Les moyens dont disposent les anciens présidents de la République : du contentieux à la réglementation
La décision ci-dessous, rendue conformément aux conclusions d’Aurélie Bretonneau, mérite qu’on s’y arrête à plusieurs titres. D’abord, parce qu’elle porte sur un sujet sensible : à quels « avantages » peuvent prétendre les anciens présidents de la République, et surtout, sur quelle base juridique peuvent-ils s’établir ? Ensuite et surtout, parce qu’elle porte sur une lettre du Premier ministre à un ancien président, acte dont on peut débattre de la légalité mais pas de l’existence juridique, pourtant contestée : celle-ci est certaine, et l’angle d’attaque n’était sans doute pas le plus pertinent. Pourtant le Conseil d’État choisit de répondre au fond, tant sur la nature, réglementaire, de cette lettre non publiée que sur le financement des campagnes électorales, de manière d’ailleurs préventive. Au final, c’est davantage l’originalité des questions soulevées par une assise juridique fragile, que Pierre Avril qualifie de « bricolage », que le sujet lui-même ou le décret du 4 octobre 2016, dont l’édiction n’était pas rendue indispensable par la décision, mais qui améliore cette assise, qui méritent attention.
CE, 28 sept. 2016, no 399173, Anticor
La décision ci-dessus du Conseil d’État a fait l’objet d’un certain écho médiatique, provoqué non par les questions juridiques qu’elle soulève, mais parce qu’elle touche des thématiques auxquelles l’opinion publique est doublement sensible : les avantages matériels revenants aux hommes politiques, mais aussi et surtout le statut du chef de l’État, ou plutôt ici de l’ancien chef de l’État. Ces sujets sont rarement abordés de façon sereine : l’ancien chef de l’État redevient un citoyen presque ordinaire – tout est dans le presque ! – au moins une fois ses comptes de campagne apurés, mais le sort des urnes, ou le retrait volontaire de la vie politique peuvent susciter des désirs de revanche, inassouvis pendant la durée du mandat. Quant aux avantages matériels des élus, il s’agit d’un sujet toujours controversé, nourrissant toujours la suspicion, voire le discrédit sur la classe politique.
En l’espèce, le doute s’accroît lorsque des avantages sont seulement fixés par une lettre du Premier ministre, dont la décision cristallise un état de fait plus qu’elle n’innove, mais dont la forme, plus encore que le contenu, peuvent interpeller, d’autant plus qu’un rapport demandé sur le sujet par le président de la République en octobre 2013 au vice-président du Conseil d’État et au Premier président de la Cour des comptes, rédigé en juillet 2014 et actualisé en mars 2016, est demeuré longtemps sans diffusion. La lettre du 8 janvier 1985, quant à elle, avait, depuis 2011, fait l’objet d’une publication par un parlementaire particulièrement assidu dans le contrôle des finances des pouvoirs publics1. Elle liste les avantages dont peut, à sa demande, disposer l’ancien président de la République et son conjoint, largement repris de la situation alors existante2. Cette énumération précise, qui complète une rémunération légale3 et une situation protocolaire4 est-elle un acte juridique susceptible de faire grief, et derrière cette question, on reconnaît naturellement celle d’une possibilité de recours contre la lettre elle-même ?
Une association ayant déféré la lettre du Premier ministre au Conseil d’État, après la diffusion du rapport, plusieurs points juridiques méritent attention.
Tout d’abord, il convient, comme le fait la rapporteure publique, de s’interroger sur l’intérêt à agir d’une association, qui trouve ici un terrain naturellement favorable à sa notoriété. Selon l’article 1er de ses statuts, qui datent du 16 mars 2015, son objet social est de « mener des actions en vue de (…) promouvoir l’éthique en politique, de lutter contre la corruption et contre la fraude fiscale », corruption qu’il faudrait ici entendre dans une acception particulièrement large, puisque la corruption suppose la perception d’un avantage indu et l’octroi d’une décision favorable ou d’un avantage préférentiel en retour, donc un lien illégitime entre un corrupteur et un corrompu, ou encore un conflit d’intérêt qui, ici, font défaut. Quant à l’éthique en politique, elle présuppose que les moyens mis à disposition des anciens présidents seraient indus. En réalité, l’association conteste l’usage des deniers publics au profit des anciens présidents de la République. Or des intérêts trop vagues de défense du contribuable ne sont généralement pas constitutifs d’un intérêt pour agir5. Celui-ci est également dénié aux parlementaires ès qualités6. Comme cela résulte très clairement des conclusions de la rapporteur publique, alors que l’intérêt pour agir n’est pas examiné dans la décision, cette question, qui aurait dû se poser d’emblée, est écartée par le juge au profit d’une réponse au fond.
C’est sans doute la nature du document autant que son contenu qui ont conduit l’association à déposer un recours en déclaration d’inexistence et à choisir cet inhabituel terrain. Ce choix aurait cependant, lui aussi, pu conduire le Conseil d’État à rejeter le recours : l’existence matérielle de l’acte est indéniable, comme sa portée matérielle. La requalification en « banales conclusions d’excès de pouvoir » permet donc au Conseil, en franchissant un deuxième obstacle de recevabilité, de juger au fond du statut matériel des anciens présidents. C’est donc bien pour répondre aux deux arguments que le Conseil a procédé, en ne s’interrogeant pas sur l’intérêt à agir de l’association Anticor, et en requalifiant la requête. Ce choix permet au juge d’aborder les questions de fond.
Le fait que le support de l’acte déféré soit une simple lettre ne doit pas retenir longtemps l’attention : dès lors qu’elle emporte des incidences juridiques7, cette lettre est considérée comme créatrice de droits. L’association requérante reprochait donc en premier lieu l’absence de publication de ce document. Le fait que la lettre soit signée du Premier ministre révèle-t-il une incompétence de l’auteur de l’acte ? Il ressort des conclusions ci-dessus que cet argument n’a pas été soulevé, les requérants se sont ainsi privés d’un argument pourtant assez aisé à manier. Quant à la nature de l’acte, la position de la rapporteure publique ne souffre pas le débat : il s’agit bien d’un acte de portée générale et impersonnelle, relevant à ce titre du pouvoir réglementaire du Premier ministre. Si l’argument avait été soulevé, il aurait été possible de s’interroger, par exemple sur le respect de règles de contreseing, telles qu’elles sont mises en œuvre dans le décret du 4 octobre 2016, mais pas dans la lettre qui se contente de « charger de son exécution » la présidence de la République.
On pouvait en outre s’interroger sur la qualification contentieuse de l’acte juridique en cause : est-ce un acte de gouvernement ? Si l’on considère le critère organique, on peut hésiter : émanant du Premier ministre, au profit d’un ancien président de la République, la lettre, même si elle ne met pas en cause les relations entre l’exécutif et le législatif n’en concerne pas moins les pouvoirs publics, tandis qu’un critère matériel fait apparaître une décision souveraine. Mais puisque le régime de retraite des anciens parlementaires, qui procède de la loi organique, est couvert par l’autonomie des assemblées8, on pourrait être tenté par un parallèle : le statut des anciens présidents de la République ne serait-il pas couvert par une sorte d’autonomie élyséenne ? Trois arguments au moins paraissent contredire ce parallélisme. En premier lieu, c’est le Premier ministre et non le chef de l’État qui a signé la lettre, et donc, même si celle-ci renvoie à la présidence de la République le soin de traiter les « questions relatives à la situation des anciens présidents de la République », ce n’est pas l’autonomie de l’Élysée qui est en cause ; en deuxième lieu, l’autonomie des assemblées relève d’une protection légale dans le cadre de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ; enfin, l’origine de cette protection et sa justification consistent à mettre à l’abri le parlementaire de risques de dépendance – fussent-ils financiers – vis-à-vis de l’exécutif. Cet argument tiré d’une séparation organique des pouvoirs ne joue pas ici, où le régime d’avantages post-mandat n’engage que l’exécutif. Ici, en quelque sorte, la situation matérielle de l’ancien président dépend de son successeur, mais son régime légal de retraite et de rémunération, non abordé par la lettre, n’est pas en cause. Il est donc logique que cette lettre ne soit pas constitutive d’un acte de gouvernement.
L’absence de publication de la lettre pouvait légitimement susciter l’interrogation. Si on partage à cet égard l’appréciation selon laquelle il est regrettable qu’un acte engageant les finances publiques ne soit pas officiellement publié, il est évident qu’une telle absence de publication d’un acte de portée générale, ne lèse, au mieux, que les destinataires de cet acte, lesquels ne pourraient s’en prévaloir : l’acte est ainsi inopposable au plan juridique, même si bien entendu, la lettre engage son signataire, ès qualités.
Il est évident que ces avantages, qui proviennent de l’État ne peuvent, pas plus que ceux dont bénéficie un président sortant, servir d’une quelconque manière au financement des campagnes électorales. Il en va de même de l’indemnité représentative de frais de mandat allouée aux parlementaires9 ou de leurs collaborateurs rémunérés par leur assemblée respective.
L’épilogue est connu : en dépit de la décision qui a donc validé le régime de 1985, et de la précision apportée sur les campagnes électorales, le caractère insatisfaisant de celui-ci demeurait. Le président de la République, par un décret du 4 octobre 2016, a donc substitué à la base juridique fragile10 un fondement réglementaire, et à cette occasion, ces avantages ont été restreints, sur une base égalitaire à compter de l’entrée en vigueur du décret, notamment par le caractère limité dans le temps de la mise à disposition d’un cabinet de sept personnes désormais réduit à trois au bout de cinq ans. Décret du président de la République, non délibéré en conseil des ministres, ce texte est logiquement contresigné par le Premier ministre et les ministres de l’Intérieur et des Finances – au titre de l’exécution budgétaire. Ce sont les crédits du Premier ministre qui devraient en assurer l’imputation budgétaire. Il ne s’agit donc pas d’une dotation aux pouvoirs publics au sens de l’article 7 de la LOLF.
Sur le plan matériel, on peut considérer que ces avantages ne sont pas indus. Sur le plan juridique, l’existence d’un décret marque une clarification, et le choix du Conseil d’État de statuer au fond présente le mérite d’avoir mis en évidence les faiblesses de la solution antérieure. Au plan de l’imputation budgétaire, une autre solution, consistant à faire figurer les crédits correspondants au titre de la présidence de la République, quitte à traiter de façon spécifique à cet égard les mises à dispositions d’emplois publics, aurait sans doute été plus justifiée, tant il est vrai que l’ancien président de la République est toujours identifié comme « relevant » de l’Élysée. L’exercice de cette fonction crée un état irréversible dont le statut juridique d’« ancien » n’est qu’une faible marque. C’est sans doute une des grandes caractéristiques de la spécificité de la Constitution française que chaque citoyen demande au président, et même à l’ancien président, d’être l’homme de l’Histoire autant ou plus que l’homme du quotidien, et que la notion d’arbitrage renvoie à cette idée du caractère exorbitant du droit commun du mandat présidentiel, même une fois ce mandat achevé. Peut-être est-ce pour cela que tout ancien président est « encombrant », comme l’écrit justement Pierre Avril, et que le droit, et le juge, doivent s’accommoder de cette situation.
ANNEXE : Décret n° 2016-1302 du 4 octobre 2016 relatif au soutien matériel et en personnel apporté aux anciens présidents de la République (NOR : PREX1628055D)
Le président de la République,
Sur le rapport du Premier ministre,
Vu la Constitution, notamment son article 37,
Décrète :
Article 1 : Pendant les cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions, il est mis à disposition des anciens présidents de la République sept collaborateurs permanents, dont un directeur de cabinet du niveau de la catégorie A supérieure et trois collaborateurs du niveau de la catégorie A, ainsi que deux agents de service, appartenant à la fonction publique ou rémunérés par l’État sur contrat.
Article 2 : Au-delà des cinq années qui suivent la cessation de leurs fonctions, il est mis à disposition des anciens présidents de la République trois collaborateurs permanents, dont un directeur de cabinet du niveau de la catégorie A supérieure et un collaborateur du niveau de la catégorie A, ainsi qu’un agent de service, appartenant à la fonction publique ou rémunérés par l’État sur contrat.
Article 3 : Il est mis à disposition des anciens présidents de la République, en adéquation avec les personnels mis à leur disposition, des locaux meublés et équipés, dont le loyer, les charges et les frais généraux sont pris en charge par l’État.
Article 4 : Les anciens présidents de la République bénéficient, pour leurs activités liées à leurs fonctions d’anciens chefs de l’État, de la prise en charge des frais de réception ainsi que des frais de déplacement, pour eux-mêmes et un collaborateur.
Article 5 : La gestion du dispositif de soutien matériel et en personnel apportés aux anciens présidents de la République est assurée par les services du Premier ministre, à l’exception de leurs véhicules et de leurs conducteurs qui sont mis en place par le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la protection dont ils bénéficient.
Article 6 : Pour les anciens présidents de la République investis avant le 15 mai 2012, le délai de cinq années mentionné à l’article 1er court à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret.
Article 7 : Le Premier ministre, le ministre de l’Économie et des Finances et le ministre de l’Intérieur sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait le 4 octobre 2016,
Par le président de la République, François Hollande,
Le Premier ministre, Manuel Valls,
Le ministre de l’Économie et des Finances, Michel Sapin,
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Notes de bas de pages
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1.
Dosière R., L’argent de l’État, 2012, Seuil, p. 278.
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2.
Elle retient un appartement de fonction, pour lui-même et un appartement pour le conjoint, la mise à disposition au total de treize fonctionnaires dont deux agents de sécurité, pour lui-même et le conjoint deux véhicules de fonction et la gratuité des transports, et une protection du domicile et des résidences. Ce dispositif est évalué par le rapport précité, hors chauffeurs et protection à 912 000 € pour le soutien et 1,8 million € pour le personnel de cabinet.
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3.
Article 19 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 : 65 000 € bruts de revenus personnels inconditionnels, mais le même rapport fait état d’une dotation de 195 000 €.
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4.
Décret du 13 septembre 1989.
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5.
Outre les exemples cités par Mme Bretonneau, v. CE, 19 mars 1965, Antoine ; CE, 10 nov. 1978, Chevallier : Lebon, p. 186 ; AJDA n° 2, spéc. n° 33, concl. Massot J. – CE, 23 nov. 2011, n° 3412580 ; CE, 13 oct. 2016, n° 402318, Association des contribuables repentis.
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6.
CE, 9 juill. 2010, n° 327663, Fédér. nationale de la libre pensée : AJDA 2010, p. 1635. chron. Liebert S. J. et Botteghi D. et Carpentier E., « L’intérêt à agir du Parlement et des parlementaires devant le Conseil d’État », AJDA 2008, p. 777 – Camby J.-P., « L’intérêt du parlementaire à agir devant le juge administratif », RDP janv. 2013, p. 97.
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7.
CE, 11 févr. 2010, n° 324233, Borvo : RDP 2010, note Camby J.-P.
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8.
CE, 4 juill. 2003, n° 254850, Papon : LPA 20 avr. 2004, p. 3, concl. Vallée L. ; AJDA 2003, p. 1603, notes Melleray F. ; RDP 2003, p. 1277, note Camby J.-P.
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9.
Code électoral, article L. 52-8-1, confirmant la décision de rejet du compte de Sarkozy N. par la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, 19 déc. 2012 et celle du Conseil. Constitutionnel du 1er mars 2013, n° 2012-4715, AN, Haute-Vienne, 2e circ. qui prononce le rejet du compte à bon droit pour 20 000 € d’apport personnel provenant de cette indemnité sans, toutefois, prononcer l’inéligibilité. V. Baudu, « L’IRFM des députés et des sénateurs : manne financière scandaleuse ou indemnité parlementaire justifiée ? » RFFP, n° 123, sept. 2013 et Poujade, note sous Cons. const., 1er mars 2013, n° 2013-4793, AN, Yvelines : AJDA 2013, p. 1062.
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10.
Le rapport constate que le dispositif « n’a pas de réel fondement juridique » : « le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) fixe, sur la base de la lettre du Premier ministre du 8 janvier 1985, les moyens effectivement mis à la disposition des anciens présidents ».