Paroles de prétoire : « Les baqueux, je vais les tuer »

Publié le 19/08/2020

Un homme de 49 ans comparaissaît le 30 juillet 2020 devant le tribunal correctionnel des Hauts-de-Seine pour menaces de mort sur des policiers et détention d’arme. A l’heure où le ministre de l’Intérieur dénonce la multiplication des refus d’obtempérer, et contrairement à une idée largement répandue, la justice n’est pas laxiste.

Paroles de prétoire : « Les baqueux, je vais les tuer » 
Tribunal de commerce de Nanterre (Photo : ©P. Anquetin)

« Cassez-vous de là, vous n’allez contrôler personne, vous êtes des baltringues, je vous baise, » aurait lancé Monsieur L., un costaud de 49 ans, aux policiers de la BAC de Montrouge quand ils ont tenté de contrôler l’un de ses amis le 26 juin 2020 à Châtillon.

La tête contre les murs

C’est la version des policiers, lue par la Présidente d’audience de la 16e chambre correctionnelle des Hauts-de-Seine. Il est 21 h 10 quand la brigade remarque un petit groupe au milieu duquel un homme dissimule quelque chose dans sa main. Ils s’approchent pour le contrôler, mais un autre homme, Monsieur L., s’interpose : « Vous nous contrôlerez pas, bouffons ! ». Puis il jette sa sacoche par terre en criant : « Toi, viens ! Pose ton insigne ! ».

Dans la sacoche, les policiers trouvent du cannabis. Ils embarquent Monsieur L. qui continue à les agonir d’injures. Sitôt arrivé au commissariat, il se jette tête première contre un mur en hurlant  « Enculé de ta mère ! ».  Enfermé en cellule menotté et coiffé d’un casque antichoc, il continue de vociférer : « Les baqueux, je vais les tuer. Eux, leur famille… Toi je vais te suivre, je suis un très bon tireur… »

« Je trouvais cette petite arme mignonne »

Quatre fonctionnaires de police portent plainte pour menaces de mort. L’homme est inscrit au centre de tir du 18e arrondissement à Paris. En perquisitionnant chez lui, la police découvre un petit arsenal : une arme de poing de petit calibre, des balles de 6 mm, un lance-pierre, une boite de billes en métal, une lunette de visée. Mais aussi une plaquette de cannabis, deux pots de confiture d’une mixture maison à base de cannabis. Un expert en balistique note que l’arme était à l’origine destinée à recevoir des balles à blanc, mais elle a été modifiée pour accueillir du 6 mm.

« — Reconnaissez-vous les menaces ? demande l’une des trois juges.

— Oui.

— Comment expliquez-vous ce déchaînement de violence ?

— On sortait tout juste du confinement, on était tous stressés. La personne que je défendais devait me faire travailler. Il m’a proposé de poser de la fibre pour Orange. Il était un maghrébin. Il y a du racisme dans la police. La police de Montrouge est pro Front national, c’est bien connu. Je les ai menacés, c’est vrai, mais j’arrive pas à me contrôler. J’ai toujours eu des problèmes à cause de cette psychologie un peu faible. Je suis malade des nerfs.

— Les armes, vous les avez trouvées où ?

—  En tant que technicien de fibre optique dans le 93 et le 95, quand on intervient dans les caves, on trouve tout un tas de trucs, du cannabis et des armes. J’ai trouvé cette petite arme, je la trouvais mignonne. Moi je les mets de côté pour que les petits du quartier tombent pas dessus. »

Les munitions qu’il a achetées ? Il les avait oubliées dans une boite à chaussure. La lunette de visée ? C’est pour regarder de chez lui. Le lance-pierre et les billes ? Un loisir. « Je tire pas sur les animaux hein ! Juste des petits moineaux. » Le cannabis ? « J’ai pas le temps de faire le dealer, moi. Je travaille. »

Douze mois requis

« Finalement rien n’est grave ! » ironise la juge. Elle résume son casier. Sur treize condamnations entre 1991 et 2019, six sont liées à des insultes à l’encontre de policiers. Le reste concerne des infractions à la législation sur les stupéfiants et sur les armes.

Il a quatre enfants de 12 à 18 ans, qui vivent chez leur mère. « Pendant les vacances, ils veulent venir avec moi. » Il est suivi par un psychiatre. Il souffre également d’une polyarthrite ankylosante.

« J’hésite, commence l’avocate des policiers. Monsieur souffre-t-il du syndrome de la Tourette ? Perd-il ses nerfs ? Il n’aime pas l’injustice car les policiers interviennent dans le quartier Vauban ? C’est Zorro. Dès qu’il voit le début d’un képi, il a ses nerfs… » Elle demande 500 € en réparation du préjudice moral pour chacun des quatre plaignants.

Et la procureure requiert 12 mois ferme.

« Il voit son dernier espoir d’insertion s’envoler »

L’avocate du prévenu  plaide le parcours chaotique de son client. « Il arrive de Turquie en France à l’âge de sept ans et il se retrouve scolarisé dans un pays où il ne connaît pas la langue. A treize ans, il tombe dans l’héroïne, puis dans le crack… En Turquie, il avait contracté une forme de méningite qui a laissé des séquelles sur ses nerfs. Il souffre aujourd’hui d’une polyarthrite ankylosante très douloureuse. Ses traitements lui collent des effets dans l’estomac. Du cannabis, il extrait les molécules narcoleptiques. Voilà pour son bagage physique et psychologique. »

Quand les policiers s’approchent pour contrôler le groupe, raconte l’avocate, son client voit son dernier espoir d’insertion s’envoler. Et au même moment, ses deux filles qui l’attendent chez lui… « C’est toute cette exaspération qui remonte. Aujourd’hui, les policiers ne sont pas là. On aurait pu leur demander s’ils ont pris les menaces au sérieux. » Elle propose des alternatives à la prison : sursis, bracelet électronique…

Le tribunal se range à l’analyse du parquet et condamne Monsieur L. à 10 mois ferme avec mandat de dépôt, interdiction de port d’arme pendant cinq ans. Il devra verser 500 € à chacun des policiers en réparation du préjudice moral.