Le portail « QPC 360° », l’élaboration d’un projet au service de la démocratie et des valeurs républicaines

Publié le 06/04/2023

Le portail « QPC 360° », l’élaboration d’un projet au service de la démocratie et des valeurs républicaines

Le Conseil constitutionnel a déployé début janvier 2023, en lien avec le Conseil d’État et la Cour de cassation, un système d’information permettant aux citoyens d’accéder à l’ensemble des décisions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) des juridictions judiciaires et administratives, ainsi qu’à leur parcours. Ce projet a été lancé par Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, à l’occasion du bilan des dix premières années de la QPC fin 2020 et a été conduit avec l’ensemble des acteurs du droit afin de mieux faire connaître la QPC.

À l’occasion du dixième anniversaire de la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), fin 2020, le constat a été largement partagé qu’elle a constitué une innovation majeure pour garantir au citoyen la protection des droits fondamentaux. Instaurée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2010, cette procédure permet au citoyen de soulever, en toute affaire juridictionnelle administrative ou judiciaire, la question de la contrariété de la loi aux grands principes du droit. L’ouverture du prétoire du Conseil constitutionnel, qui en résulte, lui a permis d’enregistrer depuis 2010 plus de mille saisines couvrant un large éventail de dispositions législatives. Il ressort du bilan des dix premières années de la mise en œuvre de la procédure une vision partielle de la QPC en raison, en particulier, de la méconnaissance de la plupart des décisions rendues par les juridictions françaises en dehors de celles rendues par le Conseil constitutionnel.

C’est pourquoi le président Laurent Fabius a décidé, en lien avec le Conseil d’État, la Cour de cassation et le ministère de la Justice, de déployer un véritable système d’information de la QPC agrégeant les décisions rendues en matière de QPC et rendant plus visibles les différentes étapes de la procédure. Cette réflexion commune d’un site dédié à la QPC, vigie de la constitutionnalité de la loi, a fait naître une dynamique de décloisonnement dans l’appréhension de la QPC et de son usage. Le portail devrait à moyen terme permettre la détection de l’émergence de questions nouvelles, complexes ou d’intérêt général, dans des domaines tels que, par exemple, le débat sur la fin de vie, l’environnement ou le numérique, qui pourraient donner lieu à une attention particulière dès leur apparition. « QPC 360° » devrait également conduire à mieux évaluer la procédure et l’adéquation de l’offre à la demande en matière de formations sur la QPC.

Ce projet, riche de potentialités s’est déroulé, dans un calendrier contraint, comme une équation complexe en raison de multiples paramètres techniques (développement d’un site internet, recollement des décisions par des canaux sécurisés) et juridiques (accès aux décisions intègres, pseudonymisation des décisions juridictionnelles, respect des règles de protection des données, publication des décisions juridictionnelles des juridictions administratives spécialisées) ainsi que de la multiplicité de ses acteurs et de ses enjeux tant sociaux que numériques car, comme l’écrivait déjà en 1998 Pierre Catala, « les banques de données [allaient] influencer l’évolution du droit ».

Les acteurs exclusivement professionnels du droit (Conseil d’État, Cour de cassation, conférences des magistrats judiciaires, ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Conseil national du barreau, universitaires) ont été intéressés à résoudre cette « équation » mais aucun n’aurait pu y réussir seul. Un consensus s’est créé autour du management du projet du portail. Les acteurs, même s’ils adhéraient au projet, ont souvent eu des objectifs multiples. Il fallait intéresser chacun des acteurs aux motivations des autres en faisant partager à tous une représentation commune, arbitrer entre des possibles et choisir l’indispensable : rendre accessibles et intelligibles les décisions relatives à la QPC.

Ce projet a dû donner lieu à pilotage fort donnant de la cohérence à l’ensemble : une équipe de projet pluridisciplinaire dédiée, une comitologie associant les différents acteurs et un engagement constant du décideur.

Tout d’abord, une direction de projet pluridisciplinaire dédiée a été constituée pour suivre la création du site internet. Internalisée et placée auprès du Secrétaire général du Conseil qui a assuré le pilotage du projet, la direction de projet a néanmoins fait appel à un prestataire extérieur pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage. La technicité a, en effet, nécessité ce recours pour établir le cahier des charges complexe du marché de développement du site internet. Cette intervention extérieure aux parties prenantes a également permis « d’objectiver » les enjeux. Parallèlement à la mise en place technique du portail, la direction de projet a été chargée d’analyser les décisions au regard de référentiels juridiques afin de les rendre compréhensibles à tous. La transparence de l’activité juridictionnelle et donc l’accès à la justice est un élément fondamental de la démocratie. Une absence de grille de lecture rend insignifiante l’ambition d’ouverture des décisions juridictionnelles.

Il appartenait à la direction de projet, sous la responsabilité du Secrétaire général, d’anticiper et d’évaluer les risques et l’incertitude associée à chaque phase du projet pour en déduire les impacts financiers, de délais, voire réputationnels. Différents types de risques étaient à identifier : retard dans les travaux (mauvaise appréciation de la cible et donc de sa mise en œuvre), retard dans les prises de décision, retard humains (rejet du projet par les partenaires, défaillance au sein d’une direction de projet). Dès le lancement du projet, ont été mis en place différents outils (tableau de bord, gestion des risques, planning, etc…) mais également une comitologie permettant au Secrétaire général de piloter le projet afin d’en assurer la réussite. Mais, en tout état de cause, c’est le pragmatisme et la souplesse qui devaient prévaloir tout le long du projet afin de garder le cap. Selon Michel Nekourouh, « un projet est tourné vers l’objectif final, il doit être adaptable à des modifications fréquentes, mais doit rester maîtrisé et planifié. Le projet doit rester dynamique et équilibrer continuellement les contraintes techniques, de coût et de délai ».

Comme le constataient Michel Crozier et Erhardt Friedberg, il faut déterminer rapidement les stratégies individuelles des acteurs pour mettre en œuvre la décision. Grâce à cette la participation active des acteurs, leur stratégie, leurs intérêts et leurs objectifs sont apparus rapidement dans toutes les questions diverses qui y ont été abordées.

Enfin, une gouvernance forte nécessite un mandat fort pour asseoir la légitimité du pilotage. Face à des acteurs puissants contributeurs à part entière de décisions juridictionnelles, le président du Conseil constitutionnel doit porter le projet à son niveau. En effet, l’administratif ne pourra pas porter seul une décision stratégique comme la création d’une structure permanente de dialogue des juges ayant pour objet potentiel l’examen rétrospectif de décisions juridictionnelles.

Ces perspectives inscrivaient le projet dans une véritable démarche de changement pour les professionnels du droit, dans la façon d’aborder et de traiter la QPC en la replaçant dans un environnement interjuridictionnel de légicentrisme fort et avec un Conseil constitutionnel centré sur ses propres décisions. Ce projet n’a pas fait exception au processus classique de résistance au changement notamment par le déni qui correspond au refus de croire à la réalisation du projet. Le fait de décréter un changement même porteur d’innovation favorable est ressenti comme une agression et entraîne une réaction immédiate en opposant des résistances plus ou moins grandes au détriment d’un développement volontaire et enrichissant.

« En décrétant le changement, l’immobilisme s’est mis en route et je ne sais plus comment l’arrêter » énonçait Edgar Faure. La transparence sur le projet est sûrement nécessaire afin que les avantages mais également les inconvénients en soient exposés et discutés avec tous les acteurs le plus en amont possible. « Comment espérer prétendre à une meilleure motivation des hommes s’ils ont le sentiment de ne pas être reconnus, de ne pas être écoutés, de n’être que des instruments au service d’« une entreprise » dont ils ne connaissent pas les finalités, bref de ne pas exister ? » écrivait Serge Vallemont. La transparence et la concertation permettent aux promoteurs du projet et aux usagers de s’approprier le projet dans le temps.

L’acculturation au projet peut se faire par un plan de communication en interne comme en externe. C’est un excellent exercice de coordination de cibles, d’objectifs et de contenus pluriels. Enfin, c’est un indicateur de cohérence et un volet d’appropriation du projet. L’évolution du contenu du site par son enrichissement notamment par le stock des décisions hors open data ou d’événements va conduire à séquencer la communication. Un dialogue avec les usagers du site doit être instauré pour améliorer l’outil notamment par le biais de comité d’usagers ou d’enquête de satisfaction. Mais à côté de la communication stricto sensu, un autre volet important du projet est constitué par la promotion à la formation à la QPC qui constitue un levier de long terme du changement.

Les plans de communication, de formation ou de mesures d’accompagnement à la connaissance du site permettront l’intégration du projet qui, sans accompagnement cohérent et harmonieux, s’essoufflera rapidement. La réussite du portail, qui doit permettre une meilleure connaissance de la QPC par le citoyen, se mesurera à l’aune de son appropriation.

Selon Romain Gary, « il faut toujours connaitre les limites du possible, pas pour s’arrêter mais pour tenter l’impossible dans les meilleures conditions. »

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