Inéligibilité et incompatibilité en droit électoral : quelle différence ?
Connaissez-vous la différence entre inégibilité et incompatibilité en matière électorale ? On fait le point avec Me Patrick Lingibé sur les règles en la matière dans la perspective des élections législatives.
La différence entre les deux est importante : l’inéligibilité interdit à une personne d’être élue alors que l’incompatibilité impose seulement au candidat nouvellement élu de faire un choix dans ses mandats électifs.
I° L’INÉLIGIBILITÉ : UNE SANCTION DE LA CANDIDATURE.
L’inéligibilité est de deux typés : soit elle est liée à la personne, elle est liée aux fonctions exercées.
1° Les inéligibilités tenant à la personne.
Elles recouvrent les situations ci-après.
En premier lieu, ne peuvent pas faire acte de candidature pendant une durée maximale de trois ans suivant la date de sa décision, les personnes déclarées inéligibles par le juge administratif en application des articles L. 118-3 (déclaration d’inéligibilité prononcée par le juge administratif en cas constatation d’une volonté de fraude ou d’un manquement d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales) et L. 118-4 (en cas de saisine d’une contestation formée contre l’élection et qu’il a été constaté qu’un candidat a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin, le juge électoral peut le déclarer inéligible pour une durée maximale de trois ans), pendant une durée également maximale de trois ans suivant la date de sa décision, les personnes déclarées inéligibles par le Conseil constitutionnel en application des articles L. O. 136-1 , L. O. 136-3 et L. O. 136-4 (situations similaires), pendant un an suivant la date de sa décision, les personnes déclarées inéligibles par le Conseil constitutionnel en application de l’article LO 136-2 (absence de déclarations patrimoniales obligatoires auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique).
En deuxième lieu, les personnes majeures placées sous tutelle ou curatelle sont inéligibles en application de l’article L. O. 129 du Code électoral.
En troisième lieu, sont inéligibles les personnes qui n’ont pas satisfait aux obligations imposées par le Code du service national en application de l’article L. O. 131 du Code électoral.
En quatrième lieu, sont inéligibles les personnes qui ont fait l’objet par le juge pénal de peines qui affectent leurs droits détenus en qualité d’électeur.
2° Les inéligibilités en raison de la nature des fonctions exercées.
Le Code électoral fixe la liste des fonctions dont l’exercice emporte juridiquement inéligibilité en raison de leur nature.
En premier lieu, sont inéligibles dans toutes les circonscriptions du territoire au mandat de député le Défenseur des droits et ses adjoints, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté en application de l’article L. O. 130 du Code électoral.
En deuxième lieu, en application de l’article L. O. 132 I du Code électoral, sont inéligibles au mandat de député dans aucune circonscription comprise en tout ou partie dans le ressort dans lequel ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de trois ans à la date du scrutin les préfets.
En troisième lieu, en application de l’article L. O. 132 I bis, sont inéligibles au mandat de député dans aucune circonscription comprise en tout ou partie dans le ressort dans lequel ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de deux ans à la date du scrutin, les sous-préfets, les secrétaires généraux de préfecture et les directeurs des services de cabinet de préfet.
Enfin en quatrième lieu, aux termes du II de l’article L. O. 132 du Code électoral, sont inéligibles en France dans toute circonscription comprise en tout ou partie dans le ressort dans lequel ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins d’un an à la date du scrutin les titulaires des fonctions suivantes :
1° Les directeurs des services de cabinet de préfet ;
2° Le secrétaire général et les chargés de mission du secrétariat général pour les affaires régionales ou pour les affaires de Corse ;
3° Les directeurs de préfecture, les chefs de bureau de préfecture et les secrétaires généraux de sous-préfecture ;
4° Les directeurs, directeurs adjoints et chefs de service des administrations civiles de l’État dans la région ou le département ;
5° Les directeurs régionaux, départementaux ou locaux des finances publiques et leurs fondés de pouvoir ainsi que les comptables publics ;
6° Les recteurs d’académie, les inspecteurs d’académie, les inspecteurs d’académie adjoints et les inspecteurs de l’éducation nationale chargés d’une circonscription du premier degré ;
7° Les inspecteurs du travail ;
8° Les responsables de circonscription territoriale ou de direction territoriale des établissements publics de l’État et les directeurs de succursale et directeurs régionaux de la Banque de France ;
9° Les magistrats des cours d’appel, des tribunaux judiciaires et les juges de proximité ;
10° Les présidents des cours administratives d’appel et les magistrats des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs ;
11° Les présidents de chambre régionale ou territoriale des comptes et les magistrats des chambres régionales ou territoriales des comptes ;
12° Les présidents des tribunaux de commerce et les présidents des conseils de prud’hommes ;
13° Les officiers et sous-officiers de la gendarmerie nationale exerçant un commandement territorial ainsi que leurs adjoints pour l’exercice de ce commandement ;
14° Les fonctionnaires des corps actifs de la police nationale exerçant un commandement territorial ainsi que leurs adjoints pour l’exercice de ce commandement ;
15° Les militaires, autres que les gendarmes, exerçant un commandement territorial ou le commandement d’une formation administrative ainsi que leurs adjoints pour l’exercice de ce commandement ;
16° Les directeurs des organismes régionaux et locaux de la sécurité sociale relevant du contrôle de la Cour des comptes ;
17° Les directeurs, directeurs adjoints et secrétaires généraux des agences régionales de santé ;
18° Les directeurs généraux et directeurs des établissements publics de santé ;
19° Les directeurs départementaux des services d’incendie et de secours et leurs adjoints ;
20° Les directeurs généraux, directeurs généraux adjoints, directeurs, directeurs adjoints et chefs de service du conseil régional, de la collectivité territoriale de Corse, du conseil départemental, des communes de plus de 20 000 habitants, des communautés de communes de plus de 20 000 habitants, des communautés d’agglomération, des communautés urbaines et des métropoles ;
21° Les directeurs généraux, directeurs généraux adjoints et directeurs des établissements publics dont l’organe délibérant est composé majoritairement de représentants des collectivités territoriales ou des groupements de collectivités mentionnés au 20° ;
22° Les membres du cabinet du président du conseil régional, du président de l’Assemblée de Corse, du président du conseil exécutif de Corse, du président du conseil départemental, des maires des communes de plus de 20 000 habitants, des présidents des communautés de communes de plus de 20 000 habitants, des présidents des communautés d’agglomération, des présidents des communautés urbaines et des présidents des métropoles.
Ces 22 situations empêchent les personnes concernées de se présenter ou d’être élues dans la circonscription dans laquelle elles exercent ou ont exercé leurs fonctions.
Cette liste de situations d’inéligibilité est limitative et doit s’interpréter strictement. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a été amené à juger ainsi que les juges élus aux tribunaux de commerce ne rentraient pas dans la catégorie des « magistrats des tribunaux », laquelle vise seulement des personnes qui relèvent du statut de la magistrature stricto sensu (Conseil constitutionnel, AN Ardennes, n° 93-1258 :
« 3. Considérant que l’expression : « les magistrats des tribunaux » doit être regardée comme visant seulement des personnes qui relèvent du statut de la magistrature ; que les juges élus aux tribunaux de commerce n’entrent pas dans cette catégorie ; que, dès lors, M. Vassal n’est pas fondé à soutenir que la qualité de membre du tribunal de commerce de Charleville-Mézières de M. Spire, remplaçant de M. Vuibert, élu député dans la 1re circonscription des Ardennes, rendrait ces deux personnes inéligibles ; »
Il faut savoir que l’inéligibilité d’un candidat peut être contestée à deux périodes précises.
D’une part, au moment de l’enregistrement de la déclaration de candidature. En effet, l’article L. 160 du Code électoral pose le principe de l’interdiction formelle de l’enregistrement de la candidature d’une personne qui est inéligible. Le refus d’enregistrement doit être motivé. Le candidat ou la personne qu’il désigne à cet effet peut, dans les 24 heures qui suivent la notification du refus d’enregistrement, le contester devant le tribunal administratif, ce dernier devant rendre sa décision au plus tard le troisième jour suivant le jour de sa saisine. La décision du tribunal ne peut être contestée que devant le Conseil constitutionnel saisi de l’élection. De plus, si le tribunal ne s’est pas prononcé dans le délai imparti, la candidature est enregistrée.
Le refus de l’enregistrement d’une candidature suppose que l’autorité préfectorale dispose d’éléments lui permettant de connaître précisément la situation du candidat pour rejeter sa candidature, ce qui est rare.
D’autre part, dans le cadre d’un recours exercé à l’encontre des résultats de l’élection.
Il faut savoir que le fait que la candidature d’un candidat inéligible ait été acceptée ou n’ait pas été rejetée pour participer à l’élection législative n’empêche nullement le Conseil constitutionnel d’être saisi dans le cadre d’un recours contre les élections de cette question.
L’analyse de la jurisprudence du juge constitutionnel montre d’ailleurs que la question de l’inéligibilité d’un candidat s’est posée après les élections.
L’inéligibilité est appréciée au regard de la date du premier tour du scrutin de l’élection à laquelle le candidat participe : en clair l’inéligibilité est calculée à partir de la date effective de la disparition du fait à l’origine de ladite inéligibilité.
S’agissant des fonctions rendant inéligible un candidat, le Juge de la rue de Montpensier, fait preuve de pragmatisme et ne s’arrête pas sur les documents qui lui sont produits.
Ainsi, dans une décision n° 2017-5266 SEN du 13 avril 2018, Orne M. Jean-Marie VERCRUYSSE et Mme Hélène OBISSIER, le Conseil constitutionnel a annulé l’élection d’un sénateur au regard de son inéligibilité pour avoir exercé les fonctions successives de « secrétaire général de la présidence et des relations avec les élus » au conseil départemental et de « chargé de mission communication et affaires touristiques » auprès du président du conseil départemental depuis moins d’une année pleine à la date de l’élection à laquelle il s’est porté candidat. Ce qu’il convient de relever c’est qu’il a jugé que même si les deux fonctions précitées n’étaient pas formellement rattachées dans l’organigramme du conseil départemental, au cabinet du président, il résultait qu’eu égard aux responsabilités confiées, le candidat devait être regardé comme ayant effectivement exercé, dans l’un et l’autre cas, des fonctions de membre de cabinet du président du conseil départemental. En conséquence, le candidat concerné était inéligible à la date du scrutin et son élection a donc été annulée.
En application des dispositions de l’article L. O. 136-3 du Code électoral, le Conseil constitutionnel a la possibilité lorsqu’il est saisi d’une contestation électorale, de déclarer inéligible pour une durée maximale de trois ans lorsque le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin.
Autre impact de l’inéligibilité du candidat judiciairement constaté, il perd ipso jure toute aide publique concernant ses frais de campagne par l’État puisque par définition, il ne pouvait pas participer à cette dernière.
II – L’INCOMPATIBILITÉ : UNE OBLIGATION DE CHOIX DE MANDAT ÉLECTIF.
À la différence de l’inéligibilité, l’incompatibilité n’interdit pas la candidature de la personne concernée et d’être élue.
Cette incompatibilité est sans incidence, contrairement à l’inéligibilité, sur la régularité de l’élection et de la candidature de la personne concernée.
Cependant, à l’issue de l’élection, le candidat élu comme député qui se trouve en situation d’incompatibilité avec un autre mandat, devra démissionner d’un des mandats qu’il détenait antérieurement, au plus le trentième jour qui suit la proclamation des résultats de l’élection qui l’a mise en situation d’incompatibilité (soit en l’espèce, les 13 ou 20 juillet 2024 selon que l’élection a été acquise le 12 ou le 19 juin 2024) ou encore en cas de contestation de l’élection, la date à laquelle la décision du Conseil constitutionnel confirmant cette élection.
Attention cependant : le député en situation d’incompatibilité ne peut pas choisir de démissionner du mandat acquis à la date la plus récente, cette démission devant porter obligatoirement sur un mandat qu’il détenait avant le constat de la situation d’incompatibilité.
À défaut d’option dans le délai de 30 jours, le mandat détenu le plus ancien prend fin de plein droit.
Le Code électoral a institué plusieurs incompatibilités avec le mandat de député.
En premier lieu, l’article L. O. 137 du Code électoral interdit tout cumul de mandats de député avec celui de sénateur. Tout député élu sénateur ou tout sénateur élu député doit cesser, de ce fait même, d’appartenir à la première assemblée dont il était membre. Toutefois, en cas de contestation, la vacance du siège n’est proclamée qu’après décision du Conseil constitutionnel confirmant l’élection. Il ne peut en aucun cas participer aux travaux de deux assemblées. Il ne perçoit que l’indemnité attachée au dernier mandat acquis.
En deuxième lieu, l’article L. O. 137-1 du Code électoral dispose que le mandat de député est incompatible avec celui de représentant au Parlement européen. Tout député élu membre du Parlement européen cesse de ce fait même d’exercer son mandat de parlementaire national. Toutefois, en cas de contestation, la vacance du siège n’est proclamée qu’après la décision juridictionnelle confirmant l’élection. En attendant cette décision, l’intéressé ne peut participer aux travaux de l’Assemblée nationale. Il ne perçoit que l’indemnité attachée au dernier mandat acquis.
En troisième lieu, en application de l’article L. O. 139 du Code électoral, le mandat de député est incompatible avec la qualité de membre du Conseil économique, social et environnemental.
En quatrième lieu, l’article L. O. 140 du Code électoral dispose que l’exercice des fonctions de magistrat est incompatible avec l’exercice d’un mandat à l’Assemblée nationale. Ce mandat est également incompatible avec l’exercice de fonctions juridictionnelles autres que celles prévues par la Constitution et avec l’exercice de fonctions d’arbitre, de médiateur ou de conciliateur.
En cinquième lieu, l’article L. O. 141 du Code électoral dispose que le mandat de député est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats suivants : conseiller régional, conseiller à l’Assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l’assemblée de Guyane, conseiller à l’assemblée de Martinique, conseiller municipal d’une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre du Code électoral pour les communes de 1 000 habitants et plus. Il est précisé par ce même article que tant qu’il n’est pas mis fin à l’incompatibilité, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire et l’indemnité attachée à un autre de ses mandats de son choix.
En sixième lieu, en application des dispositions de l’article L. O. 141-1 du Code électoral, le mandat de député est incompatible avec :
1° Les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire ;
2° Les fonctions de président et de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;
3° Les fonctions de président et de vice-président de conseil départemental ;
4° Les fonctions de président et de vice-président de conseil régional ;
5° Les fonctions de président et de vice-président d’un syndicat mixte ;
6° Les fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;
7° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ;
8° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d’une assemblée de provinces de la Nouvelle-Calédonie ;
9° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;
10° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna ;
11° Les fonctions de président et de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
12° Les fonctions de président et de vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;
13° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger, de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire.
L’article L. O. 141-1 précité prévoit que tant qu’il n’est pas mis fin à une incompatibilité mentionnée ci-dessus, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire.
Référence : AJU448348