Coronis : une fabuleuse zarzuela à l’Opéra comique
Mélomanes, connaissez-vous la zarzuela ? C’est un spectacle lyrique né en Espagne au 17ème siècle que l’on redécouvre en France à travers Coronis, une oeuvre de Sebastian Duron. Créée à Caen, jouée à l’Opéra comique à Paris en février, elle a fait l’objet d’un enregistrement édité chez Alpha. Une véritable pépite.
Alors que le public retourne timidement dans les salles, l’Opéra comique a eu l’excellente idée de proposer quatre représentations (14-17 février) d’une pépite. L’une de ces découvertes qui récompensent les curieux prêts à prendre des chemins de traverse par rapport au répertoire lyrique traditionnel pour aller chercher des émotions nouvelles. Il s’agit de Coronis, créé en 1705 par le compositeur espagnol Sebastian Duron (1660 – 1716), un contemporain de Scarlatti et Purcell.
Imaginez de la musique baroque, pimentez-là de castagnettes, guitares et tambourins, ajoutez des « tonadas » (chansons populaires du théâtre espagnol) et vous aurez une idée de cette petite merveille, mi-burlesque mi-tragique. Le spectacle a été créé à Caen en 2019 par Omar Porras. Né en 1963 à Bogota, ce metteur en scène échappe aux standards de la modernisation forcée de la mise en scène qui conduit à infliger aux spectateurs nudités discutables, transpositions hasardeuses, décors de HLM, soldats armés et canapés Ikea. Dans cette histoire de la nymphe Coronis fuyant les avances de Triton et déclenchant de ce fait une guerre entre Apollon et Neptune, on aurait pu subir bien des outrages d’adaptation, depuis les sous-entendus néoféministes dénonçant la masculinité d’Apollon jusqu’au manifeste spéciste défendant Triton (il est mi-homme mi-poisson), en passant par la dénonciation usée des méfaits de la guerre.
Omar Porras préfère quant à lui emmener le spectateur dans un univers poétique et onirique délicieusement foutraque où les dieux mythologiques s’incarnent dans des parodies tendres et drôles de leur personnage. Les danseurs, les feux d’artifice, les costumes dont on casse volontairement le kitsch merveilleux par un trait d’humour qui les change en oripeaux de clochards célestes sont autant de sujets de réjouissance. On rit de cette comédie divine qui ressemble tellement à une farce humaine. On s’amuse avec ces artistes qui se régalent sous nos yeux de leurs facéties.
L’oeuvre, qui dure 1h50 sans entracte, n’est pas un opéra mais une zarzuela. Autrement dit un spectacle de cour mêlant théâtre, musique et dialogue parlé, apparu en Espagne en 1648. Précisons toutefois que Coronis fait exception car cette fable mythologique est entièrement chantée. Dans la fosse, les instruments d’époque du Poème philarmonique mené par Vincent Dumestre sont une autre source de réjouissance. Les voix sont au rendez-vous, autant que les jeux de scène ; Marie Perbost incarnant la nymphe Coronis, est parfaite, de même qu’Isabelle Druet dans le rôle du pauvre Triton éconduit. Dans cette forme d’art qui était réservée aux femmes, un seul ténor, Cyril Ovity, incarne un Protée au timbre si séduisant qu’on se surprend très vite à guetter ses apparitions.
C’est drôle, émouvant, joyeux, entrainant, une vraie gourmandise. Il serait bien inutile, voire cruel, de vanter au lecteur les mérites d’un spectacle dont la dernière a eu lieu le 17 février s’il n’était possible de l’écouter au disque. L’œuvre, dans sa distribution de Caen (où l’on retrouve déjà Cyril Ovity mais où Coronis est interprétée par Anna Quintens), est en effet éditée chez Alpha*. Un seul regret, le spectacle n’a pas été capté, inutile donc de rêver d’un DVD ou d’une diffusion télévisée, en tout cas pour l’instant. Mais qui sait, on peut toujours espérer que Coronis, qui a suscité les commentaires enthousiastes de la presse et un accueil plus que chaleureux du public, soit de nouveau très prochainement monté.
Quant à l’Opéra comique, saluons sa capacité à proposer des spectacles de grande qualité qui échappent avec subtilité à toutes les formes de mode et de doxa. Dans cette salle, on vient rire, pleurer, rêver, et surtout goûter la musique. Tout simplement. La crise sanitaire a montré à quel point c’était précieux.
*Informations sur le CD ici.
Référence : AJU276682