La prohibition des cavaliers législatifs
Il paraît difficile d’établir une procédure de contrôle parlementaire des amendements sans lien « même indirect » avec le texte débattu, surtout si cette procédure inclut en outre un contrôle du respect du domaine réglementaire et des dispositions non impératives. Calquée sur la procédure d’irrecevabilité financière, cette nouvelle procédure soulève de multiples questions, en particulier celle de l’inclusion des initiatives gouvernementales dans le champ de ce contrôle.
On connaît l’image : le cavalier est disjoint de sa monture. C’est celui qui chevauche une monture qu’il emprunte en fonction de ses seuls besoins, mais dont bien des westerns montrent qu’elle est indispensable. Transposée au droit parlementaire, elle signifie qu’une initiative se greffe sur un support avec lequel elle n’entretient pas de lien de fond. La notion repose seulement sur le caractère irrégulier de la procédure, même si la référence au sujet de l’initiative est indispensable pour déterminer s’il s’agit d’un cavalier.
On connaît également l’historique, qui initialement se situe plutôt dans la liberté des débats : « Le président ne (…) ne peut pas s’arroger le droit de juger, de censurer les amendements. Il arrive très souvent que des dispositions sont proposées qui semblent ne pas avoir le caractère d’amendements proprement dits. C’est à l’Assemblée d’en juger », affirmait Jules Grévy en 18711. Les choses ont peu évolué jusqu’à la fin de la IIIe République. Tout au plus on peut citer Léon Gambetta, refusant un amendement sur le Conseil d’État et la Cour de cassation dans un texte portant seulement sur l’organisation de la magistrature : « C’est bon en philosophie, où tout est dans tout, mais en matière parlementaire, on ne peut mettre en discussion que ce qui se rattache au sujet à l’ordre du jour »2. L’exigence d’un lien entre l’amendement et le texte en cours de débat est aussi vieille que la forme contemporaine de la République, même si Eugène Pierre, ne reconnaissant pas la notion, conclut : « ce sont là des questions d’espèce qui doivent être tranchées par les présidents et par les chambres d’après le caractère des délibérations régulièrement engagées »3.
La France s’en est donc longtemps remise à la pratique parlementaire d’interdiction de sujets sans lien avec le débat législatif. La disjonction de telles initiatives s’est d’abord imposée là où les règles de procédure parlementaire étaient les mieux affirmées, c’est-à-dire en matière budgétaire. Dès la IIIe République, fut inscrit le principe qu’en matière budgétaire, les amendements ne sont recevables « que s’ils se rapportent au texte en discussion » (règl. Assemblée, art. 102). En 1935, cet ancêtre de la prohibition des cavaliers budgétaires fut étendu à tous les textes : « les amendements ou articles additionnels ne sont recevables que s’ils sont proposés dans le cadre du projet ou de la proposition et s’ils s’appliquent effectivement à l’article qu’ils visent » (art. 84). Les dispositions successives des règlements, à quelques nuances près, reprenaient ces principes, classiques. Ainsi, avant 2009, l’article 98, alinéa 5, du règlement de l’Assemblée disposait : « les amendements et les sous-amendements ne sont recevables que s’ils s’appliquent effectivement au texte qu’ils visent, ou, s’agissant d’articles additionnels, s’ils sont proposés dans le cadre du projet ou de la proposition ; dans les cas litigieux, la question de leur recevabilité est soumise, avant leur discussion, à la décision de l’Assemblée ».
Mais la pratique interne aux assemblées est très souple : il n’y a pas de contrôle systématique au dépôt, les cas d’application du dispositif sont rares4, et aboutissent à des dispositions difficilement justifiables au plan légistique. Dans la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques, on trouve des amendements sur les cartes d’abonnement cinématographiques, la réduction de la durée d’interdit bancaire ou la dénomination « chocolat ». Il est trop facile de renvoyer la responsabilité de cet état de fait aux seuls parlementaires : bien souvent l’administration saisit l’occasion d’un texte pour rechercher la solution d’un problème distinct 5 : validation, nécessité d’aller à l’encontre de décisions de justice, transposition partielle de directives, volonté de résoudre un problème technique identifié, etc.
C’est de la voie jurisprudentielle qu’est venue une affirmation plus nette. Après des hésitations6, le Conseil constitutionnel, dans la décision dite amendement Tour Eiffel du 13 décembre 1985 pose nettement le principe selon lequel les amendements doivent se rapporter au texte, en constatant que l’amendement « n’était pas dépourvu de tout lien avec le projet de loi en discussion ». Après avoir été confortée par un fondement constitutionnel7, la jurisprudence a prospéré : le Conseil constitutionnel s’est rapidement reconnu compétent pour soulever d’office les cavaliers législatifs8 et, alors qu’un préalable parlementaire contestant la décision d’irrecevabilité financière est toujours exigé, cette même exigence, un moment posée par le Conseil constitutionnel9 a depuis lors été abandonnée : le cavalier est susceptible d’être désarçonné non seulement au moment du débat, non seulement par les saisines, mais également par le Conseil constitutionnel.
On connaît, enfin, l’aboutissement constitutionnel de cette longue évolution : le lien entre texte et amendement a été fréquemment utilisé, comme dans la décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, qui censure des amendements introduits par le gouvernement dans un texte portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, concernant, par exemple les enseignants des écoles d’architecture, le droit au maintien dans les lieux pour des organismes syndicaux, ou le versement-transports. La décision n° 2003-481 DC du 30 juillet 2003 censure un amendement sur le remboursement des médicaments dans un texte sur… le sport. La décision du 1er mars 2007 censure sept articles dans une loi portant sur la protection juridique des majeurs. Bref, la censure du cavalier est devenue un sport constitutionnel de masse : il est rare qu’une décision de conformité n’en comporte pas quelques exemples. Pour autant, le risque est souvent couru au moment des débats, et les cavaliers donnent lieu à une incompréhension des parlementaires, toujours sensibles à l’opportunité des initiatives qu’ils ont prises, et toujours soucieux de trouver un support conforme10. Il est difficile de faire admettre que le dispositif peut être légitime, et que seule la procédure est en cause11. C’est sans doute ce qui a poussé les parlementaires en 2008 à introduire dans la constitution la relation entre texte et amendement par l’exigence d’un « lien », ce qui correspond à l’évolution de la prohibition des cavaliers et à la logique du débat – « même indirect » – ce qui correspond à la volonté d’assouplir la jurisprudence dont le principe est consacré mais dont les modalités sont appelées à évoluer dans un sens plus favorable à l’initiative : « nous voulons ainsi remettre en cause la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui ces dernières années a restreint notre liberté d’amendement en première lecture »12. Le Conseil constitutionnel était ainsi appelé – pour reprendre la distinction classique empruntée à Charles Eisenmann et citée, à propos des amendements à la révision elle-même par Pierre Avril et Jean Gicquel13 – à apprécier ce lien en s’intéressant à l’objectif plutôt qu’à l’objet du texte. De ce double mouvement de consécration affirmée et estompée à la fois, on tirera plutôt le constat que le Conseil constitutionnel a largement maintenu sa jurisprudence stricte14, en jugeant par exemple sans lien un amendement sur la réforme de la participation des employeurs à l’effort de logement et sur la gestion paritaire du système avec un texte portant sur l’emploi15. La volonté de mettre en place une procédure d’irrecevabilité au dépôt peut donc s’appuyer sur la jurisprudence, faisant une chasse assez systématique aux cavaliers16, comme sur la hiérarchie des normes, puisque l’interdiction est désormais de rang constitutionnel.
Le projet de révision part donc de cette situation. D’une lente affirmation parlementaire, puis jurisprudentielle, puis constitutionnelle est tirée la nécessaire prohibition des cavaliers, garantie de la clarté des débats, de la bonne rédaction législative, de la lutte contre l’inflation normative. Mais cette affirmation repose jusqu’ici sur un contrôle postérieur au débat et, par ailleurs, mal ressenti par les parlementaires. Par symétrie avec les irrecevabilités financières, pour lesquelles un contrôle au dépôt est exigé17, l’ambition du nouveau texte, qui mêle les cavaliers, les amendements dénués de portée normative (sauf loi de programmation) et les dispositions de nature règlementaire, est d’établir une nouvelle procédure d’irrecevabilité.
Si celle-ci peut trouver une justification dans l’objet de cette irrecevabilité, l’instauration de cette procédure soulèverait cependant de nombreuses questions.
I – Une prohibition affirmée, une irrecevabilité nouvelle ?
La volonté de réduire le nombre d’amendements repose sur l’idée de départ qu’il y en aurait trop, et que cela serait facteur d’inflation et de désordre législatif. C’est donc avec le souci d’une meilleure régulation législative que l’article 3 du projet prévoit que : « Les propositions de loi ou les amendements qui ne sont pas du domaine de la loi ou qui, hors le cas des lois de programmation, sont dépourvus de portée normative, et les amendements qui sont sans lien direct avec le texte déposé ou transmis en première lecture ne sont pas recevables »18, appelant ainsi une procédure d’irrecevabilité au dépôt.
L’avis du Conseil d’État reprend cette justification : « Ces dispositions lui paraissent justifiées par l’augmentation régulière et importante du nombre des amendements, qui a pu nuire à l’efficacité de la procédure parlementaire et à la qualité de la loi, les règles d’irrecevabilité déjà prévues par la Constitution étant très peu utilisées. Tout d’abord, le caractère désormais systématique de l’irrecevabilité des amendements qui ne sont pas du domaine de la loi est cohérent avec la volonté exprimée en 1958 par le constituant, lequel a entendu donner une importance fondamentale à la distinction entre la compétence du législateur et celle du pouvoir réglementaire. L’exigence d’un lien direct entre l’amendement et le texte auquel il se rapporte, qui impose une contrainte importante au Parlement, mais aussi au gouvernement, est susceptible de favoriser la cohérence interne de la loi tout en contribuant à sa clarification ».
Mais peut-on s’appuyer seulement sur le fait qu’il y aurait trop d’amendements pour tenter d’en réglementer le fond ? Après qu’ait été envisagée une réduction en fonction de nombre de parlementaires par groupe19, ce qui reviendrait à imposer une limite quantitative uniforme sans égard à la diversité des initiatives parlementaires, le projet de loi retient une rationalisation en fonction du contenu des initiatives, qui est la seule adaptée à la nature même du droit d’amendement.
Deux éléments demeurent cependant à débattre : d’une part la justification avancée est-elle totalement pertinente, d’autre part peut-on réglementer au moyen de la même procédure trois motifs d’irrecevabilité ?
Sur le premier point, si l’idée selon laquelle une corrélation existe entre le nombre d’amendements et l’inflation législative est indéniable, cette corrélation n’est pas mécanique. Le phénomène est dénoncé par tout observateur ou acteur du travail législatif, depuis longtemps20 comme de manière récente21 : sous la XIVe législature, qui vient de s’achever, les statistiques, pour 150 projets – hors conventions internationales – et 110 propositions de loi adoptées, 115 200 amendements ont été déposés en séance à l’Assemblée nationale et 18 821 adoptés. Cet écart montre que le droit d’amendement est essentiellement manié par l’opposition, jadis à des fins d’obstruction22, désormais à des fins de participation critique au débat. En outre, un nombre significatif d’amendements sont déposés sans être débattus. Cependant il est évident que la réforme de 2008 consistant à engager le débat sur le texte déjà amendé par la commission, sauf pour les lois de finances et de financement, qui aurait dû avoir pour conséquence de limiter le nombre d’amendements en séance, n’a pas eu l’effet escompté.
Donc la recherche d’autres moyens pour diminuer le nombre d’amendements se poursuit. Elle est à l’œuvre dans l’article 3 du projet. Pour autant, il convient de relativiser la place des cavaliers dans cette inflation : sur les 308 articles que compte la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2015 ne relève « que » 17 cavaliers. Il convient par ailleurs à tout le moins de distinguer entre les amendements déposés, les amendements débattus et les amendements adoptés, et même, au-delà, les dispositions définitives auxquelles des amendements dans les deux chambres concourent.
Que les cavaliers soient une mauvaise méthode législative, nul n’en disconvient. Mais ne cherche-t-on pas à leur faire porter un fardeau qui n’est pas le leur ? La justification de la mise en place d’une irrecevabilité est loin d’être si évidente que le relève le Conseil d’État.
En termes statistiques, l’exigence d’une procédure de contrôle au dépôt ne se justifie guère : le nombre de cavaliers sera sans nul doute très faible. D’où la volonté de mettre en place une seule procédure contrôlant plusieurs chefs d’irrecevabilité.
À cet égard, le rôle joué par les dispositions réglementaires est sans nul doute plus important. Mais on sait qu’en la matière, le partage opéré par les articles 34 et 37 de la constitution n’est pas d’ordre public : dans sa décision Prix et revenus du 30 juillet 1982 (Cons. const., 30 juill. 1982, n° 82-143 DC), le Conseil constitutionnel n’a pas admis de la part des parlementaires un moyen tiré du caractère réglementaire d’une disposition. En l’état actuel, la jurisprudence refuse donc aux parlementaires de soulever un moyen que le projet veut pourtant ériger en motif d’irrecevabilité systématique. Un texte final peut être le fruit de compromis, d’allers retours, de synthèses, qui, pour donner lieu à des amendements distincts, participent du même dispositif final : comment pourrait-on par exemple empêcher qu’un amendement règlementaire soit débattu s’il permet au gouvernement, à la faveur d’un retrait, de préciser sa position sur l’application de la loi ? C’est nuire à la qualité de la loi que de limiter le champ des travaux préparatoires. En outre23, on voit mal comment imposer au gouvernement ce dont il est aujourd’hui le maître ?
Quant au caractère impératif d’un dispositif, il est presque impossible à systématiser : comment distinguer un dispositif incitatif d’un dispositif inutile, un objectif d’une mesure impérative qu’il annonce ? Si la décision Loi pour l’école (Cons. const., 21 avr. 2005, n° 2005-512 DC) rappelle la nécessaire impérativité des textes, elle est restée sans suite. Il arrive à l’inverse que le Conseil censure désormais des objectifs du fait de l’incompétence négative du législateur24, mais à être trop précis, le risque est grand d’empiéter sur le domaine règlementaire. Les irrecevabilités envisagées risquent au final de s’avérer complexes à établir.
De surcroît, résoudraient-elles la question de la clarté législative et de l’inflation législative ? On peut en douter, puisque ces trois sources de prohibition, réunies, ne diminueront que faiblement le nombre d’amendements.
En outre cette triple motivation prendra nécessairement un temps supplémentaire de contrôle, puisque l’irrecevabilité postule la mise en place d’un système de vérification des amendements, qui dédoublera celui de la recevabilité au titre de l’article 40.
II – Une limitation nouvelle de l’initiative parlementaire, un risque de restriction inappropriée
La volonté que manifeste le projet de révision de transposer la seule procédure d’irrecevabilité systématique parlementaire en vigueur depuis 1958, c’est-à-dire celle du respect de l’article 40 de la constitution, à tous les cas d’irrecevabilité reconnus par la jurisprudence ou mentionnés par la constitution, pose en premier lieu un problème complexe de base de référence. En effet, si on peut déterminer avec certitude, en fonction de la situation existante, ou, de façon plus incertaine de l’intention du gouvernement, si un amendement crée une charge supplémentaire ou diminue le produit attendu d’un impôt, cette même certitude n’existe guère s’agissant de la détermination du domaine de la loi, du caractère impératif d’une disposition, ou du lien « même indirect » avec le texte débattu.
On sait avec certitude ce qu’est une initiative coûteuse et, en fonction des décisions prises par les auteurs de la recevabilité, on connaît la notion de charge et de recette publique. Le contrôle peut donc s’opérer sur une base mécanique. En revanche, il est beaucoup plus malaisé de savoir à l’avance ce qu’est un cavalier, une disposition impérative ou encore un amendement règlementaire. Il faut nécessairement faire référence à la jurisprudence. À l’inverse de ce qui se passe pour les irrecevabilités financières dont l’application demeure interne aux instances parlementaires, et qui s’est forgée au fil du temps, il s’agirait ici de transposer l’état déjà élaboré d’une jurisprudence extérieure aux assemblées. Cette importation, au reste n’évite pas tout risque, la jurisprudence étant parfois aléatoire25.
En premier lieu, le débat peut toujours corriger certaines des irrecevabilités visées par l’article 3 du projet, ce qui n’est pas le cas en matière financière, surtout si l’objet de l’amendement est de créer une charge. En second lieu, le projet de loi lui-même s’il peut bien servir de base solide pour l’appréciation du caractère cavalier, – encore que le lien « indirect » posera des difficultés d’interprétation – les projets et propositions de loi mêlent souvent des affirmations de principe aux dispositions impératives et des dispositions réglementaires aux dispositions législatives. Alors qu’il est aisé de savoir ce que coûte ou minore un dispositif, l’appréciation du cavalier est plus malaisée.
Jean Foyer26 a défini le cadre du projet de loi comme déterminé par « son intitulé, son exposé des motifs et son dispositif », et le Conseil constitutionnel a largement fait sienne cette délimitation27, en jugeant que le seul changement de titre d’un texte était sans effet sur le cadre de celui-ci. Le fait que l’Assemblée ait substitué à un titre visant l’organisation des services extérieurs de l’État et la fonction publique territoriale un titre plus large, celui de « diverses dispositions relatives aux services extérieurs de l’État », est sans incidence sur le cadre qui définit les possibilités d’amendements.
Cette base de référence nécessite d’être analysée en fonction du dispositif précis du texte : toute modification d’un article de code n’ouvre pas un droit d’amendement sur d’autres articles du même code28. À la différence de l’irrecevabilité financière, dont la base est une donnée, l’irrecevabilité des cavaliers doit apprécier une base et ses extensions potentielles : c’est le champ des possibles qui compte et non la mécanique d’une augmentation ou d’une diminution financière. Il est donc probable que l’article 3 conduira à de multiples contestations.
Enfin, si on peut juger positive, dans son principe, la procédure selon laquelle les irrecevabilités sont appréciées en interne par les assemblées, cette appréciation implique deux conséquences : en premier lieu, que le Conseil constitutionnel devienne, par le truchement de l’exigence d’une contestation préalable interne aux assemblées, un juge d’appel et non un juge de première instance. Or cette exigence est pour l’instant prétorienne, dégagée par le Conseil constitutionnel lui-même au sujet de l’article 40. Donc il faudrait que cette exigence du « préalable » figure dans le texte lui-même.
Par ailleurs, si, comme l’affirme le Conseil d’État, la notion de cavalier s’applique aussi aux initiatives gouvernementales, à l’inverse, par construction, de l’article 40, qui ne vise que les initiatives parlementaires, l’article 3 vise toutes les initiatives : va-t-on assister au contrôle parlementaire d’initiatives gouvernementales ? Si tel était le cas, l’article 3 du projet, qui ne distingue pas selon l’auteur de l’initiative, innoverait considérablement dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs. Mais il est peu probable que le gouvernement accepte de se soumettre à un jugement parlementaire de recevabilité : ce serait une grande première sous la Ve République, à laquelle pourtant, la rédaction de l’article 3, en l’état, conduirait. De quoi, alors ajouter à la difficulté des instances chargées du contrôle, tant le gouvernement a pris, sous la Ve République, l’habitude de la liberté d’initiative qui lui est réservée dans le débat parlementaire.
Finalement, vouloir s’appuyer sur des constructions jurisprudentielles pour définir une nouvelle procédure d’irrecevabilité au dépôt des initiatives paraît peu utile, à l’aune de son but affiché, et aléatoire. Le projet sur ce point serait de peu d’effet parce qu’il ne permettra pas l’amélioration de la qualité des textes escomptée. Aléatoire, parce que les prohibitions qu’il cherche à englober sous une procédure uniforme et systématique sont de nature, de portée et de logiques différentes, que la marge d’erreur ou d’incertitude est infiniment plus importante qu’en ce qui concerne l’irrecevabilité financière qui l’inspire. En revanche, le dispositif proposé est loin d’être inopérant, il restreindra effectivement la portée du débat parlementaire, ce qui est sans doute son but, non avoué, mais également, si sa rédaction demeure en l’état, l’initiative gouvernementale lors du débat, logiquement soumise à ce même contrôle systématique. Pour la première fois sous la Ve République, la révision constitutionnelle aurait pour impact attendu la réduction des droits du Parlement, mais aussi l’établissement du contrôle parlementaire sur les amendements du gouvernement.
Notes de bas de pages
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1.
Débats AN, 29 mars 1871 : cité dans Pierre E., Traité, n° 698. Cet auteur juge pourtant utile que le président fasse des réserves lorsqu’un amendement présente le caractère d’une proposition principale, et cite (éd. 1910, n° 697) l’irrecevabilité d’un amendement sur l’amnistie dans un débat portant sur la commémoration des journées de février 1848, rééd. 1989, Loysel.
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2.
Séance du 18 nov. 1880, Pierre E., Traité, n° 697.
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3.
Idem. Le supplément de 1910 cite le règlement de la chambre des députés d’Italie qui reconnaît la faculté ouverte au président de séance de refuser les amendements « qui sont formulés en termes inconvenants ou qui sont relatifs à des sujets tout à fait étrangers à l’objet de la discussion ».
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4.
V. au sujet d’un amendement sur la pollution de l’étang de Berre dans un texte sur les établissements publics locaux où l’irrecevabilité fut soulevée par Pierre Mazeaud : débats AN, 16 janv. 1997, p. 167.
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5.
En ce sens : Granger M.-A., « La rénovation du droit d’amendement », RFDC 2008, n° 75, p. 585.
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6.
Cons. const., 29 juill. 1978, n° 78-97 DC ; Cons. const., 23 mai 1979, n° 79-104 DC ; Cons. const., 22 juill 1980, n° 80-117 DC, sur cette évolution, v. Baufumé B., Le droit d’amendement et la constitution, 1993, LGDJ, thèse, p. 257 et s.
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7.
Cons. const., 28 déc. 1985, n° 85-199 DC.
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8.
Cons. const., 25 juill. 1990, n° 90-276 DC, à propos d’un amendement sur la construction aux abords des lacs de montagne ; v. aussi Cons. const., 21 janv. 1994, n° 93-335 DC ; Cons. const., 12 févr. 2009, n° 2009-575 DC.
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9.
Cons. const., 27 juill. 1978, n° 78-97 DC.
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10.
Après un long combat parlementaire, la possibilité de promouvoir un terroir viticole ou un patrimoine lié à une boisson alcoolique, déclaré cavalier par la décision du 5 août 2015 relative à la loi Macron est reprise par la L. n° 2016-41, 26 janv. 2016, art. 13, de modernisation de notre système de santé.
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11.
Cons. const., 19 févr. 2007, n° 2007-549 DC : LPA 24 avr. 2007, p. 17, note Schoettl J.-E.
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12.
Warsmann J.-L., débats AN, 9 juill. 2008, p. 4490 : Gicquel J.-E., « La nouvelle rédaction de l’article 45 de la constitution », in Camby J.-P., Fraisseix P. et Gicquel J, La révision de 2008, une nouvelle constitution, 2009, LGDJ, p. 242.
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13.
Avril P. et Gicquel J., « L’apport de la révision à la procédure parlementaire », RFDC 1990, n° 4, p. 619.
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14.
V. par ex. : Cons. const., 10 juin 2010, no 2010-607 DC : obs. Bergougnous G., Constitutions 2010, p. 377 – Cons. const., 4 août 2011, n° 2011-640 DC, où sont censurés 30 cavaliers dans un texte comportant 16 articles lors de son dépôt devenus 64 articles adoptés : LPA 21 déc. 2011, p. 11 – Cons. const., 8 déc. 2011, n° 2011-641 DC : LPA 29 févr. 2012, p. 8.
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15.
Cons. const., 20 mars 2014, n° 2014-691 DC.
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16.
Durant la XIIIe législature (2007-2012), 67 cavaliers sont censurés contre 18 sous la précédente : Chamussy D., N3C 2013, n° 138. À titre de comparaison, le taux d’amendements irrecevables au titre de l’art. 40 a été de 10 % sous la XIIe législature, de 5,2 % sous la suivante (doc. AN, n° 4392, févr. 2012) ou encore de 48,5 % des 3 729 amendements renvoyés en recevabilité sous la XIVe législature (doc. AN, n° 4546, p. 24).
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17.
En dernier lieu Cons. const., 25 juin 2009, n° 2009-582 DC.
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18.
La rédaction qui fait figurer à deux reprises le mot amendement ne peut calquer l’art. 40, sauf à écrire que l’initiative – donc une proposition de loi – devrait entretenir un lien avec… elle-même. En revanche, on partage l’avis du CE sur la nécessité, si ce texte est adopté, de modifier l’art. 45 pour éviter une répétition.
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19.
V. Mazeaud P., Le Figaro, 18 mars 2018.
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20.
V. Herin J.-L., « La qualité de la loi », in Mathieu B. et Verpaux M., La réforme du travail législatif, 2006, Dalloz.
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21.
Chamussy D. et Sutter G., in Derosier J.-P. et Doray M., La délibération après la révision constitutionnelle de 2008, 2015, Mare et Martin.
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22.
On se souvient des 137 000 amendements déposés sur le projet de loi sur l’énergie en septembre 2006.
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23.
À la seule exception, depuis 2008, offerte à un président d’assemblée d’opposer l’article 41 de la constitution.
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24.
V. à ce sujet : Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-718 DC.
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25.
Dans la déc. du 20 mars 2014, préc. note 15, sont jugées en lien les dispositions sur les organes collecteurs de la taxe d’apprentissage, V. Camby J.-P. : « Jurisprudence constitutionnelle et droit d’amendement », AJDA 2016, p. 240.
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26.
Séance du 16 oct. 1973, p. 4433, v. Baufumé, op. cit., p. 260.
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27.
Cons. const., 12 janv. 1989, n° 88-251 DC.
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28.
Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693 DC.