L’aventure du pastel du XVIe siècle à nos jours

Publié le 10/04/2018

Tête de jeune femme, par Federico Barocci.

photo fondation de l’Hermitage

Le pastel, « cette paste faite de plusieurs couleurs gourmées ou broyées ensemble ou séparément, dont on fait toutes sortes de crayons pour peindre sur le papier ou le parchemin » (Antoine Furetière, 1690), demeure l’une des plus séduisantes techniques artistiques. Apparu au XVe siècle, il sert alors à rehausser de couleurs les portraits à la pierre noire ou à la sanguine ; il va s’imposer à partir du siècle suivant comme un medium à part entière.

La présentation à la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, de 150 pastels du XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui confirme la place importante prise par cette discipline au cours des siècles. Une technique souple et colorée dont on suit l’évolution depuis la Renaissance. L’exposition réunit des prêts de collections suisses qui écrivent l’histoire de ce medium entre peinture et dessin permettant de saisir une scène, un portrait dans la rapidité d’exécution.

Présentés dans une première salle, des dessins des XVIe et XVIIe siècles, souvent d’une infinie délicatesse, révèlent l’apport de la craie artificielle qui donne vie au dessin en le colorant. C’est ainsi la vivante et délicate Tête de jeune fille au visage lumineux de Federico Barocci ou encore l’étude pour La Vierge agenouillée, où Jacopo da Ponte dit Bassano utilise le pastel pour rehausser son dessin qui s’estompe sous la couleur. Vers la fin du XVIIe siècle, Lorenzo Tiepolo confère une extraordinaire présence à ses Têtes de vieillard au fusain et pastel.

photo fondation de l’Hermitage

Le XVIIIe siècle voit l’apogée de cette discipline qui est alors liée en majorité à l’art du portrait. Tout d’abord limitée, la palette s’enrichit. En Italie, Rosalba Carriera lance la mode du pastel qu’elle travaille avec virtuosité comme en témoigne un vaporeux « Dame », tout en nuances. À la même époque, la France compte également de grands pastellistes : Maurice Quentin de la Tour, Jean-Baptiste Perronneau, Joseph Ducreux. On est sous le charme des portraits masculins et féminins qui frôlent parfois la perfection dans le rendu des chairs, des vêtements et de la psychologie des modèles. Jean-Étienne Liotard révèle lui aussi un vrai talent dans l’utilisation du pastel, ainsi en est-il de la gamme sensible de gris dans le portrait de Madame André Naville, tout en nuances.

Le pastel est beaucoup moins utilisé au début du XIXe siècle, il faut attendre la seconde partie du siècle pour qu’il retrouve une place avec Jean-François Millet par exemple ou Eugène Boudin qui saisit les lumières de bords de mer. La Viennoise Irma Brunner, évoquée par Édouard Manet dans un superbe portrait, frappe par sa présence, sa sobriété ; vue de profil, vêtue et chapeautée de noir, son visage clair crée un fort contraste. Un peintre attire l’attention : le symboliste Odilon Redon dont les œuvres aux sujets mythologiques ou littéraires sont empreintes de rêve. Travaillées en hachures, par superposition ou estompées, elles composent des symphonies fortement colorées La barque, Rêverie ; il crée une réelle émotion esthétique. Réputé pour ses pastels, Edgar Degas y est également présent avec des « femmes à la toilette » prises sur le vif dans des attitudes laissant apparaître sa dextérité, sa maîtrise dans une palette vive. Encore une découverte avec Alfred Sisley le peintre des ports, ici de paisibles paysages bucoliques avec vaches et canards, presque naïfs parfois.

L’on retrouve encore Giovanni Giacometti qui exécute de charmants portraits de ses enfants Alberto et Diego. Giovanni Segantini révèle sa sensibilité avec Les Orphelins à peine esquissés ; quant à Ernst Bieler, il peint des paysages féeriques, travaillés en hachures dans une matière poudreuse.

L’exposition explore les XXe et XXIe siècles avec Paul Klee qui s’intéresse à la technique du pastel, où il trouve une possibilité de s’exprimer pleinement dans des compositions abstraites architecturées. Frantisek Kupka crée des œuvres puissantes et Ludwig Kirchner évoque en quelques traits la sensualité de nus féminins. Parmi les œuvres plus récentes : Peter Stampfli, les constructions rigoureuses d’Aurélie Nemours ou les feuillages si naturels dont Sam Szafran orne des jardins.

À travers ces différentes démarches, le pastel apparaît comme l’un des moyens d’expression les plus efficaces.

 

 

LPA 10 Avr. 2018, n° 135h6, p.15

Référence : LPA 10 Avr. 2018, n° 135h6, p.15

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