Paris (75)

Une patine sans confiance

Publié le 05/09/2022

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« Je ne suis pas expert et je ne veux point l’être. J’aime les vieilles choses pour le plaisir qu’elles me procurent, sans chercher à m’ériger en pontife de la curiosité », assurait Paul Eudel (1837-1912) dans son ouvrage intitulé : Trucs et truqueurs, au sous-titre évocateur: « Altérations, fraudes et contrefaçons dévoilées », dont nous avons retrouvé la dernière édition, celle de 1907. Nous en reprenons la publication en « feuilleton de l’été » consacré au « faux » en tout genre. BGF

« L’amateur convia ses amis à admirer la merveille.

– Vraiment, dit l’un d’eux, voilà un ensemble digne de figurer au Louvre, à côté du bouclier et du casque émaillés de Charles IX.

Cependant, il y a toujours des envieux, semblables aux hiboux, qui ont horreur du soleil. Aussi quelques dénigrements aigres-doux d’un ou deux jaloux, que la trouvaille offusquait, complétèrent, comme il sied, le triomphe. Seul se tint sur la réserve un jeune érudit, formé à l’école des Saglio, des Rewbell, des Buttin, des Bachereau et de M. Maurice Maindron, qui forge, cisèle, grave et a écrit un bon livre sur les Armes.

– Eh bien ! mon cher Lecurieux, fit le noble collectionneur, en lui frappant doucement sur l’épaule, vous ne me donnez pas votre avis ? Comment trouvez-vous mon armure?

– Superbe, monsieur le comte, s’écria bien haut l’avisé critique. Et plus bas : Quand vos amis seront partis, je, vous dirai, en tête à tête, ce que j’en pense.

Intrigué et vaguement inquiet, le collectionneur laissa s’éloigner ses visiteurs. Puis, resté seul avec l’expert, il l’invita à parler.

– Monsieur, commença Lecurieux, je crains fort que vous n’ayez été mystifié. Mais, avant de prononcer un arrêt définitif, nous allons, si vous le voulez bien, disséquer ensemble votre armure. J’ai cru, tout d’abord, je vous l’avouerai, à une reproduction galvanoplastique en cuivre aciéré par le procédé de l’héliotypie comme celle qu’a faite la maison Christofle pour l’armure authentique d’Henri II exposée dans la galerie d’Apollon, au Louvre, depuis 1828. Mais il n’y a pas à s’y tromper. Ce n’est même pas un de ces estampages à la matrice que l’on martèle après coup, pour faire croire à un travail ancien. On vous a fait l’honneur du grand jeu. […] À première vue, la silhouette dénote je ne sais quoi de maladroit, de dissonant, de mal équilibré. Les assemblages sont loin d’être parfaits. La patine ne m’inspire pas confiance. La rouille non plus.

– Halte-là ! je vous arrête. Je connais assez les armes pour savoir que ce magnifique ton d’un bleu noir ne s’imite pas.

– Vous croyez ? L’encre lithographique, l’acide muriatique, un séjour suffisant dans le fumier donnent pourtant d’excellents résultats. Mais je n’insiste pas. Démontons l’armure, si vous le voulez bien ». (À suivre)

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