Ukraine : La protection temporaire, un mécanisme de réponse en cas d’afflux massif de personnes
Le 24 février 2022, la Russie a attaqué l’Ukraine, dans l’objectif d’une opération rapide de prise du territoire, après avoir déclaré indépendantes deux régions uukrainiennes (Dontesk et Louhansk). Toutes les personnes ayant fui l’Ukraine à compter de cette même date, le 24 février 2022, peuvent bénéficier d’une protection temporaire.
La directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 permet de protéger des personnes qui fuient leur pays d’origine. Le critère est quasiment unique : il faut un afflux massif de personnes, qui nécessite une réaction rapide de la part de l’Union européenne, pour « supporter les conséquences de cet accueil » et équilibrer les efforts consentis par les États membres.
C’est la première fois que le Conseil déclenche ce mécanisme, pensé après les déplacements de personnes liés à l’ex-Yougoslavie dans les années 90. Néanmoins, d’autres occasions ont pu se présenter auparavant, notamment vis-à-vis des Syriens, qui ont été plus de 6 millions à fuir leur pays depuis 2011. Il est difficile de comprendre les motivations politiques de cette différenciation même si deux considérations peuvent être avancées. D’une part, le cas de l’Ukraine diffère de la Syrie car il s’agit d’une invasion par la Russie et non d’une guerre civile, qui peut sembler plus ponctuelle. L’aspect temporaire de ce conflit a d’ailleurs été souvent évoqué comme stratégie de Vladimir Poutine, même si le conflit semble finalement s’enliser. D’autre part, les déplacements massifs d’exilés ont majoritairement lieu dans les États géographiquement proche : les Syriens sont nombreux à avoir trouvé un refuge en Turquie ou au Liban. Dans le cas de l’Ukraine, les pays limitrophes font partie de l’Union européenne, ce qui peut également expliquer l’urgence d’enclencher cet outil de protection temporaire.
Les droits ouverts par la directive « protection temporaire »
La protection accordée aux personnes qui ont fui l’Ukraine à compter du 24 février 2022, selon la décision d’exécution du Conseil du 4 mars 2022, est immédiate. Dès leur arrivée sur le territoire de l’Union ils sont protégés.
*Un titre de séjour
C’est la première des obligations liée à la mise en œuvre de cette directive : régulariser le séjour des personnes qui bénéficient de la protection temporaire. Précisons d’ailleurs que sont protégées les personnes qui ont fui à partir du 24 février mais également :
– leur conjoint ou partenaire engagé dans une relation stable ;
– leurs enfants mineurs non mariés ou ceux de leur conjoint, qu’ils soient issus ou non du mariage ou qu’ils aient été adoptés ;
– les autres parents proches qui vivaient au sein de la famille avant le 24 février 2022 et qui étaient entièrement ou principalement à la charge d’une personne mentionnée précédemment.
La directive de 2001 et la décision d’exécution du 4 mars 2022 ont ouvert la possibilité pour les États d’inclure dans cette protection des personnes qui résidaient en Ukraine mais qui n’en avaient pas la nationalité, soit parce qu’elles y étaient réfugiées soit parce qu’elles y résidaient et ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine. La France s’est saisie de cette option, reconnue dans l’instruction du 10 mars 2022.
*L’accès au marché du travail et à la scolarisation
Ensuite, l’État doit permettre aux bénéficiaires de cette protection d’exercer des activités salariées ou non, des formations professionnelles. La directive précise qu’un État peut décider de donner priorité aux citoyens européens pour l’accès au marché du travail, selon les politiques de l’emploi en place. L’instruction relative à la mise en œuvre de la décision du 4 mars du Conseil, adoptée par le ministre de l’Intérieur le 10 mars 2022, précise que les employeurs doivent saisir les plateformes de main d’œuvre étrangères, un système mis en place en avril 2021. Cette même instruction indique également que les enfants qui bénéficient de la protection ont accès à l’école.
C’est l’une des principales différences avec la demande d’asile qui empêche d’accéder au marché du travail, sauf si elle n’a pas été étudiée dans les six mois après le dépôt. Auquel cas, il faut présenter une demande d’autorisation de travail.
*L’hébergement
La directive de 2001, et les mesures d’exécution qui suivent, prévoient que les bénéficiaires de la protection temporaire doivent être hébergés ou à défaut perçoivent une somme pour se loger. C’est le premier point abordé par l’instruction du 10 mars 2022, probablement car l’hébergement est un point déjà tendu en France.
Il est d’ailleurs précisé que les hébergements des demandeurs d’asile n’ont pas vocation à accueillir les bénéficiaires de la protection temporaire. Toutefois, ils pourraient être hébergés par ce système s’ils souhaitent déposer l’asile.
Le gouvernement a mis en place une plateforme parrainage.refugies.info pour que les citoyens signalent la possibilité d’héberger des personnes.
*La protection sociale et le soutien financier
L’instruction du 10 mars 2022 prévoit la prise en charge des bénéficiaires de la protection par une affiliation à la protection universelle maladie et à la complémentaire santé solidaire pendant 1 an. Une attention particulière à la prise en charge de la santé mentale est pointée dans l’instruction. Cette approche est conforme à la directive de 2001, qui indique que la prise en charge des soins doit au moins prendre en compte les urgences médicales.
La protection temporaire est à distinguer de l’asile, même si les Ukrainiens peuvent prétendre à l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile. Cette dernière permet aux demandeurs d’asile de pouvoir se nourrir. La condition principale pour en bénéficier est d’avoir des ressources mensuelles inférieures au RSA (Revenu de solidarité activé qui est actuellement de 565,34 euros). La somme quotidienne versée pour une personne seule qui ne nécessite pas d’hébergement est de 6,80 euros.
Liens avec la demande d’asile
La protection accordée est temporaire : la durée fixée est actuellement d’un an. Le Conseil peut mettre un terme à cette protection à tout moment et à défaut, la protection est prorogée automatiquement pour deux périodes de six mois. La Commission européenne peut ensuite proposer au Conseil de prolonger pour une nouvelle période d’un an. La période totale de protection ne peut donc pas dépasser trois ans.
C’est l’objectif de cette directive : protéger d’un conflit qui semble temporaire. Une fois que le conflit cesse, les Ukrainiens seront invités à retourner dans leur pays.
Toutefois, ils peuvent prétendre à un statut de réfugié ou de protection subsidiaire dès à présent et donc déposer une demande d’asile, parallèlement à leur protection temporaire, au même titre que toute personne exilée. Si une protection internationale leur est accordée, ils pourront se maintenir en France à l’issue de la période de protection temporaire.
Un aspect n’est pas précisé dans la directive ni dans l’instruction française : que se passe-t-il si un Ukrainien retourne dans son pays après avoir reçu la protection temporaire, par exemple pour y rechercher de la famille ? En droit d’asile, un retour volontaire dans le pays d’origine a pour conséquence le retrait de la protection, puisque la personne concernée semble ne plus craindre de persécutions à son encontre. Le cas de la protection temporaire est différent mais ce point interroge en pratique. L’instruction indique que la Direction générale des étrangers en France peut fournir des informations en cas de difficultés particulières.
Une protection temporaire quasi-automatique
La protection temporaire répondant à l’arrivée d’un « afflux massif », elle laisse penser que la protection est automatique. Toutefois, tant la directive que l’instruction mentionnent la possibilité d’exclure des personnes qui seraient indignes de la protection temporaire. La liste des motifs d’exclusion est prévue dans les textes, figurent ainsi la commission de crimes graves ou encore si la personne constitue une menace pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État.
Ces motifs d’exclusion sont également prévus pour une personne qui demande l’asile, une personne qui remplit les critères de protection peut s’en voir privé en raison d’un comportement indigne. En revanche, cette exclusion peut faire l’objet d’un appel devant la Cour nationale du droit d’asile, ce qui n’apparaît pas dans l’instruction du 10 mars 2022. De plus, l’exclusion d’un demandeur d’asile a pour conséquence de rendre impossible le refoulement vers son pays d’origine. En effet, avant d’être exclu il a été reconnu qu’il remplissait les critères pour bénéficier de l’asile – sinon il suffit de rejeter la demande – ce qui implique qu’il est susceptible de subir des persécutions dans son pays d’origine. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle régulièrement que les États violent l’article 3 de la Convention lorsqu’ils renvoient une personne dans un pays où elle est susceptible de subir un traitement inhumain et dégradant.
Or dans l’instruction du 10 mars, il est prévu que les personnes exclues de la protection temporaire fassent l’objet d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Cet aspect ne semble pas cohérent, d’autant que la mesure doit obligatoirement désigner le pays de renvoi, en l’occurrence l’Ukraine.
Référence : AJU282670