Violences conjugales : « Il faut que je t’enlève la vie. J’ai bien réfléchi, je vais te tuer »

Publié le 04/11/2021

Majid a insulté, menacé et commis des violences contre Fatima, mais à l’audience, elle fait tout pour minimiser les faits et lui éviter la prison. Le parquet n’est cependant pas dupe…

Violences conjugales : « Il faut que je t’enlève la vie. J’ai bien réfléchi, je vais te tuer »
Photo : ©AdobeStock/JonhatanStutz

Un jour, Majid a écrit un sms à sa compagne : « Il faut que je t’enlève la vie. J’ai bien réfléchi, je vais te tuer. Je suis en train de me chauffer. »

Aux policiers qui l’ont plus tard interpellé, et qui l’ont confronté à ses menaces, il a répondu : « Diabolisez-moi si vous le voulez. » Puis, il a gardé le silence. L’expert psychiatre qui l’a examiné écrit dans son rapport : « Le mis en cause ne reconnaît que les violences verbales, il est peu culpabilisé. »

Mais le 5 septembre dernier devant le tribunal de Pontoise, après un mois de détention provisoire, cet homme râblé à la trentaine finissante a changé de discours : « J’ai très honte d’être dans une situation comme ça. Je reconnais tous les faits », répond-il au président qui lui demande où il en est.  Majid est prévenu de violences et de menaces de mort sur son ex-compagne, Fatima, trentenaire aux grands yeux qui suit l’audience au premier rang.

Majid la tire par les cheveux, la fait chuter et la traîne au sol, comme un sac à patates

Des menaces de mort, il en a proféré sous le coup de la colère, à l’écrit et à l’oral, dans maintes circonstances et à de nombreuses reprises. Les violences physiques, c’est plus vague. Une scène au moins est rapportée avec précision par la victime à une amie : Majid qui la tire par les cheveux, la fait chuter et la traîne au sol, comme un sac à patates, en lui hurlant dessus.

S’il reconnaît les faits dans leur dimension objective (la caractérisation juridique de l’infraction), Majid a fait de la relativisation son arme de défense. Il se pose en homme frustre : « Ma femme et moi, on vient du même milieu, on parle la rue, je sais que ça peut choquer », croyant peut-être tromper le président qu’il suppose bourgeois et ignorant du « parler de la rue ». « Le parler de la rue, c’est pas ça. Et puis c’est pas parlé, c’est écrit », rétorque un président prosaïque.

Majid parle d’un contexte tendu sur fond de séparations multiples et de garde d’enfant. Après sa sortie de prison en juillet 2020, il n’a pas réussi à trouver ses marques avec Fatima. Ils ne se sont pas installés ensemble et ont fini par se séparer, ce qui a attisé la malveillance du mis en cause. Le jour des faits qui sont jugés, il décide de se rendre au pied de l’immeuble de Fatima, à 1h30 du matin. Il attend qu’elle rentre, la voit sortir de la voiture et la hèle par derrière, avant de tenter de saisir son téléphone portable — ce faisant, il lui attrape fortement les avant-bras.  Le voisin qui a appelé la police a dit : « j’ai cru qu’il allait la tuer ». Les policiers qui ont entendu Fatima ont décrit une femme terrorisée et sous le choc.

Il ne faut pas prendre tout cela au sérieux

Ce jour devant les juges, Fatima est rassérénée, et explique tranquillement au tribunal qu’il ne faut pas prendre cela trop au sérieux.

« — Il y a un conflit entre lui et moi, on s’insulte souvent, c’est comme ça, mais il n’est pas violent.

— Madame, répond le président, vous comprenez qu’aujourd’hui Monsieur ne conteste plus vous avoir traîné par les cheveux. » Face aux policiers, il n’avait pas reconnu ces faits.

— Mais pour les menaces, on a vécu dans un milieu où ça se parle mal, on s’insulte et on se menace, mais rien n’est avéré. Un jour on s’aime, un jour on se déteste, mais on a un enfant ensemble. On l’a eu au parloir. Ce qui importe, c’est ni lui, ni moi, c’est sa fille. Elle ne mérite pas d’être traînée dans les parloirs pour voir son père », lâche Fatima d’une traite. Elle reprend son souffle, le président en profite pour la questionner.

« —Comment voyez-vous la suite ?

— Juste, élever cette fille. Elle ne connaît rien de son père, pour lui il est magique, c’est un héros. Peut-être qu’avant il n’avait pas conscience de ce comportement, mais après un mois de prison, je suis sûre qu’il a compris. »

Tous les ingrédients des violences conjugales

La procureure se lève à son tour, et lui oppose ses déclarations : « Vous avez écrit “t’es trop dangereux pour moi et nos enfants”, qu’en dites-vous ?

— J’ai été vicieuse de l’écrire, et plus maligne que lui dans le sens où mes violences sont uniquement verbales. Je n’ai pas laissé de traces. » Mais elle a conservé une sélection de messages envoyés par Majid.

Fatima, au centre du prétoire, affiche un air déterminé. Elle esquive les faits et s’accroche à l’espoir que Majid puisse un jour être un père pour sa fille.  « Un renversement de situation courant, hélas », rappelle la procureure au début de ses réquisitions. « On a à peu près tous les ingrédients des violences conjugales. Monsieur qui se rend au domicile de Madame, dans une situation où il aura clairement l’ascendant. La volonté d’imposer ses conditions, de faire peur. On observe également un travail de culpabilisation de la victime, disant devant les policiers que c’est elle qui se tire les cheveux et qui se traîne par terre. »

Elle regarde Fatima : « Une victime qui se rétracte, nuance son propos, inverse les responsabilités. Pourtant, aux policiers elle dit : “Il va me tuer, il va me tuer !” La procureure relève également « des soupçons de tromperie alors qu’ils sont séparés, ce qui manifeste une volonté de contrôle sur sa vie. » Et les menaces de mort : « C’est le parler de la rue ? “Je vais rendre tes enfants orphelins” : ce sont des mots écrits, des menaces de mort. Pas une question de caractère ». Contre Majid, 28 condamnations au casier, elle requiert 18 mois de prison, dont 8 mois assortis d’un sursis probatoire de deux ans (interdiction de rencontrer madame, de paraître dans le Val d’Oise, de détenir une arme, et obligation de travailler).

L’avocate en défense estime que son client, par son changement d’attitude à l’audience, a pris conscience des violences qu’il a commises. Celles-ci n’ont pas engendrées des blessures plus importantes que quelques marques sur les bras de Fatima par les policiers, ajoute-t-elle. Elle plaide à sa décharge un « langage qui dépasse largement notre pensée ». Son client, dit-elle, pourrait faire sa peine sous bracelet électronique. « Il a fait 15 ans de prison dans sa vie, toujours des sorties sèches », regrette-t-elle.

Le tribunal condamne Majid aux réquisitions, et le maintient en détention. Fatima se lève d’un bon et vient se coller au box ; ils discutent quelques secondes avant qu’il ne soit aspiré vers les geôles.

 

 

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