Question de rhétorique : faire semblant de condamner pour mieux se défausser

Publié le 09/03/2021

« Cet affichage, c’est un affichage que nous, on ne soutient pas parce que ça ne correspond pas aux méthodes ». C’est par cette phrase sybilline que Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, a réagi le 8 mars dernier sur BFM TV suite à l’affichage des noms de deux professeurs de Sciences Po Grenoble à l’entrée de leur établissement, relayé par la section locale de l’UNEF, accolés aux mots « fascistes » ou « l’islamophobie tue ». Guillaume Prigent, auteur de Avoir raison avec Schopenhauer (1), nous explique quels procédés rhétoriques se cachent derrière cette apparence de condamnation.

Question de rhétorique : faire semblant de condamner pour mieux se défausser
Photo : AdobeStock/Jpopeck

 

Le constat : pourquoi c’est si tentant ?

 Que faire lorsqu’on se trouve acculé, forcé de reconnaître que l’acte ou le propos qu’on nous demande de juger appelle une condamnation ferme et sans réserve… mais que cela revient à critiquer un de ses proches ou à admettre qu’on s’est lourdement trompé depuis le début ? L’honnêteté commande de faire acte de contrition, reconnaître la faute pour ce qu’elle est et en assumer l’entière responsabilité si on est le coupable ou son complice, ou d’en affirmer la gravité si on s’en trouve le témoin.

Tout ceci exige un réel courage, qualité dont l’orgueil n’est pas toujours pourvu. Voilà pourquoi, à défaut de verdict net, il peut être tentant d’emprunter le chemin de la périphrase, de longer ensuite le sentier des litotes pour déboucher enfin dans la plaine du clair-obscur, le tout, si possible, avec un ton engagé et sûr de soi. Ce stratagème de la fausse confidence est particulièrement alléchant car il permet de donner à votre interlocuteur la sensation qu’il a obtenu quelque chose de vous, alors que vous avez donné le moins possible.

C’est à cet exercice d’équilibrisme que s’est essayée Mélanie Luce, présidente de l’UNEF, le 8 mars dernier sur le plateau de BFM TV lors de l’émission « Le Live Toussaint ». Interrogé par le journaliste Bruce Toussaint sur la gravité des événements de Grenoble pour lesquels une enquête a été ouverte « pour injure publique envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique, (…) et dégradation ou détérioration légère de bien destiné à l’utilité ou la décoration publique par inscription, signe ou dessin », soit deux délits, elle a répondu :

« — Mélanie Luce : En aucun cas c’est des méthodes appropriées d’afficher sur les murs d’un établissement des noms d’enseignants et effectivement cet affichage est un affichage que nous on ne soutient pas parce-que ça ne correspond pas aux méthodes. Déjà ça ne correspond pas aux méthodes de l’UNEF, mais en plus de ça, effectivement, cela comporte un risque de lancer une vindicte sur ces enseignants et on n’a pas du tout envie de participer à ce genre de choses.

— Bruce Toussaint : Donc vous regrettez que cela ait été relayé sur les réseaux, par des membres de l’UNEF, par la branche grenobloise ?

— Mélanie Luce : Ben effectivement, la section grenobloise de l’UNEF, dès qu’elle s’est rendue compte que effectivement il pouvait y avoir un risque de mise en danger a décidé de retirer les photos qui avaient pu être postées parce-qu’effectivement, en aucun cas, il n’y a eu une volonté de mettre en danger sciemment des enseignants. »

 Ci-dessous : le tweet posté par l’UNEF Grenoble le 4 mars 2021 qui affichait clairement les noms des deux enseignants.

Question de rhétorique : faire semblant de condamner pour mieux se défausser

 

Le procédé rhétorique : faire semblant de s’excuser

Rappelons tout d’abord le climat qui entoure cette polémique. Les études récentes, comme celle de la FAS publiée en 2019, illustrent de manière concordante la violence croissante que doivent affronter les élèves comme les enseignants, et qui a culminé avec la décapitation de Samuel Paty le 16 octobre dernier. Crime alimenté notamment par une chasse à l’homme sur les réseaux sociaux.

Pour en revenir à l’affaire en question, faire semblant de s’excuser ne s’improvise pas et passe ici par trois étapes.

1/ Renommer les choses dans un souci de neutralité apparente :

*L’affichage de noms d’enseignants sur un édifice universitaire et sa diffusion sur un réseau social n’est ainsi ni une injure ni une dégradation d’un bâtiment, mais des «méthodes [non] appropriées » ;

*Ce même procédé relayé par un syndicat étudiant dont l’une des missions est de « créer un écosystème solidaire sur les campus» ne représente en aucune manière un danger pour la vie des enseignants mais « comporte un risque de lancer une vindicte ».

 2/ Sous-entendre qu’on a été mal compris notamment en disant que l’intention n’a jamais été de « mettre en danger sciemment des enseignants ». Le « sciemment » est important… Dit autrement, quiconque lirait dans ces posts sur les réseaux sociaux un appel à l’injure, à la violence ou tout autre acte de nature à empêcher ces enseignants d’accéder sereinement à leurs lieux de travail serait taxé de mauvaise foi.

 3/ Donner le sentiment qu’on réglé le problème en question d’initative et qu’on a, au fond, déjà réparé le dommage. C’est tout le sens de cette phrase « la section grenobloise de l’UNEF, dès qu’elle s’est rendue compte que effectivement il pouvait y avoir un risque de mise en danger a décidé de retirer les photos qui avaient pu être postées ». Circulez, y’a rien à voir.

L’objectif : feindre de reconnaître la faute pour s’exonérer des conséquences

A l’évidence, s’excuser et reconnaître une faute est un acte toujours délicat, voire infiniment coûteux, dont on ne peut ignorer le caractère pénible lorsque le tout doit être fait devant un public et pas seulement en petit comité ou dans l’intériorité de son esprit. Et il est des cas où les excuses n’ont qu’un caractère diplomatique, où il s’agit simplement de ne pas envenimer les choses en concédant, en guise de geste de bonne volonté envers le camp d’en face, qu’on a commis une bévue.

Il y a en revanche quelque chose de malaisant à s’excuser ou à admettre une faute d’une manière tellement imprécise et floue qu’on reconnaît le tort commis tout en niant simultanément l’ampleur de son existence ou sa gravité.

Chacun peut aisément comprendre le risque que cela crée. Ici, par solidarité ou corporatisme, la présidente d’un grand et respecté syndicat étudiant s’interdit de dénoncer une chose simple à savoir que rien ne méritera jamais d’afficher sur les murs d’une université et sur les réseaux sociaux les noms de deux enseignants, au risque évident de les mettre en danger (ils sont d’ailleurs sous protection policière).

La conséquence à terme est fâcheuse. On pourrait tout dire, faire courir tous les risques à ceux qui s’opposent à vous puis, par une pirouette oratoire feindre de s’excuser pour s’exonérer par avance des conséquences graves que pourraient avoir engendré nos actes et paroles. C’est le sens de la maxime latine errare humanum est, perseverare diabolicum : se tromper est humain, persévérer est diabolique.

Espérons que la persévérance des uns ne fasse pas le malheur des autres.

 

(1) Librio Philosophie – novembre 2017

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