Les professions réglementées : indépendance, concurrence, confiance

Publié le 17/02/2017

Communiqué du CLIO, 10 févr. 2017.

Le Comité de liaison des institutions ordinales (CLIO) regroupe les seize ordres professionnels ou chambres de professions libérales réglementées, organisés en trois grandes familles : les professions juridiques et judiciaires, les professions de santé et les professions techniques et du cadre de vie. Sur tout le territoire, ils représentent plus de 750 000 professionnels et plus d’un million d’entreprises.

À la veille d’une période démocratique capitale dans la vie de notre pays, les membres du CLIO ont souhaité poser la question de l’indépendance du professionnel en réunissant les parties prenantes du débat public. Ainsi, plus de 15 politiques, institutionnels, experts économiques et académiques, ainsi que des représentants des consommateurs ont débattu des enjeux pour le citoyen en termes de qualité du service rendu, dans un environnement économique et réglementaire changeant.

« Nous servons ceux qui nous font confiance avec un devoir de service, de proximité et d’humanité », explique Frédéric Sicard, bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau de Paris. « Nous ne cherchons aucun profit, si ce n’est le bénéfice de nos clients. Nous travaillons selon notre confiance dans la garantie qu’ils ont que nous n’avons d’autres fins que leur service. C’est l’indépendance ».

Le CLIO a souhaité avoir un débat franc sur l’indépendance du professionnel, la concurrence et la confiance : en quoi ces notions sont-elles primordiales pour le client ou l’usager ? Restent-elles, dans l’économie actuelle, garantes de la qualité du service rendu ?

Les impératifs éthiques se concrétisent par une déontologie stricte dont la pierre angulaire est l’indépendance du professionnel. Celle-ci consolide le lien de confiance avec l’usager dont l’intérêt et aussi celui de la société sont ainsi protégés.

« L’indépendance doit être entendue comme principe essentiel : elle doit être matérielle, morale et intellectuelle. Cette indépendance est aujourd’hui plus nécessaire qu’hier. Elle repose sur une vigilance accrue de nos institutions ordinales », déclare Jean-François Dalbin, président de l’Ordre des géomètres-experts et du CLIO. « L’indépendance est un élément nécessaire, mais pas suffisant à la qualité de la prestation ».

Suite aux modifications règlementaires qui interviennent dans l’économie, le CLIO constate que ces professions libérales se voient parfois entraver dans l’exercice de leurs fonctions par leur statut, ou par des éléments concernant le donneur d’ordres.

Pour le CLIO, l’indépendance professionnelle n’est pas une fin en soi, mais il considère que, dans les résultats qu’attendent les clients ou les consommateurs, l’indépendance qu’ils peuvent avoir vis-à-vis des patients ou d’autres entités comme l’État, leur permet de rendre le meilleur service dans l’intérêt du client/consommateur/patient, et plus globalement du citoyen.

« L’indépendance n’est pas attachée à la nature de la profession, mais aux conditions de la conscience de celui qui l’exerce », commente Jean-Yves Le Bouillonnec, député du Val-de-Marne, vice-président de la commission des lois.

« Dans la mesure où il y a un intérêt général à protéger, il y a justification de règlementations. Dans certains cas, l’indépendance est un moyen de sécuriser l’intérêt général », renchérit Olivier Coppens, attaché économique de la représentation de la Commission européenne en France. « Il faut bien comprendre que nous n’allons pas harmoniser les professions réglementées depuis Bruxelles, mais qu’il s’agit de trouver des encadrements qui permettent la création d’emplois, la création de croissance, tout comme d’assurer l’intérêt général ».

Au cours des trois débats ce colloque qui s’est tenu le 1er février dernier, ont été abordées les questions suivantes.

Qu’est-ce qu’un professionnel indépendant ?

« Il faut faire la distinction entre professions libérales et professions réglementées. Dans les directives sur les professions réglementées, on n’évoque pas l’indépendance. En revanche, concernant les professions libérales, l’indépendance fait partie des critères essentiels de la définition de la profession » précise Thierry Pean, chef du Bureau des professions libérales et de l’attractivité des métiers, Direction générale des entreprises (DGE).

Savoir, connaissances et compétences : conditions nécessaires et suffisantes ?

« L’indépendance n’est pas synonyme de perfection, c’est humain. En revanche, l’ordre permet une assurance professionnelle pour le client », relate Agnès-Christine Tomas-Lacoste, directrice générale de l’Institut national de la consommation (INC).

Pourquoi dans certaines professions, l’indépendance du professionnel est-elle nécessaire à la protection des intérêts de l’usager, mais aussi de l’intérêt général, donc des citoyens ?

« Le consommateur veut surtout un professionnel compétent. La question de l’indépendance se pose en cas de litige », développe David Rodrigues, responsable juridique de la CLCV. « L’indépendance seule ne crée pas la qualité. C’est un ensemble d’éléments, dont la formation initiale, la formation continue, la formation professionnelle, l’honorabilité qui permettent d’offrir un service de qualité ».

Le salariat, l’exercice en groupe (notamment l’exercice en société de capitaux), les réseaux professionnels, le cumul d’activité, l’interprofessionnalité (interdisciplinarité), les tiers payeurs, les liens d’intérêts (notamment avec l’amont, fournisseur de services ou de produits) constituent-ils des menaces à l’indépendance du professionnel ?

« L’indépendance est la volonté de ne pas se soumettre à une collégialité de confrères, qui, par nature entache la notion de travailleur indépendant », avance Jean-Yves Le Bouillonnec, député du Val-de-Marne, vice-président de la commission des lois. « On voit aujourd’hui apparaître de nouveaux modes de production du travail, mais en regardant la statistique le travail indépendant baisse dans tous les pays développés. Les travailleurs indépendants deviennent salariés. Aujourd’hui de plus en plus de médecins sont salariés ».

Quels défis l’essor du numérique pose-t-il à l’exercice des professionnels ?

« Aujourd’hui, le débat sur l’évolution du XXIe siècle dans le monde économique est traité de manière prophétique : ce qui compte c’est de savoir quels sont les emplois qui vont être supprimés par le numérique ? », interroge Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes. « Dans les professions réglementées, bien au-delà de savoir si des robots vont venir les remplacer, en réalité il s’agit de comprendre la manière dont vos métiers vont être impactés ».

Les professionnels indépendants adaptent-ils leurs métiers à l’uberisation de l’économie ?

« L’uberisation est en réalité, d’un côté, le résultat d’un nouveau modèle économique et, de l’autre, l’impact majeur des nouvelles technologies, à savoir le big data, l’algorithmie et intelligence artificielle », met en avant Grégoire Leclercq, président de l’Observatoire de l’uberisation. « Les ordres ont la chance d’être des ordres. Parce qu’il y a une structure autour du métier, alors on peut se préparer à affronter cette évolution, cette révolution, et donner des guides pratiques à tous les professionnels pour qu’ils en tirent le meilleur profit ».

« La concurrence est une bonne chose en économie, si on veut qu’elle continue, il faut faire en sorte que les plates-formes considérées comme hégémoniques soient sanctionnées de la même manière que les distributeurs physiques », conclut Robin Rivaton, directeur général de Paris Région Entreprises.

X