Paris (75)

Margaux Durand-Poincloux : « C’est notre rôle d’être en défense »

Publié le 11/10/2021

Depuis que s’est ouvert le procès des attentats du 13 novembre 2015, les jeunes avocats du barreau de Paris sont nombreux sur les bancs de la défense. Ancienne secrétaire de la Conférence du stage, Margaux Durand-Poincloux, 33 ans, est l’une d’entre eux. Elle revient sur son engagement aux côtés d’« un des hommes les plus détesté de France ».

Actu-juridique : Que représente ce procès pour vous ?

Margaux Durand-Poincloux : C’est l’exemple même de la défense difficile. Nous sommes avec des accusés qui revêtent l’habit de l’ennemi public et sont détestés par la France entière. Ils comparaissent pour des faits hautement symboliques, pour une attaque portée à toute la nation. Défendre des gens conspués par la totalité des observateurs, que plus personne ne veut défendre, c’est l’ultime défense. C’est à la fois excitant et très lourd intellectuellement et philosophiquement. Comme le disait si justement Jean-Denis Bredin, il est commode de défendre des gens qui sont facilement défendables, auxquels on peut trouver toutes sortes d’excuses. Mais est-ce vraiment à cela qu’on reconnaît un avocat ? Défendre des accusés dans le procès des attentats du 13 novembre, c’est un mur auquel on va se mesurer en tant qu’avocat. C’est forcément un défi.

AJ : Comment vous y préparez-vous ?

M. D.-P. : Ce procès durera 132 journées d’audience. Aucun avocat ne pourra être là chaque jour. Il faut être bien entouré. Mes collaborateurs et moi-même nous nous relayerons à l’audience. Ce procès est tellement long que j’ai tendance à le voir par séquences. Nous avons préparé ainsi les témoignages de présentation de la procédure, qui ont eu lieu en septembre, comme s’il s’agissait d’un procès en soi. Depuis le 28 septembre, avec l’audition des victimes, c’est une autre audience, une autre ambiance, un autre objet. Cette étape durera jusqu’à la fin octobre. Le mois de novembre sera consacré à la personnalité, puis l’engagement religieux des accusés. Les phases vont ainsi se succéder. Les plaidoiries auront lieu seulement au mois de mai. Rien que cela, c’est dingue. On aura eu le temps de changer dix fois d’état d’esprit d’ici-là, d’autant plus que les débats vont sûrement être pleins de suppositions et de rebondissements. il y a tellement de témoignages, de parties civiles, que cela ne peut pas être autrement.

AJ : Pouvez-vous nous parler de l’homme que vous défendez ?

M. D.-P. : Mon client est qualifié, comme deux autres personnes, de logisticien. Ce petit groupe a été logé en Belgique et est accusé d’avoir été impliqué dans le soutien et la préparation des attentats du 13 novembre. J’ai été désignée tardivement, en mai 2021. Je ne suis donc pas intervenue lors de l’instruction et je ne ferai que la phase d’audience. Je pense que j’ai échappé au plus difficile. Certains de mes confrères, qui portent leur client depuis plus de cinq ans, ont dû faire face à des conditions de détention dures, une très longue période de détention provisoire, des périodes d’isolement très longues également. Cela n’existe pas d’habitude d’avoir des clients à l’isolement pendant 5 ans. Cette période de latence a dû être très difficile. Pendant les trois dernières années de l’instruction, tout était fait et la tâche des avocats était essentiellement de porter leurs clients pour qu’ils ne sombrent pas dans le mutisme. Quand on passe autant de temps sans parler à personne, c’est un risque. Au moins à l’audience, on est dans le dur, on peut s’expliquer.

AJ : Pensez-vous que les accusés vont s’exprimer ?

M. D.-P. : L’avocat ne peut pas tout ! Quelqu’un qui ne veut pas s’exprimer ne le fera pas. J’ai l’opportunité de défendre quelqu’un qui souhaite s’exprimer, qui répondra aux questions et a d’ailleurs déjà dit des choses pendant l’instruction. Dans ce cas, un dialogue se crée, et même si toutes les réponses ne conviennent pas, – ce qui est le cas dans tous les procès, qu’il s’agisse de terrorisme ou de droit commun – l’audience a une utilité. Les parties civiles entendront quelque chose, et c’est une attente de nombre d’entre eux. La cour également. Dans ce dossier, on s’attend à avoir un niveau de radicalisation et de rejet de l’autorité de la justice française qui soit similaire pour tous les mis en cause. Mais chacun de ces accusés est différent. On ne les a pas encore tous entendu s’exprimer mais il est apparaît déjà que certains ne seront pas dans la même situation, qu’ils n’auront pas eu le même parcours. Depuis les faits, certains ont pris du recul, ont fait un chemin intellectuel, religieux, d’autres non. Cela ressortira dans les débats.

AJ : Vous êtes déjà intervenue en défense dans le procès des attentats contre Charlie Hebdo. Quels souvenirs en gardez-vous ?

M. D.-P. : Pendant l’audience, on avait essuyé les plâtres. C’était le premier gros procès d’attentat en France, il y avait eu des problèmes d’organisation, concernant les salles de retransmission par exemple. Toutes les semaines, il y avait au moins un problème technique. La Covid battait son plein provoquant des suspensions d’audience nombreuses. Cela s’était ajouté à la dureté des débats, à la pression liée au fait que les survivants de Charlie soient dans la salle. Le procès terminé, on oublie tout cela. Reste la décision de la cour : les peines prononcées et la motivation. Celles-ci ont été assez juste et mesurées, en tout cas en ce qui concerne mon client. Avec le recul, je trouve donc que c’est un procès qui s’est bien déroulé.

AJ : Quel était alors le profil de votre client ?

M. D.-P. : Je défendais un délinquant de droit commun, pas radicalisé, même pas religieux ou pratiquant, qui avait un casier très chargé dans les stupéfiants. Il était accusé d’avoir recherché des armes pour les frères Kouachi. Nous pensions que ce n’était pas le cas. Il a finalement été acquitté de tous les chefs terroristes parce qu’aucun élément dans le dossier permettait de démontrer sa participation. La cour a rendu une décision d’autant plus courageuse que mon client était le seul dans le box dont on disait que c’était un complice des Kouachi. L’enquête avait échoué, aucun complice n’avait pu être identifié. La cour a été capable d’acquitter le seul qu’ils avaient sous la main parce que ça ne collait pas. Elle s’est basée sur des éléments matériels et ne s’est laissée impressionner ni par l’opinion publique, que l’on l’entend à nouveau dans les médias depuis quelques semaines, ni par les raccourcis que lui demandaient de faire le parquet et certains avocats des parties civiles. Les magistrats ont fait un travail très rigoureux de démonstration juridique. Nos règles de droit ont été appliquées. C’est l’essentiel dans ce type d’affaires.

AJ : Que ce soit au procès des attentats contre Charlie ou dans celui des attentats du 15 novembre, on voit beaucoup de jeunes avocats sur les bancs de la défense… Y a-t-il une raison à cela ?

M. D.-P. : Les secrétaires de la Conférence ont pour mission de s’occuper de toutes les commissions d’office en matière de terrorisme. Pour les promotions élues entre 2014 et 2019, cela a constitué une tâche importante. De 2014 à 2017, il s’agissait surtout de faits liés à la préparation d’attentats déjoués. Ensuite, nous avons eu un peu plus de revenants, du fait des défaites de Daech sur zone. Il y a dès lors eu moins de départs et plus de retours. Ces promotions là se sont en effet un peu spécialisées sur ces sujets. À la même période, les effectifs de magistrats au service de l’instruction anti-terroriste ont plus que doublé.

AJ : Votre génération, en première ligne dans la défense des terroristes, est également celle qui a été prise pour cible. Est-ce que cela rend l’exercice de la défense plus difficile ?

M. D.-P. : Je fais partie, effectivement, de la génération qui a été particulièrement meurtrie par les attentats des terrasses et du Bataclan. En novembre 2015, je sortais de l’école des avocats. Comme d’autres confrères aujourd’hui sur les bancs de la défense, j’ai perdu des proches dans ces attaques. Comment a-t-on pu pleurer le 14 novembre 2015 et aujourd’hui se lever pour défendre des accusés ? Pour moi ce n’est pas du tout contradictoire, cela me semble au contraire très cohérent. C’est particulièrement important pour moi de défendre cet accusé singulier dans ce procès particulier. Le but de ces actes terroristes est de nous faire changer : durcir nos lois, changer notre façon de vivre, abaisser nos standards démocratiques. Ayant cela en tête, j’estime que le mieux que je puisse faire en tant qu’avocat est de défendre ces accusés. Mon client doit bénéficier d’une défense parfaitement démocratique, ses droits doivent être respectés, la procédure doit être appliquée de la manière la plus rigoureuse possible. C’est essentiel que la justice passe et que nos principes survivent.

AJ : N’est-ce pas impressionnant, pour un avocat encore jeune, de se retrouver dans un tel procès ?

M. D.-P. : Les confrères qui sont au front dans ce procès interviennent sur beaucoup de dossiers difficiles en matière de terrorisme et de criminalité organisée. Nous nous croisons à la seizième chambre. Cela ne m’étonne pas de les retrouver sur les bancs de la défense. Passées les premières années où on manque peut-être encore un peu de réflexes, les avocats, même jeunes, sont vite opérationnels et peuvent à mon avis intervenir sur tout type de procédure. Par ailleurs, quand on est très installé, on a une image à gérer. Cela peut alors être coûteux de défendre un homme incarnant l’ennemi public. Ce n’est peut être pas un hasard, si, à l’exception de Christian Saint-Palais ou Delphine Boesel, ce sont des jeunes avocats qui sont en défense dans ce procès.

AJ : Et pour une jeune femme, n’est-ce pas encore plus difficile de défendre un homme radicalisé ?

M. D.-P. : Il m’est arrivé dans certains dossiers de terrorisme d’être commise d’office et que les mis en cause demandent à changer d’avocat pour avoir un homme. Cette fois-ci, mon client m’a désignée en sachant qui j’étais. Il n’aurait peut-être pas désigné une femme s’il était encore complètement radicalisé. Ou alors, ils sont moins manichéens que l’image qu’on s’en fait. En tout cas, je ne change en rien ma façon d’être ou de m’habiller pour un client. L’équipe de défense, dans ce procès, est très féminine en plus d’être jeune. C’était déjà le cas pour Charlie où beaucoup d’interventions de consœurs avaient été remarquées. Cela permet de faire une belle vitrine à cette nouvelle génération de femmes. J’y vois pour elles l’occasion de prouver qu’elles sont solides avec des dossiers particulièrement difficiles.

AJ : Votre défense sera-t-elle différente dans ce procès ?

M. D.-P. : Je ne sais pas. Dans beaucoup d’affaires, au pénal, vous ne voulez surtout pas avoir l’air de justifier les faits dont votre client est accusé. C’est déjà le cas quand vous défendez un homme qui a giflé sa femme. Dans ce procès, la logique est la même, elle est seulement amplifiée. S’extraire des faits et essayer de trouver d’autres choses dans nos clients est la base de notre métier, nous avons l’habitude. Il y a pour cela une façon de faire primaire. Nous défendons nos clients, pas leurs idées. En ce qui concerne mon client, il a été radicalisé, je ne plaiderai pas autre chose car il n’y a même pas de débat sur ce point. Mais l’adhésion à des idées est une chose, la participation à un attentat en est une autre. D’un point de vue émotionnel, on s’attend à des moments difficiles pendant l’audience, quand seront projetées les images de video-surveillance des tueries. On va tout revoir pendant des heures, voir les victimes crier, sauter des fenêtres du Bataclan. Cela sera évidemment une épreuve d’être sur les bancs de la défense. Mais c’est notre rôle.

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