« Ce n’est plus uniquement de l’Assemblée nationale que nous viennent les textes de droit international à appliquer, mais bien ici à Bruxelles que sont produits les règlements sur les successions ou les régimes matrimoniaux »
Avec une première édition qui remonte à 1891 le Congrès des notaires de France est probablement le plus ancien des congrès professionnels au monde! Il n’avait pourtant jamais ouvert ses portes en dehors du territoire français, sa tenue ces prochains jours à Bruxelles est donc loin d’être anecdotique. C’est aussi le symbole d’une nouvelle ère pour le droit, qui s’est internationalisé et dont la composante européenne devient incontournable. Pour ce 115e Congrès, le président Marc Cagniart, notaire à Paris, a souhaité faire du droit international privé et de sa pratique par les notaires le fil rouge de l’événement. Car plus que jamais, le notaire doit être en capacité de s’adapter aux évolutions du droit afin d’assurer son rôle de garant de la sécurité juridique.
Les Petites Affiches
Il s’agit du premier Congrès des notaires à se dérouler hors des frontières françaises, pourquoi avoir fait ce choix ?
Marc Cagniart
Ce congrès est historique à plus d’un titre : parce que nous n’avions en effet jamais tenu cette réunion de la profession en dehors de l’Hexagone tout d’abord, mais aussi car c’est la première fois que nous consacrons exclusivement un congrès au droit international privé. L’idée est véritablement de faire le point de la pratique notariale dans cette matière afin d’être en mesure d’accueillir et de traiter correctement les situations qui présentent un élément d’extranéité. Bien évidemment, ce n’est pas une coïncidence si nous avons choisi de discuter de ce sujet, dans l’une des capitales européennes avec Strasbourg, Luxembourg et Francfort. Aujourd’hui, ce n’est plus uniquement de l’Assemblée nationale au Palais Bourbon que nous viennent les textes de droit international que l’on a à appliquer, mais bien d’ici à Bruxelles où sont produits les règlements sur les successions, les régimes matrimoniaux ou les documents publics. Dès l’instant où l’on s’intéresse à ces domaines, il nous paraissait évident de venir ici et de parler à l’oreille du législateur européen au travers des propositions que nous allons formuler.
L P A
Comment avez-vous procédé concernant la formation de votre équipe ?
M. C.
À la suite de ma nomination en tant que président de ce 115e Congrès, je me suis mis en quête pour identifier et contacter les confrères qui avaient une pratique du droit international privé. Au cours de cette démarche, il était important de veiller à respecter un certain maillage territorial de manière à ce que toutes les régions de France soient représentées. On retrouve donc des notaires parisiens, mais aussi du Sud, de la région lyonnaise, du Nord, de Bretagne ou de la région bordelaise. Ce maillage est également la preuve que le droit international privé ne concerne pas que les grandes villes et les zones frontalières. L’ensemble des confrères est concerné et il est possible de développer des secteurs de droit international privé dans toutes les études de France.
LPA
Quelles sont les nouveautés de ce Congrès ?
M. C.
Dès la conception de ce Congrès, nous avons eu le souci d’adopter une approche résolument pratique, chose que mes confrères ont déjà pu constater avec la réception du rapport dans leurs études à la mi-avril. Nous souhaitions nous adresser directement aux notaires dans nos travaux en réfléchissant à l’impact d’éléments d’extranéité sur la rédaction de nos actes. Le droit international privé souffre d’une mauvaise réputation, on dit de lui que c’est une matière complexe et difficile à déchiffrer, mais si on l’aborde sous l’angle de la méthodologie et de la pratique du notaire on se rend compte qu’il est tout à fait accessible. Il y a des codes et des méthodes à connaître qui permettent, une fois intégrés, d’aborder la matière sereinement sans prendre de risques ni en faire prendre à ses clients.
LPA
Entre le Brexit et les multiples élections nationales et européennes, 2019 est une année charnière pour l’Europe. Venir à Bruxelles était-il aussi une façon de montrer votre attachement européen ?
M. C.
J’estime que l’on peut réagir de deux façons face à la construction européenne. On peut soit se dire que c’était mieux avant, à l’époque où l’on avait des grands arrêts de jurisprudence, où l’on appliquait notre droit national et que l’on n’avait pas à régler des successions soumises à un droit étranger. On regrettera alors dans cette optique la mondialisation et la fondamentalisation du droit. Mais ce n’est pas, à mon sens, une démarche très constructive et il nous a paru plus intelligent de faire un tour d’horizon et un point sérieux sur la pratique telle qu’elle doit être avec ces nombreuses évolutions. Et puisque nous sommes des observateurs privilégiés de la mondialisation des échanges et des familles, nous sommes à même de réfléchir et de faire des propositions pour l’amélioration de la matière juridique que l’on a à appliquer au quotidien. Évidemment, toutes ces évolutions perturbent beaucoup les réflexes des juristes qui doivent travailler une matière bien différente de celle qu’ils ont apprise au cours de leurs études de droit. Le droit international privé tel qu’on le concevait auparavant est obsolète, il faut désormais se mettre en capacité de l’appliquer correctement. Nous ne sommes pas les seuls à vivre ces évolutions, elles sont vécues par toutes les professions, mais il vaut mieux les accompagner et les anticiper pour participer à l’orientation du mouvement que de le subir en rechignant parce que ce n’est pas notre méthode traditionnelle.
LPA
Concrètement, comment la pratique notariale a-t-elle évolué au cours des deux dernières décennies ?
M. C.
Quand on se replace en 1999, vous aviez certes déjà des situations avec des éléments d’extranéité, mais elles concernaient une « élite » sur des dossiers importants. Les gros patrimoines répartis dans plusieurs pays et les unions matrimoniales couvrant des gens de différentes nationalités étaient des situations relativement rares pour lesquelles nous avions le luxe de pouvoir dégager du temps et de l’analyse pour trouver des solutions. Je pense que l’on peut placer le moment où tout a basculé en 1989 avec la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du communisme. On a depuis eu une multiplication exponentielle des situations teintés d’extranéité qui peuvent désormais venir des ex-pays de l’Est, des États-Unis, du Maghreb ou de l’extrême Orient. Aujourd’hui, ces situations concernent tout le monde : les voyages Erasmus ont formé de nombreux jeunes couples multinationaux et même des familles qui n’ont pas de grandes fortunes peuvent désormais avoir une maison secondaire au Portugal, en Grèce ou en Italie. Il faut évidemment le prendre en compte correctement dans le règlement des situations, ce qui demande d’avoir une discipline éprouvée pour réagir rapidement et identifier les difficultés.
LPA
La formation de notaires à l’étranger est une action des notaires de France que vous avez souhaité mettre en avant. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
M. C.
C’est une action peu connue de nos confrères que nous souhaitions leur présenter : depuis une cinquantaine d’années, la profession a perçu que notre influence à l’international constitue aussi un élément de soft power pour le droit continental. Il y a eu des précurseurs qui ont tout de suite senti qu’il fallait œuvrer dans ce sens-là, je pense notamment à la Chambre des notaires de Paris ou au Conseil supérieur du notariat dont les présidents de l’époque ont été visionnaires en établissant des partenariats et échanges avec d’autres capitales européennes. Nous devons aussi être là pour montrer que le notariat n’est pas un accident de l’histoire, mais qu’il correspond à un besoin généralisé des citoyens du monde. Au cours de ce Congrès nous mettrons en lumière deux aspects de cette action internationale : le titrement et ce que l’on appelle les enfants fantômes. Le notariat a vocation à apporter sa vision du droit à d’autres pays, je pense, par exemple à la Chine où a été créé un centre sino-français à Shanghai qui a permis que le pays préfère le système continental face au système anglo-saxon au moment où il s’est orienté vers une économie de marché. On a aujourd’hui des milliers de notaires qui ont été nommés et travaillent pour le compte des citoyens et de l’État chinois en reprenant les grands principes du notariat que nous leur avons présenté.
LPA
Y a-t-il certaines propositions que vous aimeriez mettre en avant lors de ces trois jours ? Qui vous tiennent à cœur ?
M. C.
Des propositions seront adoptéees lors de ces trois journées de séances plénières. Mais on peut déjà percevoir une cohérence qui prouve que nous sommes investis d’une double mission à l’international : accompagner et accueillir. Accompagner parce que le notaire invite les clients qu’il rencontre à travers les dossiers à réfléchir et anticiper les éléments d’extranéité existants ou à venir. Quand un jeune couple fait un contrat de mariage, il faut se poser des questions sur le futur à court ou moyen terme en cas de déplacements, installations à l’étranger pour le travail ou autre. Cela permet d’anticiper sur des situations juridiques qui peuvent sinon être beaucoup plus difficiles à dénouer ensuite. Accueillir c’est par exemple lorsque des citoyens belges veulent acheter en France et que le notaire s’assure que tout fonctionne entre le système du pays d’origine et le système français. On a vraiment cette architecture de raisonnement à mettre en place lorsqu’on traite des éléments d’extranéité pour éviter que les gens se retrouvent dans des situations juridiquement bancales.
LPA
Que souhaitez-vous apporter aux participants de ce Congrès ?
M. C.
J’espère que les notaires présents, qu’ils soient Français ou étrangers, s’apercevront que ce Congrès est fait pour eux et qu’ils prendront massivement la parole lors des débats afin de partager nos expériences respectives et démontrer que le notariat est une vraie science juridique capable de rayonner. Je tiens d’ailleurs à souligner que le rapport a été traduit en anglais et que les débats le seront en anglais, allemand et espagnol. Le but est de favoriser un véritable dialogue avec les notariats du monde entier.