Chronique de droit du tourisme n° 10 (Janvier 2017 – Février 2018) (3e partie)

Publié le 20/02/2019

L’activité touristique est régie par le Code du tourisme promulgué en 2006, mais elle continue aussi de nécessiter le recours à de nombreuses notions, règles ou principes empruntés à d’autres domaines du droit.

I – Les acteurs du tourisme

A – Acteurs publics

II – Acteurs privés

A – Organisations professionnelles

1 – Réglementation des professions

III – Activités du tourisme

A – Exercice des activités touristiques

1 – Financement des activités

2 – Libertés de circulation (…)

3 – Intermédiaires de voyages

L’organisateur bénévole n’est pas un vendeur de voyage à forfait

Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n° 16-140351. L’article L. 211-16 du Code du tourisme prévoit que le « vendeur » de voyages à forfait est responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, y compris lorsque l’exécution de ces obligations doit être réalisée par un autre prestataire de services2. Cette disposition ne s’applique toutefois qu’aux personnes pouvant être considérées comme des « agents de voyage et autres opérateurs de la vente de voyages et de séjours », soumis, en tant que tels, au titre Ier du livre II du Code du tourisme. Or, n’étaient jusqu’à présent qualifiés de tels, selon l’article L. 211-1 de ce Code dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er juillet 2018, que les « personnes physiques ou morales qui se livr[aient] ou apport[aient] leur concours, quelles que soient les modalités de leur rémunération » à l’organisation de voyages ou de séjours, formule qui était interprétée par la jurisprudence comme limitant l’application de ces dispositions aux seules personnes qui perçoivent une rémunération pour leur intervention. C’est ce qui a permis de refuser d’y soumettre un homme qui s’était contenté de transmettre un dépliant publicitaire pour un voyage organisé à Médine à plusieurs membres de sa communauté3 ou encore un comité d’entreprise qui avait participé à l’organisation d’un voyage bénévolement4. Cette solution est rappelée dans un arrêt rendu le 22 juin 2017 par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui illustre la bienveillance de la Cour de cassation vis-à-vis des associations qui proposent à leurs adhérents de souscrire des voyages à forfait.

Les faits étaient assez simples : une association propose à ses adhérents un voyage touristique au Sénégal, dont l’organisation est confiée à une agence de voyages caennaise. Une participante se blesse au cours d’une excursion en véhicule 4×4 organisée par une agence locale. Elle est rapatriée en France grâce à son assurance personnelle. Elle assigne l’association et son assureur en responsabilité et en indemnisation de son préjudice sur le fondement de l’article L. 211-16 du Code du tourisme. Son action est rejetée par la cour d’appel. Le pourvoi formé par elle tentait notamment de faire valoir que l’association était soumise à l’article L. 211-16 dès lors que l’association avait perçu une rémunération à l’occasion de la souscription du voyage litigieux. Il se fondait pour cela sur le fait que l’association avait encaissé le prix des voyages avant de le reverser aux différents prestataires et qu’elle avait perçu une cotisation annuelle que les adhérents devaient verser, notamment pour avoir le droit de se voir proposer le voyage, qui participait des ressources de l’association et qui constituait donc une rémunération à son profit. Mais il est rejeté : en l’espèce, la cour d’appel avait considéré que, malgré ces éléments, la preuve n’était pas rapportée que l’association ait été rémunérée. La Cour de cassation l’approuve donc d’en avoir déduit que la responsabilité de plein droit de l’association ne pouvait pas être engagée.

La solution n’étonne guère : l’application de cet article est réservée aux professionnels rémunérés. Et les arguments soulevés par le pourvoi semblaient insuffisants à établir la réalité de la rémunération de l’association, qui s’était contentée de faciliter la souscription du voyage par ses adhérents. On comprend toutefois que si la preuve de ce que l’association avait été rémunérée pour la souscription du voyage avait été rapportée, elle aurait pu se voir appliquer l’article L. 211-16, mais que c’était au voyageur de prouver que les conditions d’application de cette disposition sont réunies.

La faveur faite aux voyageurs par la mise en place d’un système de responsabilité de plein droit s’arrête à la mise en place de ce système : cela reste au voyageur, conformément aux règles classiques de preuve, de prouver qu’il peut effectivement bénéficier du régime prévu à l’article L. 211-16. Et une association, eusse-t-elle prêté son concours à l’organisation d’un voyage, ne peut être soumise à ce régime que si la preuve est rapportée que toutes les conditions de son application sont réunies.

La solution devrait être maintenue sous l’empire du droit issu de l’ordonnance n° 2017/1717, du 20 décembre 2017, réalisant la transposition de la directive n° 2015/2302, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage, dont les dispositions s’appliquent aux contrats conclus depuis le 1er juillet 2018, puisque l’article L. 211-1 dans sa rédaction issue de cette ordonnance précise expressément qu’il ne concerne que ceux qui agissent « dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale »5, c’est-à-dire les professionnels du tourisme, et qu’il ne s’applique pas aux « personnes qui ne proposent des forfaits (…) qu’à titre occasionnel, dans un but non lucratif et pour un groupe limité de voyageurs uniquement ».

Cela ne veut bien entendu pas dire que la responsabilité de l’association ne pourra jamais être engagée lorsqu’elle sera intervenue bénévolement et que la qualité de « vendeur » de voyages à forfait ne pourra pas être retenue à son égard. Simplement, elle le sera sur un autre fondement. On pourrait sans doute y voir un mandataire des voyageurs, puisqu’elle leur a procuré les brochures et s’est chargée de remettre le prix du voyage à l’agence de voyages. Sa responsabilité serait alors engagée sur le fondement de la faute prouvée6, étant entendu que, en application de l’article 1992, alinéa 2, du Code civil, cette faute sera appréciée de manière moins rigoureuse dès lors que le mandat est gratuit7. On pourrait imaginer qu’il lui soit reproché d’avoir présenté à ses membres un intervenant dont l’incompétence était notoire. Mais sa responsabilité ne pourra pas être engagée de plein droit, du simple fait que le voyageur a eu un accident durant le voyage.

Sophie MOREIL

Un comité d’entreprise peut être qualifié de professionnel du tourisme

Cass. 1re civ., 29 mars 2017, n° 15-267668. Si le comité d’entreprise qui ne reçoit pas de rémunération n’est en principe pas qualifié d’« agent de voyages » ou d’« opérateur de la vente de voyages et de séjours » au sens du titre Ier du livre II du Code du tourisme9, cela ne veut pas dire qu’il ne peut jamais être qualifié de tel, comme en atteste un arrêt rendu par la première chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 mars 2017.

Un comité d’établissement avait conclu un ensemble de contrats avec une agence de voyages ayant pour objet l’organisation de trois voyages au Sri Lanka aux mois d’avril et de mai 2011 au profit des salariés de son entreprise. Il avait versé des acomptes pour un montant total de 62 720 €. Mais l’agence de voyages fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif. Le comité d’établissement tente donc d’obtenir le remboursement des sommes qu’il a avancées en sollicitant, d’abord à l’amiable, puis judiciairement, la garantie financière de l’Association professionnelle de solidarité du tourisme à laquelle l’agence avait adhéré en application de l’article L. 211-18 du Code du tourisme, qui impose aux intermédiaires de tourisme au sens de l’article L. 211-1 du même code qu’ils justifient d’une garantie financière suffisante, spécialement affectée au remboursement des fonds reçus au titre des forfaits touristiques qu’ils proposent.

Sa demande est rejetée par les juges du fond : la cour d’appel considère que la garantie financière prévue par l’article L. 211-18 est réservée aux seuls clients consommateurs, alors que le comité d’établissement a agi comme un professionnel du tourisme et non comme un simple consommateur, de sorte qu’il est privé du bénéfice de cette garantie. Dans le pourvoi formé contre sa décision, le comité d’établissement soutenait dès lors que, au contraire, le bénéfice de la garantie financière qui est prévue par l’article L. 211-18 est spécialement affecté au remboursement des fonds reçus au titre des forfaits touristiques et au remboursement en principal des fonds reçus par l’opérateur de voyages au titre des engagements qu’il a contractés à l’égard de sa clientèle ou de ses membres pour des prestations en cours ou à servir, qu’il n’est pas réservé aux consommateurs ; et qu’un comité d’établissement, structure représentative du personnel qui, dans le cadre de ses attributions légales, assure et contrôle, sans but lucratif, la gestion des activités sociales et culturelles établies dans l’entreprise, ou y participe, prioritairement au bénéfice des salariés, de leur famille et des stagiaires, n’est pas un professionnel du tourisme.

Mais le pourvoi est rejeté : la Cour de cassation rappelle qu‘en l’espèce, le comité d’établissement n’avait pas soutenu qu’il était le consommateur final et il n’était, de ce fait, pas recevable à présenter ce moyen contraire à ses propres écritures devant la Cour de cassation. Elle approuve par ailleurs les juges du fond d’avoir retenu qu’il devait être considéré, pour les voyages litigieux, comme un professionnel du tourisme, dès lors qu’il n’avait pas agi comme simple intermédiaire ou mandataire transparent entre l’agence de voyages et les salariés de son entreprise.

La solution étonne puisque la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que le régime de responsabilité de plein droit instauré par l’article L. 211-16 du Code du tourisme était, en vertu de l’article L. 211-1 de ce code dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er juillet 2018, réservé à ceux qui sont rémunérés à l’occasion du concours qu’ils peuvent prêter à l’organisation d’un voyage à forfait10. Et l’on aurait pu croire que la solution serait la même lorsqu’il se serait agi de déterminer le champ d’application de l’obligation de fournir une garantie financière de l’article L. 211-18 du même code, puisque l’article L. 211-1 précise le champ d’application de l’ensemble du titre Ier du livre II du Code du tourisme, dont font partie tant l’article L. 211-16 que l’article L. 211-18.

Mais il est vrai que l’espèce était particulière : si le comité d’établissement n’avait pas agi dans un but lucratif, il avait souscrit en son nom les différents contrats avec l’agence de voyages, avant de proposer les voyages aux salariés de son entreprise, de sorte qu’il s’était effectivement comporté comme un professionnel du tourisme et qu’il ne pouvait que difficilement apparaître comme un simple intermédiaire ou mandataire transparent entre l’agence de voyages et ces salariés. Cela est d’autant plus vrai que la lecture des conclusions annexées à la décision nous apprend qu’il était immatriculé auprès d’Atout France, ce qui montre qu’il se considérait lui-même comme un intermédiaire de tourisme soumis, à ce titre, aux dispositions du titre Ier du livre II du Code du tourisme.

Par ailleurs, le parallèle avec l’article L. 211-16 n’aurait été pertinent que s’il s’était agi de déterminer si le comité d’établissement était tenu de fournir une garantie financière, alors que la question posée à la Cour de cassation portait sur le point de savoir s’il pouvait réclamer le bénéfice de cette garantie. Or, il fallait pour y répondre s’intéresser à l’objet de la garantie, lequel rendait impossible sa mise en jeu dans une hypothèse comme celle-ci.

En effet, l’article L. 211-18 du Code du tourisme n’a pas vocation à désigner le bénéficiaire de la garantie financière : il s’adresse aux intermédiaires du tourisme, à qui il impose de s’immatriculer auprès d’Atout France, et fait de la souscription d’une telle garantie l’une des conditions de l’immatriculation. Mais il précise aussi à cette occasion que la garantie doit être « suffisante, [et] spécialement affectée au remboursement des fonds reçus au titre des forfaits touristiques », l’article R. 211-26 ajoutant, dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er juillet 2018, que cette garantie financière « est affectée au remboursement de l’intégralité des fonds reçus par l’opérateur de voyages et de séjours au titre des engagements qu’il a contractés à l’égard du consommateur final pour des prestations en cours ou à servir ». On comprend dès lors que la garantie souscrite par l’agence de voyages doit être affectée au remboursement des seules sommes envisagées par le Code du tourisme, à savoir celles qui ont été versées à un « opérateur de voyage » par ou pour un « consommateur final », de sorte que la garantie ne peut pas jouer lorsque les sommes dont on réclame le remboursement sont des sommes versées par un professionnel du tourisme au titre de contrats qu’il a conclus en son nom et pour son compte et non des sommes versées en contrepartie d’engagements pris par l’opérateur de voyage au profit du consommateur final du voyage.

La même remarque aurait pu être faite si le décret n° 2017-1871, du 29 décembre 2017, assurant la transposition de la partie réglementaire de la directive n° 2015/2302, du 25 novembre 2015, dont les dispositions sont applicables depuis le 1er juillet 2018, avait été applicable aux faits de l’espèce. En effet, selon l’article R. 211-26 dans sa rédaction issue de ce décret, la garantie financière est affectée au remboursement des sommes perçues des « voyageurs », c’est-à-dire des « personne[s] cherchant à conclure un contrat relevant du [champ d’application du titre Ier du livre II du Code du tourisme] ou ayant le droit de voyager sur la base d’un tel contrat déjà conclu »11, ce qui renvoie a priori à nouveau, même si l’interprétation pourrait en être discutée, au consommateur final – entendu comme celui qui a vocation à effectuer le voyage, que cela soit pour des besoins personnels ou professionnels – et doit également conduire à écarter la garantie lorsque le remboursement demandé correspond à des sommes qui ont été versées par un comité d’établissement qui a « acheté » un voyage pour le revendre aux salariés de son entreprise12. Dans des hypothèses comme celle qui a donné lieu à l’arrêt du 29 mars 2018 si une garantie devait jouer, cela serait au bénéfice des seuls salariés, pour les sommes qu’ils ont eux-mêmes versées en contrepartie d’engagements souscrits à leur profit. Mais, dans ce cas, ce serait la garantie fournie par le comité d’établissement qui devrait jouer, et non celle fournie par l’agence de voyages.

Reste que l’hypothèse était inhabituelle : dans la plupart des cas, le comité d’établissement bénévole se contentera de jouer le rôle d’intermédiaire entre les voyageurs, qui sont aussi les salariés de son entreprise, et l’agence de voyages. L’argent versé à l’agence de voyages le sera bien en contrepartie d’engagements pris par elle directement au profit des voyageurs, de sorte que la garantie fournie par l’agence de voyages pourra être mise en œuvre si cette dernière fait l’objet d’une procédure collective qui la prive de la possibilité de fournir les prestations promises.

Sophie MOREIL

4 – Transports

Saga SNCM : l’épilogue ?

Bien que la SNCM ait été liquidée à la fin de l’année 2015, la saga contentieuse entamée il y a une dizaine d’années13 se poursuit. Elle a connu de nouveaux épisodes en 2017, tant sur le volet des aides au service public accordées à la SNCM dans le cadre de délégations de service public conclues en 2007 et en 2013, que sur celui d’aides à la restructuration dont elle avait bénéficié lors de sa privatisation. À cette occasion, le Tribunal de l’Union a apporté des précisions sur l’application des critères Altmark14 dans le secteur du cabotage maritime (I) et sur la mise en œuvre par la Commission du critère de l’investisseur privé (II). À la suite de recours de Corsica Ferries devant le tribunal administratif de Bastia, l’annulation de la délégation de service public de 2013 a été confirmée sur pourvoi, et la responsabilité de la collectivité de Corse engagée (III et IV).

I. Précisions sur le « critère » de la défaillance du marché pour l’identification d’un SIEG

Trib. UE, 1er mars 2017, n° T-366/13, Rep. française c/ Commission ; Trib. UE, 1er mars 2017, n° T-454/13, SNCM c/ Commission. Saisi de recours en annulation contre une décision de la Commission de 2013 ordonnant la récupération d’aides d’État accordées à la SNCM dans le cadre de la DSP de 200715, le Tribunal se penche sur le champ d’application du critère de la défaillance du marché pour l’identification d’un SIEG (A) et sa mise en œuvre dans le contexte du cabotage maritime (B). Il examine également le quatrième critère de l’arrêt Altmark, s’agissant de la procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir le service au moindre coût (C).

A. Rejet de l’exigence généralisée d’une défaillance du marché

Le principal intérêt des arrêts SNCM du 1er mars 2017 réside sans doute dans la confirmation, claire bien qu’implicite, que la défaillance du marché n’est pas un critère général du SIEG. Le Tribunal est revenu sur la qualification d’aide d’État pour les compensations d’obligations de service public accordées à la SNCM. La Commission avait retenu cette qualification, en considérant que le premier critère de l’arrêt Altmark16 n’était pas rempli faute de mission de SIEG. Pour qu’un SIEG au sens de l’article 106, § 2, du TFUE soit identifié, il faut que l’activité en question revête « un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique »17. La Cour de justice évite de remettre en cause la liberté des États membres d’ériger en services publics les activités de leur choix. La vérification du critère matériel du SIEG s’opère ainsi généralement à travers l’identification des obligations de service public que les États ont décidé d’imposer à l’opérateur18. La défaillance du marché tend néanmoins à apparaître dans certains textes de droit dérivé comme un préalable à la qualification de SIEG, ce qui restreint alors la marge de manœuvre des États. C’est en ce sens que la Cour de justice a interprété le règlement n° 3577/92 du 7 décembre 1992 sur le cabotage maritime, dans l’arrêt Analir19. C’est aussi le cas en matière de réseaux de communication électronique à haut débit20. S’appuyant sur ces règles sectorielles, la Commission a cherché à ériger la défaillance du marché en condition de l’instauration d’un SIEG21. Cela a incité le Tribunal à affirmer dans l’arrêt Colt télécommunication que « l’appréciation de l’existence d’une défaillance du marché constitue un préalable à la qualification d’une activité de SIEG »22. Discutable23, cette formulation a pu donner l’impression que la carence de l’initiative privée était devenue un critère du SIEG24. Dans l’affaire SNCM, la Commission s’appuyait justement sur l’arrêt Colt télécommunications pour affirmer que la défaillance du marché devait être établie dans tous les cas, même en dehors du domaine du cabotage maritime, pour pouvoir créer un SIEG25. Après avoir rappelé le large pouvoir d’appréciation des États quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme un SIEG26, le Tribunal cantonne la condition préalable de défaillance du marché à la situation où « il existe des règles spécifiques du droit de l’Union qui encadrent la définition du contenu et du périmètre du SIEG », et lient l’appréciation des États membres (pt. 94), ce qui était le cas en l’espèce.

B. Appréciation rigoureuse de la défaillance du marché dans le contexte du cabotage maritime

En l’espèce, les autorités françaises ne niaient pas que leur marge d’appréciation pour définir le périmètre des SIEG était limitée par le règlement relatif au cabotage maritime. Elles contestaient toutefois la pertinence du renvoi à l’arrêt Analir (rendu en matière de libres prestations de services) pour apprécier le respect du premier critère Altmark. Elles affirmaient que l’exigence de démonstration d’une défaillance du marché posée par l’arrêt Analir ne se confond pas avec le besoin de service public au sens de l’arrêt Altmark, le niveau de preuve requis étant plus élevé dans le premier cas que dans le second. Cet argument est écarté par le Tribunal, qui envisage de manière décloisonnée les enjeux de libre circulation et d’aides d’État en matière de SIEG. Il reconnaît que l’affaire en cause dans l’arrêt Analir était un régime d’autorisation administrative préalable et non, comme en l’espèce, une DSP accompagnée de compensations d’obligations de service public. Toutefois, l’octroi de compensations au délégataire de service public lui semble de nature à rendre moins attrayante la prestation de ces services par les opérateurs ne bénéficiant pas des mêmes compensations. Le raisonnement de l’arrêt Analir est par conséquent « pleinement transposable » (pt. 100). C’est donc à juste titre que la Commission a considéré que, pour vérifier le premier critère Altmark dans le contexte du cabotage maritime, c’est « sur la base d’un constat de carence de l’initiative privée » que doit être déterminé le besoin réel de service public (pt. 104).

Dans la décision attaquée, la Commission a analysé séparément le service assuré par la SNCM durant l’année (ou « service de base », qui constituait bien un service public) et le service assuré pendant la période estivale (ou « service « complémentaire », qui ne constituait pas un SIEG, faute de carence de l’initiative privée). Elle a considéré que les compensations versées à la SNCM et à la CMN au titre du service de base étaient des aides d’État illégales mais compatibles avec le marché intérieur, alors que celles versées à la seule SNCM au titre du service complémentaire étaient des aides d’État illégales et incompatibles, dont elle a ordonné la récupération. Se référant à un arrêt rendu par le Conseil d’État en 201227, les autorités françaises estimaient que la nécessité du service public confié à la SNCM pour la desserte de la Corse n’avait pas à être appréciée en fonction des périodes de l’année. Elles affirmaient que le service de base et le service complémentaire formaient un seul service public de transport maritime, cet ensemble indissociable étant indispensable à la continuité territoriale.

Cet argument est écarté par le Tribunal, pour qui la Commission a retenu à juste titre que le service complémentaire ne répondait pas à un besoin de service public en l’absence de carence de l’initiative privée, et n’était pas indispensable à la réalisation de l’objectif de continuité territoriale assigné par les autorités françaises. Quant à l’arrêt du Conseil d’État dont se prévalaient les autorités françaises, le Tribunal rappelle que « ni la Commission ni le juge de l’Union ne sont liés par l’interprétation que le Conseil d’État donne aux dispositions du règlement cabotage maritime. En l’espèce, la République française est d’autant moins fondée à invoquer ledit passage que, à la date à laquelle le Conseil d’État a rendu sa décision, la procédure formelle d’examen ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée avait déjà été ouverte par la Commission » (pt. 130). Cette remarque est loin d’être anodine, la Cour de justice ayant affirmé que les juridictions nationales doivent, en vertu du principe de coopération loyale, tenir compte de la décision de la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’enquête (et éviter alors de contredire la Commission en écartant la qualification d’aide d’État)28. En l’absence de SIEG, le financement du service complémentaire ne pouvait pas non plus être considéré comme une aide d’État compatible sur le fondement de l’article 106, § 2, du TFUE (pt. 199).

L’absence de carence de l’initiative privée conduisant le Tribunal à écarter la qualification de SIEG pour les activités de la SNCM en période estivale, il confirme la qualification d’aide d’État pour les compensations versées à ces activités, ainsi que leur incompatibilité. Le Tribunal parvient à la même conclusion dans l’arrêt rendu le même jour sur recours de la SNCM29.

C. « Procédure de marché au moindre coût » au sens de la jurisprudence Altmark

Le Tribunal a également dû se pencher sur le quatrième critère de l’arrêt Altmark, dont les autorités françaises soutenaient qu’il était rempli. Il s’agissait de savoir si la procédure de DSP mise en œuvre par la collectivité territoriale de Corse pouvait être analysée comme « une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir les services en cause au moindre coût pour la collectivité », conformément à la première branche du quatrième critère Altmark. Le gouvernement français soutenait que ce critère était respecté, dans la mesure où la procédure de passation de la DSP aurait « permis d’assurer une concurrence effective entre les opérateurs et, partant, de choisir l’offre économiquement la plus avantageuse pour la collectivité ». En examinant cet argument, le Tribunal confirme que la notion de « procédure de marché public » au sens de la jurisprudence Altmark s’entend largement, comme pouvant englober des procédures de passation de contrats concessifs30.

Le juge de l’Union apprécie toutefois rigoureusement l’exigence de « moindre coût », qui doit être garantie dès le début de la procédure. Se référant à la communication de la Commission du 11 janvier 201231, le Tribunal rappelle ainsi qu’« une procédure négociée avec publication confère une large marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur et peut restreindre la participation des opérateurs intéressés. Une telle procédure ne peut donc être considérée comme suffisante pour satisfaire au quatrième des critères Altmark que dans des cas exceptionnels ». Il rappelle également « qu’il peut arriver qu’une procédure de passation de marché ne puisse permettre un moindre coût pour la collectivité du fait qu’elle n’entraîne pas une concurrence ouverte et réelle suffisante ». C’était manifestement le cas en l’espèce, où le Tribunal opère une présentation plutôt critique du déroulement de la procédure. Il relève notamment que la procédure d’appel d’offres suivie n’a manifestement pas entraîné une concurrence réelle et ouverte suffisante, et « qu’une série de facteurs ont indubitablement dissuadé, voire empêché, des candidats potentiels de participer à l’appel d’offres » (pts. 180 et s.).

II. Obligations procédurales de la Commission dans la mise en œuvre du critère de l’investisseur privé

Trib. UE, 6 juill. 2017, n° T-74/14, Rép. Française c/ Commission ; Trib. UE, 6 juill. 2017, SNCM c/ Commission, n° T-1/15. S’agissant des aides à la restructuration accordées à la SNCM en 2006, le Tribunal a apporté d’intéressantes précisions relatives à des aspects procéduraux. La Commission avait adopté en 2008 une décision dans laquelle elle avait conclu à l’absence d’aides d’État pour des mesures prises dans le cadre de la privatisation de la SNCM, dans la mesure où le critère de l’investisseur privé était rempli. Cette décision ayant été annulée en 201232, la Commission a adopté en 2013 une nouvelle décision, concluant finalement à la qualification d’aide d’État. Les autorités françaises et la SNCM ont intenté des recours contre cette décision, en contestant notamment certains aspects procéduraux : le refus de la Commission de rouvrir la procédure formelle d’examen (A), la motivation et la charge de la preuve pour la mise en œuvre du critère de l’économie de marché (B).

A. Appréciation au cas par cas de la nécessité de rouvrir la procédure formelle d’examen après une annulation pour erreur de droit

Suite à l’annulation de sa décision par le Tribunal, la Commission a fondé sa nouvelle décision sur les éléments dont elle disposait en 2008, sans reprendre l’instruction. Les autorités françaises soutenaient que la Commission avait violé les droits de la défense en refusant de rouvrir la procédure formelle d’examen après l’arrêt rendu par le Tribunal, et la SNCM y voyait une violation de la Charte des droits fondamentaux. La réouverture de la procédure formelle d’examen aurait permis aux autorités françaises et aux tiers intéressés (dont la SNCM) de présenter à nouveau des observations (et de fournir ainsi des informations et documents supplémentaires, notamment sur les conséquences économiques et sociales d’une liquidation de la SNCM).

Si les juridictions de l’Union sont régulièrement conduites à contrôler la nécessité d’ouvrir une procédure formelle d’examen suite à une notification d’aide ou à une plainte, la question donne plus rarement lieu à du contentieux suite à l’annulation d’une décision de la Commission. Dans ce contexte, la nécessité d’ouvrir une procédure formelle s’analyse moins au regard du dossier initial qu’au regard des motifs de l’arrêt d’annulation, qu’il incombe à la Commission d’exécuter en vertu de l’article 266 du TFUE. À cet égard, le Tribunal rappelle sa jurisprudence constante, selon laquelle ce sont ces motifs d’un arrêt d’annulation qui font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif, et que les institutions concernées doivent prendre en considération en remplaçant l’acte annulé33. La procédure visant à remplacer un tel acte peut ainsi être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue. En outre, l’annulation d’un acte mettant un terme à une procédure administrative comprenant différentes phases n’entraîne pas nécessairement l’annulation de toute la procédure précédant l’adoption de l’acte attaqué indépendamment des motifs, de fond ou de procédure, de l’arrêt d’annulation.

S’agissant plus spécifiquement des aides d’État, le fait que la décision de la Commission ait été annulée pour erreur de droit et erreur manifeste d’appréciation n’implique pas nécessairement qu’elle rouvre la procédure formelle d’examen. Cette nécessité doit s’apprécier en fonction des motifs de l’arrêt et des circonstances de l’espèce. Le Tribunal souligne que pour respecter ses obligations tirées de l’article 266 du TFUE et mener la nouvelle analyse requise par le Tribunal dans un arrêt d’annulation, la Commission peut, en fonction des circonstances de l’espèce, être contrainte de rouvrir la procédure formelle d’examen, d’une part, en vue de recueillir les éléments nécessaires à la nouvelle analyse et, d’autre part, pour donner la possibilité aux tiers intéressés de faire valoir leurs arguments sur les nouvelles analyses menées par la Commission. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

B. Motivation et charge de la preuve dans la mise en œuvre du critère de l’investisseur privé en économie de marché

Les autorités françaises invoquaient un défaut de motivation concernant l’analyse par la Commission de son « image de marque en tant qu’investisseur global dans l’économie de marché ». Opérée à propos de la SNCM34, cette intéressante évolution de la formulation du critère de l’investisseur privé n’a pas permis aux autorités françaises d’échapper à la qualification d’aide d’État. À cet égard, le Tribunal relève que la Commission « a considéré que le risque de contagion des conflits sociaux à toutes les entreprises publiques, à proximité géographique des activités de la SNCM, mais aussi quel que soit le secteur, et en particulier dans le secteur des transports, n’avait pas été démontré par les autorités françaises. Elle a également souligné qu’il n’avait pas été démontré que le versement des indemnités complémentaires de licenciement aurait permis d’empêcher l’apparition de nouvelles grèves et que la justification exclusivement sociale de la prise en charge par l’État de ces indemnités complémentaires était insuffisante pour écarter la présence d’une aide d’État ». L’argumentation de la Commission lui semble donc avoir été suffisamment approfondie.

La SNCM reprochait également à la Commission d’avoir inversé la charge de la preuve, à propos notamment de la prise en charge du coût d’indemnités complémentaires de licenciement. Le Tribunal rappelle à cet égard que s’il incombe à la Commission de prouver l’existence d’une mesure susceptible d’être qualifiée d’aide d’État, il appartient en revanche à l’État membre concerné de lui fournir l’ensemble des éléments pertinents lui permettant de mener un examen diligent et impartial des conditions d’application du test de l’investisseur privé. « Dans ce contexte, il appartient à la Commission de permettre à l’État membre concerné et aux tiers concernés de lui apporter les éléments les plus complets et fiables possibles sur les mesures en cause ainsi que sur leur contexte, ce qu’elle a d’ailleurs fait en l’espèce ». Sur le fond, le Tribunal confirme la qualification d’aide d’État pour diverses mesures accordées à la SNCM (prise en charge du coût d’indemnités complémentaires de licenciement, prix négatif auquel la SNCM a été vendue, apport supplémentaire en capital d’un montant de 8,75 millions d’euros, avance en compte courant, clause résolutoire au profit des repreneurs privés faisant obstacle au critère du co-investisseur privé…).

III. Conséquences de l’illégalité des aides à la SNCM devant le juge national

L’affaire SNCM illustre l’intérêt croissant du contentieux des aides d’État pour les concurrents. La société Corsica Ferries avait ainsi obtenu du tribunal administratif de Bastia la résiliation de la délégation de service public de 2013 comportant une aide illégale, solution confirmée par le Conseil d’État en 2017 (A). Elle obtient en outre une indemnisation du fait des aides illégalement versées à la SNCM dans le cadre de la précédente délégation (B).

A. Confirmation de l’illégalité de la délégation de service public à la SNCM

CE, 25 oct. 2017, n° 40335, Compagnie méridionale de navigation. La délégation de service public conclue en 2007 avec la SNCM avait déjà été jugée illégale sur recours de Corsica Ferries, du fait des aides d’État qu’elle comportait35. La procédure de délégation menée en 2013 pour la période 2014-2023 n’a pas davantage permis d’éviter les écueils du droit des aides d’État. La nouvelle convention de délégation de service public, encore passée avec la SNCM et la CMN, a été résiliée en 2015 par le tribunal administratif de Bastia36, sur recours de Corsica Ferries. Le tribunal administratif a conclu à la qualification d’aide d’État, les compensations d’obligations de service public prévues par la convention ne respectant pas les deuxième, troisième et quatrième critères de l’arrêt Altmark. Il a prononcé sa résiliation avec effet différé au 1er octobre 2016. Cette analyse a été partagée par la cour administrative d’appel de Marseille37. Elle n’est que partiellement validée sur pourvoi par le Conseil d’État en 2017.

Si la confirmation de la qualification d’aide d’État était prévisible, le Conseil d’État se montre peu exigeant sur le deuxième critère Altmark, relatif à la détermination préalable et transparente des paramètres de calcul de la compensation. En première instance et en appel, cette condition avait été jugée non remplie, le calcul de la compensation étant fondé sur le montant sur le montant de la subvention versée au délégataire sortant, la SNCM, et n’avait pas été communiqué à Corsica Ferries. Pour le Conseil d’État, le fait qu’un des candidats (celui finalement sélectionné) ait bénéficié de plus d’informations que ses concurrents sur les paramètres de calcul de la compensation ne fait pas obstacle au caractère « transparent », dès lors que les autres concurrents disposaient d’éléments leur permettant de paramétrer leur offre. Ainsi, « la circonstance que le montant maximum de contribution que la collectivité de Corse était disposée à verser, calculé à partir du montant de la subvention versée au délégataire sortant pour le service de base, n’ait pas été porté à la connaissance des candidats ou n’ait été connu que de certains d’entre eux ne faisait toutefois pas obstacle à ce que les candidats puissent déterminer, en fonction de leurs coûts, le montant de compensation des charges de service public qu’ils étaient susceptibles de demander dans le cadre de leur offre ». Il n’est pas certain qu’un tel raisonnement aurait été suivi par la Commission ou le juge de l’Union européenne. Dans sa communication de 2012, la Commission souligne que « si le SIEG est attribué selon une procédure d’appel d’offres, la méthode de calcul de la compensation doit figurer dans les informations fournies à l’ensemble des entreprises souhaitant participer à la procédure »38.

Le Conseil d’État confirme en revanche sans difficulté que les troisième et quatrième critères Altmark n’étaient pas remplis. S’agissant du troisième critère, relatif à l’absence de surcompensation, la cour d’appel a relevé à juste titre que le plafonnement de la compensation n’avait pas été déterminé par rapport à la moyenne basse des taux de rentabilité observés pour des contrats du même type. En outre, le mécanisme de reversement prévu en cas d’économies liées à la baisse des prix du carburant ne permettait pas d’assurer que la compensation versée ne dépassait pas ce qui était nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public. Quant au quatrième critère, la juridiction d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en relevant que l’absence d’examen de l’offre de la société Corsica Ferries n’avait pas permis d’aboutir au choix du candidat capable d’exécuter les obligations de service public au moindre coût et que la compensation n’avait pas non plus, à défaut, été établie sur la base d’une analyse des coûts d’une entreprise moyenne référentielle, bien gérée et disposant des moyens adéquats. La délégation de service public comportait bien une aide d’État illégale, car non notifiée à la Commission, ce qui justifiait sa résiliation. Le Conseil d’État rejette donc le pourvoi de la Compagnie méridionale de navigation.

B. Responsabilité de la collectivité territoriale de Corse envers Corsica Ferries du fait d’aides d’État illégales dans la DSP de 2007

TA Bastia, 23 févr. 2017, n° 1500375, Sté Corsica Ferries. Si la responsabilité des autorités publiques envers les concurrents du fait d’une aide d’État illégale et incompatible peut en principe être engagée39, elle l’est rarement en pratique, le lien de causalité avec un dommage subi par le concurrent étant apprécié strictement. Cette responsabilité a toutefois été engagée dans l’affaire SNCM, du fait des aides versées dans le cadre de la DSP pour la période 2007-2013. Peu avant que le Tribunal de l’Union ne confirme la qualification d’aide d’État, le tribunal administratif de Bastia retient l’illégalité de ces aides en se référant à l’arrêt rendu par la cour administrative de Marseille en avril 2016 à propos de la résiliation de la DSP40, ainsi qu’à la décision de la Commission du 2 mai 2013 reconnaissant leur incompatibilité. Il admet un lien de causalité entre la faute de la collectivité territoriale de Corse qui avait illégalement versé cette aide à la SNCM au titre du service complémentaire et la perte des bénéfices que Corsica Ferries France aurait pu tirer d’un surcroît de clientèle en l’absence des activités subventionnées. Il condamne par conséquent la collectivité territoriale de Corse à verser un peu plus de 84 millions d’euros à la société Corsica Ferries en réparation du préjudice résultant de l’exploitation du service complémentaire instauré par la délégation de service public pour la desserte maritime de la Corse pour la période 2007-2013.

IV. Responsabilité de la collectivité de Corse du fait de l’éviction irrégulière de Corsica Ferries de la DSP de 2013

TA Bastia, 23 févr. 2017, n° 1501123, Sté Corsica Ferries. Le tribunal administratif de Bastia a fait partiellement droit à la demande d’indemnisation de Corsica Ferries pour le préjudice subi à l’occasion de la passation de la délégation de service public pour la période 2014-2023. Cette indemnisation est liée à la méconnaissance du droit de la commande publique. Comme en matière de marchés publics, un candidat peut être indemnisé du fait de son éviction irrégulière, s’il avait des chances sérieuses d’emporter la convention. Le tribunal de Bastia estime que Corsica Ferries n’avait pas de chance sérieuse de se voir attribuer la globalité de la DSP, et ne pouvait donc être indemnisée pour le manque à gagner. Il retient toutefois qu’elle n’était pas dépourvue de toute chance pour certaines lignes, et considère qu’elle doit être indemnisée des frais exposés pour la présentation de son offre, s’élevant à 370 000 €.

Outre que la décision n° 1500375 du tribunal administratif de Bastia relative à la responsabilité du fait d’aides illégales a été attaquée devant la cour administrative d’appel de Marseille, de nouveaux épisodes contentieux ne sont pas exclus. Si la Commission avait admis la thèse de la discontinuité économique lors de la reprise des actifs de la SNCM par Corsica Linea, l’évolution de l’exploitation des lignes anciennement desservies par la SNCM pourrait être étroitement surveillée à cet égard.

Anémone CARTIER-BRESSON

5 – Hébergements touristiques

B – Aménagement des espaces à vocation touristique

1 – Tourisme durable

2 – Tourisme et patrimoine (…)

(À suivre)

Notes de bas de pages

  • 1.
    Resp. civ. et assur. oct. 2017, p. 15, obs. Groutel H. ; JCP E 2017, 1494, spéc. n° 5, obs. Bon-Garcin I. ; AJ contrats 2017, p. 285, obs. Dagorne-Labbe Y.
  • 2.
    C. tourisme, art. L. 211-16.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 29 juin 2016, nos 14-30073, 14-30074, 14-30075, 14-30076, 14-30077 et 14-30078 : LPA 14 nov. 2017, n° 131f4, p. 24-25, obs. Moreil S.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, nos 14-15720 et 14-18014 : Bull. civ. I, n° 88 ; Juris tourisme 2015, n° 175, p. 14, obs. Delpech X. ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 206 ; LPA 22 juin 2015, p. 12, note Dagorne-Labbe Y.
  • 5.
    C. tourisme, art. L. 211-1, I.
  • 6.
    Cass. 1re civ., 18 janv. 1989, n° 87-16530 : D. 1989, p. 302, note Larroumet C. ; RTD civ. 1989, p. 558, obs. Jourdain P. et RTD civ. 1989, p. 572, obs. Rémy P. – Cass. 1re civ., 16 mai 2006, n° 03-19936 : Bull. civ. I, n° 241. V. aussi, à propos d’un comité d’entreprise, Cass. 1re civ., 16 mars 1994, préc.
  • 7.
    Cass. 1re civ., 16 mai 2006 : Bull. civ. I, n° 241. V. aussi, Cass. 1re civ., 14 juin 2000, n° 98-17752.
  • 8.
    D. 2017, p. 1859, n° 3, obs. Le Gall V. ; JCP E 2017, p. 1494, spéc. n° 5, obs. Bon-Garcin I. ; LPA 18 juill. 2017, n° 128b9, p. 13, note Dagorne-Labbe Y. ; Juris tourisme 2017, n° 197, p. 13, obs. X. D., et Juris tourisme 2017, n° 201, p. 39, étude Lachièze C.
  • 9.
    Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, nos 14-15720 et 14-18014 : Bull. civ. I, n° 88 ; Juris tourisme 2015, n° 175, p. 14, obs. Delpech X. ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 206 ; LPA 22 juin 2015, p. 12, note Dagorne-Labbe Y.
  • 10.
    V. en particulier, Cass. 1re civ., 9 avr. 2015, nos 14-15720 et 14-18014 : Bull. civ. I, n° 88 : Juris tourisme 2015, n° 175, p. 14, obs. Delpech X. ; Resp. civ. et assur. 2015, comm. 206 ; LPA 22 juin 2015, p. 12, note Dagorne-Labbe Y., rendu à propos d’un comité d’entreprise. V. aussi, Cass. 1re civ., 29 juin 2016, nos 14-30073, 14-30074, 14-30075, 14-30076, 14-30077 et 14-30078 : LPA 14 nov. 2017, n° 131f4, p. 24-25, obs. Moreil S.
  • 11.
    C. tourisme, art. L. 211-2, IV.
  • 12.
    V. aussi, dir. n° 2015/2302, art. 17, selon lequel les États membres doivent veiller à ce que les organisateurs fournissent une garantie pour le remboursement de tous les paiements effectués par les voyageurs ou en leur nom dans la mesure où les services concernés ne sont pas exécutés en raison de l’insolvabilité des organisateurs, ce qui montre bien que la garantie ne peut pas concerner des paiements effectués par une personne morale qui a elle-même acheté des voyages en son propre nom pour les revendre ensuite à des voyageurs.
  • 13.
    V. à ce propos les précédentes chroniques de droit du tourisme.
  • 14.
    CJCE, 24 juill. 2003, n° C-280/00, Altmark, posant de strictes conditions pour que des compensations d’obligations de service public échappent à la qualification d’aide d’État.
  • 15.
    Commission, décision n° 2013/435/UE du 2 mai 2013 concernant l’aide d’État SA. 22843 2012/C mise à exécution par la France en faveur de la SNCM et la CMN (JOUE 2013, L 220, p. 20).
  • 16.
    Le premier critère de l’arrêt Altmark (« l’attribution à l’entreprise bénéficiaire gérant le SIEG d’une mission d’exécution d’obligations de service public clairement définies ») implique que soit vérifiée la qualification de SIEG.
  • 17.
    CJCE, 10 déc. 1991, n° C-179/90, Port de Gènes, pt. 27.
  • 18.
    CJCE, 19 mai 1993, n° C-320/91, Paul Corbeau, pt. 15 ; CJCE, 27 avr. 1994, n° C-393/92, Cne d’Almelo, pt. 48.
  • 19.
    CJCE, 20 févr. 2001, n° C-205/99, Analir, pt. 71.
  • 20.
    Lignes directrices de l’UE pour l’application des règles relatives aux aides d’État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit, JOUE C. 25, 26 janv. 2013, p. 1.
  • 21.
    Elle a ainsi affirmé qu’il ne serait pas opportun d’assortir d’obligations de service public spécifiques une activité qui est déjà fournie ou peut l’être de façon satisfaisante et dans des conditions compatibles avec l’intérêt général par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions commerciales normales (Communication relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, JOUE C 8/4, 11 janv. 2012, pt. 12).
  • 22.
    Trib. UE, 16 sept. 2013, n° T-79/10, Colt Télécommunications, pt. 154, à propos d’un projet de réseau de très haut débit en réalité couvert par un texte sectoriel prévoyant la condition de défaillance du marché.
  • 23.
    Cartier-Bresson A., « La carence de l’initiative privée », in Mélanges Truchet D., Dalloz, 2015, p. 67.
  • 24.
    Cattier R., « Subventionner un service public délégué. Encadrements internes et européen », AJDA 2014, p. 1305.
  • 25.
    Trib. UE, 1er mars 2017, n° T-366/13, pt. 91, Rep. française c/ Commission.
  • 26.
    V. aussi en ce sens Trib. UE, 18 janv. 2017, n° T-92/11, Jurgen Andersen c/ Commission, pts. 69-70.
  • 27.
    CE, 13 juill. 2012, n° 350616, CMN et SNCM : BJCP 2012, p. 355, concl. Dacosta B., à propos de la légalité de la DSP conclue avec la SNCM en 2007. Le Conseil d’État a estimé dans cet arrêt que la cour administrative d’appel de Marseille avait jugé à tort que la capacité du marché à assurer la desserte de la Corse durant la période estivale faisait obstacle à la qualification de SIEG (CAA Marseille, 7 nov. 2011, n° 08MA01604, Sté Corsica Ferries). Cette solution a été contredite par la Commission dans sa décision de 2013, puis par la cour administrative d’appel de Marseille sur renvoi en 2016 (CAA Marseille, 6 avr. 2016, n° 12MA02987).
  • 28.
    CJUE, 21 nov. 2013, n° C-284/12, Deutsche Lufthansa.
  • 29.
    Trib. UE, 1er mars 2017, n° T-454/13, SNCM c/ Commission.
  • 30.
    V. aussi en ce sens CE, 13 juill. 2012, n°347073, Communauté de communes d’Erdre et Gesvre : RDI 2012, p. 562, obs. Braconnier S.
  • 31.
    Communication relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, précitée.
  • 32.
    Trib. UE, 11 sept. 2012, n° T-565/08, Corsica Ferries France c/ Commission. Cet arrêt avait été confirmé sur pourvoi par la Cour de justice (CJUE, 4 sept. 2014, nos C-533/12 P et C-536/12, PSNCM et France c/ Commission).
  • 33.
    Trib. UE, 9 juill. 2008, n° T. 301/01, Alitalia c/ Commission.
  • 34.
    La Cour a ainsi admis que « la protection de l’image de marque d’un État membre en tant qu’investisseur global dans l’économie de marché pourrait, dans des circonstances particulières et avec une motivation particulièrement convaincante, constituer une justification pour démontrer la rationalité économique à long terme de la prise en charge de coûts additionnels » (CJUE, 4 sept. 2014, nos C-533/12 P et C-536/12, PSNCM SA et République française c/ Corsica Ferries).
  • 35.
    CAA Marseille, 7 nov. 2011, n° 08MA01604, Sté Corsica Ferries, v. infra.
  • 36.
    TA Bastia, 7 avr. 2015, n° 1300938.
  • 37.
    CAA Marseille, 15 juill. 2016, n° 15MA02101.
  • 38.
    Communication relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, préc., pt. 59.
  • 39.
    CJCE, 5 oct. 2006, n° C-368/04, Transalpine Ölleitung in Österreich, pt. 55.
  • 40.
    CAA Marseille, 6 avr. 2016, n° 12MA02987, préc.