Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (9)

Publié le 18/03/2022

Lors de son audition cette semaine, le principal accusé Salah Abdeslam a semé le trouble à l’audience par ses multiples provocations. Me Julia Courvoisier, qui défend un jeune couple ayant survécu à l’attentat du Bataclan, estime qu’il faut sans doute se faire à l’idée que c’est un fanatique et qu’il ne révélera rien d’utile aux débats. 

Procès des attentats du 13 novembre : Journal d'une avocate (9)
Entrée du palais de justice de Paris rue de Harlay (Photo : ©O.Dufour)

Dans une audience pénale, chacun a son rôle.

Le ministère public représente les intérêts de la société.

Les parties civiles ceux des victimes.

La défense ceux des accusés.

Chacun prend ainsi la parole pour porter la voix de celui qu’il représente. On ne le dirait pas comme cela, mais ces audiences sont en réalité assez codifiées et on n’y fait pas ce que l’on veut. On ne pose pas n’importe quelle question de n’importe quelle façon.

Cette organisation permet de donner la parole à tous, mais aussi de préserver les droits de chacun.

Quant aux magistrats de la cour d’assises, ils se doivent d’être impartiaux puisque leur rôle consiste à déterminer les preuves qui permettent de condamner, ou pas, les accusés. Ils ne doivent laisser transparaitre aucun sentiment envers l’une ou l’autre de ces parties.

La justice est représentée par une balance : être à sa place permet un équilibre.

Le juste équilibre, en principe…

Approximations, mensonges et propos déplacés

Cela fait maintenant 6 mois que le procès des attentats du 13 novembre 2015 se tient plusieurs jours par semaine à la cour d’assises de Paris. Toujours le même rituel des barrières de sécurité, du petit bonjour au chien renifleur, du badge, du sourire aux gendarmes qui font la sécurité. On montre patte blanche pour pénétrer dans cette immense salle d’audience construite spécialement pour l’occasion. On s’y fait.

Ces dernières semaines, le public avait un peu déserté et j’ai lu dans la presse une certaine lassitude, voire une difficulté pour les parties civiles à suivre cette audience.

Je crois que nous avons été nombreux à traverser ce sombre tunnel… Le sentiment de ne rien apprendre de plus. Les enquêteurs belges, par exemple, qui auraient pu apporter des informations déterminantes pour la manifestation de la vérité et la compréhension de la préparation de ces attentats, ont finalement été assez décevants lors de leurs auditions des semaines passées.

Alors imaginez bien que, mardi dernier, à la perspective d’un nouvel interrogatoire de Salah Abdeslam, la salle s’est de nouveau remplie (malgré l’inconfort évident des banquettes sur lesquelles nous sommes assis !).

Dès le début de l’audience, la parole lui a été donnée par le Président.

L’interrogatoire portait sur les semaines précédant les attentats et notamment les 4 voyages que l’on suspecte Salah Abdeslam d’avoir réalisés (avec différents véhicules haut de gamme loués pour l’occasion) afin d’aller récupérer les terroristes.

Après 6 années de silence, il est subitement devenu intarissable mardi après-midi. Enchainant les approximations, les évidents mensonges, mais aussi et surtout les propos déplacés. Imposant surtout une sorte de débat discussion avec le Président Périès qui était contraint de le laisser faire jusqu’à un certain stade dans l’espoir d’obtenir des réponses…

Il sait que la salle est suspendue à ses lèvres

Salah Abdeslam s’est permis de qualifier le président de « susceptible ».

Il a répondu à plusieurs reprises « no comment » à des questions précises qui lui étaient posées.

Il a pris la salle à partie, a coupé le Président et est allé jusqu’à demander à une avocate de partie civile si elle avait « accouché » alors qu’elle n’avait pas encore posé sa question…

J’ai longtemps cru que Salah Abdeslam était un simple perroquet de l’état islamique comme l’ont dit les experts.

Je crois que nous avions tous oublié qu’il n’avait plus rien à perdre, sauf l’honneur qu’il croit encore avoir.

Alors il cherche, il pique, il est insolent.

Il sait malheureusement que la salle d’audience est suspendue à ses lèvres et que le mot de trop fera de lui la tête d’affiche de son petit manège. Les parties civiles attendent, alors qu’il n’a rien à nous donner.

Il pousse les magistrats à sortir de leur rôle au point qu’une assesseure lui a fait remarquer que « les parties civiles attendaient d’autres réponses ». Ce qu’elle n’aurait évidemment pas dû faire car elle alors sortie de l’impartialité que sa fonction lui impose. Sa remarque a déclenché, à juste titre, la colère des avocats de la défense qui ont décidé par la suite de quitter la salle, reprochant au Président de ne pas tenir son audience correctement.

Il pousse les avocats de parties civiles à râler, voire à se lever pour ne pas l’entendre nous accuser, nous, français, d’avoir «  brisé la vie d’innocents » ou bien déclarer qu’il refuse de parler à cause des «  des conditions de détention que nous lui avons imposées ».

Il provoque des applaudissements de réprobation dans la salle que le Président Périès ne fait pas cesser.

Un soldat fanatique

Ce que j’ai vu mardi à l’audience n’aurait jamais dû avoir lieu.

Et n’aurait très certainement pas eu lieu dans une autre affaire.

Ce n’était pas une audience digne de ce procès. Digne des 131 morts. Digne de toutes les parties civiles qui donnent beaucoup pour supporter les débats.

Salah Abdeslam est finalement un stratège qui a compris que nous voulions absolument qu’il parle et que nous serions disposés à le laisser faire au risque de faire basculer cette audience dans une sorte de cirque indécent comme ce fut le cas avant hier.

Salah Abdeslam est surtout un soldat fanatique de l’état islamique qui évoque Dieu en permanence, et qui n’a, au fond, aucune empathie pour les survivants des actes auxquels il a évidemment participé et pour lesquels il encourt la perpétuité réelle sans peine de sureté.

Il ne dira rien de plus que ce qu’il y a dans le dossier. Il ne donnera aucun nom. Et ne mettra personne en cause. Il ne nous apprendra rien.  C’est le sentiment profond que j’ai après 6 mois de débats, d’auditions, de témoignages, de questions.

Il faudra donc que nous fassions avec.

Dans le respect de l’équilibre du procès où chacun doit garder sa place et son rôle.

X