Michel-Ange protégeait Sebastiano del Piombo
Sebastiano del Piombo, Esquisse pour la Mort du Christ, (1515-1516), pour la Pietà de Viterbe.
Bibliothèque Ambrosiana, Pinacoteca Milano
Sur la piazza Crispi, à Viterbe, en Italie, se dresse un bâtiment à la façade un peu sévère. On y accède grâce à une volée de quelques marches. L’ancien couvent de Sainte-Marie de la Vérité est devenu le musée civique destiné à réunir des produits de fouilles effectuées sur des sites étrusques et romains de la région. Après l’unification de l’Italie, des œuvres provenant des congrégations religieuses y furent conservées. La pièce maîtresse est une Pietà, connue sous le nom de Pietà de Viterbe, réalisée vers 1512-1516 par Sebastiano del Piombo (1485-1547). Ce tableau, qui était installé autrefois dans l’église Saint-François, de Viterbe, est d’autant plus admirable et précieux qu’il est le fruit de la première collaboration entre cet artiste et Michel-Ange (1475-1564). La preuve en sont les esquisses au fusain que l’on distingue au verso de la toile. On y retrouve des figures de la Création dans la chapelle Sixtine, et l’on y reconnaît des dessins de la main de Sebastiano del Piombo. La scène représente la Vierge assise devant le corps du Christ, allongé sur le sol. Cette iconographie originale, qui sépare le Christ des genoux de sa mère, est aussi le premier grand paysage nocturne de l’histoire de l’art.
Cette Pietà a rarement été vue en dehors de l’Italie ; le musée de Viterbe a accepté de s’en séparer le temps d’une exposition consacrée à la collaboration artistique de Michel-Ange et de Sebastiano del Piombo, la première du genre. La National Gallery de Londres a réuni environ soixante-dix œuvres, des peintures, dessins, sculptures et mieux encore, des lettres. Quarante-trois au total, dont seulement six de Michel-Ange adressées à Sebastiano del Piombo, plus une douzaine à leurs amis. Ces textes, qui s’échelonnent entre 1516 et 1534, date de son départ de Rome, puis de son retour, sont sans doute la source la plus importante d’une documentation artistique au XVIe siècle. Les deux hommes se sont rencontrés en 1511. Sebastiano del Piombo arrivait de Venise auréolé par son talent. Il croisa Michel-Ange en pleine gloire, travaillant alors sur le plafond de la chapelle Sixtine. Ils se lièrent d’amitié et unirent leur force contre la coqueluche de l’époque : Raphaël. Les propos peu amènes de l’un et l’autre sur leur rival, mettent évidence la compétition artistique qui régnait alors à Rome.
Sebastiano del Piombo était le seul peintre à l’huile de la cité capable de rivaliser avec Raphaël. Michel-Ange ne s’intéressait pas à ce support, mais cherchait par tous les moyens à évincer Raphaël. La collaboration et l’amitié des deux artistes sont nées de cette rivalité. Elle dura plus de vingt ans jusqu’à ce que les deux se querellent à propos d’une technique de peinture. En attendant, Sebastiano del Piombo profita des dessins et des idées conceptuelles de Michel-Ange. Citons parmi leurs œuvres communes la Résurrection de Lazare (1517-1519), entrée dans les collections de la National Gallery en 1824, et qui reçut le premier numéro d’inventaire « NG1 ». « La réflectographie infrarouge a révélé que la contribution de Sebastiano del Piombo était beaucoup plus importante et indépendante de l’influence de Michel-Ange que l’on croyait précédemment », indique Matthias Wivel, commissaire de cette exposition. La Visitation de Sebastiano del Piombo, venue du Louvre, et sa Déploration du Christ, du musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, complètent des figures comme Le Christ rédempteur de Michel-Ange, une statue plus grande que nature sculptée en 1514-1515, et prêtée par l’église San Vincenzo Martire, de Bassano Romano, en Italie. Elle est accompagnée d’un moulage exécuté au XIXe siècle de la seconde version de la même statue, non loin de la reproduction en trois dimensions de la chapelle Borgherini, de San Pietro in Montorio, à Rome. La juxtaposition des œuvres communes ou séparées des deux artistes, les reproductions et les lettres, donnent à cette exposition l’allure d’un dossier. Ce qui n’est pas si fréquent, mais ouvre la porte au visiteur, au monde artistique d’une époque.