Violences conjugales : « Je lui ai donné des coups, mais c’était pour qu’elle reste loin de moi »

Publié le 16/07/2020

Aux comparutions immédiates du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis) le 15 juillet, deux parcours d’hommes violents. 

Les comparutions immédiates sont toujours surprenantes. Toujours.

On y va avec l’idée de parler des violences conjugales et on en ressort avec deux parcours d’hommes complexes et émouvants. Et le sentiment – rare – d’une justice humaine.

Jeudi après-midi, flottait déjà au tribunal de Bobigny un air de vacances : un parvis presque désert, une seule salle de comparutions immédiates ouvertes, un public disparate.

Ahmed H., 40 ans, entre dans le box des prévenus masqué, les cheveux rasés. Il porte un t-shirt blanc trop grand pour son petit corps maigre, baisse la tête. Le tribunal doit étudier sa demande de remise en liberté : il a été placé en détention le 30 juin à la suite d’une rupture de contrôle judiciaire pour violences sur sa conjointe. Son procès est audiencé le 6 août prochain.

« Leur petite fille, la dernière, est décédée »

« Monsieur était en couple depuis une quinzaine d’années avec madame, avec qui il avait six enfants, commence son avocat. Je dis ‘avait’ parce le couple a connu un accident tragique : leur petite fille, la dernière, est décédée. Les urgences n’ont pas pu se rendre à la crèche, ils ont du emmener la petite à l’hôpital, elle n’a pas survécu. Avant, tout allait bien dans le meilleur des mondes ; depuis, plus rien ne va. »

Son client aurait connu, poursuit l’avocat, un « choc carcéral » : « Être emprisonné pour la première fois à 40 ans, quand on est père de cinq enfants et chauffeur de bus RATP, ça n’est pas rien. Il est en dépression depuis ce deuil. Il est suivi par un psychiatre et va tous les samedis sur la tombe de sa fille. » Dans le box, Ahmed H. se mord les lèvres en pleurant. Ses parents et ses frères et sœurs le regardent depuis les bancs du public. « Madame elle-même dit qu’il est un bon père et que sa place n’est pas en prison. » En témoigne l’ordonnance de protection prise début juillet, versé au dossier par le conseil.

Le procureur : « Je vais être direct, je suis assez favorable à la demande de liberté de monsieur ». Dans le box, ce dernier s’écroule en pleurs. « Je considère que nous avons suffisamment de gages, l’audience est rapprochée, il doit pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. »

La dernière parole est au prévenu : « Je voudrais m’excuser pour tout ce qui s’est passé, aujourd’hui d’avoir été en prison ça m’a fait quelque chose, un choc dans ma tête, c’était très dur, je voudrais reprendre mon travail, prendre soin de mes enfants ».

Violences conjugales : « Je lui ai donné des coups, mais c'était pour qu'elle reste loin de moi »
Tribunal judiciaire de Bobigny (Photo : ©M. Barbier)

 

« Vous la prenez par les cheveux, frappez sa tête sur le sol, puis vous l’étranglez ».

Affaire suivante : la greffière apporte un gros dossier sur la table de loi tandis qu’Adrien L., 42 ans, grand noir en pull blanc moulant et bras croisés sur la poitrine, s’assoit dans le box. Poursuivi pour violences sur conjoint. La description des faits par la présidente du tribunal fait froid dans le dos : coups de pieds au visage, tête frappée au sol par les cheveux tirés. Le tout en état de récidive légale.

La présidente détaille le dossier : « madame » s’est présentée devant les forces de police le 10 juillet, elle explique que la veille, Adrien L. est venue chez elle. Ils ont été en couple mais « la relation s’est dégradée » et une ordonnance d’éloignement a été prononcée qu’elle (sic) ne respecte pas. Ils avaient consommé de l’alcool, une « violente dispute éclate, sur fond de jalousie ». « Vous vous emportez violemment, poursuit la magistrate. Vous la prenez par les cheveux, frappez sa tête sur le sol, puis vous l’étranglez. Elle se souvient qu’après les coups vous avez pris l’arbre à chat et lui avez lancé violemment au visage. »

Adrien L. est interpellé l’après-midi même. Il nie les faits. « Vous dites aux policiers, continue la magistrate, que vous êtes séparés depuis un an, que madame est bipolaire et alcoolique. Vous, vous avez arrêté il y a deux ans – « trois », corrige le prévenu. Depuis qu’elle a arrêté son traitement en mars, elle fait des tentatives de suicides quasiment tous les week-ends, se promène nue dans les rues, se mutile… Ce jour là, elle vous dit qu’elle va se tuer, lorsque vous arrivez elle est en crise et vous essayez de la maîtriser ». « Aucun geste de violence que j’ai fait était volontaire », tente le prévenu, qui détaille une « relation toxique » : « j’ai essayé de la maîtriser, elle m’a sauté dessus quand j’ai vidé sa bière dans l’évier. Quand elle est comme ça, c’est assez violent… Je lui ai donné des coups, mais c’était pour qu’elle reste loin de moi. C’est elle qui m’a lancé l’arbre à chat dessus ».

Lors de la confrontation, « madame » revient sur ses déclarations, désormais « tout est confus », elle reconnaît qu’elle était « en crise au moment des faits, qu’elle avait bu », elle souhaite retirer sa plainte ».

« — Pourquoi continuer à la voir si c’est une relation toxique ?, interroge la magistrate.

— Je l’aime tellement, j’ai du mal à la laisser seule. On cherche de l’aide, mais on trouve pas…

— C’est qui ‘on’ ?

— Elle et moi. Moi, j’ai eu de la chance de suivre cette cure, j’ai arrêté l’alcool et je bois plus une goutte, mais elle, elle a personne. Je pensais pouvoir l’aider… »

« C’est votre dernière chance Monsieur »

Pour le procureur, les « éléments objectifs » du dossier prouvent la violence : « Il faut qu’il comprenne qu’il est puni pour ce qu’il a fait, ce n’est pas à lui de la prendre en charge ». Le représentant du parquet réclame huit mois de prison, dont quatre avec sursis. Une peine « juste » pour l’avocat du prévenu. « Je sais combien il est difficile sur le plan pénal de trouver une issue à ces couples qui se déchirent et ne souhaitent pas se séparer, détaille l’avocat. Ces deux là n’arrivent pas à faire le deuil de cette relation, qui les ronge tous les deux. »

Le tribunal se retire pour délibérer. A son retour, il fait droit à la demande de remise en liberté de Ahmed H., avec « interdiction de se rendre au domicile de madame et de la contacter » : « Vous respectez monsieur, c’est pas compliqué sinon, ce sera pire pour vous, vraiment ».

Sur les bancs du public, la mère d’Ahmed H. s’éclaire d’un immense sourire et lève ses pouces en signe de victoire.

Adrien L. est lui condamné à huit mois de prison dont quatre avec sursis probatoire de deux ans. « Ecoutez-moi bien monsieur, si elle vous appelle vous raccrochez, c’est vous qui avez une interdiction, pas elle ». La peine de quatre mois de prison est aménagée avec bracelet électronique. « C’est votre dernière chance monsieur, si vous continuez ça n’est pas ce qui sera prononcé. » Et au prévenu qui se confond en remerciements : « Ça n’est pas un cadeau, croyez-moi ».