européenne.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel a appliqué le raisonnement en trois temps qu’il avait déjà explicité dans le cadre de la décision n° 2019-813 QPC, M. Calogero G., concernant les discriminations à rebours en matière fiscale. Les requérants reprochaient aux dispositions critiquées du Code général des impôts, telles qu’interprétées conformes au droit de l’Union européenne par le Conseil d’État, d’établir une discrimination injustifiée dans la taxation des plus-values tirées d’opérations d’échange de titres faisant l’objet d’un report d’imposition, selon que ces plus-values étaient effectuées dans un cadre européen ou dans le cadre purement national.

Le Conseil constitutionnel a jugé, pour la première fois, qu’une discrimination à rebours entre les situations nationales et celles résultant de l’application de la directive n’était pas contraire au principe d’égalité devant les charges publiques et n’encourait pas d’inconstitutionnalité au seul motif que la situation nationale serait moins favorable que la situation intra-communautaire. C’est précisément ce systématisme de l’inconstitutionnalité qui résulterait des cas de situations nationales moins favorables que le Conseil constitutionnel a essayé d’éviter afin de continuer à ménager une forme de souveraineté fiscale en faveur de la France, quand bien même l’État continuerait d’appliquer les directives de l’Union européenne. La solution apparaît donc mesurée, bien que des plus subtiles, ce qui ne favorisera pas nécessairement l’application uniforme de la loi fiscale.

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel

Durant la période concernée, certaines saisines émanant d’autorités de saisines originales sont à dénombrer, ainsi que des interventions extérieures par le vecteur des « contributions extérieures » du contentieux a priori ou pour des interventions en contentieux de la QPC.

Quant aux autorités de saisine, le Conseil constitutionnel a été saisi par le président de la République dans des conditions originales, dans le cadre de la décision n° 2020-800 (Cons. const., 11 mai 2020, n° 2020-800)8. Il ne s’agissait que de la troisième saisine présidentielle depuis l’innovation de 2015 ; elle a été rédigée sur le même modèle de motivation que celui choisi en 2015 par François Hollande. Le président Emmanuel Macron a proposé au Conseil constitutionnel d’exercer son examen sur le choix de proportionnalité opéré par le législateur entre les impératifs constitutionnels de protection de la santé et de garantie des libertés individuelles, tout en proposant un examen de certaines dispositions législatives en particulier. Le président de la République a fait un usage marqué du terme de « contrôle de proportionnalité » en incitant à vérifier l’équilibre du texte ; s’agit-il d’un nouveau type de contrôle de constitutionnalité ? Il reste que la saisine présidentielle dans le cadre de la pandémie de Covid-19 interroge, étant donné que la première loi d’état d’urgence sanitaire n’a soigneusement pas été soumise à l’institution. De plus, le président joue avec le feu en risquant une censure des dispositions pointées. Mais ce risque a été, dans le cas d’espèce, largement partagé entre différentes autorités de saisine puisque l’on dénombre, outre la saisine du président de la République, celle du président du Sénat et celles de 60 députés et de 60 sénateurs, soit presque la totalité des autorités de saisine. Cette décision est donc nécessairement à inscrire au titre des grandes décisions du fait des saisines qui en sont à l’origine.

La saisine du président du Sénat a joué son rôle de saisine d’opposition avec une longue argumentation, centrée notamment sur des griefs de procédure parlementaire, laissant le président de la haute assemblée jouer son rôle de défenseur du bicamérisme. Cette saisine est originale en ce qu’elle se superpose à la saisine des 60 sénateurs.

Enfin, à propos cette fois-ci d’une loi relativement passée inaperçue9, le Premier ministre a été à l’origine de la saisine du Conseil, ou plutôt convient-il de parler de « lettre de transmission », puisque le Premier ministre transmet, sans motivation, au Conseil les lois organiques ainsi que les lois d’application qui y sont liées. Les saisines relatives aux lois ordinaires d’origine primo-ministérielles se limitent donc à ces saisines « groupées », ce qui semble respecter la posture de prudence du Premier ministre eu égard aux lois votées par sa majorité.

La pratique des « contributions extérieures » est florissante. Elles peuvent accompagner les lois ordinaires, organiques, les résolutions portant révision des règlements des assemblées et même les traités internationaux. Durant la période concernée, des « contributions extérieures » ont accompagné les saisines relatives aux décisions n° 2020-800 DC et n° 2020-801 DC10. Ces portes étroites le sont de moins en moins puisqu’elles proviennent aussi bien d’associations, de professeurs de droit et – plus surprenant – de députés isolés ou de sénateurs. Cette pratique de « contributions extérieures » de la part de députés ou de sénateurs est originale car, de jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel refusait de recevoir tout mémoire émanant d’un groupe moindre de 60 députés ou sénateurs – même en réplique émanant de membres du groupe initial. Ainsi, les députés ou sénateurs qui ne font pas partie du groupe de saisissants sont considérés comme des « informateurs extérieurs » du Conseil et c’est une manière d’accorder – enfin ? – de la reconnaissance à ces argumentations émanant de représentants du peuple. De plus, dans le cas de la décision n° 2020-800 DC, l’intervention des élus calédoniens sur les problèmes d’application outre-mer semblait tout à fait bienvenue sous la forme d’une contribution informative qui n’a, au fond, rien à voir avec une saisine, ni une réplique. Il faut désormais déterminer la valeur de ces portes étroites pour l’examen du Conseil. Refusant de les considérer comme des pièces de procédure, le Conseil constitutionnel a acté, dans les communiqués de presse du 23 mai 2017 et du 24 mai 2019, de l’existence de ces mémoires et accepté d’en assurer la diffusion. Pourtant, à bien lire les décisions rendues sur saisines agrémentées de « contributions extérieures », il apparaît que ces motivations annexes ne sont pas du tout anodines. L’audace que certaines contributions proposaient n’a certes pas été suivie – à l’instar de la proposition d’exercer un contrôle calédonien de la loi ordinaire d’état d’urgence sanitaire sur la base du contrôle de la loi organique – mais de nombreux arguments se sont trouvés traités et exclus par des obiter dicta judicieux dans le cadre de la décision du Conseil constitutionnel11. On dénombre par exemple 6 portes étroites à propos de la loi visant à lutter contre les contenus haineux en ligne, prouvant ainsi que ces contributions sont loin d’être marginales. Avec cette somme d’informations utiles au développement du contentieux a priori, le délai de 1 mois d’examen, particulièrement strict au vu des pratiques des cours constitutionnelles européennes, peut être considéré comme trop bref.

Le pendant de ces « contributions extérieures » du contentieux a priori prend la forme des interventions prévues par l’article 6 du règlement intérieur de la QPC. Seule différence, ces dernières sont pleinement considérées comme des pièces de procédure et sont donc soumises à des exigences de fond : un intérêt spécial à intervenir et une soumission au délai d’échange des pièces. Cette barrière de l’intérêt spécial est toutefois difficile à passer comme en témoigne la décision n° 2020-834 QPC12 dans laquelle le Conseil constitutionnel considère qu’un enseignant-chercheur n’a pas « d’intérêt spécial » à contester l’algorithme Parcoursup en justifiant de ses relations avec les étudiants de l’enseignement supérieur (§ 5). Autre condition, les interventions ne peuvent pas ajouter aux données processuelles ; soit l’intervention se rattache aux conclusions de la requête, soit elle est irrecevable. La décision n° 2020-836 QPC13 le rappelle – sèchement : « Les parties intervenantes sont fondées à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où leur intervention porte sur ces mêmes mots » (§ 4)14. Lorsque les conditions de recevabilité sont remplies, les interventions peuvent utilement éclairer le Conseil, ainsi la décision n° 2020-84515 démontre que la requête de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a pu réinterpréter le moyen soulevé par le requérant et permettre un meilleur contrôle du délit d’apologie du terrorisme eu égard à l’interprétation constitutionnelle antérieure qui en avait été faite par le Conseil lui-même.

Quant aux actes susceptibles de contrôle, le Conseil constitutionnel reste ferme sur la détermination de l’objet du litige. L’interprétation constante de la disposition, que les requérants peuvent critiquer, peut elle-même influer sur l’objet réel de la contestation des requérants. C’est ainsi que l’interprétation de la Cour de cassation qui reconnaît l’existence d’un délit de recel d’apologie du terrorisme a conduit le Conseil à restreindre le champ de la QPC fondée sur les articles 321-1 et 421-2-5 du Code pénal (§ 6), aux seuls mots « ou de faire publiquement l’apologie de ces actes » figurant au premier alinéa de l’article 421-2-5 du Code pénal16. Cette même interprétation constante par la jurisprudence peut conduire le Conseil constitutionnel à admettre l’existence d’un changement des circonstances de droit alors qu’il s’était déjà spécialement prononcé sur la disposition (dans les motifs et le dispositif) d’une précédente décision. Dans l’espèce en question17, la Cour de cassation avait entre-temps jugé qu’il résultait de l’article de loi litigieux que, « pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, tout syndicat, qu’il soit ou non représentatif, doit satisfaire au critère de transparence financière » (§ 6). Cette interprétation a justifié à elle seule un changement de circonstances permettant le nouvel examen de constitutionnalité. Enfin, le Conseil a confirmé que sa propre jurisprudence pouvait également conduire à la matérialisation d’un changement des circonstances de droit, en l’espèce à propos du renforcement de la protection de la vie privée dans une précédente décision18 qui a justifié un nouvel examen19.

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel

Commentaire : « Procédure du RIP – Suite et fin » (Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-3 RIP, M. Frédéric L. ; Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-5 RIP, M. David L. ; Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-4 RIP, M. Nicolas G. ; Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-7 RIP, M. Gilbert B. ; Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-6 RIP, M. David L).

L’espoir est déçu, une proposition de loi avait (enfin) été déposée en 2019, ayant pour objet de soumettre à la pétition citoyenne la question de la privatisation d’Aéroports de Paris, posant plus largement la question des participations de l’État, de la taille du secteur public et partant, du rôle de l’État actionnaire. Le feuilleton législatif devait laisser place au débat citoyen. La procédure découpée en trois (soumission de la proposition, période de recueil des soutiens, validation de ces soutiens sous la surveillance du Conseil déclenchant la procédure classique du référendum de l’article 11 de la Constitution) s’est donc arrêtée au stade du recueil des soutiens : environ 1,09 million de signatures sur les 4,71 millions nécessaires.

Au titre des consolations, il faut néanmoins compter le « rodage » institutionnel d’une procédure qui n’avait guère suscité d’initiatives depuis 2013. Le ministère de l’Intérieur, le Conseil constitutionnel, le Parlement et le peuple ont ainsi eu à être confrontés à la procédure. Si le constituant semble déjà avoir entendu les insuffisances de l’avancée démocratique de l’article 11 tel qu’il fut renouvelé en 200820 — et alors que le législateur, de son côté, avait également entendu la voix de l’opposition en choisissant finalement de repousser à des jours meilleurs le projet de privatisation — le Conseil constitutionnel, quant à lui, a encore à améliorer la procédure applicable devant lui en la matière. L’objet du contentieux (I) autant que sa nature mériteraient d’être précisés (II).

I. Les objets de la saisine

La norme de référence fondatrice du contentieux de la phase de recueil est l’article 45-4 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 qui précise que le Conseil veille à la régularité des opérations de recueil des soutiens en tranchant les réclamations. Ces réclamations voient leur objet précisé par le Code électoral, et peuvent simplement porter sur l’inscription de leur nom sur la liste de recueil des soutiens (erreur matérielle ou d’inscription). Il s’agit de requêtes purement matérielles n’appelant aucun contrôle normatif de la part du juge. Le Conseil examine donc tant la formation des soutiens que leur régularité. Le Conseil a précisé qu’il n’était pas valablement saisi d’une « rectification » lorsque le requérant fait état d’un simple courrier, tout en s’expliquant longtemps sur le sens et la portée de la tenue de la liste des soutiens21. Acteur d’un contentieux embryonnaire, le Conseil est amené à poser des premiers jalons (il choisit ainsi le sens à donner à l’absence de mention du nom d’usage si le nom de famille de l’électeur figure déjà sur la liste des soutiens). Le Conseil refuse tout désistement d’instance, en précisant qu’il convient qu’un commencement de preuve d’une « usurpation d’identité » soit amené par le requérant22. Le caractère particulièrement concret de ce contentieux conduit le Conseil à se préoccuper de la preuve, encore plus concrètement qu’en contentieux électoral ; ainsi en est-il de la preuve de dysfonctionnements électroniques23. Le Conseil rejette donc totalement toute tentative pour objectiver le contentieux, pour juger de la recevabilité d’une requête qui consisterait à « disposer de certains documents administratifs » et de « faire régulariser des requêtes » citoyennes24. C’est encore le cas du requérant qui entendait obliger le Conseil à se prononcer sur la formulation de la loi organique de 2013, eu égard à la formulation de l’article 11 de la Constitution qui évoque une confusion entre le soutien à la « proposition de loi » plutôt qu’au « référendum »25.

La question fondamentale que posent les objets multiformes de ces recours matériels est la suivante : pourquoi une formation « de cassation » plénière est-elle proposée à ce type de recours alors que la formation de trois juges aurait semble-t-il largement suffi ? Un partage des « objets » pourrait ainsi être proposé entre les propositions de rectification, les erreurs matérielles (réservées aux formations de trois juges) et les requêtes posant des problèmes de fond (organisation, constitutionnalité, sincérité).

II. Les obscurités du contentieux

Ces glissements entre l’organisation, la formation et le déroulement des opérations sont la manifestation de la confusion entre ce contentieux de l’organisation et le contentieux électoral. Cette confusion émane des textes eux-mêmes qui utilisent les mêmes ressorts, les mêmes termes que dans le cadre du contentieux électoral. La compétence du Conseil constitutionnel elle-même tend à confirmer ce glissement alors même que le juge n’est pas juge constitutionnel dans ce type d’instance. L’office inédit du Conseil le conduit à utiliser les méthodes dégagées pour le contentieux électoral, ce qui ne correspond pas à la nature de la période de recueil des soutiens.

Un contentieux décevant se clôture donc pour une procédure qui n’a pas non plus obtenu le soutien nécessaire des électeurs. La communication institutionnelle du Conseil n’y aura pas suffi, l’opposition n’ayant peut-être pas su se saisir de l’objet innovant du référendum d’initiative partagée (RIP) (qui l’a été si peu). Lorsque la procédure référendaire aura trouvé son régime et le contentieux sa nature, peut-être le référendum trouvera-t-il enfin sa base ?

C – Les techniques contentieuses

(…)

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel

L’autorité des décisions du Conseil est un édifice de la jurisprudence ; œuvre de concrétisation du contentieux, cette phase du choix de l’effet de la décision est devenue fondamentale et implique également les acteurs de l’exécution de la décision.

La force de la chose jugée par le Conseil a été rappelée par la décision n° 2020-836 QPC (Cons. const., 30 avr. 2020, n° 2020-836)26. La Cour de cassation, à l’occasion de sa décision de transmission, a eu l’occasion de s’interroger sur le sens d’une précédente décision rendue par le Conseil constitutionnel. Le requérant considérait que la rédaction de la loi contestée, en ce qu’elle ne faisait pas obstacle à ce qu’une personne placée en détention provisoire soit privée de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge (pendant un délai long), portait atteinte aux droits de la défense (au sens de l’article 16 de la déclaration de 1789) en méconnaissance de la décision n° 2019-802 QPC du Conseil constitutionnel. Dans sa décision de transmission, la Cour de cassation a considéré que la déclaration d’inconstitutionnalité pourrait être regardée comme se rapportant à l’alinéa 4 de l’article 706-71 du Code de procédure pénale contesté « dès lors que ces dispositions sont rédigées de manière identique et ont un objet analogue ». Il faut en effet rappeler que c’est le Conseil lui-même qui défend cette conception objective par analogie de la chose jugée. Dans cette hypothèse, la disposition aurait donc bien été « déjà jugée ». Mais la Cour de cassation reconnaît les limites de cette approche de la chose interprétée, une fois appropriée par elle, en se refusant à recourir à l’abrogation « par analogie » en lieu et place du Conseil ; seule une décision d’abrogation par le Conseil de quelques mots de l’article pouvait ainsi vider le litige de constitutionnalité, ce qui justifia la transmission. Les Commentaires aux Cahiers sur la décision sont tout à fait significatifs de ce contrôle du Conseil « acquis d’avance » : « La censure des dispositions soumises au Conseil constitutionnel était acquise (…). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Conseil a renvoyé aux motifs énoncés aux paragraphes correspondants de sa décision n° 2019-802 QPC, pour conclure à l’inconstitutionnalité des dispositions contestées (§ 10) ». Cette même force de la chose jugée a été rappelée en l’absence de changement de circonstances à propos de l’article 706-113 du Code de procédure pénale27.

Concernant l’effet différé des décisions, le Conseil y a recouru avec toute une palette de modulation. Ainsi, dans la décision n° 2020-844 QPC28, il a réitéré sa jurisprudence en matière d’hospitalisation sans consentement, assimilée à une mesure privative de liberté, en réaffirmant la nécessité d’un délai suffisamment court et d’un contrôle du juge judiciaire suffisamment rapide. Partant de cette interprétation, le Conseil a déclaré le premier alinéa de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique contraire à la Constitution, ainsi que les deux autres alinéas de cet article considérés comme inséparables du premier. La décision tend à prouver que le Conseil continue de recourir à cette technique de l’inconstitutionnalité par conséquence d’inséparabilité. Le Conseil constitutionnel a recouru à l’abrogation différée en raison du risque de supprimer toute possibilité de placement à l’isolement à laquelle aurait conduit l’abrogation avec effet immédiat (§ 1) ; l’abrogation a donc été reportée au 31 décembre de l’année 2020. Il en a été de même pour l’abrogation des dispositions relatives à l’obligation de témoigner29. Sont en effet exonérés de cette obligation les seuls maris (ou femmes), mais les personnes pacsées ou en concubinage ne le sont pas. Considérant cette différence de traitement sans correspondance avec une différence de situation eu égard à l’objectif de la loi, le Conseil a censuré les mots « du mari ou de la femme » figurant au 5° de l’article 335 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 (§ 14). Pour ne pas priver de tout effet (et d’existence) la liste des personnes dispensées de prêter serment, le Conseil a reporté les effets de l’abrogation au même 31 décembre (§ 17). Dans une dernière affaire, le Conseil constitutionnel30 a recouru à l’effet différé ainsi qu’à la limitation des effets de l’abrogation aux instances en cours. En effet, la disposition – non déjà abrogée –, relative à la visio-conférence pour les audiences relatives au contentieux de la détention provisoire, devait être abrogée de manière différée afin de ne pas priver de base légale tout recours à la visio-conférence en la matière (§ 12). Mais le Conseil constitutionnel a également visé l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions pour ne pas permettre que les décisions prises sur ce fondement puissent être contestées sur le fondement de l’inconstitutionnalité. Dans la décision n° 2020-841 QPC, les « conséquences excessives » sont utilisées sans être justifiées par un motif particulier ; les commentaires nous apprenant que c’est ainsi que le Conseil constitutionnel juge en matière de libertés de la communication31.

Il n’y a pas d’effet inutile de la décision ; même sur une disposition de loi déjà modifiée ou abrogée, la QPC prospère. Dans le cadre de la décision n° 2020-842 QPC32, le Conseil constitutionnel a censuré une discrimination en matière fiscale. L’objectif de lutte contre l’optimisation fiscale, bien que reconnu de valeur constitutionnelle, ne justifiait pas la différence de traitement, ce qui a conduit à la censure de la disposition (§ 9). Mais les dispositions n’étant plus en vigueur, le Conseil a rendu applicables, à toutes les affaires non définitivement jugées à la date de publication de la décision, les effets de l’abrogation (§ 12). Pareille solution fondée sur l’abrogation d’une discrimination fiscale non fondée sur des critères objectifs et rationnels a conduit à une application aux litiges en cours de cette abrogation33.

Dans le cadre de la décision n° 2020-843 (Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC)34, le Conseil constitutionnel a fait un usage affiné des effets dans le temps, à la manière de ce qu’il avait pu faire pour les validations législatives. Il a en effet distingué deux périodes à propos de la suffisante participation du public garantissant l’article 7 de la charte de l’environnement. En effet, les dispositions ont vu leur champ d’application modifié avant et après le 31 août 2013 par l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi. La participation du public est appréciée par le Conseil constitutionnel si souplement que, comme le précisent les Cahiers du Conseil, une simple disposition législative impliquant une meilleure participation est susceptible de changer la donne de la constitutionnalité. Aussi, avant l’ordonnance n° 2013-714 du 5 août 2013 créant le dispositif de l’article L. 120-1-1 du Code de l’environnement, le dispositif contesté de l’article L. 311-5 du Code de l’environnement était bien contraire à la Constitution, mais ne l’était plus après l’entrée en vigueur de ladite ordonnance. Toutefois, ménageant l’effet de cette censure platonique – rappelons qu’il ne s’agit plus d’une abrogation mais d’une simple censure (puisque la disposition dans cette version n’était plus en vigueur) – le Conseil a considéré que le bénéfice de cette abrogation ne pourrait plus être appliqué aux instances en cours (§ 16). Quant à la période post 1er septembre 2013, l’ordonnance non ratifiée prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution ayant conduit à la rédaction de l’article L. 120-1-1 du Code de l’environnement, la conformité de la procédure prévue par l’article contesté était ainsi conforme au principe de participation du public garanti par l’article 7 de la charte de l’environnement. Le Conseil constitutionnel a ainsi eu recours à une rédaction fort pédagogique d’une censure inutile pour déclarer une conformité a posteriori d’un dispositif déjà en vigueur mis en œuvre par une ordonnance non ratifiée mais recevable en QPC : de quoi y perdre son latin !

Mais l’édifice de la chose jugée ne s’arrête pas au choix des effets dans le temps de l’abrogation. Depuis la décision du 24 décembre 2019 rendue par l’assemblée plénière du Conseil d’État, l’État peut voir sa responsabilité engagée du fait de l’inconstitutionnalité d’une loi. Sui generis, cette responsabilité l’est à tous les titres. Elle est bien distincte de la responsabilité du fait des lois35 et de celle engagée pour méconnaissance des obligations internationales36. Cette responsabilité rompt avec la déférence du Conseil d’État à l’égard de la loi ; juge des actes administratifs, le voilà engagé dans une démarche d’engagement de la responsabilité de l’État-législateur. Pour engager cette nouvelle responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles, un préjudice doit être établi (né de l’application de la loi inconstitutionnelle), mais le juge administratif ne se fait pas juge constitutionnel pour autant. Risquant de toucher à l’édifice de l’infaillibilité du législateur, le Conseil d’État ne se risque toutefois pas à concurrencer la compétence concentrée du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la constitutionnalité de la loi. La jurisprudence du Conseil d’État est tout à fait en lien avec l’évolution procédurale de la QPC. Celle-ci a donc définitivement des implications de concrétisation du contentieux de constitutionnalité au-delà des frontières du Conseil constitutionnel. Le juge administratif trouve ainsi dans la QPC une logique de remise en cause de la loi sur le fondement de la constitutionnalité qui n’empêche plus une appropriation subjective de cette inconstitutionnalité par le citoyen lésé. Un préjudice d’inconstitutionnalité n’avait-il pas déjà été reconnu par principe avec l’entrée en vigueur de la QPC ? Cette responsabilité une fois déclarée n’est toutefois pas sans encadrement : tout d’abord, il convient que l’intéressé démontre l’existence du préjudice grave et spécial (et un lien « direct » de causalité), que la loi ait bien été précédemment déclarée inconstitutionnelle a posteriori par le Conseil constitutionnel, que le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas à cet engagement de responsabilité dans une décision, et que la prescription quadriennale ne soit pas expirée. La balle était clairement envoyée dans le camp du Conseil constitutionnel.

Il l’a prise au bond par la décision n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020. Le Conseil constitutionnel a pris acte de cette responsabilité en enrichissant son considérant de principe relatif à l’article 62 de la Constitution, précisant que cet article lui donne – nouvellement – le « pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières » (§ 16). Cet obiter dictum est significatif puisque le Conseil intègre l’interprétation du Conseil d’État au texte de l’article 62, ce qui laisse clairement entendre que le texte est bien distinct de la norme, cette dernière devenant étroitement dépendante de l’interprétation jurisprudentielle du moment.

Le Conseil constitutionnel décide du moment où la responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles pourrait être envisagée à la suite de sa décision, ce qui signifie que le législateur garde comme interlocuteur privilégié le Conseil constitutionnel. Mais le Conseil va encore plus loin que le Conseil d’État en signifiant clairement – dans les Commentaires aux Cahiers qui deviennent parfois plus précieux que les décisions – que « l’engagement de cette responsabilité est le principe et l’opposition à cet engagement l’exception ». Cette avancée semble aller un peu loin en ne laissant plus qu’une place très marginale aux déclarations d’inconstitutionnalité « platonique », en affirmant que « lorsque l’inconstitutionnalité d’une disposition législative a causé un préjudice à un justiciable, celui-ci peut donc être réparé ». Il s’agit donc bien concrètement de réparer un préjudice causé par les inconstitutionnalités, renouant avec la vocation subjective de la QPC. Sur le terrain du régime juridique, comme l’avait amorcé le Conseil d’État, il appartient au Conseil constitutionnel de déterminer les « principes et limites » de cette responsabilité pour inconstitutionnalité, ce sur quoi, dans la décision commentée, le Conseil a accepté de s’engager sans toutefois donner plus de précisions. L’on ne saurait mieux conclure que les Commentaires sur cette décision qui précisent que « la responsabilité de l’État du fait des lois inconstitutionnelles constitue donc un des outils de la panoplie utilisée par le Conseil ».

La décision a connu une portée directe dans la décision n° 2020-842 QPC du 28 mai 2020 où il a été précisé que l’abrogation prononcée n’excluait pas l’engagement de responsabilité de l’État37. Le législateur est plus que jamais soumis à l’obligation de constitutionnalité !

Anne-Charlène BEZZINA

III – Les institutions constitutionnelles

A – Démocratie et expressions de la souveraineté

Commentaire : Décisions n° 2019-1-8 RIP du 26 mars 2020 et n° 2019-1-9 RIP du 18 juin 2020 (Cons. const., 26 mars 2020, n° 2019-1-8 RIP ; Cons. const., 18 juin 2020, n° 2019-1-9 RIP).

Ces deux décisions viennent clore la séquence née de la décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019 relative à la proposition de loi d’initiative partagée visant à contester la privatisation d’Aéroports de Paris, première application d’une procédure originale, celle du RIP prévue à l’article 11 de la Constitution, modifié par la révision du 23 juillet 2008. L’une et l’autre de ces décisions n’ont cependant pas le même objet ni la même finalité. La décision n° 2019-1-8 RIP se présente comme une déclaration relative au nombre de soutiens obtenus par la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris. La décision n° 2019-1-9 RIP fait état, quant à elle, des observations du Conseil constitutionnel sur les opérations de recueil des soutiens à cette proposition de loi référendaire. À ce titre, elle s’apparente aux observations rendues en matière de contrôle des opérations électorales38.

I. Le recueil des soutiens à la proposition de loi : fin de partie

L’article 11 de la Constitution, complété par les dispositions organiques issues de la loi n° 2013-1114 du 6 décembre 2013, portant application de l’article 11 de la Constitution, et « codifiées » dans l’ordonnance organique n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, distingue le contrôle de l’initiative parlementaire, objet de la décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019 précitée et la phase de collecte des soutiens. À l’issue de cette période de 9 mois telle qu’elle est fixée à l’article 4 de la loi organique précitée mais non codifiée dans celle du 7 novembre 1958, le Conseil n’a pu que constater, dans la décision n° 2019-1-8 RIP, que la proposition de loi n’avait pas obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, ainsi que le requiert l’article 11 de la Constitution, pour permettre la poursuite de la procédure devant le Parlement et, le cas échéant, conduire à l’organisation d’un référendum. La proposition n’a en effet recueilli que 1 093 030 soutiens d’électeurs. Le chiffre officiel de 4 717 396 signatures avait été fixé par la décision n° 2019-1 RIP, qui avait constaté que la proposition de loi avait bien reçu le soutien d’au moins un cinquième des membres du Parlement comme l’impose l’article 11. C’est à ce constat d’échec qu’est consacrée la décision du 26 mars 2020 qui met fin à cette forme nouvelle de procédure législative. En effet, l’article 45-6 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, prévoit : « Le Conseil constitutionnel déclare si la proposition de loi a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Sa décision est publiée au Journal officiel ». À l’issue de la période de 9 mois, le Conseil constitutionnel ne pouvait que confronter le chiffre qui devait être atteint et celui qui a été atteint, et en tirer la conclusion objective de l’absence du soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Il se contente alors de constater cet écart (article 1er de la décision).

Cette procédure de RIP n’ayant pas abouti, la privatisation du groupe aéroportuaire ADP pouvait être réalisée telle qu’elle était prévue par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (ou loi PACTE), cette dernière ayant été suspendue par le début de la procédure d’initiative partagée. La situation économique dégradée, la crise des « gilets jaunes » puis celle du coronavirus ont rendu très difficile une telle opération.

Une éventuelle simplification des règles facilitant le dépôt de lois d’initiative partagée nécessiterait une révision de la Constitution. Elle est prévue dans le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, déposé le 29 août 2019, qui a inséré un nouveau titre XI intitulé « De la participation citoyenne », dont un article 69 nouveau pourrait proclamer qu’« un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa de l’article 11 peut être organisé à l’initiative d’un dixième des membres du Parlement et d’un million d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de texte de loi » (al. 1er). L’adoption de ce projet ne semble à l’ordre du jour… pour l’instant.

II. Le temps des propositions

Dans ses observations, formulées dans la décision n° 2019-1-9 RIP du 18 juin 2020 (Cons. const., 18 juin 2020, n° 2019-1-9 RIP), le Conseil s’est intéressé aux modalités de la procédure et au contrôle qu’il peut exercer, avant de suggérer des réflexions pour l’avenir.

Le Conseil a constaté que la procédure de recueil des soutiens s’était plutôt bien déroulée, notamment par la voie électronique qui avait été privilégiée, et que les problèmes techniques rencontrés à plusieurs reprises ont été résolus rapidement.

Dans ses observations, le Conseil ne s’est pas tenu à ces seuls constats, dont certains ne sont pas dénués d’éléments critiques, mais il a également souhaité suggérer des évolutions nécessaires, comme il le fait régulièrement dans ses observations électorales successives. Il ressort du décalage, entre les chiffres de réclamations, reçues au titre de sa mission de veiller « à la régularité des opérations de recueil des soutiens à une proposition de loi »39, et ceux des décisions rendues par la formation spéciale et par le Conseil, une inadaptation du dispositif qui s’est apparenté, selon les termes des observations, à une « mission d’assistance aux utilisateurs du site internet ou d’information publique sur la procédure de référendum d’initiative partagée ». Sans doute le Conseil estime-t-il qu’il n’était pas nécessaire de le mobiliser pour cela.

Pour y remédier, une solution, qui nécessite une adaptation de la loi organique, consisterait à déplacer, vers le site internet de recueil des soutiens, les questions sur la procédure ou celles relatives aux enjeux de la consultation et de faire état de difficultés rencontrées lors du dépôt du soutien, sans qu’elles prennent la forme de « réclamations » qui relèvent de la compétence du Conseil. Il y aurait ainsi deux catégories de réclamations et seule l’une d’elles mériterait une réponse, permettant au Conseil de se concentrer sur son rôle de garant de l’exercice démocratique pendant toute la procédure.

De façon prudente, afin de ne pas apparaître se substituer aux pouvoirs publics, constitutionnel et/ou organique, le Conseil a regretté le caractère peu lisible, pour les citoyens, de la procédure qui requiert le soutien d’un grand nombre d’électeurs, soit environ 4,7 millions d’électeurs. Quand bien même ce chiffre serait abaissé à 1 million d’électeurs comme le prévoit le projet de loi constitutionnelle, les chances que cette procédure longue conduise à un référendum sont très minces car il suffit d’un examen du texte par les deux assemblées pour qu’il soit mis un terme à la procédure40. Le cas de la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris a, en outre, suscité une difficulté nouvelle, car le constituant n’avait pas envisagé l’hypothèse d’une loi venant d’être adoptée par le Parlement mais pas encore promulguée du fait d’une saisine a priori du Conseil constitutionnel, et contre laquelle des parlementaires minoritaires décident de déposer une proposition d’initiative partagée. C’est ce qui s’est produit à propos d’Aéroports de Paris, et la quasi-concomitance des dates a suscité une polémique dans laquelle le Conseil n’a pas voulu entrer. Il y fait néanmoins référence dans ses Observations lorsqu’il écrit que « la question de l’articulation entre l’initiative parlementaire faisant l’objet de la mise en œuvre de la procédure, d’une part, et d’éventuels travaux législatifs ayant le même objet, d’autre part, pourrait être redéfinie dans le sens d’une plus grande lisibilité ». On ne saurait mieux dire.

Michel VERPEAUX

Par la décision n° 2020-849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et a. [Modification du calendrier des élections municipales] (Cons. const., 17 juin 2020, n° 2020-849 QPC), le Conseil constitutionnel avait été saisi d’une QPC à propos des paragraphes I, III et IV de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Dans des circonstances normales, le premier tour avait été prévu (par l’article 1er du décret n° 2019-928 du 4 septembre 2019) le 15 mars, avec un second tour le 22 mars41. Mais la pandémie de coronavirus conduisit au confinement généralisé de la population, rendant improbable un second tour d’élection (bien que le premier fût également fort contesté). La loi du 23 mars 2020, qui mit en œuvre l’état d’urgence sanitaire, a décidé le décalage du second tour des élections municipales. Cette base légale est fort originale puisqu’elle est intervenue après l’abrogation du décret du 4 septembre 2019 fixant le délai normal du second tour des élections par le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020. Ce second tour devait être organisé dans les 3 mois suivant le premier tour. La situation dans les collectivités était donc paradoxale dans les territoires où des conseillers municipaux étaient déjà élus, le mandat des anciens conseillers se trouvant prorogé – et de même pour les cas d’élections seulement partielles des membres du Conseil –, les tensions étaient vives.

Le Conseil constitutionnel était ainsi mis en face d’un inédit constitutionnel. Aussi les normes de référence étaient nécessairement présentes dans l’édifice jurisprudentiel, mais aucune application directement probante n’était susceptible d’éclairer la lanterne du Conseil, sauf à s’en remettre à des précédents rendus a priori sur des reports d’une tout autre nature et ampleur.

À l’origine du recours, une petite commune des Alpes-Maritimes où 7 des 15 sièges n’avaient pas encore été attribués. M. D et ses colistiers s’étaient alors pourvus devant le tribunal administratif de Nice pour faire annuler le premier tour des élections (le 20 mars), tout en invoquant l’illégalité du décret du 17 mars. À l’appui du recours, les requérants produisirent une QPC, considérant le report du second tour comme contraire à l’article 3 de la Constitution. Le Conseil d’État considéra la question suffisamment sérieuse pour être transmise au Conseil constitutionnel qui se prononça par la décision du 17 juin. Le délai très court dans lequel l’affaire fut traitée, rallongé par les exigences de la suspension de la procédure devant le Conseil (v. supra), permet de mesurer l’efficacité de la procédure de QPC. Le montage acte administratif/loi ordinaire permet ainsi une articulation des contentieux qui ouvre au justiciable un panel de possibilités inédit, au risque de devenir pétrifiant pour l’action normative.

Le requérant – rejoint par 4 intervenants extérieurs – développait des arguments d’inégale importance qui révélaient un certain paradoxe. Il considérait par exemple que le scrutin était reporté à une date trop lointaine et incertaine mais également trop risquée pour la reprise de l’épidémie. « En elle-même », cette date de report était également jugée susceptible de conduire mécaniquement à un fort taux d’abstention et à valider, sans égard aux contestations possibles, les résultats du premier tour : autant d’arguments aisément réglés par le juge, dans la mesure où ils ne trouvent pas de fondements constitutionnels. Mais les griefs tirés de la méconnaissance de la sincérité du scrutin du fait de la déconnexion de deux tours censés former un seul « bloc » indissociable, ou encore celui tiré de l’inconstitutionnalité de toute interruption d’un processus électoral déjà entamé, auraient pu conduire le juge à de plus amples interrogations de constitutionnalité.

Le report d’un second tour d’élection était inédit, bien que les normes de référence d’égalité devant le suffrage et de sincérité du scrutin, émanant toutes deux de l’article 3 de la Constitution (seule norme de référence proprement électorale du corpus constitutionnel), aient déjà été mobilisées de nombreuses fois dans l’histoire du contrôle de constitutionnalité. C’est ainsi qu’en matière d’égalité devant le suffrage, le Conseil constitutionnel retient un raisonnement très fortement inspiré de son considérant de principe relatif à l’égalité en général : une différence de traitement peut être conforme à la Constitution à la condition qu’un motif d’intérêt général le justifie. Pour le cas de l’égalité devant le suffrage, il convient qu’un motif d’intérêt général et des circonstances d’un ordre suffisamment exceptionnel justifient qu’il soit porté atteinte à la périodicité des scrutins – qui doit en tout état de cause rester régulière42. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que ne méconnaissait pas l’égalité devant le suffrage le décalage d’élections locales pour des motifs tirés d’un changement dans les modes de scrutins43, de l’intérêt d’éviter des élections trop concomitantes44, de la perspective de réformes institutionnelles futures45. Il faut rappeler qu’en matière de scrutins locaux, la jurisprudence est relativement souple quant à la marge de manœuvre du législateur puisque ce dernier, « compétent pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales peut, sous réserve du respect des dispositions et principes de valeur constitutionnelle, librement modifier ces règles ». Outre une convocation périodique et un caractère exceptionnel, le législateur peut se borner à invoquer un motif d’intérêt général – un motif rationnel peut suffire, si l’on en croit les Commentaires – pour que la constitutionnalité du dispositif soit actée46.

Quant au principe de sincérité, son appréciation est empreinte de la même souplesse à l’égard du pouvoir du législateur. Il est plus aisé pour le Conseil d’identifier les facteurs d’insincérité électorale – pour ne pas employer le terme de fraude – que de définir complètement le concept. En d’autres termes, une élection est incontestable dès lors que l’écart de voix entre les candidats est suffisant et qu’aucun événement n’a pu exercer une influence déterminante sur l’issue du scrutin. Le seul précédent de décalage de second tour avait eu lieu dans le cadre du contentieux électoral47, à l’occasion d’un typhon sur l’île de la Réunion où le préfet avait reporté sine die le second tour pour des motifs tirés de la sécurité du public. Le Conseil, tout en regrettant l’absence de cadre de référence, n’avait pas considéré qu’une atteinte à la sincérité du scrutin ait été caractérisée.

C’est dans ce contexte de grande souplesse que le Conseil a déclaré conforme le décalage du second tour des élections municipales dans le cadre contrarié par la crise de Covid-19. La décision – outre qu’elle nous apprend que l’égalité devant le suffrage et la sincérité du scrutin appartiennent à la catégorie des droits et libertés que la Constitution garantit – apporte peu à la jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a simplement choisi de durcir sa jurisprudence pour les cas particuliers de report de second tour en exigeant que le motif d’intérêt général soit impérieux. Il a par ailleurs judicieusement lié égalité devant le suffrage et sincérité du scrutin, en impliquant qu’une dérogation au premier n’implique pas une violation du second. Jugeant le délai de report et le décalage adaptés à la situation sanitaire, le Conseil a également refusé de juger de l’éventuelle insincérité du scrutin résultant de l’abstention en rappelant qu’il appartiendrait au juge administratif d’examiner au cas par cas la réalité de cette contestation.

L’impératif de santé publique l’a donc emporté sur celui de la régularité électorale, mais l’on aurait pu espérer une motivation moins elliptique pour des moments de la vie politique aussi capitaux.

Anne-Charlène BEZZINA

B – Les pouvoirs politiques

1 – Le pouvoir exécutif

(…)

2 – Le Parlement et la procédure législative

2-1 – Les règlements des assemblées et le droit parlementaire

(…)

2-2 – Le domaine de la loi et la compétence du législateur

Le premier semestre de 2020 n’a donné lieu qu’à une seule décision de déclassement, n° 2020-285 L du 26 mars 2020 (Cons. const., 26 mars 2020, n° 2020-285 L), dans laquelle le Conseil a rappelé que si « l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer “les règles concernant (…) la création de nouveaux ordres de juridiction”, la détermination du nombre, du siège et du ressort de chacune des juridictions créées dans le cadre des principes définis par la loi est de la compétence réglementaire ». La définition des « nouveaux ordres de juridiction » est plus large que celle des ordres judiciaire et administratif et donne une compétence plus étendue au législateur. C’est ce qu’a affirmé le Conseil constitutionnel dès sa décision n° 61-14 L du 18 juillet 1961 : « Considérant que les tribunaux d’instance à compétence exclusive en matière pénale constituent un ordre de juridiction distinct des tribunaux d’instance créés par l’article 1er de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 ; que la disposition de ladite ordonnance qui institue de tels tribunaux a donc le caractère législatif, mais qu’il entre dans la compétence du pouvoir réglementaire de fixer leur nombre, leur siège et leur ressort »48. Néanmoins, ont un caractère réglementaire dans la décision n° 285 L les dispositions qui se bornaient à prévoir la durée du transfert temporaire du siège d’une juridiction dans une autre commune du ressort de la même cour d’appel, lorsque la continuité du service de la justice ne peut plus être assurée au sein du bâtiment où siège cette juridiction49.

Michel VERPEAUX

2-3 – Le nouveau régime contentieux des ordonnances non ratifiées

Commentaire : « Un nouveau trompe-l’œil dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel » (Décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5 [Autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité]).

Loin d’être l’apanage du peintre, le trompe-l’œil est une technique à laquelle recourt également le Conseil constitutionnel. La décision commentée, en revisitant le régime contentieux applicable aux ordonnances prévues à l’article 38 de la Constitution, pourrait passer pour protectrice des droits du citoyen et des prérogatives du Parlement. En réalité, elle préserve surtout les intérêts de ceux qui ont bénéficié du maintien de la disposition contestée et ceux du Conseil constitutionnel lui-même.

Dans cette affaire, était en cause l’article L. 311-5 du Code de l’énergie qui, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011, fixait les conditions de délivrance d’une autorisation administrative d’exploiter une installation de production d’électricité. Selon l’association requérante, faute de prévoir une procédure de participation du public, cette disposition méconnaissait le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, droit protégé par l’article 7 de la charte de l’environnement.

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette QPC transmise par le Conseil d’État en distinguant deux périodes. Il a jugé qu’entre le 9 mai 2011 (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance modifiant l’article L. 311-5 du Code de l’énergie) et le 1er septembre 2013, les autorisations administratives avaient effectivement été délivrées en application d’une disposition contraire à l’article 7 de la charte. En revanche, il a estimé qu’à compter du 1er septembre 2013, les autorisations avaient été délivrées sur le fondement d’une disposition ne méconnaissant plus la Constitution. Le 1er septembre 2013, en effet, est entrée en vigueur l’ordonnance n° 2013-714 du 5 août 2013 prévoyant une procédure de participation du public applicable aux autorisations délivrées en application de l’article L. 311-5 du Code de l’énergie.

En toute logique, le Conseil constitutionnel n’aurait pas dû se satisfaire de l’existence de cette ordonnance. En effet, aux termes de l’article 7 de la charte, c’est la loi, et la loi seule, qui doit fixer les conditions de participation du public. Au prix d’une interprétation quelque peu déroutante de l’article 38 de la Constitution50, le Conseil constitutionnel a déclaré l’article L. 311-5 conforme à l’article 7 de la charte, au motif que l’ordonnance du 5 août 2013, en dépit de son absence de ratification expresse par le Parlement, avait acquis une valeur législative à l’expiration du délai de l’habilitation du gouvernement par le simple dépôt d’un projet de ratification de l’ordonnance dans le délai fixé par la loi d’habilitation (§ 11).

Le présent commentaire a pour objet d’interroger les principaux mobiles de ce revirement de jurisprudence inattendu. À ce titre, la décision du Conseil constitutionnel présente les caractères d’un trompe-l’œil qu’il importe de mettre en lumière. À l’instar de certains grands peintres, le Conseil semble avoir voulu séduire le spectateur au moyen d’une technique destinée à provoquer chez ce dernier une certaine confusion. En inaugurant une nouvelle interprétation de l’article 38 de la Constitution, le Conseil paraît vouloir protéger le principe de participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement mais, en pratique, sa décision sert les intérêts des bénéficiaires de ces autorisations litigieuses (I). Dans le même sens, alors que sa nouvelle lecture de l’article 38 semble destinée à restaurer les prérogatives du Parlement, en réalité, elle renforce surtout les siennes (II).

I. Une protection apparente de la démocratie participative

En considérant que les autorisations d’exploitation d’une installation de production d’électricité fondées sur l’article L. 311-5 du Code de l’énergie ont une incidence sur l’environnement (§ 8), le Conseil constitutionnel semble donner toute sa portée à l’article 7 de la charte de l’environnement, énonçant que « toute personne a le droit (…) de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Toutefois, en l’espèce, les conséquences de cette interprétation généreuse de l’article 7 au regard des impératifs de démocratie participative sont pour le moins réduites.

Pour la période s’étalant du 9 mai 2011 au 1er septembre 2013, si le Conseil considère bien que l’article L. 311-5 est contraire aux exigences inscrites dans la charte, en raison de l’absence de texte mettant en œuvre le principe de participation du public, il prend soin de priver d’effet cette déclaration d’inconstitutionnalité en relevant qu’elle « aurait des conséquences manifestement excessives » (§ 16). Pour le dire autrement, l’abrogation de la disposition contestée pour la période considérée doit rester sans influence sur la légalité des autorisations délivrées durant celle-ci, et ce, quand bien même le public n’aurait pas été associé à leur élaboration. Le Conseil constitutionnel parvient également à « sauver » les autorisations accordées sur le fondement de l’article L. 311-5 à compter du 1er septembre 2013 au moyen d’une nouvelle interprétation de l’article 38 de la Constitution. En application de la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, et suivant une lecture orthodoxe de l’article 38, l’article L. 311-5 aurait dû faire l’objet d’une censure. Certes, à compter du 1er septembre 2013, une procédure de participation du public prévue à l’article L. 120-1-1 du Code de l’environnement était applicable aux autorisations délivrées en application de l’article L. 311-5. Toutefois, dans la mesure où ce dispositif avait été inséré au moyen d’une ordonnance n’ayant pas fait l’objet d’une ratification, il était théoriquement devenu caduc à l’expiration du délai de l’habilitation (Constitution, art. 38, al. 2). Dans la décision commentée, le Conseil donne tort à cette analyse traditionnelle, en considérant qu’« à l’expiration du délai de l’habilitation, (…) les dispositions de cette ordonnance ne pouvaient plus être modifiées que par la loi (…). Dès lors, à compter de cette date, elles doivent être regardées comme des dispositions législatives » (§ 11). En application de cette nouvelle jurisprudence, les ordonnances non ratifiées dans le délai d’habilitation, loin de devenir caduques, acquièrent donc valeur législative dès lors qu’un projet de ratification a été déposé par le gouvernement dans les délais. En l’espèce, loin de valoriser la démocratie participative, cette nouvelle interprétation de l’article 38 de la Constitution profite aux bénéficiaires des autorisations délivrées en application de la disposition litigieuse51.

II. Une valorisation illusoire de la démocratie représentative

Aussi baroque qu’elle puisse paraître au regard de la lettre de l’article 38 de la Constitution, mais également au regard de la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, est-il possible de considérer que, à défaut de véritablement conforter le principe de démocratie participative en matière environnementale, la décision commentée a le mérite de renforcer les fonctions législatives et de contrôle dévolues au Parlement en vertu de l’article 24 de la Constitution ? Dans le contexte d’un développement sans précédent de la législation déléguée en vue de faire face aux conséquences de la crise sanitaire, il était permis de l’espérer. Du reste, une voix autorisée de la doctrine contemporaine a estimé qu’« en décidant que, ratifiées ou non, les dispositions d’une ordonnance relevant du domaine législatif deviennent des dispositions législatives à l’expiration du délai fixé par la loi d’habilitation, le Conseil réaffirme les droits du Parlement »52. Or si les droits du Parlement apparaissent effectivement réaffirmés dans cette décision, ils ne sont nullement renforcés dans leur effectivité. Eu égard aux mécanismes de parlementarisme rationalisé à la disposition du gouvernement et au fait majoritaire qui domine au sein de l’Assemblée nationale, il est permis de douter de la portée réelle de ce revirement de jurisprudence.

En revanche, les incidences de cette décision sur la répartition des compétences dévolues au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État sont manifestes. Là où le Conseil d’État se trouvait compétent pour contrôler, durant le délai fixé par la loi d’habilitation, la légalité des ordonnances non ratifiées, dès lors qu’elles auront donné lieu au dépôt d’un projet de loi de ratification, c’est désormais le Conseil constitutionnel qui devra être saisi, tout du moins lorsque des droits et libertés garantis par la Constitution sont en cause. S’il est vrai qu’avec cette jurisprudence, « les ordonnances de ce type pourront donner lieu à une QPC sans limite de temps »53, eu égard à l’intensité du contrôle traditionnellement exercé par le Conseil constitutionnel sur les lois de ratification, il n’est pas certain que cette jurisprudence conquérante se fasse au bénéfice d’un contrôle plus vigilant du respect de la volonté du Parlement délégant. En définitive, dans l’intérêt du citoyen comme de celui des assemblées, gageons que le Conseil constitutionnel retournera vite à ses pinceaux en vue de parfaire son œuvre jurisprudentielle.

Bertrand-Léo COMBRADE

2-4 – Les validations législatives

(…)

2-5 – La procédure législative

(…)

3 – Le pouvoir juridictionnel

(…)

4 – Les finances publiques de l’État

(…)

5 – Les collectivités décentralisées

Commentaire : Décision n° 2020-850 QPC du 17 juin 2020, Mme Patricia W. [Attribution des sièges au premier tour des élections municipales dans les communes de 1 000 habitants et plus] (Cons. const., 17 juin 2020, n° 2020-850 QPC). Contestant le résultat du premier tour lors du scrutin municipal du 15 mars 2020 dans la commune de Juvignac dans l’Hérault, intervenu dans le contexte de l’état d’urgence sanitaire du printemps 2020 lié à la pandémie de Covid-19, et de l’élection de la liste arrivée en tête en application des règles de l’article L. 262 du Code électoral, Mme Patricia W., par ailleurs en tête de la liste arrivée en deuxième position, a déposé un recours devant le tribunal administratif de Montpellier le 20 mars 2020 à l’effet d’annuler les opérations électorales.

Par la décision n° 440335 du 25 mai 2020, le Conseil d’État a ensuite renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel, lui demandant de procéder à un nouvel examen de l’article L. 262 du Code électoral en raison d’un changement de circonstances.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC, et a, par là même, été amené à conforter sa jurisprudence sur le changement de circonstances à propos des élections municipales de 2020. Néanmoins, les questions de démocratie locale n’ont en conséquence pas pu être tranchées sur le fond.

I. Le scrutin électoral du 15 mars 2020, illustration de l’appréciation d’un changement de circonstances

A. Une QPC invoquant un changement de circonstances, restreinte dans son objet

Mme Patricia W. a formé une QPC portant sur l’article L. 262 du Code électoral. Elle soulevait plusieurs griefs liés à l’expression de la démocratie locale et à ses garanties : l’absence de condition de quorum au regard du nombre des électeurs inscrits pour la répartition des sièges au premier tour de scrutin pour les élections municipales dans les communes d’au moins 1 000 habitants ; le constat de ce que les suffrages obtenus par la liste arrivée en tête à Juvignac ne représentaient qu’une part réduite des électeurs inscrits compte tenu du faible taux de participation au premier tour de scrutin ; les dispositions de l’article L. 253 du Code électoral imposant dans les communes de moins de 1 000 habitants de satisfaire, pour être élu au premier tour, à la fois la majorité absolue des suffrages exprimés et le recueil d’un seuil de voix proportionnel au nombre des électeurs inscrits. Dans la commune concernée, la forte abstention et le faible nombre d’écart de voix rendaient l’élection acquise à la liste arrivée en tête alors qu’elle ne représentait que 18,68 % des électeurs inscrits.

Dans sa décision de renvoi n° 440335 du 25 mai 2020 (§ 4), le Conseil d’État a estimé qu’un changement de circonstances est susceptible de justifier le réexamen de l’article L. 262 du Code électoral en suivant le raisonnement suivant. Il a dans un premier temps rappelé l’existence de précédentes décisions de conformité sur la question de la constitutionnalité du mode de scrutin (la décision du Conseil constitutionnel n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 de conformité des dispositions contestées à propos des communes de 3 500 habitants et plus, et la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, intervenant postérieurement à la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, à propos de l’abaissement aux communes de 1 000 habitants et plus du champ d’application de ces dispositions). Il a toutefois estimé que, malgré l’existence de ces précédentes décisions de conformité, le contexte inédit dans lequel s’est déroulé, sur l’ensemble du territoire national, le scrutin du 15 mars 2020 — qui a conduit, en particulier, à l’adoption de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, dont les articles 19 et 20 portent sur ce scrutin — doit être regardé comme caractérisant un changement des circonstances susceptible de justifier le réexamen de la conformité de l’article L. 262 du Code électoral à la Constitution.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a eu une appréciation différente, conforme à sa propre jurisprudence. D’abord, il a restreint le champ de la QPC aux mots « la majorité absolue des suffrages exprimés », figurant à la première phrase du premier alinéa et du deuxième alinéa de l’article L. 262 du Code électoral (§ 4). Il a ensuite rappelé les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, selon lesquelles il ne peut être saisi d’une QPC relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances, seule dérogation à l’autorité de la chose déclarée conforme (§ 4).

B. Le changement de circonstances, une jurisprudence constitutionnelle bien établie

Par sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, Loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution (cons. 13), le Conseil constitutionnel a précisé que les changements des circonstances sont ceux « intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée ».

S’agissant d’un changement de circonstances de droit, celui-ci peut découler de l’évolution des normes constitutionnelles de référence en lien avec l’objet de la question, de l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de l’extension du champ d’application de la disposition législative ou la modification de son environnement législatif, ou encore d’une interprétation nouvelle de la disposition législative par le Conseil d’État ou la Cour de cassation. Toutefois, dans une décision n° 2018-713/714 QPC du 13 juin 2018 (§ 6), le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître un changement de circonstances du seul fait que le Conseil d’État ou la Cour de cassation lui a renvoyé une disposition législative déjà déclarée conforme à la Constitution par le Conseil, cette saisine ne pouvant constituer un changement de circonstances.

S’agissant d’un changement de circonstances de fait, combiné à un changement de circonstances de droit, le Conseil constitutionnel en a constaté l’existence dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (cons. 15 et 18), à propos de la garde à vue, après avoir relevé notamment que la modification des règles de la procédure pénale a conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et a modifié l’équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le Code de procédure pénale. Ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures, et ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée.

Dans sa décision n° 2020-850 QPC, le Conseil a examiné les changements de circonstances invoqués par la requérante, avant de les rejeter et dès lors sans répondre sur le fond aux griefs tirés de la méconnaissance de l’expression démocratique locale.

II. Le premier tour de scrutin du 15 mars 2020, illustration de l’absence de changement de circonstances confrontée aux questions de la démocratie locale

A. Pluralisme et sincérité du scrutin, face à l’absence de changement de circonstances

Invoquant la constitutionnalisation, par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, du principe de sincérité du scrutin, la requérante s’appuyait à la fois sur la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 ayant introduit à l’article 4 de la Constitution la disposition selon laquelle « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », et sur la décision n° 2012-233 QPC du 21 février 2012 dans laquelle le Conseil a reconnu que cette modification des normes constitutionnelles constituait un changement des circonstances permettant le réexamen des dispositions de la loi organique n° 76-527 du 18 juin 1976 relatives aux « parrainages » nécessaires pour présenter une candidature à l’élection du président de la République. Toutefois, le Conseil constitutionnel a rejeté ce motif, en relevant que « ni la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ni la mention explicite du principe de sincérité du scrutin dans des décisions du Conseil constitutionnel postérieures aux décisions précitées ne constituent un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées » (§ 7). Le Conseil a ainsi considéré que l’absence d’un seuil de votants aux élections municipales n’a pas, en soi, de conséquences sur le pluralisme, dans la mesure où l’absence d’un tel seuil peut permettre à des listes qui n’auraient pas pu franchir ledit seuil et qui n’auraient dès lors pas pu être présentes au second tour, d’obtenir des sièges à la représentation proportionnelle du premier tour. En outre, le Conseil a validé l’extension aux communes d’au moins 1 000 habitants du mode de scrutin prévu à l’article L. 262 du Code électoral par la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013.

La requérante invoquait un changement de circonstances tiré de la reconnaissance jurisprudentielle de la valeur constitutionnelle du principe de sincérité du scrutin, en s’appuyant sur les décisions n° 2013-673 DC du 18 juillet 2013, Loi relative à la représentation des Français établis hors de France (cons. 4, 6, 15 et 16) et n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information (§ 16).

Toutefois, le Conseil constitutionnel a rappelé avoir consacré ce principe dans plusieurs décisions, notamment la décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003, Loi portant réforme de l’élection des sénateurs (cons. 25 et 26), c’est-à-dire dans des décisions antérieures à celles citées par la requérante. Dès lors, il a jugé que ni la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ni la mention explicite du principe de sincérité du scrutin dans des décisions du Conseil constitutionnel postérieures aux décisions précitées ne constituent un changement de circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées (§ 7).

B. Participation et représentativité face à l’absence de changement de circonstances

La requérante invoquait en outre l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil d’application du scrutin de liste, par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 qui a ainsi étendu le champ d’application de l’article L. 262 du Code électoral.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a également rejeté ce motif. En effet, il a rappelé sa décision n° 82-146 du 18 novembre 1982 précitée, dans laquelle il a spécialement examiné l’article L. 262 du Code électoral, dans la même rédaction que celle contestée par la requérante, et a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision (§ 6). Le Conseil a en outre fait état de ce que si, depuis cette décision, le champ d’application de ces dispositions a été étendu aux communes d’au moins 1 000 habitants, les dispositions prévoyant cette extension ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013 précitée (§ 7).

S’agissant de la baisse manifeste du taux de participation, provoquée par la situation sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, qui aurait conduit à l’élection de listes très faiblement représentatives lors du premier tour de scrutin du 15 mars 2020, la requérante exposait qu’une telle situation n’avait nécessairement pas pu être prise en compte lorsque le Conseil avait statué sur ces dispositions en 1982. Elle invoquait en outre la décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 dans laquelle le Conseil avait examiné à nouveau les dispositions relatives à la garde à vue en se fondant sur des modifications des circonstances de droit et de fait.

Toutefois, le Conseil constitutionnel a jugé que le taux d’abstention des électeurs lors du scrutin du 15 mars 2020 et le contexte particulier lié à l’épidémie de Covid-19 ne constituent pas non plus un changement des circonstances justifiant un tel réexamen (§ 7).

La décision n° 2020-850 QPC s’inscrit pleinement dans la jurisprudence constitutionnelle qui ne reconnaît les éléments de fait comme un changement de circonstances que s’ils sont combinés à des éléments nouveaux de droit, ainsi qu’il a été statué dans la décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 précitée. En outre et concernant le scrutin municipal de 2020, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 (art. 19 et 20) dispose que les élections acquises dès le premier tour le demeurent en dépit du report du second tour, dans le respect des dispositions de l’article L. 262 du Code électoral s’agissant des communes d’au moins 1 000 habitants.

Fort logiquement et en l’absence de changement de circonstances, le Conseil constitutionnel a jugé dès lors qu’il n’y a pas lieu d’examiner la QPC (§ 8).

En conclusion, dans le contexte d’état d’urgence sanitaire, et alors qu’il s’est agi de préserver l’expression de la démocratie locale, la décision n° 2020-850 QPC ne peut répondre sur le fond aux questions de l’égalité devant le scrutin ou de la légitimité des élus.

Christine RIMBAULT

IV – Les droits et les libertés

« Dossier spécial – Les libertés et la crise sanitaire »

Commentaire : « Confinement et sanctions pénales » (Décision n° 2020-846/847/848 QPC du 26 juin 2020, M. Oussman G. et a. (Cons. const., 26 juin 2020, n° 2020-846/847/848 QPC).

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 a créé un article L. 3131-15 du Code de la santé publique au sein d’un chapitre intitulé « État d’urgence sanitaire » et dont le 2° autorisait, dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre à prendre diverses mesures par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la Santé, aux seules fins de garantir la santé publique, dont celles d’« interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ». Ces mesures étaient assorties de sanctions pénales, prévues au deuxième alinéa de l’article L. 3136-1 du même code et punissant la violation des obligations édictées notamment en application de l’article L. 3131-15 de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. En cas de répétition de l’infraction dans un délai de 15 jours, l’amende prévue est celle des contraventions de la cinquième classe.

L’alinéa 4 complétait ce régime en cas des mêmes violations verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de 30 jours, par des peines de 6 mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende, ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général. Les mêmes sanctions ont continué d’être prévues dans la rédaction de l’article L. 3136-1 issue de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

C’est cet alinéa 4 qui était au cœur des trois QPC répertoriées sous les nos 2020-846/847/848 QPC sur renvoi de la chambre criminelle de la Cour de cassation et jointes pour donner lieu à la décision du 26 juin 2020, M. Ousmann Guirassi et autres (c’est-à-dire M. Mohamed Traoré et Toufik Bouzedi). La Cour de cassation avait en effet jugé que la disposition était susceptible de porter atteinte au principe de légalité des délits et des peines résultant de l’article 8 de la déclaration des droits et, pour deux d’entre elles, méconnaissait également la présomption d’innocence garantie par l’article 9 du même texte selon lequel « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».

L’article 8 dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». S’agissant de cette seule disposition, les requérants soutenaient que les peines prévues par le texte n’étaient pas définies de manière précise et qu’elles prévoyaient des peines qui n’étaient pas strictement nécessaires (v. la rubrique « Principes du droit répressif »).

I. Une définition suffisamment précise des délits

En ce qui concerne stricto sensu le principe de légalité des délits et des peines, le Conseil a rappelé son considérant de principe sur les attributions du législateur, fondées à la fois sur l’article 8 précité et sur l’article 34 de la Constitution selon lequel « le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (§ 9). Cette interprétation remonte à la décision n° 80-127 DC du 20 janvier 198154 et a été développée dans une décision postérieure du Conseil constitutionnel : « Il résulte [de l’article 8 de la déclaration et de l’article 34 de la Constitution] que le législateur est tenu de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s’impose non seulement pour exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions »55. Parallèlement, l’incompétence négative du législateur, fondée sur le seul article 34 en ce qu’il définit les compétences du législateur, était également critiquée par l’un des requérants qui estimait que le législateur n’avait pas épuisé sa compétence. Il estimait que la loi avait abandonné au pouvoir réglementaire la définition des cas dans lesquels les sorties du domicile étaient autorisées. C’est le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, publié en même temps que la loi du 23 mars 2020, qui a prescrit les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et qui a prévu, dans son article 3, que « tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants », une liste de 8 cas établissant les possibilités de sortie tout en « évitant tout regroupement de personnes » (JO, 24 mars 2020)56.

Dans la décision n° 846/847/848, le Conseil a considéré que les termes mêmes de la loi n’étaient ni imprécis ni obscurs, car la notion de verbalisation ne renvoie qu’au fait de dresser un procès-verbal, et que les exceptions posées aux interdictions de sortie, soit les « déplacements indispensables aux besoins familiaux et de santé », n’étaient pas équivoques. En outre, la verbalisation « à plus de trois reprises » ne pouvait que correspondre à trois sorties différentes du domicile et non pas à trois verbalisations pour une même sortie, contrairement à ce qui était soutenu (§ 11). Si, en effet, la loi renvoie au pouvoir réglementaire la possibilité de prévoir d’autres exceptions, les mesures prescrites sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu (§ 12). À défaut d’être équivoque, la définition n’était cependant pas d’une grande précision, certains contrevenants ayant été parfois verbalisés, lors du confinement du printemps 2020, sur des motifs discutables ou flous. Il est vrai que le texte législatif a été préparé, débattu et adopté dans un délai extrêmement court qui ne laissait pas la place à une rédaction incontestable. Le Conseil constitutionnel a pu aussi tenir compte de cette contrainte législative.

II. La proportionnalité des sanctions

L’article 8 de la déclaration des droits n’affirme pas seulement que les délits au sens large doivent être définis antérieurement et précisément, mais aussi que les peines prévues pour les sanctionner doivent être strictement nécessaires, c’est-à-dire qu’elles doivent être proportionnées. La jurisprudence constitutionnelle est également constante sur ce point et a été formulée dans la même décision n° 79-127 DC précitée du 20 janvier 1981 (cons. 11 à 13). Le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel sur la nécessité comme sur la proportionnalité de la peine est un contrôle restreint qui est ainsi limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Il n’appartient pas, en effet, au Conseil de substituer, en principe, son appréciation de ces questions à celle du législateur. Si ce principe est exprimé par le Conseil sur ce sujet dans de nombreuses décisions, il n’a pas jugé utile de le répéter dans la décision n° 846/847/848 QPC. La verbalisation conduisant au tribunal correctionnel n’intervient qu’à la quatrième violation de l’interdiction de sortir au cours des mêmes 30 jours, et selon la loi telle que comprise par le Conseil, les faits de cette quatrième verbalisation sont nécessairement différents de ceux des trois premières, quand bien même le contrevenant est sorti quatre fois pour le même motif, par exemple pour se rendre dans une grande surface ou un bar-tabac de son quartier, ce qui ne répond pas aux besoins familiaux et de santé prévus par la loi et le décret. En outre, l’incrimination est destinée à assurer le respect des mesures prises pour garantir la santé publique durant l’état d’urgence sanitaire selon une sorte de bilan entre les menaces sur la santé de la population et les possibles atteintes aux droits et libertés, à la suite des décisions n° 2020-799 DC du 26 mars 2020 et n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 sur les lois d’urgence pour faire face à l’épidémie qui ont, en quelque sorte, tracé la voie des décisions du Conseil relatives à l’état d’urgence sanitaire. De ce fait, le Conseil a estimé que la loi n’avait pas méconnu le principe de proportionnalité des peines ni, sans répondre expressément au grief formulé par l’un des requérants (§ 6), celui selon lequel le délit réprimerait des violations qui ont déjà été punies de contraventions au mépris du principe non bis in idem. Comme le Conseil l’affirme au paragraphe 16, les dispositions contestées ne « méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ».

Michel VERPEAUX

Commentaire : « Quoi qu’il en coûte au contentieux constitutionnel : jugement et dé-jugement de la pandémie de Covid-19 par le Conseil constitutionnel » (Décisions n° 2020-799 DC, du 26 mars 2020, Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 et n° 2020-800 DC, du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions).

Des circonstances exceptionnelles. C’est ainsi qu’il est possible de résumer les événements liés à la pandémie de Covid-19, ses conséquences sur le droit constitutionnel et son contentieux. Le couple des décisions nos 2020-799 et 2020-800 DC démontre bien qu’un « jour d’avant » a existé. Toutes les données contentieuses bousculées ne sont rien en comparaison des notions de droit nouvelles qui changent la figure d’une société : « mise en quarantaine », « confinement », « distanciation », nouveau vocabulaire pour un nouveau mode de vie.

Par ces deux décisions, le Conseil constitutionnel a défini le « nouveau contentieux constitutionnel » applicable à cette période de vie contrariée. Comme toute institution juridique s’adapte à son contexte social, le Conseil constitutionnel a dû créer un nouveau corpus constitutionnel de référence pour arbitrer les conflits de libertés à venir (qui allaient être nombreux) et pour inscrire la procédure constitutionnelle dans le cadre de l’urgence de la situation sanitaire.

La procédure d’urgence constitutionnelle laisse cruellement à désirer puisque le Conseil préfère considérer que la suspension de toute QPC s’adapte aux circonstances sanitaires ; quant aux normes de référence, elles sont encore cahotantes dans cette décision bien tardive dans les circonstances (n° 2020-800 DC), puisque le Conseil n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la loi de proclamation de l’état d’urgence sanitaire qui méritait sans aucun doute d’être confrontée à la Constitution.

Dans ces deux décisions, le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé l’existence de « circonstances exceptionnelles », qui n’en portent pas le nom et n’en souffrent pas même le régime, tout en déclarant conformes à la Constitution une série de mesures restrictives de liberté appelées par le contexte sanitaire.

I. Des circonstances exceptionnelles

A. Une nouvelle théorie des circonstances exceptionnelles

La loi organique avait pour objet de suspendre jusqu’au 30 juin 2020 le délai de 3 mois de transmission des QPC par le Conseil d’État et la Cour de cassation, ce qui a bien sûr un effet sur le délai de décision du Conseil lui-même. L’article unique de la loi organique précise qu’« afin de faire face aux conséquences de l’épidémie du virus Covid-19, les délais mentionnés aux articles 23-4, 23-5 et 23-10 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel sont suspendus jusqu’au 30 juin 2020 ». Sans la mentionner, la loi ordinaire d’urgence (n° 2020-290, 23 mars 2020) inspire la loi organique sans la fonder juridiquement.

La première lacune remarquable de la décision n° 2020-799 DC concerne sans doute la notion de circonstance exceptionnelle qui souffre de la même indétermination que la notion d’urgence (§ 2). Le Conseil constitutionnel s’en remet aux « circonstances particulières de l’espèce » (§ 1) et à la situation sanitaire (§ 4) pour qualifier cette période de crise sanitaire. La limitation à la seule « espèce » n° 2020-799 DC de cette décision de suspension manque de clarté puisque cette espèce vise précisément à en régir d’autres : toutes les affaires QPC ayant été soulevées durant la période d’urgence sanitaire. Quelles sont alors ces circonstances de l’espèce liées à l’urgence sanitaire ? Le Conseil n’a pas cru bon de se rallier aux circonstances exceptionnelles jurisprudentielles dégagées par le Conseil d’État pour la guerre de 1914-1918. Il n’a pas cru bon non plus d’évoquer à demi-mot les termes de l’article 16 de la Constitution ou même de son article 5 pour évoquer la « continuité de la Nation » mise en danger, le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » altérés alors que cette situation d’état d’urgence sanitaire y ressemblait fortement. Le rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi organique ne mentionnait-il pas une atteinte au « bon fonctionnement et à la célérité ordinaire des juridictions » que la crise sanitaire induisait nécessairement ? Le Parlement, restreint dans ces droits, n’était-il pas lui aussi perturbé dans son fonctionnement normal ? A d’ailleurs été mentionnée l’hésitation du président de la République à utiliser la procédure de l’article 16 de la Constitution qui n’était pas dépourvue de bon sens – puisqu’il s’agit malheureusement de la seule procédure constitutionnelle ménagée pour les cas d’urgence.

Néanmoins, le Conseil ne s’en est remis qu’aux circonstances particulières de l’espèce, sans même dire un mot de la situation « d’état d’urgence sanitaire » qui fonde pourtant bien la décision. À y regarder de plus près, ce sont d’ailleurs les concepts dégagés durant la période de l’état d’urgence dans les circonstances des attentats terroristes de 2015 à 2020 qui ont inspiré le contrôle qu’il a opéré dans la décision n° 2020-799 comme dans la décision n° 2020-800 DC.

B. Un affaiblissement du rôle du Conseil constitutionnel

La notion d’état d’urgence que le Conseil constitutionnel a connu durant la période post-attentats de 2015 avait fait émerger l’équilibre des libertés en période d’état d’urgence ; le Conseil précisait que « la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence ; qu’il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés »57. Il conviendrait ici de lire « ordre public » dans sa composante sanitaire. Sans surprise donc, la décision n° 2020-800 DC s’inscrit dans la lignée de la décision n° 2020-799 par la demi-mesure assumée du contrôle exercé dans la continuité des décisions rendues en matière d’état d’urgence à travers le choix d’un contrôle de proportionnalité qui fait la part belle aux objectifs du législateur.

Cette décision était déjà « mal partie », et les conditions dans lesquelles elle a été délibérée étaient déjà symptomatiques d’un rôle limité – voire purement consultatif et secondaire – du Conseil. En effet, le projet de loi Déconfinement a été discuté suivant la procédure accélérée – qui porte mal son nom ici –, puisque l’urgence qui prévalait avant la réforme de 2008 aurait été mieux adaptée dans sa terminologie aux conditions dans lesquelles elle a été « lue » plus qu’examinée par le Parlement. Mais il est plus choquant encore de constater qu’elle a été promulguée après que le déconfinement du 11 mai tant attendu ait été effectivement mis en œuvre sur le territoire ; le Conseil n’a pas eu d’autre choix que de se prononcer en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, de manière à ne pas faire mentir cette date du 11 mai. Mais outre l’urgence de la décision, ce schéma illustre la quasi-certitude qu’avait acquise le gouvernement que la constitutionnalité du texte était incontestable au point que le délai d’examen de 1 mois laissé au Conseil ait été négligé dans le calendrier gouvernemental. Il convient de rappeler qu’en période d’urgence sanitaire, le formalisme procédural spécifique de la bureaucratie administrative « à la française » a pu être à juste titre critiqué autant que son jacobinisme historique. Mais en aucun cas la décision de constitutionnalité rendue par le Conseil préalablement à la promulgation d’une loi ne peut être considérée comme une « formalité », comme un ralentissement indu du processus législatif. Il en va des principes fondamentaux de notre état de droit.

II. Une déclaration de conformité classique

A. L’absence de contrôle de constitutionnalité de l’urgence

La loi organique se réclame tant de l’article 46 de la Constitution que de l’article 61-1 sans toutefois, nous semble-t-il, respecter ni l’un ni l’autre. De l’article 46 de la Constitution, cette loi organique a bousculé les codes en étant adoptée dans le mépris des règles très claires de délai fixées par le texte constitutionnel. Quant à l’article 61-1 de la Constitution, en renvoyant à une loi organique d’application, il n’est pas certain que le constituant ait envisagé que l’article ait pu être complété par autant de lois organiques que nécessaire. À notre connaissance, la pratique coutumière en ce qui concerne la procédure constitutionnelle est d’utiliser l’ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 comme lex generalis, en la complétant par des lois organiques modificatives mais qui sont utilisées pour être in fine intégrées dans ce texte, comme l’a d’ailleurs été la loi organique du 10 décembre 2009 relative à la procédure de QPC. La loi organique d’urgence devra-t-elle donc désormais être considérée comme un code de procédure bis applicable au contentieux constitutionnel d’urgence ? Existe-t-il une procédure d’urgence en contentieux constitutionnel à la manière de celle existant devant la Cour européenne des droits de l’Homme, ou devant les juges administratifs depuis les procédures d’urgence de 2000 ? L’on ne peut qu’être déçu d’être forcé de répondre par la négative au vu de la lecture de la décision n° 2020-800. Le législateur organique ne fixe pas de délai « dérogatoire » pour cette période sanitaire exceptionnelle, il n’organise pas les principes de survie de la justice constitutionnelle durant la période et ne précise pas quels principes seront perturbés et les autres conservés. Pire encore, les auteurs de saisine n’utilisent même pas la procédure « d’urgence » prévue par l’alinéa 3 de l’article 61 de la Constitution qui dispose que « toutefois, à la demande du gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours ». Le raisonnement du président de la République suivant lequel la vie doit être sauvée « quoi qu’il en coûte » semble avoir tant imprégné les textes législatifs de cette période que cette idéologie était même supposée avoir son extension jusqu’au sein du Conseil constitutionnel. C’est bien ce qui s’est passé. Le Conseil constitutionnel a estimé conforme aux prescriptions constitutionnelles qu’une « suspension » (ni un report, ni un décalage mais une suspension pure et simple) des délais s’applique en matière d’urgence sanitaire.

Cette décision peut s’avérer coûteuse. En laissant entendre que le contentieux constitutionnel peut être « gelé » par une suspension le temps d’une circonstance exceptionnelle, le Conseil constitutionnel pourrait en faire « le droit commun » applicable en période de crise.

B. La proportionnalité minimale

Le Conseil constitutionnel est donc allé vite et a timidement consacré une norme de référence nouvelle permettant d’axer le contrôle de constitutionnalité durant les semaines – les mois ou les années ? – de pandémie. Cette norme de référence, n’étant rien d’autre qu’un objectif de valeur constitutionnelle, traduit bien la notion de recherche d’équilibre auquel le législateur doit tendre, qui n’appelle pas nécessairement la censure mais plutôt la recherche d’un bilan de proportionnalité. Cet objectif est celui de protection de la santé ; il est rattaché au préambule de la constitution de 1946 et ne fait que déployer le triptyque traditionnel de l’ordre public : sécurité, tranquillité et salubrité publiques. Cet objectif, pivot de la proportionnalité des mesures, a été dégagé de bonne grâce et est devenu la manifestation constitutionnelle du « quoi qu’il en coûte » présidentiel : à tort ou à raison.

C’est ainsi que les mesures d’isolement, mises en œuvre pour prévenir la « propagation de la maladie à l’origine de la catastrophe sanitaire », ont été jugées adaptées à l’objectif de protection de la santé. Le Conseil constitutionnel a, à propos du respect de la liberté d’aller et venir et de la vie privée, utilisé pour juger la conformité de l’atteinte à la Constitution les raisons avancées par le législateur. Il convient de constater que le Conseil s’en remet de plus en plus fréquemment et facilement aux garanties périphériques du dispositif (par exemple, la surveillance d’un comité de contrôle pour l’atteinte aux données personnelles) pour le juger en tant que tel conforme à la Constitution. La proportionnalité est confortable pour le juge constitutionnel, qui l’utilise comme une balance entre les différents intérêts contradictoires après que le législateur s’y soit lui-même exercé. Au jeu des équilibres, personne n’est gagnant puisque le Conseil ajoute la subjectivité de son appréciation à celle du Parlement et préfère ne pas s’y risquer en reprenant à son compte, le plus souvent, le raisonnement du législateur.

Pour la liberté individuelle autant que la protection de la vie privée à propos de la diffusion des données personnelles nécessaires à la mise en place de l’application « Stop-Covid », le Conseil a vérifié l’adéquation et la proportionnalité des mesures à l’objectif qui, par son importance, a effectivement emporté la constitutionnalité des deux dispositions. Il a ainsi joué son rôle par le jeu des réserves d’interprétation, et contrôlé ces libertés au prisme de l’article 66 de la Constitution, en se focalisant sur la surveillance régulière de toutes mesures attentatoires auxdites libertés par l’autorité judiciaire. Pour les données personnelles, la jurisprudence constante est déjà relativement souple, car les données peuvent être recueillies même sans consentement dans certains cas en matière de santé. Mais en présence du consentement, seule « la particulière vigilance » des autorités protègera la diffusion des données. Là encore, une réserve d’interprétation – au pouvoir réglementaire cette fois-ci – édictée afin que soit garantie la stricte confidentialité des données personnelles a sauvé le dispositif.

Quant aux deux censures, elles ne changent pas la nature de la décision puisqu’elles concernent une disposition transitoire et une disposition portant sur le partage des pouvoirs entre le gouvernement et le Parlement. La communication de l’ensemble de ces données, notamment parce qu’elles risquaient d’être nombreuses, a été considérée comme une injonction du Parlement au gouvernement et méconnaissant la séparation des pouvoirs, alors précisément que le maintien de ces seules informations aux mains de l’exécutif – sans qu’une information du Parlement ne soit nécessaire – n’a pas, semble-t-il, le même effet. La séparation des pouvoirs devrait pouvoir être identique dans les deux sens. L’interprétation semble tout à fait choquante lorsqu’il précise qu’il est seulement « loisible au législateur de prévoir des dispositions assurant l’information du Parlement » (§ 82). Cette exigence constitutionnelle d’information du Parlement est donc considérée comme un « vœu » – voire un simple objectif constitutionnel – faisant souffrir la disposition d’un contrôle de proportionnalité préalable avant que le Conseil ne considère qu’il y soit porté atteinte. Même implicite, cette proportionnalité est donc partout. Elle est devenue le sens du contrôle de constitutionnalité, le synonyme de son expression, faisant parfois douter de la communicabilité de la jurisprudence et de la décision du juge elle-même. Mais à circonstances exceptionnelles, décisions exceptionnelles.

Anne-Charlène BEZZINA

A – Les libertés

1 – Libertés et sécurité

Depuis plusieurs décennies, dans l’optique de renforcer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, le législateur s’attache à incriminer un nombre croissant de comportements en lien avec cette activité. Dans certains cas, la jurisprudence de la Cour de cassation vient au soutien de son entreprise. Il en va ainsi avec le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme inscrit, selon la Cour cassation, dans les « dispositions combinées » des articles 321-1 et 421-2-5 du Code pénal. Dans la décision n° 2020-845 QPC du 19 juin 2020 (Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-845 QPC), le Conseil constitutionnel a été invité, comme il l’est souvent en cette matière, à apprécier la conciliation opérée par le législateur entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté d’expression. Suivant une jurisprudence constante en la matière, le Conseil a apprécié la constitutionnalité des dispositions contestées suivant l’interprétation qui en est donnée par le juge, en l’espèce, la Cour de cassation. Après avoir rappelé que la liberté d’expression bénéficiait d’une protection renforcée, le Conseil a mis œuvre le triple test de proportionnalité qu’il exerce depuis la décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008. À l’issue de ce contrôle, il a estimé que le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme portait une atteinte à la liberté d’expression qui n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi (§ 26)58. Il a relevé, en particulier, que les autorités administratives et judiciaires disposaient déjà de nombreuses prérogatives leur permettant de prévenir et sanctionner des actes comparables à celui faisant l’objet d’une incrimination (§ 22). Par conséquent, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation neutralisante, en considérant que les dispositions dont il avait été saisi ne pouvaient être interprétées comme réprimant le délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme.

2 – Liberté individuelle, respect de la vie privée, principe de responsabilité

Le Conseil constitutionnel rattache le principe de liberté individuelle, désormais resserré à la seule sûreté personnelle, à l’article 66 de la Constitution. La liberté personnelle et ses différentes déclinaisons, comme la liberté d’aller et venir, le respect de la vie privée ou le droit de mener une vie familiale normale, sont quant à elles protégées par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen59. Dans trois décisions récentes, le Conseil a clarifié le degré des atteintes que le législateur pouvait leur porter.

Dans la décision n° 2019-826 QPC du 7 février 2020 (Cons. const., 7 févr. 2020, n° 2019-826 QPC), étaient en cause les articles 351 et 352 du Code civil dans leur rédaction issue d’une loi du 11 juillet 1996 qui, selon le requérant, empêchaient la reconnaissance d’un enfant par ses parents de naissance à compter de son placement en vue d’une adoption. Après avoir confronté ces deux articles aux alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 protégeant, outre le droit de mener une vie familiale défendu au fondement des articles 2 et 4 de la déclaration de 1789, l’intérêt supérieur de l’enfant, le Conseil n’a pas détecté d’inconstitutionnalité60. Il a considéré que le législateur avait opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit des parents de naissance de mener une vie familiale normale et l’objectif de favoriser l’adoption de cet enfant (§ 11).

La décision n° 2020-841 QPC du 20 mai 2020 (Cons. const., 20 mai 2020, n° 2020-841 QPC) a conduit le Conseil constitutionnel à sanctionner l’atteinte excessive apportée par une loi au droit au respect de la vie privée. La QPC portait plus précisément sur des dispositions inscrites à l’article L. 331-21 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009. Aux termes de cet article, les agents de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) se trouvaient habilités à obtenir des opérateurs de communication électronique des informations à caractère personnel relatives à l’abonné. Après avoir mis en balance le droit au respect de la vie privée et l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle, le Conseil a estimé que le législateur n’avait pas entouré la procédure contestée de garanties suffisantes (§ 18).

Les mesures attentatoires aux libertés individuelles prises à l’encontre de personnes faisant l’objet d’une prise en charge psychiatrique sans leur consentement font traditionnellement l’objet d’une jurisprudence abondante. Dans la décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 (Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC), le Conseil a dû apprécier la conformité à l’article 66 de la Constitution de l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, fixait les conditions dans lesquelles les établissements assurant des soins psychiatriques sans consentement pouvaient mettre à l’isolement des personnes hospitalisées. Dans la mesure où cette disposition constitue une mesure privative de liberté, le Conseil constitutionnel a relevé qu’elle devait se conformer à l’article 66 de la Constitution qui impose l’intervention de l’autorité judiciaire. Or en l’espèce, la disposition contestée ne prévoyait nullement le contrôle d’une telle autorité (§ 8). Par conséquent, le Conseil a déclaré la disposition contestée contraire à la Constitution61.

3 – Liberté d’expression, liberté de conscience

Commentaire : « Obligation de retrait de contenus en ligne et la liberté d’expression et de communication » (Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2000, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet).

La loi Avia, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, a été presque entièrement censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 juin 2000. Cette décision met en lumière les difficultés que rencontre le législateur pour faire réprimer les abus de la liberté d’expression et de communication en ligne sans entraver cette dernière de manière disproportionnée.

La loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 est issue d’une proposition de loi émanant de députés de la majorité. Elle vise à lutter « contre la haine, le racisme et l’antisémitisme sur internet » afin de prévenir le cyberharcèlement. La difficulté de retrouver et poursuivre les auteurs des faits conduit à envisager des moyens supplémentaires par rapport à l’arsenal existant. L’exposé des motifs met ainsi en avant la nécessité de créer de nouvelles obligations pesant sur les hébergeurs de contenu en les rendant responsables de la diffusion de contenu haineux. Le but était de contraindre ces derniers à retirer les contenus haineux, sans attendre l’aboutissement de procédures judiciaires pouvant être longues, inefficaces et coûteuses pour les victimes.

Le régime de responsabilité et de sanction envisagé était principalement un régime administratif : c’est l’Administration qui devait enjoindre aux hébergeurs de retirer le contenu (dans des délais très courts) et c’est une autorité administrative indépendante, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui était compétente pour prononcer la sanction. La loi adoptée prévoyait principalement deux dispositifs. Elle distinguait les contenus dits « odieux » des autres discours de haine. Pour les premiers, elle imposait aux hébergeurs (Facebook, YouTube, Twitter, Instagram, Google, Amazon, etc.) de retirer ou rendre inaccessibles les contenus provoquant des actes terroristes ou faisant l’apologie de tels actes, ainsi que ceux à caractère pédopornographique dans un délai d’une heure à compter de la notification de l’autorité administrative. Pour les seconds, elle imposait à ces mêmes opérateurs de retirer ou de rendre inaccessible, dans un délai de 24 heures après notification par une ou plusieurs personnes, tout contenu contrevenant manifestement aux dispositions mentionnées aux cinquième, septième et huitième alinéas de l’article 24 à l’article 24 bis et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, aux articles 222‑33, 227‑23 et 421‑2‑5 du Code pénal ainsi que, lorsque l’infraction porte sur un contenu à caractère pornographique, à l’article 227‑24 du même code. Cette longue liste correspond à la provocation et à l’apologie de la violence contre les personnes et les biens ou aux crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, ainsi qu’à la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence fondées sur la race, l’appartenance religieuse, l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou le handicap. Cela concerne également la contestation de crimes contre l’humanité, de génocide, d’esclavage et de crime de guerre, l’injure raciale, validiste, sexuelle ou LGBTphobe, le harcèlement sexuel, la diffusion d’images pédopornographiques, la provocation et l’apologie des actes de terrorisme et enfin la diffusion de pornographie susceptible d’être vue par un mineur. Le manquement à ces obligations était assorti de lourdes sanctions pénales et de sanctions administratives décidées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

La question de la compatibilité de ce nouveau dispositif avec le droit européen et constitutionnel avait déjà été soulevée par le Conseil d’État et la Commission européenne. Faisant usage de la faculté ouverte depuis la révision de 2008 de saisir le Conseil d’État pour avis sur une proposition de loi (art. 39, al. 5 C), le président de l’Assemblée nationale avait soumis le projet à l’appréciation du Conseil d’État, qui avait exprimé plusieurs réserves62. La Commission européenne avait également adressé au ministre des Affaires européennes, Jean-Yves Le Drian, des observations dans le cadre du dispositif organisé par l’article 5, § 2 de la directive n° 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information63.

Les sénateurs faisaient valoir en premier lieu dans leur saisine que la loi était une transposition de la directive E-commerce64 en droit interne et qu’elle serait manifestement incompatible avec celle-ci, ce qui devrait amener le Conseil à la censurer65. Ils estimaient ensuite que l’obligation de retirer les contenus haineux dans un délai très court (une ou 24 heures) portait atteinte notamment à la liberté d’expression et de communication ainsi que, s’agissant des sanctions, au principe de légalité et de proportionnalité des délits et des peines (§ 3 et 11).

S’agissant de la conformité de la loi à la directive européenne, le Conseil ne répond pas directement, en considérant implicitement que la loi en cause n’avait pas pour objet de transposer une directive européenne et qu’ainsi sa jurisprudence sur l’obligation constitutionnelle de transposition des directives européennes ne trouvait pas à s’appliquer. La directive sur le commerce électronique avait déjà été transposée dans l’ordre interne par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Une loi modifiant une loi de transposition n’est pas elle-même une loi de transposition. La question de la conformité de cette loi au droit de l’Union européenne relève ainsi de l’appréciation du juge ordinaire. Il lui restait néanmoins à se prononcer sur le caractère proportionné de l’atteinte que portaient les obligations de retrait à la liberté d’expression et de communication. L’obligation pour les hébergeurs de retirer des contenus haineux dans de très brefs délais et sans l’intervention d’un juge porte-t-elle une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication ?

Le Conseil a d’abord estimé que le droit à la liberté d’expression et de communication impliquait non seulement la liberté d’accéder à des services en ligne, mais également celle de s’y exprimer (§ 4) (I). Ensuite, il a considéré que les deux dispositifs n’étaient pas conformes à la Constitution en ce qu’ils portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication (§ 8 et 19) (II). Il a en conséquence déclaré inconstitutionnels les régimes de sanction qui étaient inséparables des dispositifs principaux, sans examiner leur constitutionnalité sur le fond (§ 24-25). La quasi-totalité de la loi a ainsi été déclarée inconstitutionnelle.

I. La consécration d’un droit à s’exprimer sur internet

La décision commentée est l’occasion pour le Conseil de consacrer expressément un droit à s’exprimer librement sur internet en plus du droit d’accès aux services de communication au public en ligne qu’il avait déjà reconnu.

Il avait eu l’occasion de juger en 2009, dans le cadre de la décision relative à Hadopi, qu’étant donné le développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi que l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, le droit de libre communication implique la liberté d’accéder à ces services66. Dans la présente décision, il réaffirme cette position et la renforce en reconnaissant non seulement la liberté d’accès à ces services, mais également celle de s’y exprimer (§ 4). La reconnaissance de ce droit à s’exprimer librement sur internet fait apparaître la protection que le Conseil entend apporter à la liberté d’expression, y compris en ligne.

Cette liberté d’expression, si elle bénéficie des mêmes garanties, peut également être soumise aux mêmes restrictions. Le législateur peut ainsi instituer des incriminations réprimant les abus dans l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers67. Il doit cependant respecter, ce faisant, le principe de proportionnalité. Le Conseil constitutionnel s’assure ainsi que les atteintes portées à la liberté d’expression et de communication sont nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi (§ 5)68.

En l’espèce, il a estimé que les obligations de retrait de contenu portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication.

II. Les obligations de retrait de contenus, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication

La facilité à déterminer l’illicéité du comportement, la possibilité de saisir un juge pour contester la demande de retrait avant d’y être contraint et la possibilité de s’exonérer en cas de non-respect de l’obligation de retrait sont autant d’éléments qui permettent de déterminer si l’obligation de retrait de contenus en ligne porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication. À cet égard, l’appréciation du Conseil s’appuie non seulement sur les restrictions effectivement apportées à la liberté d’expression et de communication sur le fondement de décisions administratives et juridictionnelles, mais également aux effets que la législation est susceptible d’avoir sur le comportement d’opérateurs privés et, par ricochet, sur l’exercice de la liberté d’expression sur ces plates-formes.

Le dispositif en cause visait à compléter celui institué par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure et complété par la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Ces lois avaient créé une obligation pesant sur les fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès à certaines adresses comportant des contenus à caractère terroriste (pour la loi de 2014) ou pédopornographiques (pour la loi de 2011), après notification de l’autorité administrative. Le Conseil s’était prononcé sur la loi de 2011 et avait alors estimé ces dispositions conformes à la Constitution en raison de leur champ d’application limité (l’accès aux services de communication en ligne n’est restreint que lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie infantile) et de la possibilité de contester la décision administrative selon les voies du droit commun. Il avait donc conclu que, dans ces conditions, ces dispositions assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication69.

En 2018, le Conseil s’était prononcé sur la conformité à la Constitution de la procédure de référé contre les « fake news » en période électorale, qui permet de demander en référé la cessation de la diffusion de certaines fausses informations susceptibles de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Il avait estimé que le dispositif était conforme à la Constitution, mais avait émis une réserve d’interprétation : le caractère inexact et le risque d’altération de la sincérité du scrutin devaient être manifestes70.

Le contrôle d’un juge et le caractère manifeste de l’illicéité avaient pu sembler déterminants pour le Conseil en 200471. L’inflexion de la jurisprudence par la suite laissait néanmoins penser que, si le champ d’application n’était pas suffisamment circonscrit ou le caractère illicite du contenu suffisamment facile à constater, l’intervention d’un juge deviendrait particulièrement nécessaire pour assurer le respect de la liberté d’expression et éviter que le retrait de contenus ne se fasse sur la base d’une décision arbitraire de l’Administration ou de l’hébergeur.

En l’espèce, si le but poursuivi a été considéré comme légitime, car il s’agissait de réprimer des abus de liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers, le Conseil a néanmoins estimé que l’atteinte portée à la liberté d’expression et de communication était disproportionnée (§ 6 et 13). Les deux nouveaux dispositifs envisagés avaient un champ d’application assez large et la naissance de l’obligation de retrait n’était pas subordonnée à l’intervention d’un juge. Le problème du respect de la liberté d’expression et de communication se posait différemment pour les deux dispositifs car, pour le premier, l’atteinte provenait d’une décision administrative, alors que pour le second il s’agissait d’une décision de l’hébergeur.

Le risque pour l’obligation de retirer des contenus « odieux » est que l’Administration adopte une position trop conservatrice et que l’hébergeur ne soit pas en mesure de contester les décisions de l’Administration. Pour estimer que l’atteinte à la liberté d’expression et de communication est disproportionnée, le Conseil relève que, contrairement à ce qui était prévu pour d’autres dispositifs similaires, la détermination du caractère illicite des contenus ne repose pas sur leur caractère manifeste et dépend entièrement de l’appréciation de l’Administration. De plus, en cas de contestation, l’opérateur ne pourra obtenir de décision juridictionnelle avant d’être contraint de retirer le contenu, sous peine de sanctions pénales (1 an d’emprisonnement et 250 000 € d’amende) (§ 7). Le dispositif porte ainsi directement atteinte à la liberté d’expression et de communication.

S’agissant de l’obligation de retirer les autres contenus de haine, l’atteinte ne provient pas directement du dispositif, mais des effets qu’il est susceptible d’avoir. Dans ce cas, l’obligation de retrait ne naît pas d’une décision juridictionnelle ou administrative, mais d’un simple signalement. L’hébergeur est ensuite chargé d’examiner tous les contenus signalés, dans le très court délai de 24 heures (§ 16), aussi nombreux soient-ils, afin de ne pas risquer d’être sanctionné pénalement (§ 14). Cette charge est d’autant plus lourde que son examen ne doit pas se limiter au motif indiqué dans le signalement. L’opérateur doit ainsi examiner les contenus signalés au regard de l’ensemble de ces infractions. En outre, le Conseil relève ainsi que la détermination du caractère illicite du contenu peut être délicate, car elle peut présenter une technicité juridique, ou nécessiter une appréciation du contexte d’énonciation ou de diffusion des contenus en cause (§ 15). De plus, la seule cause d’exonération prévue par le législateur est imprécise et aucune cause d’exonération de responsabilité spécifique n’est prévue, tenant par exemple à une multiplicité de signalements dans un même temps (§ 17). Enfin, la sanction est encourue pour chaque défaut de retrait et non en raison de leur répétition (§ 18). C’est la combinaison de ces trois éléments (difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, peine encourue dès le premier manquement et absence de cause spécifique d’exonération) qui conduit le Conseil à estimer que les dispositions en cause ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plate-forme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites (§ 19). L’originalité du raisonnement du Conseil constitutionnel tient au fait qu’il a fondé son appréciation sur les effets supposés de la disposition en cause. Ainsi, si le dispositif est déclaré inconstitutionnel, ce n’est pas en raison de l’atteinte qu’il porte en soi à la liberté d’expression et de communication, mais en raison des effets qu’ils auraient sur l’opérateur et qui porteraient atteinte à cette liberté, par ricochet.

Une législation européenne est actuellement en cours d’élaboration sur ce sujet72. Une fois le règlement adopté, le législateur national sera automatiquement dessaisi et ne pourra plus légiférer sur ces questions.

Margaux BOUAZIZ

4 – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

Au cours de ce semestre, le Conseil constitutionnel n’a été saisi que d’une seule QPC l’invitant à apprécier la proportionnalité d’une atteinte apportée à la loi au principe de liberté d’entreprendre rattaché à l’article 4 de la déclaration de 1789. Dans la décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020 (Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-830 QPC), il s’est prononcé sur la constitutionnalité de dispositions relatives aux autorisations d’exploitation commerciales insérées à l’article L. 752-6 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018. Selon l’association requérante, la subordination de la délivrance de ces autorisations au respect de conditions jugées rigoureuses, comme la présentation d’une analyse d’impact évaluant les effets du projet sur le développement économique des centres-villes, portait atteinte à la liberté d’entreprendre. Le Conseil n’a pas accueilli ce moyen. Après avoir relevé que ces dispositions étaient destinées à favoriser un meilleur aménagement du territoire et qu’elles ne conditionnaient pas la délivrance des autorisations à l’absence de toute incidence négative du projet, il a considéré que le législateur n’avait pas porté d’atteinte disproportionnée à l’article 4 de la déclaration de 1789 au regard de l’objectif poursuivi (§ 12).

Bertrand-Léo COMBRADE

B – Le droit de propriété

Le Conseil fait usage de la règle désormais établie selon laquelle, en l’absence de privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le contrôle de constitutionnalité porte, aux termes de l’article 2 de cette même déclaration, sur les limitations aux conditions d’exercice de ce droit. Faute d’être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi, elles encourent la censure.

Dans la décision n° 2020-837 QPC du 7 mai 2020 (Cons. const., 7 mai 2020, n° 2020-837 QPC), le Conseil reconnaît que les dispositions contestées du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce qui plafonnent le loyer de renouvellement des baux commerciaux dont la durée n’est pas supérieure à 9 ans portent atteinte au droit de propriété du bailleur. En effet, dans ce cas, le bailleur ne peut percevoir, dès le renouvellement de son bail et le cas échéant jusqu’à son terme, un loyer correspondant à la valeur locative de son bien si ce loyer est supérieur à 10 % du loyer acquitté au cours de la dernière année du bail expiré.

Toutefois, l’atteinte portée au droit de propriété s’inscrit dans les limitations que le législateur est en mesure d’y apporter pour satisfaire l’exigence d’intérêt général. Elles ne sont pas disproportionnées dès lors que les dispositions de l’article L. 145-34 du Code de commerce permettent au bailleur de bénéficier, chaque année, d’une augmentation de 10 % du loyer de l’année précédente jusqu’à ce qu’il atteigne, le cas échéant, la nouvelle valeur locative. Elles répondent à l’objectif poursuivi par la loi, celui d’éviter que le loyer de renouvellement d’un bail commercial connaisse une hausse importante et brutale de nature à compromettre la viabilité des entreprises commerciales et artisanales.

C – Le principe d’égalité

L’engouement que suscite le recours au principe d’égalité ne se dément pas. Une nouvelle fois, la période concernée est riche de décisions qui en traitent sous toutes ses facettes : principe d’égalité devant la loi, principe d’égalité devant la justice, principe d’égalité de traitement, principe d’égalité devant les charges publiques.

1 – Principe d’égalité devant la loi

La jurisprudence en matière d’égalité devant la loi est classiquement fondée sur l’article 6 de la DDHC qui reconnaît que « la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il en découle que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.

Ainsi, il ressort de la décision n° 2019-826 QPC du 7 février 2020, M. Justin A. (Cons. const., 7 févr. 2020, n° 2019-826 QPC), qu’il est parfaitement loisible pour le législateur, dans le cas d’un accouchement secret, alors que le père et la mère de naissance se trouvent dans une situation différente pour reconnaître l’enfant, de les traiter de la même manière. Les dispositions en cause, en l’espèce de l’article 351 du Code civil, prévoient que lorsque la filiation de l’enfant n’est pas établie, le placement en vue de l’adoption ne peut pas intervenir avant l’expiration du délai de 2 mois à compter du recueil de l’enfant, au terme duquel il est admis en qualité de pupille de l’État. Quant aux dispositions de l’article 352 du Code civil, elles prévoient que le placement en vue de l’adoption fait échec à toute reconnaissance. Ces deux dispositions ont pour seul objet de définir le délai dans lequel peut intervenir le placement de l’enfant en vue de son adoption et les conséquences de ce placement sur la possibilité d’actions en reconnaissance. Elles n’instituent aucune différence de traitement entre le père et la mère de naissance. Elles n’instituent pas non plus de différence de traitement entre les parents de naissance et les futurs adoptants. Le principe d’égalité devant la loi n’est, de fait, pas méconnu.

Il ne l’est pas plus que le principe d’égalité devant la justice dans la décision n° 2019-827 QPC du 28 février 2020, M. Gérard F. (Cons. const., 28 févr. 2020, n° 2019-827 QPC), à propos des conditions de recevabilité d’une demande de réhabilitation judiciaire pour les personnes condamnées à la peine de mort. La question apparaît sensible. Une demande en réhabilitation judiciaire ne peut être formée qu’après un délai de 5 ans pour les personnes condamnées à une peine criminelle. Ce délai court à compter de l’expiration de la sanction. Il était légitime de s’interroger sur l’éventuelle différence de traitement qu’une telle disposition peut créer entre ces personnes et celles condamnées à mort, dont la peine a été exécutée et pour lesquelles les proches se trouvent privés de la possibilité de former en son nom une telle demande qui doit intervenir dans l’année de son décès. Par définition, les personnes condamnées à la peine de mort et exécutées se trouvent dans l’impossibilité de remplir les conditions prévues par la loi. Cette différence de traitement avérée n’en repose pas moins sur une différence de situation, en rapport direct avec l’objet de la loi qui entend subordonner le bénéfice de la réhabilitation à la conduite adoptée par le condamné une fois qu’il n’est plus soumis aux rigueurs de la peine prononcée à son encontre. Néanmoins, pour rompre cette inégalité persistante depuis l’abolition de la peine de mort par la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981, le Conseil invite le législateur « à instituer une procédure judiciaire, ouverte aux ayants-droit d’une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d’amendement qu’elle a pu fournir ». Il en va ainsi tant du respect du principe d’égalité devant la loi que de celui de l’égalité devant la justice. (V. la rubrique « Principes du droit répressif »).

L’égalité devant de la loi n’est pas non plus rompue par les dispositions de l’article L. 723-11 du Code de la sécurité sociale relatif au régime d’assurance vieillesse des avocats qui prévoient une attribution de prestation différente selon la durée de cotisation auprès de la Caisse nationale des barreaux français. C’est ce que le Conseil décide dans la décision n° 2020-840 QPC du 20 mai 2020, M. Emmanuel W. (Cons. const., 20 mai 2020, n° 2020-840 QPC). La différence de traitement instituée entre les assurés sociaux relevant du même régime de retraite vise à inciter les avocats à poursuivre des carrières suffisamment longues pour garantir le financement de leur propre régime d’assurance vieillesse. Ainsi, ces dispositions permettent d’éviter que les pensions de retraite versées à ceux qui ne justifient pas d’une durée d’assurance minimale ne grèvent trop lourdement les ressources de la Caisse nationale des barreaux français. Cette différence de traitement est donc justifiée par un motif d’intérêt général. Elle est aussi en rapport avec l’objet de la loi qui est d’assurer l’équilibre financier de ce régime de retraite.

Selon la décision n° 2019-828/829 QPC du 28 février 2020, M. Raphaël S. et a. (Cons. const., 28 févr. 2020, n° 2019-828/829 QPC), le principe d’égalité devant la loi est, en revanche, remis en cause par l’article 335 du Code de procédure pénale. Cette disposition dispense le mari ou la femme de l’accusé de l’obligation de prêter serment dans le déroulement des dépositions des témoins devant la cour d’assises, alors qu’y sont soumises la personne vivant en concubinage avec lui et celle avec laquelle il est lié par un pacte civil de solidarité. Pourtant, le mariage, le concubinage ou le pacte civil de solidarité sont les trois formes d’union sous lesquelles peut s’organiser, juridiquement, la vie commune d’un couple. Les concubins ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont autant exposés que les conjoints au dilemme moral de devoir choisir entre mentir ou se taire, sous peine de poursuites, et dire la vérité, pour ou contre la cause de l’accusé. Il n’y a donc pas lieu d’instaurer une différence de traitement selon la nature de l’union en cause pour faire valoir l’obligation de prêter serment ou non. Elle n’est dictée ni par une différence de situation, ni par un motif d’intérêt général (v. aussi la rubrique « Droits sociaux »).

2 – Principe d’égalité devant la loi fiscale et les charges publiques – Droits et libertés en matière fiscale

Les articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, desquels le principe d’égalité devant les charges publiques tire sa substance, autorisent la loi à déroger à l’égalité pour des raisons d’intérêt général. Il faut toutefois que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit, et qu’elle repose sur des critères objectifs et rationnels afin d’éviter toute rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

Cette rupture est avérée, selon la décision n° 2019-824 QPC du 31 janvier 2020, M. Thierry A. (Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-824 QPC), à propos du régime fiscal de la prestation compensatoire tel que défini par le paragraphe II de l’article 199 octodecies du Code général des impôts. En application de ces dispositions, tous les versements effectués en exécution d’une prestation compensatoire bénéficient d’un avantage fiscal, sauf les versements en capital effectués sur une période inférieure à 12 mois lorsqu’ils s’accompagnent d’une rente. Priver le débiteur d’une prestation compensatoire du bénéfice de la réduction d’impôt sur les versements en capital intervenus sur une durée inférieure à 12 mois au seul motif que ces versements sont complétés d’une rente ne repose sur aucun critère objectif et rationnel. Le principe d’égalité devant les charges publiques est donc méconnu.

Il l’est également au regard des conditions de déduction de la contribution aux charges du mariage définies par le 2° du paragraphe II de l’article 156 du Code général des impôts qui prévoit que, pour la détermination du revenu imposable à l’impôt sur le revenu, cette contribution peut être déduite lorsque son versement résulte d’une décision de justice et à condition que les époux fassent l’objet d’une imposition séparée. Le Conseil en décide ainsi dans la décision n° 2020-842 QPC du 28 mai 2020, M. Rémi V. (Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-842 QPC). La différence de traitement entre les contribuables selon que leur contribution est versée ou non en exécution d’une décision de justice n’est justifiée ni par une différence de situation au regard de la lutte contre l’optimisation fiscale, ni par une autre différence de situation en rapport avec l’objet de la loi. Elle n’est pas davantage dictée par un motif d’intérêt général. Dès lors, elle est contraire au principe d’égalité devant l’impôt.

Dans la décision n° 2019-819 QPC du 7 janvier 2020, Sté Casden Banque Populaire (Cons. const., 7 janv. 2020, n° 2019-819 QPC), le Conseil reconnaît que l’article 21 du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie qui prévoit que le bénéfice net, servant de base à l’impôt sur les sociétés et activités métallurgiques ou minières, est établi sous déduction de certaines charges et institue une différence de traitement entre les entreprises en plafonnant la déductibilité des frais généraux engagés par les entreprises auprès de leur siège social ou de leur direction situés en dehors de la Nouvelle-Calédonie.

Néanmoins, la différence de traitement ainsi instituée entre les sociétés selon qu’elles sont liées ou non à une société installée à l’étranger repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi.

Le plafonnement vise à éviter les transferts indirects de bénéfices qui consistent, pour les entreprises établies en Nouvelle-Calédonie, à réduire leur bénéfice imposable en surévaluant le montant des frais généraux qu’elles acquittent à des entreprises situées hors de ce territoire avec lesquelles elles entretiennent des liens. Ce plafonnement répond à l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Toutefois, pour qu’il ne méconnaisse pas le principe d’égalité devant les charges publiques, les entreprises concernées doivent être autorisées à apporter la preuve que la part de leurs frais généraux, qui excède le plafonnement de leurs services extérieurs, ne correspond pas à un transfert indirect de bénéfices. Ce n’est que sous cette réserve que le dispositif de l’article 21 du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie peut être reconnu conforme à la Constitution. Cette décision est une nouvelle occasion pour le Conseil constitutionnel de se prononcer a posteriori sur une loi du pays de Nouvelle-Calédonie.

Dans la décision n° 2019-820 QPC du 7 janvier 2020, Époux K. (Cons. const., 7 janv. 2020, n° 2019-820 QPC), le Conseil ne relève pas d’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques porté par le second alinéa de l’article 885 S du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat qui fixe les règles d’évaluation des biens entrant dans l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune en prévoyant la possibilité d’appliquer un abattement. Le fait d’en limiter son bénéfice sur la valeur vénale réelle de l’immeuble occupé à titre de résidence principale aux propriétaires d’un tel bien et d’en exclure ainsi les personnes qui détiennent leur résidence principale par l’intermédiaire d’une société civile immobilière dont elles sont les associées, institue une différence de traitement, fondée sur une différence de situation, en rapport direct avec l’objet de la loi. En effet, l’immeuble qui compose le patrimoine d’une société civile immobilière lui appartient en propre. Dès lors, les associés d’une telle société, même lorsqu’ils détiennent l’intégralité des parts sociales, ne disposent pas des droits attachés à la qualité de propriétaire des biens immobiliers appartenant à celle-ci. Ils sont dans une situation différente de celle de l’occupation de l’immeuble par son propriétaire à titre de résidence principale. C’est pourquoi les griefs tirés de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques sont écartés.

Ils le sont également en ce qui concerne l’article L. 3512-25 du Code de la santé publique qui impose aux fabricants et importateurs de produits du tabac d’imprimer ou d’apposer sur les unités de conditionnement de ces produits un dispositif de sécurité infalsifiable, composé d’au moins cinq types d’éléments authentifiants dont ils sont, en outre, tenus de fournir gratuitement les équipements nécessaires à leur détection aux agents des administrations chargées de les contrôler. Dans la décision n° 2019-821 QPC du 24 janvier 2020, Sté nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (Cons. const., 24 janv. 2020, n° 2019-821 QPC), le Conseil réfute l’argument selon lequel cette disposition ferait peser cette charge, en rupture avec le principe d’égalité devant les charges publiques, sur les fabricants et importateurs de tabac alors qu’elle devrait incomber, par nature, à l’État. Sur ce dernier point, le Conseil précise que la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac n’est pas sans lien avec les activités des entreprises qui les fabriquent ou les importent. Celles-ci ont un intérêt certain à la mise en œuvre de la mission de contrôle, par l’État, des dispositifs de sécurité qui sont apposés sur les unités de conditionnement de ces produits. Ainsi, en imposant aux fabricants et importateurs d’apporter leur concours à cette mission de contrôle, le législateur n’a pas reporté sur des personnes privées, des dépenses qui, par leur nature, incomberaient à l’État.

Par ailleurs, l’obligation de fourniture à laquelle fabricants et importateurs sont soumis est limitée. Seuls les équipements « nécessaires » à la détection des éléments authentifiants des dispositifs de sécurité par l’administration des douanes sont concernés. En outre, l’exercice de cette mission de contrôle dépend du volume de produits mis sur le marché. Dès lors, chaque fabricant ou importateur ne doit contribuer à cette obligation qu’à proportion des unités de conditionnement de produits du tabac qu’il met sur le marché. L’ensemble de ces éléments permet de rejeter le grief tiré de la méconnaissance de l’article 13 de la déclaration de 1789 qui impose une égale répartition de la contribution commune entre les citoyens en raison de leurs facultés.

Le Conseil rappelle cette exigence usuelle dans la décision n° 2019-825 QPC du 7 février 2020, Sté Les Sablières de l’Atlantique (Cons. const., 7 févr. 2020, n° 2019-825 QPC). Son respect suppose que l’impôt ne revête pas de caractère confiscatoire ou ne fasse pas peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En l’espèce, les modalités de calcul du montant de la redevance d’archéologie préventive des entreprises exerçant des activités d’extraction de granulats provenant du sous-sol des fonds marins, telles que visées par le b. de l’article L. 524-2 du Code du patrimoine, ne font pas peser sur les sociétés d’extraction de granulats marins une charge excessive.

Ces modalités de calcul sont fondées sur la surface au sol des travaux autorisés. Elles ne sont pas inadaptées au cas de l’exploitation des fonds marins, même si cette activité s’exerce sur des superficies beaucoup plus étendues que les travaux terrestres. En effet, en retenant comme règle d’assiette la surface au sol de ces travaux, le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi : contribuer au financement du service public de l’archéologie préventive, qui a pour objet d’assurer, « à terre et sous les eaux », la détection, la conservation ou la sauvegarde des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés par les travaux concourant à l’aménagement. Par ailleurs, eu égard au montant de la redevance retenu de 50 centimes d’euro par mètre carré, les dispositions de l’article L. 524-2 du Code du patrimoine n’entraînent pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

En outre, lorsque ces travaux servent à une activité économique, la redevance, qui a pour fait générateur l’autorisation administrative de procéder à des travaux, ne peut être perçue qu’après la décision d’engager cette activité et de solliciter cette autorisation. Ainsi, compte tenu des modalités de calcul de l’imposition, la personne qui projette de réaliser ces travaux est en mesure de connaître le montant de la redevance, avant même de s’engager dans cette activité. De fait, si elle décide de réaliser ces travaux, elle peut tenir compte de ce montant pour apprécier la rentabilité économique de son activité et fixer en conséquence le niveau de ses prix. L’ensemble de ces conditions empêche qu’il ne soit reconnu à cette imposition un caractère confiscatoire. Le grief qui lui est fait est, dès lors, inopérant.

Il résulte de la décision n° 2019-832/833 QPC du 3 avril 2020, M. Marc S. (Cons. const., 3 avr. 2020, n° 2019-832/833 QPC), que le principe d’égalité devant l’impôt n’est pas mis en cause par l’exclusion de certaines plus-values mobilières du bénéfice de l’abattement pour durée de détention. Il n’y a pas différence de traitement injustifiée dans la taxation des plus-values tirées d’opérations d’échange de titres faisant l’objet d’un report d’imposition, selon qu’elles sont effectuées dans le cadre de l’Union européenne ou dans un cadre national. Quand bien même le premier type de plus-values donne lieu, en toute circonstance, à l’application d’un abattement pour durée de détention couvrant non seulement la période de détention des titres remis à l’échange, mais aussi celle des titres reçus en contrepartie alors que le second type de plus-values ne donne lieu à l’application d’aucun abattement lorsque la plus-value a été réalisée avant le 1er janvier 2013 et d’un abattement portant sur la seule durée de détention des titres remis à l’échange lorsqu’elle est intervenue après cette date, la différence de traitement qui en ressort est légitimée par le respect du droit de l’Union européenne qui impose de renforcer la neutralité fiscale des opérations européennes d’échange de titres. Elle est fondée sur une différence de situation tenant au cadre, européen ou non, de l’opération d’échange de titres, ce qu’autorise l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Laurence BAGHESTANI

D – Les droits sociaux

Dans sa décision n° 2019-831 QPC du 12 mars 2020, M. Pierre V. (Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-831 QPC), relative au défenseur syndical, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé les dispositions de l’article 6 de la déclaration de 1789 et le principe d’égalité, qui exige que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense. Le Conseil a repris ainsi son considérant de principe, formulé notamment dans sa décision n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. à propos des frais irrépétibles devant la Cour de cassation (cons. 3).

Ensuite, examinant la disposition contestée de l’article L. 1453-4 du Code du travail, le Conseil a relevé, d’une part, que tous les justiciables ont la même faculté d’être représentés devant le conseil de prud’hommes, entre autres, par un avocat ou par un défenseur syndical inscrit sur la liste de la région dans laquelle est située cette juridiction. Le seul fait, lors de l’exercice de cette faculté, d’être contraint de choisir un défenseur syndical compétent dans le territoire de la région ne crée aucune distinction entre les justiciables (§ 6). Le Conseil a noté, d’autre part, que ces dispositions n’établissent en elles-mêmes aucune différence, devant le conseil de prud’hommes, dans les règles de procédure ou les droits des parties selon qu’elles sont représentées par un défenseur syndical ou par un avocat (§ 7).

Toutefois, le Conseil a constaté qu’à la différence d’un justiciable représenté par un avocat, le justiciable représenté par un défenseur syndical est contraint d’en changer lorsque l’affaire est portée devant une cour d’appel non située dans la même région que le conseil de prud’hommes. Après avoir relevé que cette différence de traitement ne trouve de justification ni dans les contraintes résultant du financement public du défenseur syndical, ni dans la spécificité du statut des défenseurs syndicaux, ni dans aucun autre motif, le Conseil a, par une réserve d’interprétation, écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice dès lors que les dispositions contestées ne sauraient priver la partie assistée par un défenseur syndical devant le conseil de prud’hommes de continuer à être représentée, dans tous les cas, par ce même défenseur, devant la cour d’appel compétente (§ 8 et 9).

En outre, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en limitant la compétence du défenseur syndical au territoire d’une seule région, les dispositions contestées ne portent atteinte ni à l’organisation ou au fonctionnement des syndicats ni à la faculté des syndicats d’assister et de représenter les parties devant les juridictions du travail. Dès lors, il a écarté le grief tiré de la méconnaissance de la liberté syndicale.

Le Conseil constitutionnel en a conclu que le troisième alinéa de l’article L. 1453-4 du Code du travail, qui ne méconnaît pas non plus les droits de la défense ou le droit à un recours juridictionnel effectif ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit, sous la réserve énoncée au paragraphe 8, être déclaré conforme à la Constitution.

Avec la décision n° 2020-831 QPC, le Conseil confirme l’instauration du défenseur syndical doté d’un véritable statut, revendication ancienne des organisations syndicales et préconisation du rapport Lacabarats au garde des Sceaux relatif à « l’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle » (juillet 2014 – propositions 39 et 40).

La décision n° 2020-831 QPC fait suite à une autre décision du Conseil constitutionnel à propos du défenseur syndical, la décision n° 2017-623 QPC du 7 avril 2017, Conseil national des barreaux (§ 21 à 23), à propos du secret professionnel et de l’obligation de discrétion du défenseur syndical. Plus largement, la décision n° 2020-831 QPC s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe d’égalité devant la justice illustré par exemple par la décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012, Société Yonne Républicaine et autre à propos de la saisine obligatoire de la commission arbitrale des journalistes et régime d’indemnisation de la rupture du contrat de travail (cons. 6 et 10).

Dans sa décision n° 2020-835 QPC du 30 avril 2020, M. Ferhat H. et a. (Cons. const., 30 avr. 2020, n° 2020-835 QPC), rendue à propos des conditions de transparence financière des organisations syndicales, le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé les dispositions du sixième alinéa auquel il a rattaché la liberté syndicale par sa décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, Loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion (cons. 22), et celles du huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (§ 7).

Il a cité l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 17 octobre 201873, selon lequel il résulte de l’article L. 2121-1 du Code du travail que, pour pouvoir exercer des prérogatives dans l’entreprise, tout syndicat, représentatif ou non, doit satisfaire au critère de transparence financière. Cette jurisprudence impose qu’en cas de non-respect de cette exigence, un syndicat non représentatif ne peut pas valablement désigner un représentant de la section syndicale au vu de l’article L. 2142-1-1 du Code du travail (§ 8).

Toutefois, le Conseil constitutionnel a relevé, d’une part, qu’en imposant aux syndicats une obligation de transparence financière, le législateur a entendu permettre aux salariés de s’assurer de l’indépendance, notamment financière, des organisations susceptibles de porter leurs intérêts. Il a considéré, d’autre part, qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’un syndicat non représentatif peut rapporter la preuve de sa transparence financière soit par la production des documents comptables requis en application du Code du travail, soit par la production de tout autre document équivalent.

Il en a déduit dès lors qu’en imposant à l’ensemble des syndicats, y compris non représentatifs, de satisfaire à l’exigence de transparence financière, les dispositions contestées ne méconnaissent ni la liberté syndicale ni le principe de participation des travailleurs.

Plus largement, le Conseil a conclu que les dispositions contestées du 3° de l’article L. 2121-1 du Code du travail, qui ne méconnaît pas non plus le principe d’égalité devant la loi, ni en tout état de cause le principe de séparation des pouvoirs, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.

La décision n° 2020-835 QPC s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Cour de cassation74 et de celle du Conseil d’État75, qui ont tissé un lien évident entre transparence financière et respect des obligations comptables.

La décision n° 2020-835 QPC souligne la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel qui renvoie au législateur la détermination, dans le respect des principes énoncés par le préambule de 1946, des conditions et garanties de mise en œuvre de ces principes ainsi qu’il l’a déjà affirmé, notamment dans sa décision n° 2004-494 DC du 29 avril 2004, Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social (cons. 7 et 8).

Pour des développements sur la recevabilité, notamment liée à un changement de circonstances de droit.

Christine RIMBAULT

E – Les principes du droit répressif

Deux décisions illustrent ces principes, en dehors des décisions abordées dans le dossier spécial consacré à l’état d’urgence sanitaire et aux libertés, dont un certain nombre de questions intéressent les sanctions pénales venues garantir le respect des mesures de restriction aux différentes libertés.

1 – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines

La QPC qui est à l’origine de la décision n° 2019-827 QPC du 28 février 2020, M. Gérard F. (Cons. const., 28 févr. 2020, n° 2019-827 QPC), a été posée par Me Éric Dupond-Moretti, avocat au barreau de Paris, devenu depuis cette date garde des Sceaux, ministre de la Justice du gouvernement de Jean Castex. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des premiers alinéas des articles 785 et 786 du Code de procédure pénale. Ces textes sont relatifs à la réhabilitation des personnes condamnées et fixant à la fois la liste des personnes susceptibles de demander cette réhabilitation, en dehors de la personne condamnée, et déterminant des délais au-delà desquels il est possible de former les demandes de réhabilitation, soit 5 ans pour les condamnés à une peine criminelle, ce qui s’apparente à une sorte de délai d’épreuve. Ces 5 années sont comptabilisées à partir de l’expiration de la sanction, qu’elle soit exécutée ou prescrite. La réhabilitation efface toutes les incapacités et les déchéances qui résultent d’une condamnation pénale mais est soumise à la conduite du condamné qui doit donner des gages d’amendement. Les personnes condamnées et exécutées se trouvent dans l’impossibilité de remplir les conditions prévues pour donner des gages d’amendement. Cette situation est, fort heureusement, en passe de disparaître depuis la promulgation de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, confirmée par la loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort créant un article 66-1 de la Constitution.

Jacques Fesch avait été condamné à mort par un arrêt de la cour d’assises de la Seine, le 6 avril 1957, pour avoir braqué un agent de change et tué un policier. Cette condamnation avait été exécutée le 1er octobre 1957. Le 20 mars 2018, son fils, M. Gérard Fesch, avait formé une demande en réhabilitation judiciaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes. À cette occasion, le requérant a soulevé une QPC critiquant ces dispositions législatives, car elles privaient les proches d’une personne condamnée à la peine de mort, dont la peine a été exécutée, de la possibilité de former en son nom une telle demande dans l’année de son décès. Selon la QPC, cette différence de traitement entre les personnes condamnées à mort, dont la peine a été exécutée, et celles condamnées à d’autres peines criminelles, ou qui ont été graciées par le président de la République, méconnaîtrait les principes d’égalité devant la loi et devant la justice. Il en résulterait également une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines. Dans l’espèce considérée, ayant trouvé la foi en prison et considéré comme un modèle de repentance, le condamné est susceptible d’être béatifié par l’Église catholique.

Pas plus que la méconnaissance du principe d’égalité (v. la rubrique « Principe d’égalité »), celle du principe de proportionnalité des peines n’a été retenue. Néanmoins, si le Conseil constitutionnel a répondu assez longuement au premier de ces griefs, il a très vite réglé la question de la violation alléguée de l’article 8 de la déclaration des droits. Celui-ci dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le Conseil rappelle que l’article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d’appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s’assurer de l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue, selon une jurisprudence devenue constante76. À ce titre, il est notamment tenu compte du régime juridique d’exécution de cette peine. D’une façon qui est de nature à clore le débat sans discussion, le Conseil a conclu que « le fait que les ayants-droit d’un condamné à mort dont la peine a été exécutée ne puissent engager une action en réhabilitation en son nom ne méconnaît pas le principe de proportionnalité des peines ».

Sans doute pour corriger l’impression d’une application stricte – et pourrait-on dire mécanique – des textes, le Conseil a souhaité apporter un tempérament à cette rigueur en donnant une sorte de « conseil » au législateur, d’autant plus original que les dispositions législatives ne sont pas abrogées et qu’il ne peut pas entrer dans la catégorie des mesures que le Conseil est habilité à prendre au titre de l’article 62 de la Constitution pour déterminer « les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». Cela n’empêche pas le Conseil d’affirmer, après l’adoption de loi de 1981 et de la révision constitutionnelle de 2007, que « le législateur serait donc fondé à instituer une procédure judiciaire, ouverte aux ayants-droit d’une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d’amendement qu’elle a pu fournir » (§ 14). On a envie d’écrire à la place de « fondé » le mot « inspiré ». La possibilité d’une réhabilitation judiciaire de Jacques Fesch n’est donc pas complètement écartée. Affaire à suivre…

2 – Droits de la défense : sanctions ayant le caractère de punition

Saisi par le Conseil d’État de deux QPC, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, sous une réserve, l’article L. 131-11 du Code des juridictions financières, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1091 du 28 octobre 2008 relative à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, dans sa décision n° 2020-838/839 QPC du 7 mai 2020, M. Jean-Guy C. et a. (Cons. const., 7 mai 2020, n° 2020-838/839 QPC) à propos du cumul de poursuites et de sanctions en cas de gestion de fait. La gestion de fait est constituée par l’immixtion dans les fonctions de comptable public d’une personne n’ayant pas cette qualité.

La disposition contestée prévoit que « les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du Code pénal, être condamnés à l’amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public ». Elle n’exclut donc pas un cumul de poursuites qui, pour les deux requérants, serait contraire au principe de nécessité des délits et des peines. En effet, en dehors de l’article 433-12 du Code pénal qui sanctionne l’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique, d’autres poursuites pénales tendant à réprimer les mêmes faits que ceux sanctionnés par l’amende pour gestion de fait, protégeant les mêmes intérêts sociaux et aboutissant à des sanctions de même nature pourraient être engagées contre le comptable de fait (poursuites pour abus de confiance, concussion, corruption passive, détournement de fonds publics et abus de biens sociaux). L’article L. 131-11 du Code des juridictions financières n’interdit en effet pas le cumul de poursuites pour gestion de fait et de poursuites sur le fondement d’autres dispositions répressives que l’article 433-12 du Code pénal, dont les cinq infractions pénales désignées par les requérants.

Dans sa décision, le Conseil rappelle, de manière bien établie, que les principes énoncés par l’article 8 de la déclaration de 1789 ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales, mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas non plus obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts. Si l’éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues.

Après avoir rappelé les définitions juridiques des cinq infractions susceptibles de cumul, le Conseil précise que le cumul ne contrevient à l’article 8 de la déclaration de 1789 que si les faits et les comportements susceptibles d’être réprimés sont qualifiés de manière identique. Or les incriminations ainsi définies ne se limitent pas à la seule gestion de fait et ne tendent pas à réprimer de mêmes faits, qualifiés de manière identique. Les dispositions contestées ne peuvent pas ainsi méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines. Dans le cas où elles pourraient rendre possibles d’autres cumuls, ces derniers devraient respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique cependant qu’une même personne ne puisse faire l’objet de plusieurs poursuites susceptibles de conduire à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux. Cette précision constitue une réserve qui vient nuancer la déclaration de conformité de cet article L. 131-11 du Code des juridictions financières.

Michel VERPEAUX

F – Les droits processuels

1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la justice et le principe d’impartialité et d’indépendance des juridictions

(…)

2 – Le principe de sécurité juridique

(…)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., 20 mars 1997, n° 97-388 DC, Loi créant les plans d’épargne retraite, cons. 53 et 54 (grief inopérant) ; Cons. const., 8 déc. 2011, n° 2011-641 DC, Loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, cons. 7 et 8 ; Cons. const., 29 mai 2015, n° 2015-471 QPC, Mme Nathalie K.-M., cons. 7 et 8 ; Cons. const., 2 déc. 2016, n° 2016-599 QPC, Mme Sandrine A., § 11 et 12 ; Cons. const., 15 sept. 2017, n° 2017-655 QPC, M. François G.
  • 2.
    L. n° 78-753, 17 juill. 1978, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal, modifiée et codifiée aux articles L. 311-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration.
  • 3.
    Cons. const., 11 oct. 2019, n° 2019-808 QPC, Sté Total raffinage France ; Cons. const., 20 déc. 2019, n° 2019-794 DC, Loi d’orientation des mobilités, v.  la chronique LPA154x0, à paraître.
  • 4.
    V. l’étude de cette décision au sein de la partie II « Le procès constitutionnel ».
  • 5.
    Cons. const., 3 févr. 2016, n° 2015-520 QPC, Sté Metro Holding France.
  • 6.
    Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne.
  • 7.
    V. par ex. CE, 31 mai 2016, n° 393881, Marc Jacob.
  • 8.
    V. commentaire de cette décision « Dossier spécial : Les libertés et la crise sanitaire ».
  • 9.
    Cons. const., 26 mars 2020, n° 2020-798 DC, Loi modifiant la loi n° 2010‑838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet ».
  • 10.
    Cons. const., 18 juin 2020, n° 2020-801 DC, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, v. Rubrique Libertés.
  • 11.
    V. par ex. Cons. const., 11 mai 2020, n° 2020-800, § 13, qui répond au grief d’incompétence négative dégagé par le collectif d’associations ayant déposé la porte étroite du 10 mai.
  • 12.
    Cons. const., 3 avr. 2020, n° 2020-834 QPC, Union nationale des étudiants de France [Communicabilité et publicité des algorithmes mis en œuvre par les établissements d’enseignement supérieur pour l’examen des demandes d’inscription en premier cycle].
  • 13.
    Cons. const., 30 avr. 2020, n° 2020-836 QPC, M. Maxime O. [Utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d’audiences relatives au contentieux de la détention provisoire II].
  • 14.
    V. dans le même sens, Cons. const., 27 sept. 2019, n° 2019-805 QPC.
  • 15.
    Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-845 QPC, M. Théo S. [Recel d’apologie du terrorisme].
  • 16.
    Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-845 QPC, § 7.
  • 17.
    Cons. const., 30 avr. 2020, n° 2020-835 QPC, M. Ferhat H. et a. [Condition de transparence financière des organisations syndicales].
  • 18.
    Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC.
  • 19.
    Cons. const., 20 mai 2020, n° 2020-841 QPC, La Quadrature du Net et a. [Droit de communication à la Hadopi].
  • 20.
    V. la proposition de loi constitutionnelle proposée par Emmanuel Macron au début de son mandat qui devait ouvrir le RIP à de nouveaux horizons.
  • 21.
    Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-3 RIP, M. Frédéric L.
  • 22.
    Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-4 RIP, M. Nicolas G.
  • 23.
    Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-5 RIP, M. David L.
  • 24.
    Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-6 RIP, M. David L.
  • 25.
    Cons. const., 12 mars 2020, n° 2019-1-7 RIP, M. Gilbert B.
  • 26.
    Cons. const., 30 avr. 2020, n° 2020-836 QPC, M. Maxime O., [Utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d’audiences relatives au contentieux de la détention provisoire II].
  • 27.
    Cons. const., 24 janv. 2020, n° 2019-822 QPC, M. Hassan S. [Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé entendu librement].
  • 28.
    Cons. const., 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, M. Éric G. [Contrôle des mesures d’isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement].
  • 29.
    Cons. const., 28 févr. 2020, n° 2019-828/829 QPC, M. Raphaël S. et a. [Déposition sans prestation de serment pour le conjoint de l’accusé].
  • 30.
    Cons. const., 30 avr. 2020, n° 2020-836 QPC, M. Maxime O.
  • 31.
    Cons. const., 20 mai 2020, n° 2020-841 QPC, La Quadrature du Net et a. [Droit de communication à la Hadopi].
  • 32.
    Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-842 QPC, M. Rémi V. [Conditions de déduction de la contribution aux charges du mariage].
  • 33.
    Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-824 QPC, M. Thierry A. [Régime fiscal de la prestation compensatoire].
  • 34.
    Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC, Force 5 [Autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité].
  • 35.
    CE, 14 janv. 1938, n° 51704, Sté anonyme des produits laitiers « La Fleurette » : Lebon, p. 25.
  • 36.
    CE, ass., 8 févr. 2007, n° 279522, Gardedieu.
  • 37.
    Cons. const., 28 mai 2020, n° 2020-842 QPC, M. Rémi V.
  • 38.
    V.  Cons. const., 21 févr. 2019, n° 2019-28 ELEC, Observations relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017.
  • 39.
    Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 45-4, al. 1er, v. Rubrique Procédure devant le Conseil constitutionnel.
  • 40.
    V. Constitution, art. 11, al. 5.
  • 41.
    En vertu de l’article L. 56 du Code électoral.
  • 42.
    Cons. const., 6 déc. 1990, n° 90-280 DC.
  • 43.
    Cons. const., 13 janv. 1994, n° 93-331 DC.
  • 44.
    Cons. const., 6 juill. 1994, n° 94-341 DC.
  • 45.
    Cons. const., 16 mai 2013, n° 2013-667 DC.
  • 46.
    Cons. const., 13 janv. 1994, n° 93-331 DC.
  • 47.
    Cons. const., 27 juin 1973, n° 73-603/741 AN.
  • 48.
    Considérant n˚ 2, Nature juridique de l’article 5 de l’ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958 relative à l’organisation judiciaire.
  • 49.
    COJ, art. L. 124-1.
  • 50.
    A. Levade, « Conseil constitutionnel et ordonnances : l’invraisemblable revirement ! », JCP A 2020, n° 26, 1185.
  • 51.
    T. Perroud, « La Constitution «Total» », D. 2020, n° 24, p. 1390.
  • 52.
    D. Rousseau, « Le crime du 28 mai n’a pas eu lieu ! », Gaz. Pal. 23 juin 2020, n° 381x2, p. 19.
  • 53.
    M. Verpeaux, « Actes administratifs – Ordonnances = dispositions législatives. À propos de la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020 », JCP A 2020, n° 25, act. 350.
  • 54.
    Cons. const., 20 janv. 1981, n° 80-127 DC, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 7.
  • 55.
    Cons. const., 27 juill. 2006, n° 2006-540 DC, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 10.
  • 56.
    Ce décret a été abrogé par l’article 26 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (JO, 11 mai 2020).
  • 57.
    Cons. const., 22 déc. 2015, n° 2015-527 QPC, M. Cédric D.
  • 58.
    V. également II - A. Les acteurs et les actes devant le Conseil constitutionnel.
  • 59.
    V. note 13.
  • 60.
    V. également III - C -1. Le principe d’égalité devant la loi.
  • 61.
    V. également II - D. L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel.
  • 62.
    CE, ass., 16 mai 2019, n° 397368, Avis sur la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet.
  • 63.
    Commission européenne, 22 nov. 2019, n° 2019/412/F, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, Émission d’observations prévues à l’article 5, paragraphe 2, de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015.
  • 64.
    PE et Cons. CE, dir. n° 2000/31/CE, 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.
  • 65.
    Cons. const., 30 nov. 2006, n° 2006-543 DC, Loi relative au secteur de l’énergie, cons. 7.
  • 66.
    Cons. const., 10 juin 2009, n° 2009-580 DC, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, cons. 12.
  • 67.
    Cons. const., 28 févr. 2012, n° 2012-647 DC, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, cons. 5.
  • 68.
    Cons. const., 28 mai 2010, n° 2010-3 QPC, Union des familles en Europe [Associations familiales], cons. 6.
  • 69.
    Cons. const., 10 mars 2011, n° 2011-625 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, cons. 8.
  • 70.
    Cons. const., 20 déc. 2018, n° 2018-773 DC, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, § 23.
  • 71.
    Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, cons. 9.
  • 72.
    PE et Cons. UE, prop. règl., 15 déc. 2020, COM(2020) 825, n° 2020/0361 (COD), relatif à un marché intérieur des services numériques (Législation sur les services numériques) et modifiant la directive 2000/31/CE.
  • 73.
    Cass. soc., 17 oct. 2018, n° 17-19732.
  • 74.
    V. par ex. Cass. soc., 29 févr. 2012, n° 11-13748 : Bull. civ. V, n° 83.
  • 75.
    V. par ex. CE, 18 juill. 2018, n° 406516, concl. S.-J. Lieber.
  • 76.
    V. Cons. const., 27 nov. 2015, n° 2015-501 QPC, M. Anis T., à propos de la computation du délai pour former une demande de réhabilitation judiciaire, cons. 8.