Qu’est-ce que la réalité ?
Autoportrait de Charlotte Salomon exposé au musée Masséna.
Photo : salade-nicoise.com
Charlotte Salomon
Charlotte Salomon (1917-1943) était une batailleuse. Elle fut la dernière étudiante juive de l’Académie des beaux-arts de Berlin, où elle dut faire profil bas, l’accès des cours lui étant interdit avec les lois raciales. Elle lutta aussi contre sa famille qui ne croyait pas en son talent et ses pulsions morbides qui la hantèrent tout au long de sa courte existence.
Destin funeste quand elle apprend que des membres de sa famille sont suicidaires. Mais elle dit : « Ma vie a commencé quand ma grand-mère a mis fin à la sienne ». Elle peignit de façon frénétique entre 1940 et 1942, enchaînant les dessins accompagnés de citations musicales et de calques manuscrits. Son expression est à la fois naïve et dotée d’un humour grinçant. Nous pouvons penser à l’Opéra de quat’sous de Kurt Weill, qui fit fureur à Berlin en 1928, ou aux peintures de Munch et de Soutine.
Nous pourrions aussi penser lire le journal d’une jeune fille, qu’elle met en scène, mais c’est le théâtre du monde qu’elle montre avec une certaine acuité et désespérance. Son univers est peint avec des couleurs qui rappellent celles employées par les fauves et les expressionnistes, tels Kirchner ou Schmidt-Rottluff. Les visages sont bleus, verdâtres ou vermillon. Ses silhouettes sont des pantins grotesques, qui s’animent dans des intérieurs brossés à traits rapides. Il n’y a pas de perspective. Elle est éclatée comme dans les œuvres de Chagall. Charlotte Salomon pose la question : qu’est-ce que la réalité ? Ses peintures sont comme des rêves éveillés.
Avant qu’elle ne fût arrêtée par la Gestapo, elle prit la précaution de confier son travail à un médecin. Celui-ci le donna, à la fin de la guerre, à Ottilie Moore. En 1947, elle remit l’ensemble au père et à la belle-mère de Charlotte Salomon, qui échappèrent aux camps et qui vivaient aux Pays-Bas. Longtemps, ils conservèrent ce travail chez eux. Ils décidèrent un jour de le montrer au conservateur du Stedelijk Museum d’Amsterdam, qui ouvrit ses salles, en 1961, pour la première exposition des œuvres de Charlotte Salomon. En 1971, Albert et Paula Salomon léguèrent l’ensemble au Jewish Historical Museum d’Amsterdam.
Gus Van Sant
Le cinéaste américain Gus Van Sant fait l’objet, à la Cinémathèque, d’une rétrospective et d’une exposition, montrant ses diverses connections : de Hollywood à la Beat Generation, du rock à l’art vidéo. Que nous l’appréciions ou pas, avec les sujets de ses films et son esthétique caractéristique, Gus Van Sant interroge sur la métaphysique, la politique et les relations entre les individus, souvent ambigües. Mais il n’y a rien de superficiel chez lui pour autant. La désillusion ou la mort attendent ses personnages au tournant, tout comme dans les films d’Alfred Hitchcock dont il connait l’œuvre sur le bout des doigts.
Gus Van Sant est également musicien et photographe. Ce touche-à-tout, natif de Portland, est un des très rares réalisateur à avoir un pied dans le star-system hollywoodien et un autre dans l’expérimentation, avec ses courts-métrages, dont un avec Allen Ginsberg. Il a aussi été influencé par la frange radicale du cinéma européen : Chantal Akerman ou Béla Tarr. À part ses films, montrés jusqu’au 28 mai, dans le cadre de cette rétrospective, nous découvrirons dans les salles de l’exposition une partie de son travail moins connu : des clips, des polaroids en noir et blanc et des aquarelles grand format.