Procès des attentats du 13 novembre : Journal d’une avocate (4)

Publié le 27/10/2021

Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier, défend un jeune couple qui a survécu à la tuerie du Bataclan. Elle évoque cette semaine l’absence de haine de la part des victimes, malgré l’horreur de ce qu’elles ont subi.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris (Photo : ©AdobeStock/uniqueVision)

Déjà 4 semaines que les victimes se présentent devant la cour d’assises de Paris et font face aux 14 accusés. Ceux que l’on pense être responsables de la mort de leurs enfants, de leurs frères, de leurs soeurs, de leurs amis, de leurs proches.

Je dis « ceux que l’on pense être » car tant qu’ils ne sont pas jugés ils demeurent, aux yeux de la loi, présumés innocents. Et dieu sait à quel point beaucoup de victimes ont à coeur que nos principes de droit soient respectés. En ce sens, elle sont en opposition radicale avec cette barbarie qui nous a frappée le soir du 13 novembre 2015.

Plus j’assiste à ces témoignages, et plus j’ai de l’admiration pour ces victimes. Le courage qu’il faut pour se relever de cette épreuve de vie !

Survivre, puis vivre. Mais comment ?

Alors que la haine prend de l’ampleur dans notre quotidien, il faut réaliser à quel point il n’y en a pas dans les mots de ces victimes. Il est important de le dire : la haine n’est pas de ce côté-là de la salle d’audience.

Je me souviens encore de ces commentaires violents sur les avocats de la défense au début du procès. Des appels à la haine, des menaces de mort. Et puis cette éternelle question : comment peut-on défendre ces accusés là ? Ceux qui sont accusés d’horreurs que nous n’imaginions pas possibles dans notre pays ?

Une frappante absence totale de haine

Au delà des avocats qui sont de plus en plus souvent la cible de propos haineux et de commentaires violents en raison des clients qu’ils défendent, j’entends souvent appeler au rétablissement de la peine de mort « pour les terroristes ». Ce débat est même revenu sur nos plateaux de télévision récemment et je crains qu’il ne s’invite dans la campagne présidentielle dans les prochaines semaines.

Ces polémiques sont à 1000 lieues de ce qu’il se vit actuellement à la cour d’assises de Paris..

Il est fondamental de le souligner.

Alors que je rentrais de l’audience la semaine dernière, je racontais justement à mes associés que j’étais frappée, encore plus que dans mes autres dossiers, par l’absence totale de haine. C’est d’autant plus saisissant que les faits sont d’une gravité exceptionnelle.

Je vous dis cela car la semaine dernière, je défendais une victime de viol à la cour d’assises de Paris et qu’elle non plus n’avait aucune haine contre l’accusé. Ni besoin de vengeance. Et pourtant, elle aurait pu, légitimement, en avoir… Mais elle voulait juste que justice soit faite. Et cela a été le cas.

En réalité,  ces courageux témoins nous donnent, tous les jours, une leçon d’humanité. Une humanité que nous, les avocats, devons nécessairement avoir pour porter notre robe. On se nourrit finalement principalement des autres et des leçons qu’ils nous donnent. On ne nait pas avec cette humanité : je crois que ce sont les autres qui nous donnent la leur.

Je le dis souvent : sans mes clients, je ne serai rien. Je ne serai ni l’avocate, ni la femme que je suis aujourd’hui. Et que je serai demain.

L’humanité, c’est d’ailleurs une des obligations les plus essentielles de l’avocat puisque nous nous obligeons à exercer notre métier avec humanité.

Je pense ainsi à ce jeune homme, venu faire face à la cour d’assises et surtout aux accusés, juste pour leur dire qu’il n’était pas une victime. Et qu’il ne le serait jamais. Il acceptait d’avoir été victime d’un licenciement abusif de la part de son employeur, mais pas de ces actes terroristes.

Quand une victime remercie la défense

Ou encore, à cet autre jeune homme avec son beau costume bleu…

Il s’est avancé dans cette grande salle d’audience d’un pas ferme et décidé. C’est incroyable comme une force peut se dégager d’une façon de marcher.

Il a d’abord raconté comment il s’est retrouvé à fuir le Bataclan sous les tirs des terroristes le soir du 13 novembre 2015 alors qu’il était venu au concert avec des amis. Puis il a évoqué sa difficile reconstruction et  ce qu’il avait décidé de faire de sa vie depuis.

Il avait été avocat et avait prêté serment, un jour, d’exercer le même métier que le mien, avec « conscience, dignité, indépendance, probité et humanité ».

Maintenant il a changé de métier, mais il continue d’aider les autres. .

Après avoir remercié les magistrats de la cour d’assises, mais aussi les greffiers et les avocats des parties civiles pour le difficile travail qu’ils font tous les jours, il s’est retourné vers les avocats de la défense pour les remercier de faire honneur à leur robe et à ce serment qui nous est tous très cher.

Je crois que personne ne s’y attendait.

Il a rappelé à quel point il était important de les défendre tous et à quel point l’état de droit était primordial.

En 12 ans, je n’avais jamais assisté à une telle scène. Et je dois vous le dire, en écrivant ces mots, je suis encore très émue.

Il y a des héros tous les jours, mais ce jour là, et pour longtemps, ce jeune homme fera partie des miens. Et je l’espère, des vôtres.

 

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