« Nous voulons débattre du droit pénal »

Publié le 25/03/2019

C’est un jeune homme ambitieux, fasciné par le droit pénal, qui rêve devant la carrière d’Éric Dupond-Moretti ou de Jacques Vergès. Alexis Murça est étudiant en master à la faculté de droit de Nanterre. Au printemps dernier, avec quatre camarades de promotion, il a fondé l’Association pénaliste, qui a pour objectif de réfléchir sur le droit pénal, et surtout de formuler des idées pour le faire évoluer et le rapprocher des attentes du citoyen. Pour les Petites Affiches, il a accepté de faire un premier bilan de l’activité de l’association.

Les Petites Affiches

Comment est née l’association ?

Alexis Murça

L’association est née en mai 2018, d’un constat que nous avons fait lorsque, l’année dernière, une fillette de onze ans a porté plainte pour un viol commis par une personne de plus de 18 ans. La défense de cette personne était de dire que la victime était consentante, et la justice avait entériné cela. L’opinion publique avait été extrêmement choquée par ce jugement. Nous avons alors pu entendre des professeurs de notre faculté, des professionnels du droit, des personnes de la société hors juridique, s’indigner et déplorer qu’il n’y ait pas, en France, d’âge minimum pour consentir à une relation sexuelle comme cela existe en Espagne. Je me suis dit qu’il fallait créer une association qui aurait pour objectif, d’un côté, de promouvoir le droit pénal, et de l’autre, de pousser au débat, de proposer des améliorations de la législation. Nous avons actuellement un pouvoir qui fait des lois, des professionnels qui ne se sentent pas écoutés, et enfin une société civile qui considère que la justice n’existe plus. Nous voulions proposer que chacun, d’où qu’il vienne, puisse se réunir au sein de notre association et travailler de concert pour faire en sorte que le droit pénal réponde mieux aux demandes de tous.

LPA

Comment fonctionne l’association ?

A. M.

C’est une association qui a été créée par des étudiants mais pas uniquement pour les étudiants. Il n’y a aucune restriction. Que vous soyez membres ou non membres, vous pouvez venir aux événements. Nous cherchons juste que les gens qui nous rejoignent et participent à nos événements soient réellement animés d’une envie de débattre. L’association est ouverte à tous : avocats, étudiants, professeurs d’université, journalistes, personnes extérieures au droit. On propose à n’importe qui de rentrer, contrairement aux autres associations de pénalistes. Les membres peuvent proposer les sujets sur lesquels on va travailler.

LPA

Que proposez-vous ?  

A. M.

Nous organisons tout d’abord des conférences. La première, en novembre dernier, portait sur le thème : « défendre l’indéfendable », car nous nous sommes rendu compte que la question de savoir comment fait un avocat pour défendre, par exemple, un violeur multirécidiviste revenait sans cesse. Nous avons donc souhaité que les avocats puissent y répondre. Nous entrons maintenant, jusqu’au mois d’avril, dans une période qui va être assez chargée. Nous allons organiser de nouvelles conférences, un peu plus axées sur les modifications que l’on pourrait envisager. Nous allons également proposer des dossiers, écrire des rapports sur certains thèmes.

Un autre projet, moins avancé, serait de faire des web séries gratuites que l’on mettrait sur Facebook. Il s’agirait d’entretiens de 3 minutes, sur le modèle de ce que fait Brut, dans lesquels on donnerait à comprendre comment le droit réagit, en théorie et en pratique, devant telle ou telle infraction, et quelles sont les possibles modifications à apporter pour que les choses fonctionnent mieux. Enfin, un membre a proposé l’idée de faire des fiches avec le BA-BA de la matière juridique, que l’on enverrait à toutes les personnes qui s’inscrivent pour que les gens puissent venir débattre avec des connaissances. On voudrait également aller dans des lycées donner des cours de droit et d’éloquence, faire des procès simulés, pour permettre aux étudiants d’avoir des connaissances et une aisance à l’oral qui faciliterait leur entrée dans le monde juridique.

LPA

Le débat est donc au cœur de l’association ?

A. M.

En interne, ce sont en effet les questions sur les possibles évolutions législatives qui nous intéressent le plus. Je ne dis pas que la loi est mal faite, je dis qu’elle ne répond pas à la demande de ceux qui ont élu les représentants. On le voit à travers les grèves d’avocats, qui manifestent régulièrement contre les projets de réforme de la justice. Nous, étudiants, le voyons aussi en cours. Souvent, nos professeurs laissent entendre qu’il y a des lacunes au niveau de l’articulation du droit. Enfin, on constate très bien au niveau de la société que les gens qui suivent les procès médiatisés ne comprennent pas les décisions rendues. Il faut remédier à cela. L’association n’est pas politisée, nous ne sommes pas tous d’accord sur le contenu des modifications à apporter à la loi…

LPA

Sur quels thèmes allez-vous produire des rapports ?

A. M.

Ces rapports ne seront pas exhaustifs, ils compteront une dizaine de pages et seront relus par un chargé de TD ou un professionnel du droit. Le premier portera sur le harcèlement scolaire. Nous allons travailler pour cela en partenariat avec une association créée par une maman qui a perdu sa fille suite à des faits de harcèlement. Elle apporte sa connaissance du terrain, de l’infraction vue par la victime, dénonce ce qu’elle considère comme incorrect dans le droit français. Nous apportons nos outils juridiques pour réfléchir à comment changer tout cela.  Pour vous donner un exemple concret, on envisage de proposer que les professeurs soient responsabilisés pénalement, quand ils n’ont rien fait alors qu’ils étaient témoins de fait de harcèlement, qu’ils n’en ont pas parlé aux parents et ont essayé de régler ça en interne.

LPA

Quels sont les autres sujets sur lesquels vous allez travailler ?

A. M.

À partir du mois de mars, nous allons travailler sur un second rapport qui portera sur les violences faites aux femmes, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Un membre souhaitait travailler sur les violences policières, il va donc s’y consacrer. Le dernier thème portera sur la criminalité économique transnationale.

LPA

Quel est votre parcours ?

A. M.

Je suis maintenant en master 1 droit pénal et sciences criminelles, et j’espère devenir avocat spécialisé en droit pénal des affaires. Nous sommes tous, au sein du bureau de l’association, en master 1 dans différentes spécialités. Nous gérons cette activité associative en plus d’une année étudiante très chargée. Nous avons tous auparavant suivi une bi-licence droit espagnol et droit français. Nous avons donc une approche comparatiste. Nous avons eu des professeurs qui sont issus du droit espagnol, avec une approche différente du monde juridique. Nous avions, dans nos cours, beaucoup de débats, et avons pris l’habitude de voir ce qui se passe du côté du droit espagnol ou du droit latino-américain.

LPA

Pourquoi cette passion pour le pénal ?

A. M.

Je vais être honnête. En entrant à la fac, je voulais être riche, rouler en Aston Martin à 35 ans ! Je pensais m’orienter en droit des affaires. En deuxième année, j’ai eu la chance de découvrir le droit pénal auprès d’une chargée de TD qui avait accepté de me prendre en stage dans son cabinet. Cette avocate m’avait confié un dossier concernant le viol d’une petite fille de 4 ans. Cela aurait pu me dégoûter, mais m’a au contraire passionné. Cette expérience m’a retourné le cerveau, je n’arrivais pas à penser à autre chose. J’ai développé une véritable addiction et je ne me vois pas aujourd’hui faire autre chose. J’aurais du mal à expliquer pourquoi. J’adore parler en public, l’ambiance presque violente qui peut régner dans les prétoires, la théâtralité de l’affaire, le combat entre le procureur et l’avocat, cette boule au ventre qu’on a avant le procès. On analyse à la fois le droit et la nature humaine. Je trouve ça bien plus stimulant que de passer sa vie à s’interroger pour savoir si l’électricité est, ou non, un bien commun ! Je pense m’orienter en pénal des affaires, qui me permettrait de conjuguer ma passion pour le pénal et mon intérêt pour les affaires.

LPA

Est-ce que le pénal attire beaucoup d’étudiants à Nanterre ?

A. M.

La matière des affaires est la plus attractive. Le pénal attire également, pas uniquement ceux qui veulent devenir avocat. Il y a, au sein du master 1, des étudiants qui veulent devenir procureur ou magistrat, commissaire de police, travailler pour la sécurité intérieure. Tout le monde a une curiosité morbide pour cette matière un peu lugubre. De là à en faire sa profession,peu sautent le pas. Beaucoup disent ne pas être prêts à défendre un violeur. La profession d’avocat pénaliste reste associée à l’image sulfureuse de l’avocat du diable.

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