Chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel (Second trimestre 2015) (1re partie)

Publié le 12/06/2017

La chronique de droit constitutionnel jurisprudentiel est ouverte à l’ensemble des décisions susceptibles d’intéresser le droit constitutionnel dans sa dimension contentieuse considérée de la manière la plus large. C’est ainsi que le contentieux électoral est intégré dans la présente chronique qui est divisée en quatre parties correspondant aux thèmes principaux du droit constitutionnel contemporain qui intègre aussi bien les questions institutionnelles que les problèmes de hiérarchie des normes et la place des droits et libertés.

Afin d’être plus réactive, cette chronique sera désormais trimestrielle et celle présentée ci-dessous couvre les mois d’avril à juin 2015.

I – Les sources du droit constitutionnel et les normes de référence

A – Les normes de la Constitution

1 – La compétence du législateur

La décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015 Conférence des présidents d’université, qui fait l’objet d’un commentaire approfondi1 intéresse l’article L. 712-6-1 du Code de l’éducation qui est relatif à la composition du Conseil académique des universités. Cet organe doit connaître une double parité lorsqu’il examine en formation restreinte des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs autres que les professeurs des universités. Une parité d’hommes et de femmes et une parité de représentants des professeurs des universités et des autres enseignants-chercheurs, dans des conditions précisées par décret. Selon l’association requérante, qui regroupe les présidents d’université, la loi, en renvoyant au décret, et en omettant de fixer les règles de désignation des membres du conseil académique appelés à siéger au sein de sa formation restreinte aux enseignants-chercheurs, aurait méconnu l’étendue de sa compétence. Dans le cadre du contrôle a posteriori, l’incompétence négative n’est susceptible d’être retenue que si elle affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit2.

C’est ce que rappelle le Conseil de manière classique (cons. 4). Ces différents droits et libertés sont en effet invoqués et examinés l’un après l’autre dans la décision3. Le Conseil est alors amené à répondre de manière différente selon les griefs invoqués. Jugeant qu’aucun des droits et libertés invoqués par la requérante n’est méconnu par la disposition législative, l’incompétence négative ne peut être retenue (cons. 8, « en fixant une exigence d’égale représentation des femmes et des hommes et en confiant la mise en œuvre de cette exigence au pouvoir réglementaire, le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence »). Cependant, à propos du principe dit de « parité » inscrit depuis 2008 à l’alinéa 2 de l’article 1er de la Constitution, selon lequel : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », le Conseil a considéré que cet objectif de valeur constitutionnelle n’est pas de nature à constituer un droit ou une liberté, au même titre que d’autres dispositions constitutionnelles qui fixent des habilitations au législateur, et que sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (cons. 14).

2 – Le contrôle du domaine de la loi et du règlement

Le deuxième trimestre de l’année 2015 a, comme le précédent, donné lieu à deux décisions « L » illustrant la permanence de la question de la répartition des compétences normatives entre les domaines de la loi et du règlement. Elles démontrent également l’utilité de la procédure de délégalisation prévue à l’article 37, alinéa 2, de la Constitution. Elles justifient, si besoin était, la jurisprudence dite Prix et revenus4, réaffirmée de manière éclatante dans la décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives (cons. 10).

Dans la décision n° 2015-254 L. du 9 avril 2015, Nature juridique de dispositions des articles L. 341-3 et L. 341-9 du Code forestier, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur le caractère législatif ou réglementaire des mots « cinq ans » figurant au troisième alinéa de l’article L. 341-3 du Code forestier, des mots « d’un an » figurant au premier alinéa de l’article L. 341-9 du même code ainsi que des mots « de trois ans » figurant au deuxième alinéa de ce même article et de la seconde phrase de cet alinéa. Les deux articles de ce code sont relatifs aux autorisations de défrichement. Parce que ces dispositions se bornent à prévoir la durée de validité de l’autorisation de défrichement, le délai dans lequel le titulaire d’une autorisation de défrichement doit transmettre à l’autorité administrative un acte d’engagement des travaux compensatoires qui lui sont imposés, le délai pour réaliser ces travaux ainsi que le délai maximum dans lequel les lieux défrichés doivent être rétablis en nature de bois en cas d’inexécution des travaux compensatoires, elles ne mettent pas en cause les compétences du législateur fixées à l’article 34 de la Constitution et selon lequel : « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement (…) du régime de la propriété » (al. 15 et 16). Elles possèdent alors un caractère réglementaire, en application de la distinction entre la mise en cause des normes, qui relève de la loi, et leur mise en œuvre qui appartient au domaine du règlement5. Ces deux décisions ne faisaient pas référence à la préservation de l’environnement, cette compétence du législateur n’ayant été introduite que depuis la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, article 3. Tel est le cas, en revanche, de la décision n° 2008-211 L du 18 septembre 2008, Nature juridique d’une disposition de la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, cons. 1.

C’est par une motivation fort peu explicite que le Conseil constitutionnel a décidé, dans la décision n° 2015-255 L du 21 avril 2015, Nature juridique d’assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie », que cette dénomination, figurant dans l’intitulé de la section IV du chapitre Ier du titre Ier du livre VII de la partie législative du Code de commerce, avait un caractère réglementaire. L’article 34 ne donne compétence au législateur que pour fixer les règles concernant la « création de catégories d’établissements publics ». La dénomination d’un établissement public ne met pas en cause ces règles et ressortit à la compétence du pouvoir réglementaire.

Il est vrai que le Conseil s’était déjà prononcé sur le même sujet, mais à propos d’autres dispositions législatives et du Code de commerce dans la décision n° 2015-252 L du 29 janvier 2015, Nature juridique de la dénomination « assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie »6. On peut noter, néanmoins, que le Conseil constitutionnel ne cite pas, dans ses visas de la décision n° 255 L, sa décision antérieure de trois mois. Il est vrai que, dans le cadre de l’examen du caractère législatif ou réglementaire des dispositions normatives, l’autorité des décisions ne peut être que relative, lorsque le Conseil se prononce sur des dispositions différentes.

3 – La Constitution numérotée

La décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015, Conférence des présidents d’université, fait référence à l’article 3 de la Constitution dont l’alinéa 3 dispose que le suffrage « est toujours universel, égal et secret », pour considérer qu’il ne s’applique qu’aux élections à des mandats et fonctions politiques. Il ne peut alors être invoqué à propos de la composition du Conseil académique des universités (cons. 5).

4 – La Déclaration de 1789

Dans la décision n° 2015-471 QPC du 29 mai 2015, Mme Nathalie K.-M., le Conseil constitutionnel a examiné la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deuxième et troisième alinéas de l’article L. 2121-21 du Code général des collectivités territoriales. Cet article est relatif aux modalités de vote des conseils municipaux et du conseil de Paris siégeant en formation de conseil municipal, qui était au cœur de l’espèce considérée. Les initiales de Nathalie Kosciusko-Morizet sont suffisamment transparentes pour que la volonté de rendre anonymes les décisions de justice rencontre le ridicule de cette règle. Les fait de l’espèce sont bien parisiens et intéressent le vote d’une délibération du conseil de Paris relative à un projet immobilier situé sur le site du parc des expositions de la porte de Versailles (projet de la tour Triangle). L’article L. 2121-21 est applicable aux délibérations du conseil de Paris, selon l’article L. 2512-2 CGCT qui prévoit que : « Lorsque le conseil de Paris siège en qualité de conseil municipal, les dispositions relatives aux conseils municipaux lui sont applicables ». L’alinéa 1er de cet article pose le principe du vote au scrutin public à la demande du quart des membres présents. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de cet article, « Il est voté au scrutin secret » (al. 2) dans plusieurs hypothèses, « soit lorsqu’un tiers des membres présents le réclame » (al. 3), « soit lorsqu’il y a lieu de procéder à une nomination ou à une présentation » (al. 4). Cette possibilité de scrutin secret était considérée par Mme N. K.-M., présidente du groupe « Les Républicains » au conseil de Paris comme portant atteinte, d’une part, au principe de publicité des séances et des votes résultant des dispositions combinées des articles 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et 3 de la Constitution et, d’autre part, au droit de demander compte à tout agent public de son administration garanti par l’article 15 de la Déclaration de 1789 qui affirme que « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Deux dispositions de ce dernier texte étaient donc invoquées, l’une habituelle, l’article 6 relatif au principe d’égalité, l’autre plus rarement, l’article 15. Le Conseil a requalifié la QPC comme ne portant que sur le troisième alinéa de l’article L. 2121-21 du Code général des collectivités territoriales. Le Conseil d’État, dans sa décision de renvoi au Conseil constitutionnel, avait jugé, sans se prononcer sur le caractère sérieux de la question, que la QPC posait une question nouvelle.

S’agissant de l’article 3 de la Constitution, c’est son troisième alinéa qui était concerné en ce qu’il dispose que : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». Le Conseil a cependant déduit, alors que la requérante estimait que l’article 6 DDHC et l’article 3 de la Constitution fondaient un droit pour les électeurs de connaître les votes et les opinions de leurs élus, « qu’il ne résulte pas de la combinaison de ces dispositions un principe de publicité des séances et des votes lors des délibérations des assemblées locales ; que, par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient un tel principe doit être écarté » (cons. 6).

C’est la première fois que le Conseil constitutionnel, dans le cadre du contrôle a posteriori, était confronté à la question de savoir si l’article 15 pouvait être le fondement d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution. Dans deux décisions rendues a priori, il a rejeté le grief d’inconstitutionnalité tiré de cet article 15, mais sans se prononcer sur la portée de cet article7. Dans la décision Mme N. K.-M., tout en reconnaissant que l’article 15 pouvait constituer le fondement d’un droit, celui de demander des comptes à tout agent public, le Conseil constitutionnel a jugé que ses dispositions ne sont pas susceptibles de s’appliquer aux règles d’organisation d’un scrutin et que le grief invoqué était inopérant. Sur la question de l’invocabilité de l’article 15 en QPC, il est possible de remarquer, néanmoins, que la décision 471 QPC est peu explicite et que c’est le commentaire de la décision sur le site internet du Conseil qui permet d’être aussi affirmatif. La décision se contente d’indiquer que le grief est inopérant parce que ne sont en cause que les modalités d’organisation d’un scrutin au sein des assemblées locales. Bien qu’il faille lire entre les lignes pour apprécier cette décision, elle a au moins le mérite de préciser le sort de l’article 15 de la Déclaration des droits en QPC.

5 – Le Préambule de la Constitution de 1946

Le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel, « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », n’est pas applicable à la composition des conseils académiques des universités, car ces formations n’ont pas compétence pour la détermination collective des conditions de travail des enseignants-chercheurs, mais seulement pour les questions individuelles relatives au recrutement, à l’affectation et à la carrière des enseignants-chercheurs autres que les professeurs des universités dans la disposition contestée8.

6 – Les PFRLR

Le principe fondamental reconnu par les lois de la République de l’indépendance des enseignants-chercheurs a été logiquement invoqué dans la décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015, Conférence des présidents d’université9. On ne répétera jamais trop que ce principe d’indépendance avait été dégagé au profit des seuls professeurs d’université, au nom de leurs responsabilités particulières au sein des facultés et des universités et qu’il a été étendu aux autres corps de l’enseignement supérieur10. Le Conseil avait d’ailleurs profité de cette dernière décision pour relativiser la portée de ce principe : « Considérant que la garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; que, si le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs implique que les professeurs et maîtres de conférences soient associés au choix de leurs pairs, il n’impose pas que toutes les personnes intervenant dans la procédure de sélection soient elles-mêmes des enseignants-chercheurs d’un grade au moins égal à celui de l’emploi à pourvoir »11. Ce principe implique notamment que les professeurs des universités et les maîtres de conférences soient associés au choix de leurs pairs12. De manière plus précise, le fait que le conseil académique soit composé exclusivement d’enseignants-chercheurs élus à cette instance est de nature à garantir le respect de ce principe. Il en est de même de la règle selon laquelle cette formation comprend deux collèges composés à parité pour représenter, d’une part, les professeurs des universités et, d’autre part, les autres enseignants-chercheurs.

7 – La Charte de l’environnement (…)

8 – Les objectifs de valeur constitutionnelle

La possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle qui résulte des premier, dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et qui a été invoqué dans la décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015, Société SAUR SAS, à propos de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau dans les résidences principales, en cas de non-paiement des factures, afin de garantir l’accès à l’eau pour toute personne occupant cette résidence.

C’est la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement qui a interdit les coupures d’eau, de gaz, d’électricité et de chaleur pendant la période de la trêve hivernale pour les ménages en difficulté. Cette disposition est inscrite à l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Elle interdit, du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l’année suivante, aux fournisseurs d’électricité, de chaleur et de gaz de procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz. Aux termes de la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 115-3, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, « Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année » (art. 36 de loi du 5 mars 2007).

La société requérante estimait que cette disposition portait une atteinte excessive, d’une part, à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre et, d’autre part, aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques ; qu’en outre, elles méconnaîtraient l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

C’est le Conseil constitutionnel qui, pour apprécier si l’atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, était justifiée par des exigences constitutionnelles ou justifiée par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi, a eu recours à l’objectif de valeur constitutionnelle donnant la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent. Le Conseil examine alors en détail l’objet de l’interdiction faite aux distributeurs et l’esprit dans lequel cette disposition a été arrêtée. Il juge alors qu’en ne limitant pas cette interdiction à une période de l’année, le législateur a voulu assurer cet accès pendant l’année entière. En prévoyant que cette interdiction s’impose quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat, il a, selon les travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2013, entendu s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’eau. Le législateur, en garantissant dans ces conditions l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (cons. 7). Cette conciliation entre les libertés défendues par la société distributrice et l’objectif de valeur constitutionnelle dont les éléments sont détaillés par le Conseil est d’autant plus nécessaire, aux yeux de ce dernier, que le contrat de distribution d’eau obéit à des règles très précises qui sont rappelées longuement au considérant 8 de la décision 470 QPC (compétence de la commune pour le service public industriel et commercial ; pas de choix du distributeur par l’usager ; l’usager de ce service public n’a pas le choix de son distributeur ; pas de possibilité pour le distributeur d’eau de refuser de contracter avec un usager raccordé au réseau qu’il exploite ; règles de tarification de la distribution d’eau potable encadrées par la loi). La disposition contestée étant une dérogation à l’exception d’inexécution du contrat de fourniture d’eau qui ne prive pas le fournisseur des moyens de recouvrer les créances correspondant aux factures impayées, l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre, qui résulte de l’interdiction d’interrompre la distribution d’eau, n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.

MV

La parité dans les instances universitaires

Cons. const., 24 avr. 2015, n° 2015-465 QPC, Conférence des présidents d’université. La parité est l’un des principes constitutionnels les plus récemment inscrits dans la Constitution de 1958 et l’un des plus discutés.

Adopté par le Constituant en 1999, le principe de parité s’entendait initialement comme favorisant l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Élargi en 2008, il s’étend désormais également aux responsabilités professionnelles et sociales.

Dans sa décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015, le Conseil constitutionnel était saisi de la parité entendue à un double titre, dans les instances universitaires. D’un point de vue statistique, les femmes représentaient il y a peu, à peine un quart des effectifs (22,5 %) dans le corps des professeurs d’université et une petite moitié (42,4 %) des effectifs dans le corps des maîtres de conférences13.

Modifiant la gouvernance universitaire, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a fusionné le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire dans une nouvelle instance, le Conseil académique. Selon le principe de « double parité », cette nouvelle instance doit être composée « à parité d’hommes et de femmes et à parité de représentants des professeurs d’université et des autres enseignants-chercheurs » (à savoir les maîtres de conférences), lorsqu’il examine, dans sa formation restreinte, des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs autres que les professeurs d’université. La loi renvoie la fixation des conditions de mise en œuvre de cette double parité au décret.

La difficulté résidait dans les modalités prévues par la loi pour garantir cette double parité : si en vertu de l’article L. 719-1 alinéa 3 du Code de l’éducation, les listes pour l’élection du Conseil académique doivent être paritaires, aucune disposition ne garantissait la parité au sein du Conseil académique dans sa formation restreinte. Aussi, un décret a été adopté le 7 juillet 2014, afin de permettre au président du Conseil académique de « renvoyer » des hommes ou des femmes en surnombre ou de « renvoyer » des professeurs d’université ou autres enseignants-chercheurs en surnombre en en choisissant d’autres parmi les membres élus. Le décret prévoit toutefois que la formation restreinte peut voter des contre-propositions à la proposition du président du Conseil académique.

L’intérêt de la décision commentée réside tant dans la procédure de saisine du Conseil constitutionnel (I), que dans la mise en œuvre des principes constitutionnels d’égalité et de parité au sein des instances universitaires (II).

I. Saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle a posteriori

A. Une saisine classique

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 13 février 2015 par le Conseil d’État14, dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée pour la conférence des présidents d’université, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, du paragraphe IV de l’article L. 712-6-1 du Code de l’éducation.

La Conférence des présidents a le statut d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901. Elle est instituée par l’article L. 233-1 du Code de l’éducation, comme étant « une instance de réflexion sur toutes les questions touchant à l’organisation et au fonctionnement des universités ».

Elle a demandé au Premier ministre le 4 septembre 2014, de retirer le décret du 7 juillet 2014 et la circulaire du 23 juillet 2014. À la suite du silence gardé par l’Administration pendant deux mois, l’association a attaqué la légalité de ces deux textes devant le Conseil d’État par un recours pour excès de pouvoir ainsi que celle de la décision implicite de refus de retrait du décret. À l’occasion de cette requête, la Conférence des présidents a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité en ces termes : dans la mesure où « la loi impose de priver des élus de leurs mandats dans une proportion permettant de rétablir la parité entre les deux sexes, le législateur n’a pas exercé l’intégralité de sa compétence en ne posant pas lui-même les garanties permettant d’assurer le respect de plusieurs principes à valeur constitutionnelle ».

Par décision du 13 février 2015, le Conseil d’État a renvoyé la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel relevant d’abord que les dispositions attaquées « n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel », puis en considérant « que le moyen tiré de ce que [les dispositions attaquées] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment de ce que le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence en omettant de fixer les règles de désignation de ceux des membres élus du conseil académique qui seront appelés à siéger au sein de sa formation restreinte et de ce que cette méconnaissance affecte en particulier le principe d’égalité du suffrage, soulève une question présentant un caractère sérieux ».

B. L’intervention d’un tiers à la procédure de QPC

L’originalité sur le plan procédural de la décision n° 2015-465 QPC tient à l’intervention d’enseignants-chercheurs, qu’a admise le Conseil constitutionnel, dans une question prioritaire de constitutionnalité relative à la composition de la formation restreinte du Conseil académique.

L’originalité est d’autant plus forte que les intervenants soutenaient dans leurs observations une position opposée à celle des auteurs de la QPC : ils soutenaient que le législateur n’avait méconnu aucune exigence constitutionnelle en imposant une composition à parité d’hommes et de femmes de la formation restreinte du Conseil académique compétente pour les enseignants-chercheurs autres que les professeurs et avait suffisamment défini les règles applicables à cette formation. Ils soutenaient en revanche que la disposition contestée, en ce qu’elle ne prévoit cette parité des sexes que pour la formation restreinte compétente pour les questions relatives aux enseignants-chercheurs autres que les professeurs, et l’exclut en conséquence pour la formation compétente pour les professeurs, méconnaît tant le principe d’égalité devant la loi que les exigences de l’article 1er de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a reconnu, dès 2010, le droit de certaines personnes à intervenir dans une procédure de question prioritaire de constitutionnalité. L’admission de l’intervention d’un tiers est acceptée par le Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci apporte des éléments qui ne sont pas encore dans le débat. Ainsi, dans la décision n° 2010-42 QPC du 7 octobre 2010, CGT-FO et autres, le Conseil a considéré que la CFE-CGC, syndicat non partie à la procédure QPC, avait un intérêt à intervenir pour défendre une loi qui intéresse particulièrement sa situation.

Par la suite, par une décision du 21 juin 2010 modifiant le règlement intérieur sur la procédure suivie devant lui pour les questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil a inscrit la reconnaissance du droit des tiers ayant « un intérêt spécial » à intervenir dans la procédure QPC15.

En pratique, le Conseil constitutionnel reconnaît largement l’existence d’un « intérêt spécial » d’un tiers lui permettant d’intervenir. En effet, sur son site internet, il indique qu’entre avril 2010 et août 2014, il a été saisi de 417 questions prioritaires de constitutionnalité pour lesquelles il a reçu 389 demandes d’observations en intervention : il en a déclaré 330 recevables, soit 84,8 %16.

Par exemple, il a admis l’intervention de la Française des jeux mise en cause directement par les requérants17 ; une partie au pourvoi en cassation mais non signataire de la QPC18 ; les associations France Nature Environnement et Greenpeace France justifiant d’un intérêt spécial à intervenir dans la procédure d’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur un permis de recherches hydrocarbures19 ; ou un requérant ayant posé une question prioritaire de constitutionnalité identique devant une juridiction20.

Mais il a refusé l’intervention d’un tiers présentant un mémoire en intervention dépourvu d’observations sur le bien-fondé de la question prioritaire de constitutionnalité21, ou encore l’intervention des maires qui, par le seul fait qu’ils sont appelés en leur qualité à appliquer les dispositions contestées ne justifient pas que chacun d’eux soit admis à intervenir22, ou encore l’intervention d’un tiers qui conclut à l’abrogation d’un texte dont le Conseil n’est pas saisi23.

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a autorisé l’intervention d’enseignants-chercheurs dans la question prioritaire de constitutionnalité relative à la composition de la formation restreinte du Conseil académique (cons. 2).

Le simple visa traduit l’admission d’une intervention devant le Conseil constitutionnel.

C. L’intervention et la notion de partie à l’audience

L’article 10 du règlement du 4 février 2010 prescrivait initialement que seuls les représentants des autorités de l’État et les parties pouvaient prendre la parole à l’audience publique.

Cela n’a pas fait obstacle à ce que, par la décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S., le Conseil constitutionnel a autorisé le tiers auquel le Conseil avait préalablement reconnu un intérêt spécial, à présenter non seulement des observations écrites au moyen de son mémoire en intervention, mais en sus, si ce tiers le souhaite, à présenter des observations orales à l’audience24.

Aussi, depuis la décision précitée du 21 juin 2011, le règlement intérieur du Conseil constitutionnel prévoit cette présentation d’observations orales par les tiers autorisés à intervenir (art. 10, al. 2, modifié).

La décision commentée s’inscrit également dans cette pratique : présent à l’audience publique, le groupe des enseignants-chercheurs a présenté ses prétentions, quand bien même celles-ci allaient dans un sens opposé à celui des auteurs de la QPC. À cela s’ajoute que l’article 6, alinéa 2, du règlement intérieur prévoit que « le Conseil décide que l’ensemble des pièces de la procédure est adressé [au tiers intervenant] et que ces observations sont transmises aux parties et autorités mentionnées à l’article 1er ». En outre, les avocats de l’ensemble des acteurs de la question prioritaire sont entendus, ce qui renvoie notamment au principe du contradictoire, principe fondamental du droit processuel, même si se pose la question de l’équilibre des temps de parole fixés à l’avance et de manière discrétionnaire par le président du Conseil constitutionnel (art. 10 du règlement intérieur).

Cela pose la question de la qualification à donner aux acteurs d’une question prioritaire de constitutionnalité, l’article 61-1 de la Constitution n’utilisant pas le qualificatif de « parties » et le règlement intérieur du Conseil ne l’utilisant que de manière restrictive.

II. Appréciation de l’incompétence négative du législateur à propos de la mise en œuvre des principes constitutionnels d’égalité et de parité au sein des instances universitaires

De manière habituelle, dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel limite la question prioritaire de constitutionnalité à la dernière phrase du paragraphe IV de l’article L. 712-6-1 du Code de l’éducation (cons. 3), resserrant ainsi le périmètre de la question prioritaire de constitutionnalité telle que formulée par la Conférence des présidents d’université et transmise par le Conseil d’État25.

A. L’incompétence négative du législateur

1. Le principe de l’incompétence négative du législateur

Le principe de l’incompétence négative, venu du droit administratif, vise à sanctionner le législateur lorsque celui-ci n’a pas épuisé toute sa compétence dans le cadre de l’article 34 de la Constitution, et également dans le cadre des autres dispositions constitutionnelles qui lui donnent compétence.

En contrôle de constitutionnalité a posteriori, le Conseil constitutionnel a introduit le grief de l’incompétence négative du législateur en matière d’exercice des droits et libertés fondamentaux, matière que la Constitution lui réserve exclusivement, considérant que l’incompétence négative ne peut être invoquée dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans la mesure où elle affecte un droit ou une liberté que la Constitution garantit26.

Puis le Conseil constitutionnel a restreint le principe de l’incompétence négative, considérant que « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte, par elle-même, un droit ou une liberté que la Constitution garantit »27. Cette reformulation, désormais habituelle, est reprise par le Conseil dans la décision commentée (cons. 4).

Les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle portant modernisation des institutions qui a introduit dans la Constitution l’article 61-1 avaient expressément écarté la possibilité d’invoquer toute question de procédure législative et de compétence dans le cadre de la QPC28. D’une certaine manière le Conseil constitutionnel s’inscrit dans cette double limite, estimant que, dans le cadre du contrôle a posteriori, le grief tiré de l’incompétence négative doit appuyer la protection des droits fondamentaux, et exigeant ainsi que ce grief ne puisse être invoqué que si un droit ou une liberté constitutionnel est affecté.

Toutefois, la formulation retenue par le Conseil constitutionnel n’est pas aussi précise qu’elle n’y paraît. D’une part, elle n’explicite pas ce qu’il faut entendre par « affecte par elle-même ». D’autre part, si la formulation utilisée depuis la décision n° 2012-254 QPC apparaît comme limitative, le Conseil n’a cessé de reconnaître des droits et libertés que garantit la Constitution et qui peuvent être affectés par l’incompétence négative du législateur, comme le montrent les tables analytiques du Conseil constitutionnel : le Conseil reconnaît des droits et libertés en droit pénal et procédure pénale, en droit économique, en finances publiques et droit fiscal, en droit rural, en droit social, en collectivités territoriales, en urbanisme, en matière de communication audiovisuelle, de liberté de la presse, d’internet, d’environnement, etc.

La décision à commenter s’inscrit dans les décisions « d’absence d’incompétence négative ».

2. L’incompétence négative affectant l’égalité devant le suffrage

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel juge inopérant le grief tiré de l’atteinte aux exigences de l’article 3 de la Constitution invoqué à l’encontre de dispositions relatives à la désignation des membres du Conseil académique au motif que le principe d’égalité devant le suffrage ne s’applique qu’aux élections de nature politique, ce que ne sont pas les élections des membres d’une instance universitaire (cons. 5).

Le Conseil fait ici application d’une jurisprudence constante dégagée de manière implicite par la décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, Quotas par sexe, et consacrée dans les décisions n° 2001-445 DC du 19 juin 2001 à propos de l’accès des femmes au Conseil supérieur de la magistrature (cons. 57) ou n° 2006-533 DC du 16 mars 2006, Loi relative à l’égalité salariale entre hommes et femmes (cons. 14). Le critère fondamental de la nature politique d’une élection est celui de la souveraineté nationale, affirmé dans l’article 3 de la Constitution. Les élections professionnelles, telle la désignation d’instances universitaires, ne bénéficient donc pas de la protection renforcée réservée aux seuls scrutins politiques, nationaux29 ou locaux30.

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel examine puis rejette un autre grief en matière d’élection, celui tiré de la violation de l’égalité devant le suffrage pour les élections professionnelles fondé sur le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Le Conseil constitutionnel a une conception extensive de cette disposition constitutionnelle puisqu’il en a étendu l’application « à tout travailleur », même ceux non liés par un contrat de travail31, et à la détermination collective des conditions de travail des personnels soumis à un régime de droit public, et non seulement aux salariés de droit privé32. Le Conseil a même jugé que la méconnaissance par le législateur de sa compétence dans la fixation des principes applicables au salarié affecte par elle-même les droits collectifs des travailleurs33.

Toutefois, dans la décision examinée, le Conseil constitutionnel a relevé que la formation restreinte du conseil académique a vocation à examiner des « questions individuelles » portant sur le recrutement, l’affectation et la carrière, et aucunement sur les questions collectives visées par le huitième alinéa du Préambule de 1946. Le texte constitutionnel invoqué ne s’appliquant pas en l’espèce, le Conseil en a déduit qu’il ne pouvait accueillir le grief (cons. 6).

3. L’absence d’incompétence négative affectant le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs

Après avoir jugé que le principe de l’indépendance des enseignants-chercheurs est un droit ou une liberté invocable dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité34, le Conseil constitutionnel est amené, dans la décision commentée, à examiner pour la première fois, le grief tiré de l’incompétence du législateur affectant ce principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR).

Dégagé dans la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, ce PFRLR a été étendu aux maîtres de conférences35. Toutefois le Conseil constitutionnel en a ensuite resserré l’application en jugeant que les membres de la procédure de sélection d’un enseignant-chercheur ne doivent pas nécessairement détenir un poste égal ou supérieur à celui à pourvoir36, ce qui a fait dire aux commentateurs que le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs « implique que les professeurs d’université doivent disposer d’une représentation propre et authentique, et en ce sens être associés au choix de leurs pairs »37.

Le Conseil constitutionnel relève dans la présente décision que les dispositions législatives contestées n’affectent pas l’exigence d’une égale et authentique représentation dans la mesure où la loi distingue entre professeurs d’université et les autres enseignants-chercheurs avec l’existence des deux collèges. Il relève également que les dispositions contestées n’affectent pas la possibilité pour les professeurs d’être associés au choix de leurs pairs, puisque tous les membres siégeant au sein du Conseil académique doivent être élus, femmes comme hommes, même si le président du Conseil académique peut écarter de la formation restreinte des membres élus au Conseil académique (cons. 8).

Poursuivant son raisonnement, le Conseil constitutionnel juge que le législateur a opéré une conciliation suffisante entre les principes invoqués par les auteurs de la saisine, à savoir l’égalité devant le suffrage et l’indépendance des professeurs d’université, et l’objectif à valeur constitutionnelle de parité (cons. 8 in fine).

Cette décision s’inscrit également dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière d’objectifs à valeur constitutionnelle, dont la fonction vise à moduler certains droits et libertés constitutionnels pour un motif d’intérêt général. Particulièrement dans sa décision n° 2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’il était loisible au législateur d’adopter des dispositions ayant pour objet de favoriser la parité au sein du Haut conseil des finances publiques et qu’il appartenait au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du Conseil d’État, de fixer les modalités du tirage au sort de nature à assurer en permanence le respect de cet objectif (cons. 43).

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence (cons. 8).

B. Les principes constitutionnels d’égalité et de parité au sein des instances universitaires

1. Le principe d’égalité entre professeurs d’université au sein de la formation restreinte du Conseil académique

La conférence des présidents d’université a articulé son grief sur la confrontation de la parité et de l’égalité, reprochant aux dispositions législatives examinées d’écarter de la formation restreinte en raison de leur sexe des enseignants-chercheurs élus, et cela au nom du principe de représentation égale des femmes et des hommes au sein de la formation restreinte du Conseil académique.

L’égal accès des femmes et des hommes a été introduit dans la Constitution par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a inscrit le principe de parité en matière d’accès aux mandats électoraux et fonctions électives dans la Constitution. Puis, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la VRépublique a élargi le champ du principe de la parité aux responsabilités professionnelles et sociales. La parité est aujourd’hui inscrite à l’article 1er de la Constitution.

Le Constituant ayant donné mission au législateur de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur peut « adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant en la matière et qu’il lui appartient toutefois d’assurer la conciliation entre cet objectif constitutionnel de la parité et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le Constituant n’a pas entendu déroger »38.

La décision commentée s’inscrit dans cette jurisprudence. Le Conseil constitutionnel vérifie que le législateur a bien concilié le principe d’égalité et l’objectif de parité. Ainsi, après avoir relevé que les dispositions contestées posent le principe d’une composition à parité d’hommes et de femmes de la formation restreinte du Conseil académique lorsqu’elle examine des questions individuelles relatives aux enseignants-chercheurs autres que les professeurs des universités, le Conseil constitutionnel constate que la différence de traitement entre enseignants-chercheurs membres du Conseil académique, selon qu’ils participent ou non à la formation restreinte, a pour objet de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles. En conséquence, le Conseil juge que le législateur a assuré la conciliation entre l’objectif de parité et le principe d’égalité devant la loi (cons. 10).

2. Le principe d’égalité entre professeurs d’université et les autres enseignants-chercheurs

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel est amené à faire application du principe d’égalité. Comme à chaque fois que la violation de ce principe est invoquée, il commence par rappeler l’article 6 de la Déclaration de 1789 et sa signification, issue de l’arrêt du Conseil d’État Denoyez et Chorques du 10 mai 1974 et reprise dans sa décision n° 1996-375 DC du 9 avril 1996, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, à savoir que le principe d’égalité n’interdit pas de traiter différemment des situations différentes et qu’il autorise des dérogations, dès lors que dans ces deux cas, la différence de traitement est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Dans leur mémoire en intervention, les quinze enseignants-chercheurs ont présenté un premier grief fondé sur la parité : ils reprochaient qu’en n’imposant pas la parité entre les femmes et les hommes pour la composition du Conseil académique dans sa formation restreinte compétente pour l’examen des questions individuelles relatives aux professeurs d’université, le législateur avait méconnu le principe d’égalité. Ils demandaient que la parité s’impose aussi en formation restreinte du Conseil académique pour les questions relatives à la carrière des professeurs d’université.

Inscrivant sa décision dans sa jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel a jugé que les professeurs d’université et les autres enseignants-chercheurs sont dans une situation différente (cons. 11), sans toutefois expliciter ni quelle est cette différence de situation, ni quel est le lien direct avec la loi qui l’établit. La différence de situation peut s’expliquer par l’existence de deux corps dans la fonction publique ou par l’existence de règles de nature différente organisant la carrière des professeurs d’université et celle des autres enseignants-chercheurs.

C. La parité, un droit ou une liberté non invocable en QPC

Dans leur mémoire en intervention, les quinze enseignants-chercheurs ont présenté un second grief fondé sur la méconnaissance de la parité, considérant que le législateur devait étendre la parité à la formation restreinte du Conseil académique lorsqu’elle statue sur toutes questions.

Le Conseil constitutionnel n’a pas examiné au fond ce grief. Après avoir rappelé le considérant de principe issu de sa décision n° 2000-429 DC du 30 mai 2000 précité, il a jugé que l’article 1er de la Constitution « n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit » et qu’en conséquence, « sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité » (cons. 13 et 14).

Le Conseil constitutionnel inscrit la décision commentée à double titre dans sa jurisprudence : considérer la parité comme un simple objectif imposant au législateur de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales, choisissant de ne faire peser sur le législateur aucune contrainte en matière de parité ; préserver la distinction entre les contrôles de constitutionnalité a priori et a posteriori.

CR

(À suivre)

B – Normes constitutionnelles non invocables dans le cadre de la QPC (…)

C – L’articulation entre le droit interne et les normes internationales et européennes (…)

II – Le procès constitutionnel

A – Les acteurs devant le Conseil constitutionnel (…)

B – La procédure devant le Conseil constitutionnel (…)

C – Les techniques contentieuses (…)

D – L’autorité et les effets des décisions du Conseil constitutionnel (…)

E – Les actes susceptibles de contrôle

ACB

III – Les institutions constitutionnelles

A – Les pouvoirs politiques : le pouvoir exécutif (…)

B – Les pouvoirs politiques : le Parlement et la procédure législative (…)

1 – Les validations législatives (…)

2 – Le contrôle de la procédure législative

MB

C – Le pouvoir juridictionnel (…)

D – Le pouvoir financier (…)

E – Les collectivités décentralisées (…)

F – La régulation des élections et des référendums

IV – Les droits et libertés

A – Les libertés

1 – Liberté individuelle, respect de la vie privée

2 – Liberté d’entreprendre, liberté contractuelle

B – Le droit de propriété

C – Le principe d’égalité

1 – Principe d’égalité devant la loi

2 – Principe d’égalité devant les charges publiques

3 – Principe d’égal accès aux emplois publics (…)

D – Les droits sociaux (…)

E – Les principes du droit répressif

1 – Principes de légalité, nécessité et individualisation des délits et des peines (…)

2 – Droits de la défense et respect des garanties procédurales

F – La garantie des droits

1 – Le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe d’impartialité et d’indépendance (…)

2 – Le principe de sécurité juridique

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. infra.
  • 2.
    Cons. const., 18 juin 2012, n° 2012-254 QPC, Fédération de l’énergie et des mines – Force ouvrière FNEM FO, cons 3.
  • 3.
    V. infra.
  • 4.
    Cons. const., 30 juill. 1982, n° 82-143 DC, loi sur les prix et les revenus.
  • 5.
    Dans le même sens, v. D.-L. n° 77-101, 3 nov. 1977, nature juridique de dispositions de l’ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958 portant réforme des règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique, cons. 3 ; et D.-L. n° 88-157, 10 mai 1988, nature juridique de dispositions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, cons 5.
  • 6.
    V. chronique du 1er trimestre 2015.
  • 7.
    Cons. const., 20 mars 1997, n° 97-388 DC, loi créant les plans d’épargne retraite, cons 53 ; Cons. const., 8 déc. 2011, n° 2011-641 DC, loi relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, cons. 8.
  • 8.
    Cons. const., 24 avr. 2015, n° 2015-465 QPC, Conférence des présidents d’université, cons 6.
  • 9.
    V. Cons. const., 20 janv. 1984, n° 83-165 DC, loi relative à l’enseignement supérieur, cons. 20.
  • 10.
    Cons. const., 28 juill. 1993, n° 93-322 DC, loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, cons 7 ; Cons. const., 6 août 2010, n° 2010-20/21 QPC, M. C. et a.
  • 11.
    Cons. 6 ; dans le même sens, v. la décision n° 2013-30 I du 19 déc. 2013, Situation de Mme Sophie Dion au regard du régime des incompatibilités parlementaires : « Considérant que les maîtres de conférences sont des enseignants-chercheurs titulaires comme les professeurs d’université et bénéficient des mêmes garanties d’indépendance que ces derniers », cons. 3.
  • 12.
    Cons. 7, v. Cons. const., 17 juin 2011, n° 2011-134 QPC, Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et a., cons. 25.
  • 13.
    Chiffres clés de la parité dans l’enseignement supérieur, éd. 2011.
  • 14.
    CE, 13 févr. 2015, n° 386118.
  • 15.
    Règlement intérieur complété des al. 2 à 5, art. 6.
  • 16.
    « Octobre 2014 : Les interventions en QPC de 2010 au 31 août 2014 », article publié par le Conseil constitutionnel sur son site.
  • 17.
    Cons. const., 18 oct. 2010, n° 2010-55 QPC, M. Rachid M. et a.
  • 18.
    Décision préc.
  • 19.
    Cons. const., 11 oct. 2013, n° 2013-346 QPC, Société Schuepbach Energy LLC.
  • 20.
    Cons. const., 26 mars 2015, n° 2015-459 QPC, M. Frédéric P.
  • 21.
    Cons. const., 14 juin 2013, n° 2013-322 QPC, M. Philippe W.
  • 22.
    Cons. const., 18 oct. 2013, n° 2013-353 QPC, M. Francis M. et  a.
  • 23.
    Cons. const., 4 avr. 2014, n° 2014-373 QPC, Société Sephora – Cons. const., 8 oct. 2014, n° 2014-419 QPC, Société Praxair SAS.
  • 24.
    V. le visa de la décision préc.
  • 25.
    V. décision de renvoi du Conseil d’État.
  • 26.
    Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-5 QPC, SNC Kimberly-Clark, cons. 3.
  • 27.
    Cons. const., 18 juin 2012, n° 2012-254 QPC, Fédération de l’énergie et des mines – Force ouvrière FNEM FO, cons. 3.
  • 28.
    Rapport de Warsmann J.-L. au nom de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, Assemblée nationale, 2008, n° 892.
  • 29.
    Cons. const., 8 août 1985, n° 85-196 DC, loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie à propos de l’élection des députés.
  • 30.
    Cons. const., 7 juill. 1978, n° 87-727, loi modifiant l’organisation administrative et le régime électoral de la ville de Marseille.
  • 31.
    Cons. const., 11 avr. 2014, n° 2014-388 QPC, Confédération générale du travail, Force Ouvrière et a.
  • 32.
    Cons. const., 28 janv. 2011, n° 2010-91 QPC, Fédération nationale CGT des personnels des organismes sociaux.
  • 33.
    Cons. const., 11 avr. 2014, n° 2014-388 QPC, préc.
  • 34.
    Cons. const., 17 juin 2011, n° 2011-134 QPC, Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et a.
  • 35.
    Cons. const., 28 juill. 1993, n° 93-322 DC, loi relative aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel.
  • 36.
    Cons. const., 6 août 2010, n° 2010-20/21, M. Jean C. et a.
  • 37.
    Verpeaux M., « Les libertés universitaires mal protégées : Constitution, loi et décret, quand tout le monde s’en mêle », AJDA 2011, p. 1791.
  • 38.
    Cons. const., 30 mai 2000, n° 2000-429 DC, cons. 7.
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