La parlementarisation des processus d’intégration régionale. Approche comparée, Europe, Afrique, Amériques

Publié le 10/11/2021
La parlementarisation des processus d’intégration régionale. Approche comparée, Europe, Afrique, Amériques
La parlementarisation des processus d’intégration régionale, Pur éditions

La parlementarisation des processus d’intégration régionale. Approche comparée, Europe, Afrique, Amériques, Rennes, PUR, 2020, 390 p. Sous la direction d’Isabelle Bosse-Platière (PR droit public, Rennes 1).

La parlementarisation des institutions internationales régionales participe-t-elle de la démocratie ? Si le droit parlementaire renvoie naturellement à la dimension étatique, les mécanismes qui l’animent sont légitimement transposables. Cela se constate largement à l’échelle des collectivités territoriales qui, en France et « dans les conditions prévues par la loi, […] s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences » (article 72, al. 3 C). La libre administration des collectivités territoriales emprunte volontiers à la référence parlementaire dans les multiples aspects des règles de l’organisation des commissions, de l’établissement de l’ordre du jour, de la délibération en séance, de la police des amendements, ou des règles relatives aux votes. La parlementarisation apparaît en ce sens comme la condition de la démocratie locale. Or, cette observation assez banale ne se constate pas aussi aisément à l’échelle de la sphère supranationale. La démocratie, au sens étatique, n’y va pas forcément de soi a priori. La parlementarisation se veut alors essentiellement technique. Les organes délibérants des organisations internationales se dotent de mécanismes largement issus du droit parlementaire étatique. Dans ce paysage, le Parlement européen fait figure d’exception, à l’image de l’Union européenne. Cette dernière se caractérise par son haut degré d’intégration et l’application de principes démocratiques. Tout l’enjeu de la parlementarisation supranationale est là. Mais la parlementarisation ne se limite pas à la question de la dimension plus ou moins parlementaire d’assemblées délibérantes non étatiques. Elle peut également s’envisager sous l’angle de la participation des assemblées parlementaires à des organes non étatiques. Se pose alors la question du potentiel impact démocratique de cette participation. Le contexte particulier de l’intégration régionale vise le cadre des organisations internationales régionales regroupant des États liés par une certaine proximité géographique. Ce cadre est encore resserré par la dynamique d’intégration qui a pour caractéristique de favoriser le phénomène de parlementarisation.

Ces perspectives et les questionnements qu’elles suscitent sont réunis dans La parlementarisation des processus d’intégration régionale. Approche comparée, Europe, Afrique, Amériques. Publié en 2020, l’ouvrage dirigé par Isabelle Bosse-Platière est issu d’un colloque organisé en septembre 2016 à l’Institut de l’Ouest : Droit et Europe (Université de Rennes-1). Il réunit 16 contributions. L’intitulé du rapport introductif est volontairement neutre : La parlementarisation des organisations régionales dans le contexte international (Jan Wouters et Nina Pineau). Associant « le terme “parlementarisation” […] au processus général visant à introduire une dimension parlementaire dans les organisations internationales, en particulier régionales », il interroge la relation entre intégration et parlementarisation. Il montre alors que cette question reste ouverte dans le contexte de l’Union européenne. A priori favorable à l’émergence d’une démocratie supranationale, celle-ci reste éloignée des citoyens comme le prouve leur faible mobilisation lors des élections européennes. Répondant à la double dimension de la parlementarisation, le plan de l’ouvrage se découpe en deux parties. La première porte sur La place des Parlements au sein des processus d’intégration régionale et la seconde sur La parlementarisation face aux développements des processus d’intégration régionale. L’ambition des réflexions réunies ici est davantage celle de la lisibilité au détriment d’une exhaustivité illusoire. On ne s’étonnera donc pas de trouver six contributions consacrées de manière spécifique à l’Union européenne, contre quatre portant sur le continent américain et trois dédiées à l’Afrique, complétées par des réflexions transversales.

Le Parlement européen joue un rôle que l’on peut qualifier de fondateur à l’égard du processus d’intégration. Élu au suffrage universel direct depuis 1979, il bénéficie d’une légitimité populaire unique pour une assemblée régionale. La parlementarisation est alors synonyme d’une démocratisation « à petits pas » dans le contexte d’un processus d’intégration mis en œuvre suivant les principes de la méthode fonctionnelle imaginée par Jean Monnet. Par son volontarisme, le Parlement européen a su s’imposer en « acteur décisif de l’intégration européenne » (Isabelle Bosse-Platière). L’évolution de ses pouvoirs en matière budgétaire en atteste. Au fil de son histoire, il a progressivement imprimé à l’exercice du pouvoir normatif son actuelle forme législative. Après les lois européennes mort-nées du traité instituant une Constitution pour l’Europe, le traité de Lisbonne instaure une « fonction législative » exercée par le Parlement européen conjointement avec le Conseil (article 14 TUE). Ainsi, « la fonction législative résulte de la parlementarisation du processus décisionnel » (Didier Blanc). Toutefois, les députés européens doivent composer avec les ministres siégeant au Conseil ainsi qu’avec les chefs d’État et de gouvernement réunis périodiquement au sein du Conseil européen. Or, le rapport de force reste favorable aux exécutifs des États membres dans la mesure où « l’organisation institutionnelle de l’intégration administrative permet […] de masquer des choix politiques derrière la recherche d’efficacité et d’expertise » (Brunessen Bertrand). Sur le fond, la parlementarisation prend tout son sens lorsque l’intégration est portée par le respect et la promotion des droits fondamentaux. Ici, l’Union européenne fait figure de locomotive en comparaison des principales organisations d’intégration régionale comme le Marché commun du Sud (Mercosur), la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) (Sandrine Turgis).

Logiquement, les compétences régaliennes paraissent peu « parlementarisées ». Cela se constate dans les domaines bancaire, de la défense ou de la diplomatie. La logique d’intégration trouve ici ses limites. Le Parlement européen exerce un pouvoir de contrôle au titre de la supervision bancaire dans la mesure où il peut mettre en cause la responsabilité de l’Autorité bancaire européenne (ABE). En revanche, son pouvoir normatif est largement neutralisé car les normes techniques de réglementation et d’exécution sont influencées par l’ABE (Frédérique Michéa). En matière de sécurité et de défense, le Parlement européen n’exerce aucune compétence normative, seulement un pouvoir de contrôle. Cette faible parlementarisation traduit les contraintes de la logique de coopération dont relève la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne (PSDC) et, plus largement, la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dont elle fait partie intégrante (Anne Hamonic). La diplomatie « complémentaire » du Parlement européen se constate, quant à elle, au gré des crises internationales. L’exemple ukrainien met en lumière le volontarisme dont l’Assemblée de Strasbourg a toujours su faire preuve pour conquérir plus de pouvoir, notamment en matière de contrôle (Marie-Cécile Cadilhac).

Délicate en soi, la parlementarisation dans le contexte particulier des processus d’intégration régionale n’est pas à l’abri de l’échec, comme le montrent les études portant sur les continents américain et africain. Institué dans le cadre de la Communauté andine des nations (CAN), le Parlement andin est aujourd’hui menacé de disparition. Plus largement, « si l’idéal d’intégration est indissociable de l’identité de l’Amérique latine, elle se présente pourtant davantage comme une utopie que comme une réalité » (Éric Carpano). L’absence de dynamique démocratique au sein du sous-continent latino-américain jusqu’à la fin des années 1980 n’y est pas étrangère. L’ambition démocratique du Parlement du Mercosur se heurte à des difficultés analogues, faute d’avoir pu aboutir à l’objectif d’élection au suffrage universel direct de ses membres (Martha Olivar Jimenez). Établies en vertu d’une logique privilégiant la coopération au détriment de l’intégration, les organisations régionales de la Caraïbe laissent peu, voire aucune, place à la parlementarisation (Danielle Perrot et Karine Galy). Les récentes avancées ayant conduit à instituer l’assemblée des parlementaires de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) ou une assemblée de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) laissent un goût d’inachevé, faute de représentativité et d’exercice d’un réel pouvoir. Alors que le processus d’intégration transfrontalière initié par l’accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) se caractérise par le rôle des collectivités fédérées des États membres (États-Unis, Canada, Mexique), il se développe sans avoir recours à une quelconque forme de parlementarisation (Stéphane Paquin et Annie Chaloux). Au mieux se manifeste une « paradiplomatie parlementaire » mise en œuvre par certaines assemblées infra-étatiques, notamment entre le Parlement du Québec et les législatures américaines.

Les écueils constatés sur le continent américain se retrouvent en Afrique. Disposant à l’origine d’un pouvoir de recommandation, le Parlement de la CEDEAO qui s’était donné pour ambition d’exister au travers d’un pouvoir de codécision n’exerce, depuis 2016, qu’un pouvoir normatif limité aux procédures d’avis et d’avis conforme. Par ailleurs, la représentation reste déficitaire dans la mesure où son élection au suffrage universel direct n’est envisagée que pour l’avenir (Alioune Sall). Institué par le traité du 29 janvier 2003, le Parlement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMAO) n’a pas encore vu le jour et le rôle des parlements nationaux ne permet pas de pallier cette carence normative et démocratique (Di Gore Simmala). Plus largement, le processus d’intégration régionale en Afrique n’est pas encore sur la voie de la parlementarisation : « l’institution parlementaire n’y est ni la règle ni le principe » (Samuel-Jacques Priso-Essawe).

Les conclusions de l’ouvrage envisagent des interactions réciproques des dynamiques de parlementarisation et d’intégration régionale. Ces deux phénomènes ne constituent-ils pas les faces d’une même pièce dans un monde « traversé par la multiplication des attaques contre le multilatéralisme et marqué par l’attirance de nombreux dirigeants par la démocratie illibérale » (Catherine Flaesh-Mougin) ? Alors que l’Union européenne apparaît comme le seul espace où la parlementarisation des processus d’intégration régionale s’exerce réellement, plusieurs de ses États membres, notamment à l’Est, abandonnent progressivement l’État de droit à la faveur d’un sentiment de peur alimenté par de puissants mouvements populistes. La lecture des analyses livrées par l’étude collective dirigée par Isabelle Bosse-Platière est à ce titre indispensable.

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