Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (8)

Publié le 16/02/2022

Contre toute attente, Salah Abdeslam accepte de parler au procès des attentats du 13 novembre, alors qu’il s’est longtemps tu.  Il a même consenti à rencontrer des psychiatres en novembre dernier. Me Julia Courvoisier, qui défend un jeune couple ayant survécu à l’attentat du Bataclan, nous livre son regard d’avocate sur les déclarations de l’accusé. Et si au fond Salah Abdeslam était un homme ordinaire ? 

Procès des attentats du 13 novembre : Journal d'une avocate (8)
Entrée du palais de justice de Paris rue de Harlay (Photo : ©O.Dufour)

 

Il parle.

Après avoir gardé le silence le plus absolu depuis son arrestation en Belgique, le 18 mars 2016, jusqu’au 8 septembre 2021, date de l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre 2015.

Silence absolu devant les juges d’instruction français. Mais aussi devant les juges belges.

Refus de comparaitre à son procès belge en avril 2018 à la suite duquel il a été condamné à 20 ans de prison pour les faits relatifs à son interpellation.

Refus de rencontrer les experts français.

Refus d’être défendu par son premier avocat français, Maître Frank Berton, lequel a d’ailleurs jeté l’éponge pour cette raison-là.

Un silence total, complet.

Je dirai même plus : le silence de la mort.

Que pouvait-il dire après avoir commis l’indicible ? Regretter ? Assumer ? Pleurer ? Demander pardon ? Qu’attendions-nous, nous les parties civiles, de cet accusé-là ?

Les multiples raisons du silence

L’attente des victimes dans un procès pénal est individuelle : certaines souhaitent des excuses, d’autres des explications. D’autres encore, rien. A titre personnel, je crois qu’il ne faut jamais rien attendre de la parole d’un accusé. Si quelque chose sort du procès pénal, tant mieux. Si rien n’en sort, il faut ainsi continuer sa route.

Le chemin du deuil ne peut pas être conditionné à la parole de celui qui a brisé votre vie.

Le chemin de la reconstruction est individuel et c’est un chemin intérieur.

Le silence d’un accusé est un droit. C’est un droit reconnu par notre Constitution.

Ce silence n’a ni besoin d’être justifié, ni besoin d’être expliqué.

Il est un refuge pour certains. Une façon de protester pour d’autres. Le silence peut aussi être la manifestation d’un désespoir. Ou encore une volonté de ne rien lâcher, de ne rien donner. Une opposition à un système, à des juges, à des principes.

Toutes les théories ont été élaborées concernant le silence de Salah Abdeslam.

« Il n’assume pas ! »

« C’est un monstre qui n’a que faire de notre justice démocratique ! »

« Il se fiche de nous et ne nous respecte pas ».

« Il a peur d’éventuelles représailles s’il parle ».

Le silence d’un accusé reste toujours une injustice de plus pour les parties civiles.

C’est difficile de comprendre et d’accepter le silence face à la douleur.

Le 8 septembre 2021 à l’ouverture du procès, après avoir choisi ses deux avocats, il s’est présenté comme un soldat de l’état islamique. Le décor était posé.

Je me souviens à quel point la salle d’audience a retenu son souffle pour savoir s’il allait, oui ou non, s’exprimer.

Etait-il fou ou sanguinaire ?

Qu’allions-nous penser de lui ? Qui allions-nous avoir en face de nous ? Qui serait-il après toutes ces années d’isolement carcéral ? Avait-il perdu la tête comme nous aurions pu le penser durant un temps ? Était-il fou ? Était-il un sanguinaire assoiffé de haine ? Allait-il parler aux mécréants chargés de leur juger ?

Qui est Salah Abdeslam ?

Quelques semaines plus tard, il a accepté d’évoquer sa personnalité : son histoire, sa famille, son parcours de vie, sa scolarité. Mais aussi ses condamnations judiciaires et ses fréquentations.

Je ne peux m’empêcher de me dire que ses deux avocats y sont pour quelque chose.

Je ne peux m’empêcher de croire que ses avocats ont réussi là où les autres ont échoué. Trouver un lien pour lui parler, pour échanger. Trouver ce qui, au fond, fait de lui un homme qui doit répondre de ses actes et qui sera jugé et condamné. Le rôle de l’avocat c’est aussi cela.

Et il est évident que cela change le cours de ce procès pénal hors du commun.

Le 12 novembre dernier, Salah Abdeslam a accepté de rencontrer deux experts psychiatres chargés de savoir s’il était responsable et s’il comprenait les raisons de sa comparution devant la cour d’assises de Paris.

Il n’a accepté qu’un seul entretien qui a duré plus de 2 heures.

« Des clones, des perroquets »

Mais il a parlé.

Et il a parlé, notamment, d’humanité. Hésitant parfois à s’exprimer de peur qu’il soit « déshumanisé » par les experts.

Salah Abdeslam est finalement d’une banalité affligeante. Un terroriste comme les autres en somme, avec les mêmes mots, les mêmes explications. Un homme qui ne se pose aucune question et qui considère les théories terroristes comme des vérités absolues ne pouvant être contredites. Les experts ont indiqué dans leur rapport avoir « l’impression d’être face à des clones, à des perroquets, qui récitent les mêmes légitimations litaniques ». Ancré dans un fanatisme religieux dont il ne veut pas sortir. Ce fanatisme qui, à l’aide de ces hommes sans intérêt, tue des innocents. Ce fanatisme aussi qui le tient en vie, car s’il en sortait, estiment les experts, il courrait le risque d’un « effondrement dépressif ».

Un homme banal qui, un jour, a fait le choix de sortir de notre humanité pour commettre des actes criminels odieux. Qu’il ne regrette pas une seule seconde.

Il encourt pourtant la réclusion criminelle à perpétuité.

Il ne faut ainsi rien attendre de lui.

Il était en guerre. Il a agi, comme tout soldat l’aurait fait. Et pour apaiser sa conscience, il dit n’avoir tué personne (il n’a pas tiré et n’a pas déclenché sa ceinture explosive). C’est ce qu’il a répété, la semaine dernière, durant sa première audition sur le fond.

Il était finalement un homme ordinaire.

Il est devenu un terroriste.

Un « perroquet » de l’état islamique sans aucune réflexion de fond, aucune remise en question.

Et il l’assume. Il souhaite être jugé pour ce qu’il a fait et ce qu’il est. Et c’est ce que la cour d’assises de Paris fera sans aucun doute.

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