Au tribunal de Créteil : « C’est Raymond qui a placé la cocaïne dans le double fond »

Publié le 15/03/2021

Arrivée de Guyane à Orly, le 8 mars, avec 1,7 kilo de cocaïne caché dans son sac à main, Maureen Kemper n’a pas convaincu de son innocence. Les passeurs de drogue en provenance de Cayenne sont si nombreux, 20 à 30 par jour, que les juges de Créteil n’ont plus aucune indulgence.

Tribunal de Créteil
Photo : ©I. Horlans

C’est une femme frêle, ordinaire, à laquelle nul ne prêterait attention dans le hall des arrivées à l’aéroport de Paris-Orly. A l’exception des douaniers à l’œil exercé, régulièrement confrontés aux « mules » chargées de drogue, principalement de la cocaïne, qui empruntent la liaison aérienne entre le département d’outre-mer et la métropole. Avec un passeport du Suriname (pays pourvoyeur) et un domicile en Guyane (région de transit), Maureen Kemper n’avait guère de chance d’échapper au contrôle de ses bagages ce lundi 8 mars. Et la voici donc, deux jours plus tard, jugée en comparution immédiate à la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil (Val-de-Marne).

« Quand j’ai vu la drogue, j’ai failli tomber »

Cheveux courts bien coupés, blouson marron à col en fourrure blanche, la prévenue jette un regard embué de larmes à l’interprète néerlandaise. Bien que résidant à Cayenne depuis l’an 2000, elle ne parle pas le français. A 52 ans, cette mère de sept enfants qui vend de la nourriture dans les rues est la proie idéale des trafiquants. A l’affût de personnes en grande précarité, ils leur promettent qu’un premier transport ne les expédiera pas en prison. Mais Maureen y dort depuis deux nuits et jure ne pas comprendre ce qu’il lui arrive. « Je suis venue voir un médecin car j’ai reçu des coups à la jambe droite », assure-t-elle, tentant de montrer ses plaies, son alibi. « J’avais un sac à main assorti à ma tenue. Raymond est arrivé et m’a obligée à prendre celui qu’il avait apporté. Il a transvasé mes affaires pendant que j’appelais le taxi. »

Raymond le compagnon est accessoirement l’auteur des coups et, cela ne fait aucun doute, un chaînon de la filière cocaïne. « Quand, à Paris, j’ai vu la drogue, j’ai failli tomber ! Je n’avais aucune idée du contenu de mon sac, il faut me croire », supplie Maureen d’une voix aiguë.

« Je voulais fuir l’emprise de Raymond »

 La présidente, Anne-Julie Paschal, fait preuve de patience mais en appelle au bon sens :

– « Madame, vous n’aviez dans votre sac qu’un téléphone, vos papiers, de l’argent et des accessoires. Vous n’avez pas été étonnée par le poids de 3,7 kilos et par la doublure mal cousue qui dissimulait le double fond ?

– Eh bien, j’avais de l’huile… C’est lourd. »

Nulle trace d’huile sur le procès-verbal des Douanes, mais deux plaques thermo-soudées contenant 1,7 kilo de cocaïne qui, à une centaine d’euros le gramme en Île-de-France, aurait rapporté gros au destinataire du colis. Il n’attendait évidemment pas la Surinamaise à Orly.

– « Et où comptiez-vous aller avec 220 € dans votre portefeuille ?

– J’allais séjourner à Roubaix, voir un ostéopathe à Lille, mes aînés auraient envoyé de l’argent. Je voulais fuir l’emprise de Raymond, qui me bat. J’ai des cicatrices partout, regardez mon corps ! »

Maureen tente de joindre le geste à la parole, se ravise sur injonction de la traductrice : au tribunal, on ne se dénude pas.

« Vos explications ne tiennent pas la route »

La procureure Alice Proy ne croit pas à la fable ici contée : « Vous n’avez ni billet de retour ni point de chute. Vous n’avez que 180 € à la banque, vos enfants mineurs vous attendent à Cayenne, et le rendez-vous avec un ostéopathe a été pris par une voisine dont vous ignorez l’identité… Vos explications ne tiennent pas la route. Vous êtes un maillon de la chaîne du trafic de drogue, cette machine infernale qui gangrène la France ! »

Elle requiert 18 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

Me Lionel Amougou, commis d’office, pense tenir un « ticket de sortie » : en début d’audience, il a soulevé une erreur commise par les douaniers à Orly, qui ont daté des faits commis le 7 mars, et non le 8 comme avéré par le billet d’avion. Il a donc sollicité l’annulation de la procédure. Devinant que l’incident joint au fond pèse moins lourd que le sac de Maureen, il se concentre sur l’absence de preuves, l’exploitation de sa ligne téléphonique qui n’a pas établi de contacts à Paris, les blessures et le désespoir : « Elle a construit sa maison de ses propres mains, elle n’a ni eau ni électricité, c’est une femme battue qui ne correspond pas au profil du trafiquant. » Certes pas, mais il colle à celui de ses passeurs.

« Pitié, mes enfants sont tout pour moi ! »

Maureen Kemper se lève, réajuste son masque sanitaire, pleure et renifle : « Je vous demande de m’excuser. Je n’ai pas reçu d’amour maternel, alors je fais tout pour mes enfants. » L’aîné est âgé de 34 ans, la cadette en a 11. L’audience a révélé qu’en 2012, elle a été poursuivie pour délaissement de mineure et incitation à la commission de délits. Pour gommer la mauvaise impression qu’elle a faite, elle laisse un flot de larmes se déverser : « Pitié, mes enfants sont tout pour moi ! »

La présidente et ses assesseurs vont prendre le temps de délibérer. Sur un plateau de la balance, une femme pauvre, victime des trafiquants et d’un mirage. Sur l’autre, 220 kilos de cocaïne saisis, entre le 1er et le 28 janvier 2021, à l’aéroport de Cayenne dans les bagages de mules envoyées à Paris. Ce n’est plus tolérable, il faut marquer les esprits.

Maureen Kemper réintègre le box, escortée par trois policiers. Le tribunal rejette l’incident soulevé par la défense, condamne la prévenue à 18 mois de prison avec mandat de dépôt, et à une amende douanière de 25 000 €.

– « Avez-vous besoin de soins pour votre blessure à la jambe ? s’enquiert la présidente Paschal.

– Non, ça ira », répond Maureen, trop sonnée pour réaliser qu’elle vient de détruire son alibi.

 

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