Le « référendum d’initiative partagé » (RIP) dans le nouveau projet de loi constitutionnelle
L’extension aux questions de société du référendum d’initiative partagée prévue par le nouveau projet de loi constitutionnelle, combinée aux assouplissements envisagés (abaissement du nombre minimum de signatures parlementaires et de soutiens citoyens, initiative citoyenne précédant éventuellement le ralliement de parlementaires), soulève de sérieuses questions juridiques et politiques. Ne risque-t-on pas d’assister à une multiplication d’initiatives référendaires, y compris simultanées, perturbant la vie politique du seul fait de leur déclenchement ? Espérons que le report sine die de la révision constitutionnelle permettra à l’exécutif de tempérer le dispositif dans un sens plus attentif aux exigences de la démocratie représentative.
I – Modifications apportées par le projet de loi constitutionnelle
Aux termes de l’article 11 de la constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 :
« Le président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin.
Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet ou de la proposition de loi, le président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation ».
L’article 11 actuel porte sur les référendums décidés par le président de la République, sur proposition du gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées (premier, deuxième et dernier alinéas), ainsi que sur les référendums « d’initiative partagée » (troisième à septième alinéas), associant initiative parlementaire et soutien des électeurs.
Figurant parmi les préconisations présentées dans le rapport remis le 29 octobre 2007 au président de la République par le « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République » (présidé par Édouard Balladur), le dispositif relatif aux référendums d’initiative partagée (RIP) n’avait pas été retenu par le gouvernement dans le projet de loi constitutionnelle déposé au Parlement le 23 avril 2008. C’est ce dernier qui l’a repris par voie d’amendement.
Si l’on en croit la presse1, le projet de loi constitutionnelle soumis au Conseil d’État fin mai 2019 apporte à ce dispositif six séries de modifications :
1. il dissocie formellement les deux types de référendums, réservant l’article 11 à ceux qui procèdent du chef de l’État et plaçant les dispositions relatives aux RIP dans un article figurant en tête du titre XI désormais consacré à la participation citoyenne ;
2. il assouplit les conditions fixées pour qu’un RIP puisse prospérer :
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le seuil requis pour le nombre de parlementaires est abaissé du vingtième au dixième de leur effectif (dans la composition actuelle du Parlement, ce nombre passerait ainsi de 185 à 93) ;
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le seuil requis pour le nombre d’électeurs est abaissé du dixième (soit, aujourd’hui, environ 4,7 millions) à 1 million en valeur absolue.
3. le projet durcit les conditions posées par l’actuel article 11 pour protéger la démocratie représentative contre certaines embardées de la démocratie participative.
Ainsi, la durée de protection d’une loi promulguée passe de 1 à 3 ans.
Le projet protégerait non seulement les lois promulguées depuis moins de 3 ans, mais encore celles en cours de discussion au Parlement. Ce serait tirer les enseignements de l’affaire de la privatisation des aéroports de Paris (la loi PACTE, privatisant ADP, n’était pas promulguée lors du déclenchement du RIP déclarant ADP non privatisable, mais son vote définitif est intervenu le lendemain du dépôt de la proposition de loi référendaire)2.
La notion de « disposition en cours de discussion au Parlement » recouvre non seulement les dispositions récemment débattues, mais le stock important des textes bloqués en cours de navette. Il suffirait donc d’extraire de ce vaste stock une disposition ayant un même objet qu’un RIP en formation pour faire échec à ce dernier. Excessive, cette conséquence du verrou anti obstructionniste pourrait être évitée en excluant des dispositions en cours de discussion au Parlement (faisant obstacle à un RIP contraire) celles dont l’origine est trop ancienne. Pour les définir précisément, on pourrait limiter la protection des dispositions en cours d’examen à celles introduites au cours de la législature.
Par ailleurs, afin de parer à tout usage obstructionniste du RIP, le projet devrait protéger les dispositions définitivement votées par le Parlement et non encore promulguées. Serait ainsi couvert le cas où un RIP viserait une loi votée définitivement, mais en attente des contreseings ministériels et présidentiel, ou en cours d’examen par le Conseil constitutionnel, ou faisant l’objet d’une demande de nouvelle délibération.
Enfin, une proposition d’initiative partagée, sans avoir explicitement pour objet l’« abrogation » d’une loi existante, pourrait, par des modifications substantielles apportées à un texte, avoir cet effet. Pour inclure cette hypothèse, il serait utile de substituer « effet » à « objet » dans l’actuel membre de phrase « ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins ».
4. En contrepartie de cette protection renforcée de la loi ordinaire contre le RIP, le projet de loi constitutionnelle prévoirait la protection réciproque du RIP abouti contre le législateur ordinaire. Les dispositions adoptées par voie référendaire (lorsque le RIP a été couronné de succès) seraient ainsi mises à l’abri d’une disposition législative qui, au cours de la même législature, viendrait y faire obstacle.
5. faisant écho aux déclarations du chef de l’État lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019, le projet ouvre la voie à des RIP provenant d’une initiative citoyenne antérieure à la collecte des signatures parlementaires.
C’est là un des éléments les plus importants du projet de nouveau RIP, mais aussi celui dont les conséquences sont les moins évidentes et les moins bien appréhendées. Nous allons y revenir.
6. Enfin, tant pour les référendums d’initiative présidentielle que pour les RIP, le projet étend les sujets possibles de la consultation à l’organisation des pouvoirs publics territoriaux et aux réformes relatives aux questions de société.
C’est sur les deux dernières de ces modifications (5e et 6e) que nous centrerons nos observations.
II – Le nouveau RIP emprunte au RIC (référendum d’initiative citoyenne) dans des conditions indéterminées
La rédaction actuelle de l’article 11 (troisième alinéa) induit la seule chronologie raisonnable : d’abord une initiative parlementaire, puis un examen par le Conseil constitutionnel, donnant ou non son feu vert à la proposition de loi référendaire (PPL), puis (si le feu vert a été donné) le recueil des soutiens de citoyens, puis un examen par chaque assemblée3, puis (à défaut de cet examen) référendum.
Le gouvernement entend ouvrir l’option évoquée par le président de la République dans sa conférence de presse du 25 avril 2019 : une initiative citoyenne originelle, à laquelle se rallierait un dixième de parlementaires. Autrement dit, un petit RIC, car, si l’Élysée écarte le RIC intégralement citoyen et sans appui parlementaire dont rêvent les Gilets jaunes, il souhaite « en même temps » signifier qu’il tient compte des aspirations à la démocratie directe exprimées sur les ronds-points depuis novembre 2018.
Mais on se perd en conjectures sur ce qui peut se passer lorsque la procédure est déclenchée par des citoyens et non par des parlementaires :
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Le ralliement parlementaire est-il postérieur ou concomitant au recueil des soutiens citoyens ?
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Quand et par qui serait saisi le Conseil constitutionnel pour vérifier que le RIP remplit les conditions de forme et de fond fixées par la constitution (et la loi organique d’application) ?
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Accepte-t-on que l’opération (lourde) de recueil et de vérification du million de soutiens précède l’examen de la PPL par le Conseil constitutionnel, alors que celle-ci pourrait porter sur un objet étranger à ceux listés par le premier alinéa de l’article 11, ou être inconstitutionnelle sur le fond ou présenter un caractère fantaisiste ?
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Peut-on placer le Conseil constitutionnel dans la situation psychologiquement inconfortable d’avoir à statuer sur la constitutionnalité d’une PPL ayant recueilli un million de soutiens citoyens ou davantage ?
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Si le contrôle se fait en amont du recueil des soutiens d’électeurs, comment est déclenchée l’initiative citoyenne ? Par un plus petit nombre de citoyens ? À quel niveau le fixer pour interdire à des initiatives aberrantes de se prolonger, sans pour autant encombrer le Conseil constitutionnel ? Est-ce 10 000, 20 000, 100 000 ou davantage ?
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Qui dépose la PPL ? Selon quelles modalités ? Le terme « proposition de loi » n’exclut-il pas que le texte initial soit déposé par des non parlementaires ?
Aujourd’hui, l’initiative première du RIP est parlementaire et fait l’objet d’un filtrage constitutionnel qui porte non seulement sur la vérification du nombre et de l’authenticité des signatures, mais également sur l’objet et le contenu de la proposition de loi référendaire. Comment une procédure présentant au moins le même niveau de garanties n’existerait-elle pas pour les propositions d’initiative citoyenne, auxquelles viennent se rallier ultérieurement des parlementaires ?
Il convient de faire barrage en temps utile, c’est-à-dire précocement, aux initiatives absurdes (suppression de la TVA), hors du champ de l’article 11 (instauration de quotas migratoires), ou portant sur des objets illicites (rétablissement de la peine capitale, exclu tant par l’article 66-1 de la constitution que par les engagements internationaux de la France), auxquelles le recueil des signatures donnerait un vain retentissement.
Or une constatation tardive (après recueil des soutiens) de l’irrecevabilité d’une initiative référendaire serait d’autant plus probable (et frustrante) que l’éligibilité de nombre de sujets (rétablissement de l’ISF par exemple) est incertaine dans la rédaction actuelle de l’article 11 et le demeurerait en ajoutant à la liste des sujets éligibles la notion vague de « réformes relatives aux questions de société ». La suppression des vaccinations obligatoires en est-elle une ? Faudra-t-il attendre que se décante toute une subtile jurisprudence constitutionnelle pour repérer les contours des questions de société ? On se souvient de la perplexité du Conseil économique, social et environnemental quant à la recevabilité, au regard de ses missions, de la pétition relative au « mariage pour tous »…
Certes, quelle que soit leur importance, ces éléments de procédure et de forme pourraient être réglés par la loi organique.
Encore faut-il que la délégation donnée par le constituant à la loi organique soit suffisante. Le constituant pourrait à cet effet disposer : « Une loi organique fixe les conditions de présentation du texte de la proposition de loi et détermine les conditions dans lesquelles le Conseil constitutionnel vérifie que l’initiative est conforme à la constitution ».
Le contrôle en amont de la procédure est d’autant plus nécessaire que l’effet combiné de l’abaissement des seuils, de l’inversion de la chronologie des initiatives (parlementaire et citoyenne) et de l’extension de l’objet du référendum aux « questions de société » est de nature à conduire à une multiplication d’initiatives citoyennes. Une procédure de filtrage confiée au Conseil constitutionnel doit donc pouvoir être instituée par le législateur organique soit dès le dépôt de la proposition objet du recueil des signatures des électeurs, soit, à tout le moins, lorsque celle-ci atteindrait un certain seuil de soutiens.
III – Les effets disruptifs du nouveau RIP
L’inversion des initiatives parlementaire et citoyenne, combinée aux autres assouplissements (abaissement du seuil de signatures de parlementaires et de soutiens d’électeurs, extension aux problèmes de société) peut conduire, on vient de le dire, à une multiplication d’initiatives référendaires (y compris simultanées). Le Conseil constitutionnel peut être vite débordé et le potentiel disruptif du RIP (déjà manifesté dans l’affaire des Aéroports de Paris) aggravé.
En particulier, le seuil du dixième des parlementaires (93 parlementaires aujourd’hui, moins encore avec la réduction de leur nombre prévue par le projet de loi organique relatif au nombre des parlementaires et à la limitation du nombre de mandats électoraux consécutifs) sera vite atteint.
Quant au million de soutiens citoyens, recueillis sur une plate-forme numérique pendant une période de 9 mois (durée fort longue fixée par l’actuelle loi organique4, qu’il conviendrait de réduire, pour tenir compte du fait que désormais le nombre de signature à recueillir est près de cinq fois inférieur), l’expérience récente des pétitions et cagnottes sur internet montre qu’il est fort accessible, surtout si le sujet est mobilisateur et porteur d’enjeux passionnels. De plus, comme l’illustre l’exemple californien, les lobbies peuvent exercer une forte emprise sur les consultations référendaires.
En facilitant de la sorte le déclenchement des RIP, la France se prépare bien légèrement (et sans aucune espèce d’étude d’impact) à ébranler une démocratie représentative déjà grandement chahutée par l’air du temps. Les minorités agissantes en tireront plus de profit qu’un collège électoral qui, comme le montrent les exemples référendaires étrangers, est souvent désinformé et manipulé et qui, faute de condition de participation minimale (comme il en existe à l’étranger), pourrait ne représenter qu’une fraction de la Nation.
Est symptomatique à cet égard le cas de la Suisse. Malgré leur profonde culture civique et leur ancienne pratique des votations (qui auraient dû les conduire à un usage assagi des référendums d’initiative populaire), nos voisins helvètes vivent, depuis un demi-siècle, au rythme de scrutins portant sur des thématiques populistes, sur des mesures impraticables ou sur des sujets incongrus, dont le fréquent aboutissement hypothèque les politiques publiques de la Suisse, la place en porte-à-faux de ses engagements internationaux ou gonfle sa constitution de sujets mineurs. Si la tranquille Suisse est si peu sage en matière de référendums d’initiative citoyenne, qu’en sera-t-il (avec un RIP proche d’un RIC) de la patrie des Gilets jaunes ?
Si le projet du gouvernement prospérait, une multiplication d’initiatives citoyennes pourrait résulter assez rapidement de l’abaissement des seuils « parlementaires » et « citoyens » et de l’extension de l’objet du référendum aux questions de société. Cet accroissement serait perturbant pour la vie politique nationale et l’activité parlementaire. Il pourrait aussi affecter le fonctionnement du Conseil constitutionnel (déjà fort chargé aujourd’hui avec la QPC). L’article 45-4 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 ne lui confie-t-il pas le soin de veiller à la régularité des opérations de recueil des soutiens citoyens à un RIP ?
Déjà, en 1914, Adhémar Esmein écrivait que « L’initiative populaire serait incontestablement un élément de trouble : alors que l’œuvre législative est déjà difficile à conduire utilement et dans un sens harmonique avec l’initiative parlementaire, comment pourra-t-elle résister à l’initiative du peuple ? »5. Huit décennies plus tard, saisi du projet de révision faisant suite au rapport Vedel, le Conseil d’État se prononçait contre un référendum d’initiative populaire : « Contraire à la tradition républicaine », il « risquerait de nuire au climat de stabilité dans le pays ».
C’est encore plus vrai un quart de siècle plus tard. Même inabouties, des initiatives référendaires réitérées, relayées par médias et réseaux sociaux, hystériseraient la vie politique en plongeant celle-ci dans un battage émotionnel incessant.
L’extension aux questions de société permettrait par exemple une initiative référendaire portée par des activistes (avec l’appoint d’une petite centaine de parlementaires et d’un million d’électeurs, ce qui, répétons-le, est loin d’être hors de portée) élargissant considérablement ou restreignant drastiquement la loi Leonetti Claeys sur la fin de vie et contre l’obstination thérapeutique déraisonnable. Ce texte, largement consensuel, est le fruit longuement mûri de très amples débats, au Parlement comme devant diverses instances éthiques et médicales. Pense-t-on qu’une meilleure législation pourrait naître d’une initiative « citoyenne » non décantée et portée par une volonté militante ennemie de tout compromis ? Même si elle n’aboutit pas à un référendum, une telle initiative aura des effets déstabilisants dès son lancement, surtout si elle fait l’objet d’un tapage politico-médiatique. Serait ainsi accru le trouble causé aux familles et aux équipes médicales concernées, déjà exposées aux ingérences de la presse, des idéologues de tous poils, des juges de tous ordres et des comités Théodule onusiens.
Comme l’écrit Pierre Mazeaud dans Le Figaro6 : « Il y a un paradoxe à susciter la participation de nos concitoyens et des experts à un débat approfondi sur la bioéthique (dans le cadre d’états généraux précédés de contributions multiples et assurant une décantation sérieuse des préconisations) et à ouvrir la boîte de Pandore des choix binaires. Il y a un paradoxe à déplorer la fragmentation continue de notre corps social et à agacer des clivages idéologiques, alors que notre société fragile a plus que jamais besoin de consensus et de stabilité. Il y a un paradoxe à déplorer la montée du populisme et à céder à l’esprit du temps dans l’improvisation. Il y a un paradoxe à légiférer contre les fake news et à prendre le risque de voir l’expression populaire instrumentalisée et désinformée par des lobbies sur des thèmes par nature émotionnels. S’engager dans une telle voie aurait pour effet de dévoyer l’usage du référendum comme source de légitimation de la fonction présidentielle, tout en dépossédant la représentation nationale dans sa mission naturelle de médiation et de réflexion sur ces questions sensibles que constituent les sujets de société ».
Conclusion
Les conséquences les plus perturbatrices du nouveau RIP, tant pour la démocratie représentative que pour la sérénité du débat politique national, se trouvent dans les effets combinés de modifications apportées par le projet au dispositif actuel : extension aux questions de société et possibilité d’une initiative au départ purement « citoyenne » facilitée par l’abaissement du nombre requis de soutiens d’électeurs.
De même et à lui seul, et sans rien changer de la chronologie actuelle, l’abaissement du seuil des signatures parlementaires exercerait une influence déstabilisatrice. Il élèverait en effet la probabilité de déclenchement d’initiatives du type de celle relative aux Aéroports de Paris, dont les effets se produisent dès le début de la procédure.
Il conviendrait aussi que, conformément aux exemples étrangers, un taux de participation minimal soit institué pour valider un référendum d’initiative partagée. Il serait inadmissible que, sur une question importante pour l’avenir de la Nation, les règles soient fixées sans que ni la majorité des parlementaires, ni la majorité des citoyens, n’en aient ainsi décidé.
C’est sur ces points, espérons-le, que le report sine die de la révision constitutionnelle permettra à l’exécutif de modérer le dispositif dans un sens plus respectueux des fondamentaux de la démocratie représentative. C’est aussi sur ces points que le Parlement (dont chaque assemblée dispose en la matière d’un pouvoir de veto) peut tempérer le plus utilement la modification constitutionnelle envisagée, si celle-ci se concrétise.
Notes de bas de pages
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1.
Par exemple : Bulletin Quotidien, 4 juin 2019, p. 5 et 6.
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2.
Schoettl J.-É., « De quelques questions épineuses sur le RIP Aéroports de Paris », LPA 7 juin 2019, n° 145e9, p. 7.
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3.
La PPL doit être examinée par les deux assemblées dans les 6 mois suivant la publication au Journal officiel de la décision du Conseil déclarant qu’elle a obtenu le nombre requis de soutiens. Cet examen peut conduire à adopter (avec ou sans amendements) ou à rejeter la PPL, mais il n’a pas à être achevé dans les 6 mois. Il faut et il suffit que, dans ce délai de 6 mois, la PPL ait été « examinée » une fois par chacune des deux assemblées (au moins en commission). Ce n’est que si, dans ce délai, l’une des deux assemblées n’a pas commencé ou n’a pas achevé (au moins en commission) l’examen de la PPL, que le président de la République convoque le référendum. Cette convocation est alors une obligation constitutionnelle du président. Son non-accomplissement serait un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat et l’exposerait à être destitué par la haute cour de justice en vertu de l’article 68 de la constitution. Que le Parlement puisse reprendre la main lors d’un RIP est une option essentielle de la révision de 2008. C’est au demeurant la seule façon d’amender le texte au cas où, au cours des mois écoulés depuis le dépôt de la PPL, de nouvelles circonstances de droit ou de fait imposent de l’adapter. Des artifices de procédure parlementaire peuvent toutefois, en retardant une lecture à l’approche de l’échéance des 6 mois, provoquer le référendum, même si le gouvernement demande l’inscription de la PPL à l’ordre du jour prioritaire en application de l’article 50 de la constitution.
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4.
V. le II de l’article 4 de la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la constitution.
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5.
Éléments de droit constitutionnel français et comparé, 1914, rééd. Éditions Panthéon Assas, 2001, p. 435.
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6.
Mazeaud P., « Faciliter le référendum d’initiative partagée et sur davantage de sujets ? Danger ! », Le Figaro, 15 juin 2019.