Un ouvrage remarquable de Nicolas Clinchamps sur le régime de la Ve République : données et réflexions

Publié le 09/06/2021

Voici un ouvrage à saluer, consacré à cette partie éminemment importante pour nous, du droit constitutionnel et des institutions politiques : la Ve République française. Il est certainement difficile de traiter l’aboutissement que nous vivons, du régime actuel de la France, sans le faire dans un ouvrage complet de droit constitutionnel ; les développements classiques de théorie et de comparatisme tant historique qu’étranger sont indispensables. Nicolas Clinchamps s’est attaqué à l’entreprise consistant à centrer son propos sur notre régime d’aujourd’hui, tout en intégrant, forcément, des références à ce qui, de l’extérieur, l’éclaire de manière indispensable. Aussi prend-il de la hauteur avec un plan distinguant les données techniques juridiques et les réflexions politiques. Son ouvrage nous conduit dans une première partie sur les principes de l’encadrement et une seconde sur les applications dans le fonctionnement.

La deuxième partie, qui est très détaillée, très technique, ne pouvant exclure des développements tenant à la dynamique politique des institutions, est sensiblement allongée par rapport à la première partie. Malgré ce déséquilibre, le lecteur ne peut qu’être passionné par cet ouvrage si riche, tant du point de vue de la technique juridique que des idées politiques. Il permet de comprendre la nature évolutive de ce régime (qui va bientôt dépasser la IIIe République dans son record de longévité). Son fondateur a instauré un régime bonapartiste, une république consulaire, plébiscitaire, mais on s’en est ensuite bien éloigné.

D’une part, il est vrai, l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel direct a clairement conforté ce système initial, mais d’autre part les pratiques présidentielles successives ont abandonné la conception première. En effet, pour le fondateur du régime plébiscitaire initial, il n’est pas question de transiger sur le contrat exprès et déterminant qui lie le peuple français et son chef. La crise de 1962 se résout par le dialogue direct du président et du peuple. Le chef est alors confirmé. Puis en 1969, il échoue dans le référendum plébiscite qu’il propose, et quitte aussitôt le pouvoir (ce qui ne constituait pas une obligation juridique). Ce contrat gaullien essentiel du régime initial va ensuite de plus en plus être enterré. Cela résulte d’abord de l’avènement de la cohabitation initiée par le président François Mitterrand confronté en 1986 à une nouvelle majorité parlementaire qui lui est hostile. C’est une conception de la volonté politique du corps électoral qui amoindrit la prééminence de sa dernière expression ; autrement dit c’est une manœuvre permettant au président de ne pas abandonner totalement le pouvoir alors qu’il ne bénéficie plus de la confiance majoritaire personnelle de l’assemblée. C’est le contraire de la conception gaullienne. On a changé de régime.

Les origines sont complètement rejetées lorsque le président Jacques Chirac (se réclamant pourtant soi-disant du gaullisme !) se met en contradiction totale avec l’idée fondatrice originelle en organisant un référendum dont il prévient que l’issue n’aura aucune conséquence sur sa propre présence à son poste. Il perd le référendum et se maintient au pouvoir en contradiction flagrante avec l’exemple de son prédécesseur fondateur. Le même président ira jusqu’à passer les cinq années entières d’une législature en régime de cohabitation. Il faut souligner à quel point nous ne vivons plus alors sous le même régime que celui du bonapartisme initial. Il est vrai que cela est confirmé par la représentation affaiblie de la fonction donnée par certains présidents, quand on entend le langage grossier de Nicolas Sarkozy, ou quand on voit les images de François Hollande en mobylette vers ses frasques sexuelles. À cet égard, Emmanuel Macron, invoquant Jupiter et faisant valoir avec force, dès le début de son mandat, sa qualité éminente de chef des armées, marque un certain retour aux origines — qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore.

Ce n’est plus ce thème périlleux de la personnalisation du pouvoir et du lien personnel entre le chef et le peuple qui caractérise la Ve République. Ce sont deux aspects essentiels, qui sont évoqués par l’ouvrage de Nicolas Clinchamps.

Le premier est que la Ve République est le régime de la majorité. Il ne s’agit plus de la conception globalisante du lien personnel du peuple avec son chef au-dessus des partis. Il s’agit du régime qui, notamment grâce aux modes de scrutin, a imposé le pouvoir de la majorité parlementaire. Cela est illustré par la pratique de la cohabitation : quel que soit le président, le gouvernement est toujours celui qui bénéficie de la confiance de la majorité parlementaire. Et dès lors que nous avons un régime majoritaire, cela signifie qu’existe une opposition. La Ve République a évolué dans l’affirmation toujours plus affinée des droits de l’opposition. L’ouvrage de Nicolas Clinchamps expose bien l’évolution progressive de ce caractère remarquable du régime (différent, pour ne pas dire contraire, à son état initial). Une future édition gagnera à introduire dans l’index de l’ouvrage les entrées « Majorité » et « Opposition ».

Le second dispositif absolument caractéristique de notre Ve République d’aujourd’hui, est bien et complètement traité par l’auteur. Cet aspect est d’autant plus louable que rien ne le laissait imaginer à l’origine : c’est l’évolution extraordinaire du Conseil constitutionnel qui, parti des marges du régime, permet à présent de caractériser la Ve République notamment par sa garantie de l’état de droit et sa défense des droits de l’Homme. Tout cela est parfaitement expliqué par l’ouvrage. À cet égard, une petite remarque bibliographique : parmi les excellents manuels de droit constitutionnel général cités en bibliographie, une place devrait être faite à celui qui illustre le plus le nouveau droit constitutionnel contentieux, le Précis Dalloz de Louis Favoreu et autres.

Citons encore des bonheurs que cet ouvrage procure dans ses développements sur les données sociologiques relatives à la composition du Parlement, ou sur le caractère peu productif de l’activité du Parlement, ou encore sur l’évolution de la signification de la loi : développée tant par un excellent exposé des techniques que par l’explication stimulante de leur dynamique…

Bref, l’ouvrage de Nicolas Clinchamps nous montre comment le régime établi en 1958 pour mettre fin à l’instabilité politique chronique depuis des décennies, par l’instauration d’un système bonapartiste, a fait place à une république moderne basée sur le parlementarisme majoritaire et la constitutionnalisation de l’opposition sous l’autorité du chef de l’État et l’enracinement de l’État de droit garanti par la régulation du Conseil constitutionnel. Cet immense patrimoine est remarquablement éclairé par cet ouvrage, à mettre entre toutes les mains.

X