Mozart mis en perspective par Víkingur Ólafsson

Publié le 01/02/2022

Deutsche Grammophon

Le pianiste islandais Víkingur Ólafsson aborde Mozart avec un choix de pièces tout personnel, qu’il adosse à d’autres empruntées à quelques contemporains, dans un programme d’une réelle originalité concrétisant un certain goût du défi. Ce sont des compositions des années 1780, celles d’« un homme adulte et d’un compositeur parvenu à la maturité après avoir connu l’adversité », souligne-t-il dans l’étude très fouillée qu’il a lui-même rédigée, sous le titre A Bird of a Different Feather. « Une période infiniment fascinante d’un Mozart non seulement compositeur mais aussi pianiste virtuose, non seulement perfectionnant la tradition classique mais aussi la subvertissant subtilement ». Il en va, selon Ólafsson, des petites pièces retenues ici. Comme les Rondo K 485 et K 494 ou la Fantaisie en Ré mineur K 397 et son goût de l’improvisation combiné à une profondeur de ton abyssale, ou encore la Kleine Gigue K 574, « un petit miracle d’ingénuité ». Mais également de deux sonates pour piano particulières à ses yeux. La Sonate N° 16 K 545 dite « Sonate facile » (1788), soi-disant destinée aux débutants, en fait écrite pour raisons économiques, et contemporaine des trois dernières symphonies, donc dans un style qui n’a sans doute rien de « facile ». Quant à la Sonate N° 14 K 457 en Ut mineur, dédiée par Mozart à son élève Theresa von Trattner, elle cultive « une grande et théâtrale tragédie » et des contrastes dynamiques qui, selon le pianiste, annoncent Beethoven. Ólafsson a encore arrangé un morceau cher à son cœur : l’adagio du Quintette à cordes K 516 « un moment de grâce et de consolation », effectivement en évidence dans le second thème. Il conclut son parcours mozartien par le motet Ave verum corpus K 618, dans la transcription de Liszt, un poignant adagio qui vous aspire vers le ciel.

L’originalité ne s’arrête pas là. Ólafsson choisit de mettre en perspective ces pièces de Mozart avec celles de musiciens contemporains. Le choix est tout aussi singulier et a pour dessein de ménager des transitions pour le moins inédites. La sélection, parfaitement assumée, appelle CPE Bach, Haydn, et plus curieusement Cimarosa et Galuppi. Une sorte « d’écho d’une période », explique-t-il. Il joue ainsi deux pièces du vénitien Baldassare Galuppi empruntées à ses sonates pour piano, dont le Laghetto de la Sonate en Do mineur et ses arpèges hypnotiques, précédant avantageusement le début de la Sonate K 457. Du napolitain Cimarosa, il a lui-même arrangé deux courtes sonates offrant une sorte d’arioso dans le ton du lamento. Le Rondo II en Ré mineur de CPE Bach, tiré des Six sonates de clavier pour connaisseurs et amateurs, d’un style avoisinant celui de Mozart, lui est apparu « un choix irrésistible », quoique dans une approche différente. Tout comme lui est indispensable la Sonate N° 47 en Si mineur de Haydn car cette « œuvre passionnante semble porter en elle-même les graines du Romantisme tout en conservant le sens de la majesté baroque ».

On l’aura compris, le pianiste islandais s’avère un maître de la rhétorique musicale, de par une solide culture. Comme un Teodor Currentzis à la baguette, il fait partie de ces artistes de la jeune génération qui ont à dire et le proclament haut et fort. Il est tout autant un interprète passionnant. On est saisi d’emblée par l’aisance, quel que soit le morceau abordé. Ólafsson partage en égale valeur l’élégance du phrasé, le sens des proportions, l’art de la transition, la légèreté dans les passages rapides comme la délicatesse dans les tempos modérés. Son Mozart offre un équilibre comme inné entre mélodie et contrepoint, loin de toute affectation. S’il pousse loin les contrastes, il ne cherche pas pour autant à donner l’impression de cultiver le beau son, encore moins à privilégier une approche qui ne serait qu’étalage de dispositions hors du commun.

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