L’article 41 de la constitution : le contrôle au dépôt des initiatives parlementaires

Publié le 09/07/2018

L’irrecevabilité des initiatives législatives risque de s’avérer complexe et de réduire sensiblement les droits du Parlement.

L’article 41 est l’un des moins connus de la constitution. Son prédécesseur, l’article 40 relatif aux irrecevabilités financières, est plus célèbre en raison de son utilisation fréquente tout comme l’article 45 qui est un élément clé de la procédure parlementaire. L’article 41 concerne les relations entre le Parlement et le gouvernement en matière d’écriture de la loi nationale. Il prévoit un dispositif d’irrecevabilité législative destiné à éviter que le Parlement ne statue en dehors du domaine de la loi : « S’il apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38, le gouvernement ou le président de l’assemblée saisie peut opposer l’irrecevabilité.

En cas de désaccord entre le gouvernement et le président de l’assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel, à la demande de l’un ou de l’autre, statue dans un délai de huit jours ».

Dans la version initiale de la constitution de 1958, seul le gouvernement pouvait opposer l’irrecevabilité. C’était logique, dès lors que le gouvernement devait veiller à ce que le Parlement n’intervienne pas dans le domaine du pouvoir règlementaire. Dans la même démarche, l’article 37, alinéa 2 de la constitution permet au Premier ministre de délégaliser une disposition votée par le Parlement dans le domaine règlementaire, dès lors que le Conseil constitutionnel a donné son accord. L’article 41 a été peu utilisé, c’est pourquoi la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 est venue donner aux présidents des deux assemblées le pouvoir d’opposer l’irrecevabilité législative. On s’est imaginé que cette possibilité allait permettre au Parlement d’avoir davantage de pouvoir mais cela n’a pas changé grand-chose.

Une proposition de loi constitutionnelle de Jean-Louis Debré enregistrée à l’Assemblée nationale en octobre 20041 envisageait déjà de réviser l’article 41 grâce à un système visant à faire respecter le domaine de la loi en saisissant systématiquement le président de la commission des lois. L’idée était de s’inspirer de l’article 40 de la constitution afin d’instituer un contrôle systématique de la recevabilité législative des initiatives parlementaires. La rédaction du texte consistant à interdire de mettre en discussion les amendements, lorsqu’ils ne relèvent pas du domaine de la loi, lorsqu’ils sont contraires à une délégation accordée dans le cadre de l’article 38, ou lorsqu’ils sont dépourvus de portée normative. Mais cette proposition n’a pas abouti. Elle a seulement débouché sur une petite modification de l’alinéa 1er de l’article 41 pour permettre aux présidents des assemblées de saisir le Conseil constitutionnel.

L’article 41 de la constitution ne s’applique pas directement. Il est mis en œuvre par les règlements des assemblées et l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative au Conseil constitutionnel. Cet article fait partie de ceux que le gouvernement souhaite réviser dans un souci de rationaliser encore davantage le travail parlementaire dont les maîtres mots sont : représentativité, responsabilité et efficacité. Or, pour être plus efficace, l’exécutif souhaite que le Parlement travaille mieux et plus vite.

On distinguera le dispositif actuel qui consiste en une procédure limitée, de la procédure que le gouvernement se propose d’instituer dans la présente révision constitutionnelle et dont l’objectif est clair : contraindre le Parlement à travailler plus efficacement quitte à réduire ses pouvoirs.

I – L’irrecevabilité législative des initiatives parlementaires : une procédure limitée

A – Au cours de la procédure législative : le premier niveau de contrôle

Seules les initiatives parlementaires peuvent donner lieu à cette procédure, il s’agit des propositions de lois et des amendements susceptibles d’intervenir dans le domaine règlementaire. La question semble évidente mais elle ne l’est pas pour les amendements car le texte ne le précisait pas. Il a fallu que la question soit tranchée par le Conseil constitutionnel2 qui a clairement indiqué que l’article 41 ne concernait que « les propositions de loi et les amendements d’origine parlementaire ». Le gouvernement peut, dans certains cas, faire voter des amendements intervenant dans le domaine règlementaire en le faisant volontairement afin d’éviter qu’un acte administratif soit susceptible d’être contraire à des principes généraux du droit ou plus simplement qu’il risque la censure du juge de l’excès de pouvoir.

La procédure d’irrecevabilité législative est depuis 1958 à l’initiative du gouvernement qui peut la soulever à tout moment de la discussion mais le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat doit obligatoirement prendre une décision qui est prévue par les règlements des assemblées. Le gouvernement peut être représenté au Parlement par l’un de ses ministres ou de ses secrétaires d’État susceptible d’opposer l’irrecevabilité. Contrairement au gouvernement qui peut être représenté par un simple secrétaire d’État, le président de chaque assemblée est seul titulaire du pouvoir comme le prévoient les règlements des assemblées. Si la séance n’est pas présidée par le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, le président de séance doit opérer une suspension de séance afin de consulter le président de la chambre dont il s’agit. La décision appartient au président de l’assemblée concernée. En effet, dès qu’il confirme l’irrecevabilité, la discussion s’arrête. Cette procédure a été inventée pour permettre au gouvernement de se « défendre contre le Parlement, suspect de vouloir piétiner les frontières »3. Mais la pratique montre que le gouvernement n’utilise pas systématiquement l’article 41 car il arrive qu’il accepte que le Parlement intervienne dans le domaine du règlement. De plus, comme le fait remarquer Guy Carcassonne, si le Parlement « n’y consent pas, la discipline majoritaire suffit à dissuader »4.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, chaque président d’assemblée a la possibilité de soulever l’irrecevabilité législative pendant la première lecture. Dans ce cas nouveau, le gouvernement devra confirmer l’irrecevabilité. Mais comme le fait remarquer Guy Carcassonne, l’article 41 C permet aux présidents des assemblées de « faire échec à des initiatives intempestives de l’opposition »5. L’irrecevabilité législative n’est pas une procédure de contrôle de conformité à la constitution mais un mécanisme permettant de garantir le respect du domaine de la loi. Certes le domaine de la loi et celui du règlement ont des « frontières perméables », comme le dit à juste titre Jean-Pierre Camby6 mais il y a quand même des frontières dont le respect est garanti par les articles 41 et 37, alinéa 2, de la constitution. L’initiative parlementaire peut être contraire à une délégation accordée dans le cadre de l’article 38. L’article 41 a curieusement interdit aux parlementaires d’accorder des délégations de compétences au gouvernement (par exemple le sénateur Bourgine en 1979 avait prévu un amendement autorisant le gouvernement à fixer par décret le taux d’imposition des bénéfices non commerciaux. En dehors de ce cas, l’article 41 a surtout permis de protéger l’initiative exclusive du gouvernement en matière de loi d’habilitation. Ont été déclarés irrecevables des amendements faisant injonction au gouvernement de déposer un projet de loi d’habilitation ou habilitant le gouvernement à intervenir sur un sujet par voie d’ordonnances7.

La procédure d’irrecevabilité législative n’est donc pas une procédure de contrôle de conformité des initiatives parlementaires au bloc de constitutionnalité. Il s’agit au contraire d’un mécanisme spécifique, particulier, destiné à éviter que le Parlement n’empiète sur le domaine du règlement. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur cette question de manière très claire dans sa décision du 30 juillet 1982, plus connue sous l’appellation « Blocage des prix »8 en déclarant qu’une initiative parlementaire empiétant sur le domaine règlementaire n’était pas contraire à la constitution. François Luchaire9 relève que depuis cette grande décision le Conseil constitutionnel n’a plus été saisi en application de l’article 41.

B – L’intervention du Conseil constitutionnel

Tout d’abord, on relèvera que le Conseil constitutionnel n’accepte d’être juge de la recevabilité législative des initiatives parlementaires qu’en qualité de juge d’appel. Il exige par conséquent que l’irrecevabilité ait été soulevée devant les instances parlementaires sans quoi le recours devant le Conseil constitutionnel serait jugé irrecevable10. La saisine du Conseil constitutionnel est la troisième étape de la procédure. Le Conseil doit statuer en huit jours par une déclaration motivée qui doit être notifiée au président de l’assemblée concernée et au Premier ministre. La saisine du Conseil constitutionnel est la troisième étape de la procédure de contrôle de la recevabilité des initiatives parlementaires, elle est également appelée fin de non-recevoir. Le différend oppose le gouvernement et le président d’une assemblée parlementaire. Au total, seules 11 décisions du Conseil constitutionnel dont la dernière est celle du 23 mai 197911. Le gouvernement et le Parlement se sont aperçus que le détour par le Conseil constitutionnel était souvent une perte de temps. Aussi, depuis 1979, la procédure se limite-t-elle à ses deux premières phases.

En somme, comme l’a démontré Éric Oliva dans sa thèse12, l’article 41 a été conçu au départ pour protéger le domaine du règlement contre les risques d’empiètement du pouvoir législatif. Or, dans la pratique, il n’a pas joué ce rôle car le Conseil constitutionnel n’a finalement rendu que 11 décisions contre 200 exceptions d’irrecevabilité opposées par le gouvernement. L’article 41 a servi à impulser une discussion aboutissant à une jurisprudence souterraine. Malgré cet équilibre, le gouvernement a souhaité réviser la constitution afin de limiter davantage le pouvoir des parlementaires.

II – L’irrecevabilité législative : un prétexte pour brider les initiatives parlementaires

A – Des nouvelles conditions draconiennes

Le projet de loi constitutionnelle maintient la condition de respect du domaine de la loi en ne modifiant pas le premier alinéa de l’article 41, ce qui montre bien que sa finalité première est de garantir le respect de la frontière entre domaine de la loi et domaine règlementaire. Si le gouvernement veut utiliser l’article 41, il en a la faculté mais ce n’est pas une obligation. Mais le projet ajoute deux chefs d’irrecevabilité qui permettront au gouvernement de remettre en cause le pouvoir d’amendement ou d’initiative des lois des parlementaires : la condition de portée normative et le lien direct entre l’amendement et le texte en discussion.

Le Conseil d’État, saisi pour avis sur le projet de loi constitutionnelle, a exprimé sa vision juridique des nouvelles conditions. En premier lieu, le Conseil d’État13 signale que le projet ne modifie pas les dispositions concernant l’irrecevabilité en cas de contrariété à une habilitation de l’article 38. En second lieu, le Conseil d’État relève que le projet de révision du gouvernement rend plus contraignantes les dispositions relatives aux deux autres hypothèses puisque seraient désormais systématiquement14 irrecevables les propositions de loi ou les amendements qui ne sont pas du domaine de la loi ou qui sont sans lien direct avec le texte déposé ou transmis en première lecture. On voit bien que le dispositif change en devenant automatique. Le Conseil d’État précise que le caractère systématique de l’irrecevabilité des amendements qui empiètent sur le domaine du règlement est conforme avec la jurisprudence du Conseil d’État et celle du Conseil constitutionnel. Selon le Conseil d’État, l’augmentation régulière et importante du nombre d’amendements a pu nuire à l’efficacité de la procédure parlementaire et à la qualité de la loi dans la mesure où l’article 41 était peu utilisé. Nous pensons au contraire que le pouvoir d’initiative des parlementaires n’a pas à être soumis à une rationalisation excessive avec des irrecevabilités systématiques. S’il est vrai que la tendance de la révision opère un retour à la volonté exprimée en 1958 par le constituant15, il y a eu 60 ans d’évolutions qui ne doivent pas être oubliés avec notamment la révision constitutionnelle de 2008 qui a souhaité renforcer les pouvoirs du Parlement.

La notion de lien direct entre l’amendement et le texte en discussion risque d’être un prétexte pour que le gouvernement soulève l’irrecevabilité au motif que l’amendement va dans un sens qui n’est pas celui du gouvernement. Certes, l’exigence posée par le projet de révision semble apporter plus de cohérence interne à la loi et discipliner le travail parlementaire pour que le texte soit clair. C’est l’avis du Conseil d’État16. Il est certain que les amendements présentent le risque d’aboutir à des textes composés d’éléments disparates et que la tentation est grande pour le gouvernement d’éviter que le pouvoir d’amendement ne s’exerce pour que le texte gouvernemental conserve sa cohérence et sa logique. Nous sommes ici au cœur de la démocratie, si le Parlement ne peut plus déposer d’amendements destinés à attirer l’attention, le jeu politique risque de se limiter à sa plus simple expression.

Le projet de révision constitutionnelle crée un nouveau cas d’irrecevabilité législative lorsque l’initiative parlementaire est totalement dépourvue de portée normative. Le Conseil d’État est entièrement d’accord avec ce nouveau cas et personne ne peut tenir de position différente. On sait en effet que la loi fixe des droits et des obligations, elle énonce des règles, par conséquent, les initiatives parlementaires doivent avoir systématiquement une portée normative sans quoi, elles risquent de faire perdre sa valeur juridique au texte en discussion. Le projet de révision gouvernemental précise que pour les lois de programmation, qui sont des textes à normativité incertaine, les amendements peuvent être sans portée normative. En effet, la loi se contente de fixer des objectifs non contraignants susceptibles d’être modifiés par le Parlement. On pense à ce sujet aux « neutrons législatifs » dont parlait Jean Foyer, dispositions dépourvues de force juridique contraignante qui ont été à l’origine de l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi dans la jurisprudence constitutionnelle. Il s’agit là de ce que Pierre Mazeaud appelait un vice de la législation17.

Mais le gouvernement dispose d’instruments autrement plus efficaces que l’article 41, même révisé, s’il veut s’opposer aux initiatives parlementaires. Comme le dit le doyen Guillaume Drago : « l’arbre de la valeur règlementaire cache souvent la forêt du désaccord politique »18.

B – La réduction des délais du Conseil constitutionnel

Les délais dont dispose le Conseil constitutionnel passent de 8 à 3 jours pour les amendements. Pour les propositions de loi, le gouvernement n’a pas osé réduire le délai en dessous de 8 jours. Cette réforme des délais vise tout simplement à accélérer la procédure afin que le travail parlementaire de discussion et de vote de la loi ne soit pas ralenti. On se demande alors pourquoi 3 jours pour des amendements qui bien souvent ne font que quelques lignes. Il serait plus conforme à la volonté de procédures-éclair du gouvernement de passer à une décision du Conseil constitutionnel qui serait prise dans la journée, ce serait plus rapide et le gouvernement aurait ainsi la garantie que la procédure ne traînerait pas en longueur.

En somme, nous pouvons dire que l’article 41, encore un peu compliqué, serait susceptible de déboucher sur un contrôle systématique de la recevabilité comme c’est le cas pour les irrecevabilités financières de l’article 40. L’enjeu serait alors de laisser le Parlement faire sa propre discipline.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Proposition de loi constitutionnelle n° 1832, Assemblée nationale, XIIe législature. Proposition citée par Drago G., Contentieux constitutionnel français, 4e éd., 2014, PUF, Thémis, p. 262.
  • 2.
    Cons. const., 14 sept. 1961, n° 61-1 AUTR, demande d’avis du président de l’Assemblée nationale sur la recevabilité de la motion de censure : JO n° 220, 18 au 19 avr. 1961, p. 8631.
  • 3.
    Carcassonne G. et Guillaume M., La Constitution, 12e éd., 2014, Seuil, p. 209.
  • 4.
    Ibid.
  • 5.
    Ibid., p. 210.
  • 6.
    V. Oliva E., L’article 41 de la constitution du 4 octobre 1958, initiative législative et constitution, 1997, Economica, p. 387, § 368 ; v. égal. Camby J.-P., « 34/37 : des frontières perméables », RDP n° 1/2, 2002, p. 280.
  • 7.
    Oliva E., L’article 41 de la constitution du 4 octobre 1958, initiative législative et constitution, 1997, Economica, p. 387, § 368.
  • 8.
    Cons. const., 30 juill. 1982, n° 82-143 DC, loi sur les prix et les revenus : JO 31 juill. 1982, p. 2470.
  • 9.
    Commentaire de l’article 41 C, in Luchaire F., Conac G. et Pretot X., La constitution de la république française, 3e éd., 2008, Economica, p. 1026-1029.
  • 10.
    Cons. const., 13 janv. 1994, n° 93-329 DC, loi Falloux : JO 15 janv. 1994, p. 829.
  • 11.
    Cons. const., 23 mai 1979, n° 79-11 FNR.
  • 12.
    Oliva E., L’article 41 de la constitution du 4 octobre 1958, initiative législative et constitution, 1997, Economica, p. 603.
  • 13.
    Avis du Conseil d’État, point 14.
  • 14.
    Avis du Conseil d’État, points 14 et 15.
  • 15.
    Comme le relève le Conseil d’État, point 16.
  • 16.
    Avis du Conseil d’État, point 17.
  • 17.
    Mazeaud P., discours prononcé le 3 janvier 2005, N3C juill. 2005, n° 18.
  • 18.
    Drago G., op. cit., p. 262.
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