Île-de-France

L’Île-de-France, un laboratoire pour le concert streamé

Publié le 17/02/2021

L’année 2020 aura vu une vraie mutation du spectacle vivant, contraint et forcé de repenser son activité sans public. De Roissy-en-France à Boulogne-Billancourt, la région parisienne où l’on donne le plus de concerts est donc devenue un vrai laboratoire pour réinventer l’expérience du spectacle live.

L’automne dernier, Jean-Lo Latour s’est découvert de nouveaux talents. Le directeur technique du ARTE Concert Festival, enregistré tous les ans à la Gaîté Lyrique, à Paris, a dû jongler avec les caprices multiples du Covid. Un cauchemar !

Prévus pour mi-novembre dernier, les concerts de Sébastien Tellier, de Yelle, d’Ichon et de Lous and the Yakuza devaient d’abord se tenir en soirée et dans une salle à la capacité d’accueil réduite de moitié. Puis, après la mise en place du couvre-feu, pendant les après-midi. Enfin, sans public du tout, quand le confinement a été remis en place. Un vrai coup au moral : « Que l’on soit artiste ou technicien, on fait ce métier pour le public : quand tu vois 50 000 personnes sortir d’un Zénith avec le sourire, tu te dis que ça vaut le coup de ne pas compter ses heures, de vivre en tour bus, loin de sa famille », soupire le directeur technique qui a dû reconfigurer la salle de la Gaîté Lyrique, sans personne pour y applaudir.

L’ARTE Concert Festival a la particularité d’être diffusé sur internet chaque année par les équipes de la Blogothèque, mais ces dernières se sont aussi retrouvées face à un défi : pour faire un concert, il faut un public. « C’est le plus important : cela facilite tout, au niveau du tournage, cela crée de la masse et détend les artistes. Ne pas avoir de retour de la salle, ne pas sentir la chaleur des applaudissements, c’est difficile pour eux », explique Maxime Lecerf, responsable de la communication. Pour que cette absence de chaleur humaine soit moins criante, l’équipe a transformé l’ambiance lumineuse « pour dompter l’espace ». « Beaucoup de captations sans public ont choisi de montrer la salle vide, on a essayé de faire l’inverse »…

Des spectateurs filmés

Le stratagème a-t-il fonctionné ? Même si Yelle s’est retrouvée à applaudir seule avec ses musiciens, à la fin de son concert – un moment bizarre –, l’artiste se dit très heureuse de ce premier concert digital. « C’est un exercice difficile, car il n’y a pas l’électricité normalement présente dans une salle, ce petit quelque chose qui flotte dans l’air, indescriptible », souligne-t-elle. « Il faut s’appuyer sur autre chose. Je me suis projetée dans ce que cela devait donner pour les gens, j’ai peut-être plus fermé les yeux que d’ordinaire pour visualiser un public… Rapidement, l’excitation et le stress reviennent, et on retrouve les sensations de la scène, les lumières, le déplacement, les regards entre nous… On a réussi à se trouver même s’il nous manquait l’élément principal ». Pour favoriser les échanges avec les fans, les organisateurs avaient même prévu un échange après le show. « On leur avait demandé des vidéos d’eux qui dansent dans leur salon », explique Yelle. « C’était cool de voir les gens déguisés avec leurs enfants ou leurs potes. Cela montre qu’il y a un lien qui perdure ».

Tchat et Webcams

Face à la disparition du public, banni des salles, les initiatives se multiplient. Le 16 novembre dernier, les People’s Choice Awards – la grand-messe des prix du public américain – ont pallié l’absence de spectateurs en disposant autour des vainqueurs de grands murs de webcams. On y voyait les spectateurs applaudir (mais sans les entendre toutefois). De notre côté de l’Atlantique, les NRJ Music Awards ont dû également revoir leur copie. La cérémonie, née en 2000, se déroulait traditionnellement au Palais des festivals de Cannes, mais en novembre dernier, c’est à la Seine musicale, à Boulogne-Billancourt, que les caméras de TF1 se sont posées.

Les lauréats et autres candidats ou remettants se sont donc présentés les uns après les autres face à un mur de webcams et d’acclamations factices, mais néanmoins réalistes. Un dispositif coûteux, qui a presque donné à la cérémonie un air de normalité. C’est également dans les murs de cette formidable scène, que le chanteur Matt Pokora a pu faire « le plus grand concert de sa vie », le 8 décembre dernier. Un grand concert sur la Toile, en direct de la Seine musicale, qui a réuni près de 40 000 spectateurs et leurs familles devant leurs télévisions et ordinateurs, au tarif de 25 € par écran. Loin des « saynètes acoustiques » que la star avait diffusées sur les réseaux sociaux pendant le confinement, le concert a bénéficié des mêmes moyens qu’un concert avec présence du public. Pour ce show, le chanteur a mis l’interaction avec le public au centre du projet : « J’ai fait installer des bornes pour voir les gens, entre deux chansons. Cela peut être frustrant de ne pas avoir l’énergie de 10 000 personnes en face de soi, mais il faut se dire qu’ils sont en réalité plus nombreux qu’à Bercy. Il y avait également un tchat pour que les gens commentent et parlent ensemble, ils ont pu aussi voter pour leur titre préféré. C’était très interactif, car j’aime beaucoup parler dans mes concerts. Donc tout en regardant droit vers la caméra j’ai pu leur demander de participer de chez eux », expliquait-il. Forts de ce succès, le chanteur, son équipe de techniciens et les gérants de la Seine musicale ont permis de raviver la flamme et de changer les mentalités sur le concert en streaming. Quelques jours après ce succès, c’est la chanteuse Jenifer qui a ranimé les planches de l’Olympia, le 18 décembre dernier, et réuni plus de 20 000 fans et leurs amis et familles devant leurs écrans, dont quelques visages se sont affichés sur scène.

Concept de musique
Nadya_C / AdobeStock

De la réalité virtuelle à deux pas des pistes de Roissy

Restrictions sanitaires, éloignement géographique, difficulté d’accès des personnes porteuses de handicaps… Quelle que soit la raison, Sébastien Rakotozafy et Joël May perçoivent dans les concerts en ligne un changement durable dans la consommation des spectacles. Directeurs techniques pour des tournées musicales, ils ont décidé de monter un studio de réalité virtuelle, pour tourner des clips dans les Caraïbes sans même prendre l’avion, ainsi qu’une salle de concert spécialement conçue pour le streaming, dans des hangars de Roissy-en-France. « C’est une scène live tout équipée. Un artiste peut arriver avec ses équipes et on peut le diffuser en streaming chez les particuliers via des tickets payants ou non. On peut aussi l’enregistrer et lui permettre de diffuser sa prestation sur les réseaux sociaux. C’est un kit économiquement viable, il suffit de caler la date, en deux heures c’est en boîte, son-lumière-vidéo-captation », explique Joël May.

Et pour le public ? « On peut faire des retours aux artistes en temps réel, via la webcam des spectateurs. C’est comme un super Zoom ». Le concept semble séduire : un minifestival a déjà signé pour trois jours de show en streaming. Mais les deux entrepreneurs restent prudents. « On ne remplacera jamais les gens avec de l’électronique et du digital », affirme Sébastien Rakotozafy. Notre studio reste un ersatz. Il va juste nous permettre de garder le contact, le temps que la situation s’améliore enfin ». Si rien ne remplace l’énergie du live, il y a fort à parier que 2021 verra de nombreux artistes se tourner vers le streaming pour que les lumières des plus grandes salles d’Île-de-France restent allumées.

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