« Le juge de l’élection invite la CNCCFP à apprécier selon les circonstances de l’espèce le caractère électoral de certaines dépenses »

Publié le 16/03/2017

Dans le cadre de notre numéro spécial, François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a bien voulu répondre aux Petites Affiches sur le mode de fonctionnement de la Commission et sur les questions que soulève la prise en compte des primaires dans les comptes de campagne.

Les Petites Affiches – La publication générale des comptes des partis et groupements politiques au titre de l’exercice 2015 témoigne d’une augmentation du nombre des partis soumis à la loi sur la transparence financière de la vie politique. Quelles conclusions en tirez-vous ?

François Logerot – Le problème n’est pas tant l’augmentation du nombre de partis politiques soumis à la loi, ce qui est un progrès en termes de transparence financière de la vie politique (au regard des plus de 14 500 associations loi de 1901 classifiées « activités politiques » dans le Répertoire national des associations), que le nombre de partis qui ne satisfont pas à leurs obligations, c’est-à-dire près du quart en général, chiffre qui est relativement constant d’une année sur l’autre.

LPA – Faut-il envisager de créer un délai entre l’agrément et la possibilité de bénéficier de dons déductibles, ou d’autres réformes, pour éviter des effets d’aubaine ?

F. L. – La Commission a proposé de coupler la possibilité pour les partis politiques de faibles surface financière de faire certifier leurs comptes par un seul commissaire aux comptes (CAC) (disposition finalement adoptée par la loi n° 2017-286 du 6 mars 2017) à une entrée effective dans le champ de la loi au moment de la désignation du ou des CAC, c’est-à-dire d’avoir la certitude de l’existence d’un contrôle sur les fonds perçus.

LPA – Y a-t-il beaucoup de cas de refus d’agrément et sont-ils contestés ?

F. L. – La Commission a une compétence liée dès lors que les dispositions de la loi sont respectées, il n’y a donc pas de refus d’agrément dès lors que le dossier est complet. Pour autant, il n’y a pas eu de refus de compléter leurs dossiers par les associations demanderesses. Il faut souligner qu’en cas de transformation en parti politique d’une association existante, il appartient aux commissaires aux comptes lors de la première certification de s’assurer de l’origine des actifs éventuels à cette date.

LPA – À l’occasion de la parution prochaine de cette publication, quels points souhaitez-vous mettre en exergue ?

F. L. – Il est difficile de se prononcer sur ce point tant que la Commission n’a pas adopté le prochain rapport d’activité. On peut toutefois se référer à l’avis sur les comptes des partis publié au Journal officiel du 7 février dernier. Il est clair que la Commission a souhaité :

  • sensibiliser sur la question de l’extension du plafonnement des versements à l’ensemble des partis politiques, ses conditions de contrôle (absence de sanction prévue par la loi en cas d’absence de production de la liste unique des donateurs et cotisants) et sur les modalités d’appel de fonds ;

  • rappeler l’importance des travaux en cours avec l’Autorité des normes comptables sur l’évolution du cadre comptable des comptes des partis, notamment au regard des informations sur l’endettement des partis politiques.

Ces améliorations seront particulièrement utiles pour la mise en œuvre de la loi adoptée le 22 février précitée.

LPA – Quelles sont les difficultés concrètes que rencontre la Commission dans ses diverses missions ? Connaît-elle des difficultés dans la collecte d’informations ?

F. L. – La Commission ne rencontre pas de problèmes majeurs sur la collecte : les candidats et les partis fournissent en général les informations nécessaires au contrôle. En revanche, la forme des informations collectées ne facilite pas leur traitement et leur exploitation : essentiellement des documents sous forme « papier » ou des supports numériques non normalisés. D’où les réflexions en cours sur les possibilités de dématérialisation des procédures, l’évocation de la mise en place d’un télé-service pour le formulaire de compte de campagne, la mise à disposition d’un portail sécurisé pour le dépôt des listes uniques par les partis et de leurs justificatifs par leurs mandataires, etc. Autant de sujets dont les solutions sous-tendent une mise en œuvre efficace des nouvelles exigences des contrôles confiés à la Commission.

LPA – Le souci de transparence que manifeste la décision du Conseil d’État du 27 mars 2015, qui considère que, d’une manière générale et à l’exception de données personnelles, les documents d’instruction sont communicables après la décision du juge de l’élection, n’est-il pas excessif ?

F. L. – En tant qu’autorité administrative indépendante soumise au contrôle du juge administratif, la Commission n’a pas à commenter une décision du Conseil d’État. Tout au plus peut-on remarquer que cette décision est en ligne avec la position prise dès l’origine par la CADA et la jurisprudence, selon laquelle les documents reçus et produits par la Commission ont le caractère de documents administratifs communicables.

LPA – Comment, selon vous, doivent être prises en compte les primaires dans les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle ?

F. L. – En l’absence de dispositions spécifiques dans le Code électoral, l’appréciation de l’intégration d’une dépense des primaires dans un compte de campagne repose actuellement sur les recommandations de l’avis du Conseil d’État sur les primaires et sur le guide du candidat à l’élection présidentielle publié par la Commission au Journal officiel après avis du Conseil constitutionnel, document qui reprend pour une large part les instructions définis dans le guide du candidat pour l’élection de 2012. Pour l’essentiel, les dépenses exposées par le candidat issu de la primaire et pour son compte, dans l’année précédant l’élection présidentielle, devront être intégrées à son compte de campagne, à l’exclusion des dépenses des autres pré-candidats et des dépenses d’organisation de la primaire.

LPA – Un candidat battu à la primaire est-il fondé à faire apparaître une dépense dans un compte de campagne de l’élection législative à laquelle il est ultérieurement candidat ?

F. L. – Sur le fondement des documents évoqués ci-dessus, si les dépenses exposées au cours de la primaire par le candidat ont visé un électorat général dans la circonscription législative où il se présente, de telles dépenses, sous réserve de répondre aux autres critères de la dépense électorale, relèvent du compte de campagne de l’élection législative.

LPA – Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013, relative au compte de Nicolas Sarkozy, considérez-vous qu’il demeure des incertitudes quant à la prise en compte des meetings dans les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle ?

F. L. – Le législateur a mis en place un système déclaratif ; la Commission ne peut donc examiner que les éléments déclarés dans le compte au vu, le cas échéant, d’éléments recueillis par les services de la Commission (articles de presse, vidéos, sites internet des candidats, etc.). La question du contrôle de l’exhaustivité du compte et de sa sincérité dans un délai contraint et sans moyens d’investigation coercitifs est une question complexe, malgré la possibilité prévue par la loi du 26 avril 2016 de recourir à des experts. S’agissant du cas particulier des meetings, cette possibilité pourrait permettre à la Commission de détecter plus facilement des sous-facturations manifestes. En revanche, l’obligation de déposer un compte permet à la justice d’aller au-delà de la période de contrôle de la Commission en cas d’infraction avérée ou révélée tardivement.

LPA – Voyez-vous, en matière de dépenses de campagne, des questions que la jurisprudence ne tranche pas de manière suffisamment explicite ?

F. L. – Le législateur ayant prévu à la fois un plafond de dépenses et un plafond de remboursement, des logiques différentes s’exercent dans les stratégies de financement de campagne et de conception des opérations de campagne. Cette confusion peut parfois être amplifiée par la notion des dépenses de campagne officielle (R39) qui font également l’objet d’un remboursement mais hors compte de campagne. En pratique, le caractère électoral d’une dépense peut être lié autant à ses conditions d’exécution et son contexte qu’à sa nature même. Le juge de l’élection (notamment au travers de plusieurs décisions du Conseil d’État) invite d’ailleurs la Commission à apprécier selon les circonstances de l’espèce le caractère électoral de certaines dépenses.