Yvelines (78)

Violences conjugales : « Il y a un réel changement dans la prise en charge judiciaire des auteurs »

Publié le 01/03/2022

L’association socio-éducative des Yvelines (Assoedy) est une association socio-judiciaire, créée en 1973, implantée à Versailles et conventionnée par la cour d’appel de Versailles. À travers ses activités civiles et pénales, elle accomplit des missions confiées principalement par les tribunaux judiciaires de Versailles, Chartres et Nanterre. Elle collabore également avec d’autres juridictions franciliennes pour réaliser des missions sur le champ civil. Durant l’année 2021, l’Assoedy a constaté une augmentation importante de ses interventions, notamment au niveau pénal, sur des affaires de violences conjugales. Sur ce sujet, elle accompagne des personnes sous contrôle judiciaire en leur proposant notamment l’accès à un groupe de parole à visée thérapeutique. Elle organise aussi des stages de prévention et de sensibilisation. Odile Desquiret, directrice de l’association socio-éducative des Yvelines, revient sur cette année 2021 et détaille le principe de ces alternatives judiciaires concernant les violences conjugales.

Actu-Juridique : Quel bilan global faites-vous de vos missions dans les matières civile et pénale sur l’année 2021 ?

Odile Desquiret : Au titre de l’année 2021, 5 299 missions nous ont été confiées. D’abord sur le champ civil, nous sommes intervenus auprès de 1 802 familles. Ce travail nous est confié uniquement par des juges aux affaires familiales (JAF) pour réaliser des enquêtes sociales, des expertises et des auditions d’enfants. Elles concernent des personnes qui se séparent ou qui se sont séparées et qui sollicitent l’intervention du JAF pour revisiter leurs droits respectifs.

Concernant l’activité dans la matière pénale, nous avons accompagné 3 497 personnes pour des mesures de contrôle judiciaire socio-éducatives, d’enquête de personnalité, d’enquête sociale rapide et de sursis probatoire. Sur le champ pénal, nous réalisons également une activité importante consistant en la mise en œuvre de stages sur des thématiques diverses ; la sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, la citoyenneté, la responsabilisation des auteurs de violences conjugales, la responsabilité parentale et le rappel des valeurs républicaines. Au total, sur l’année 2021, nous avons accueilli 757 personnes dans le cadre de ces stages. Nous les développons principalement à Versailles mais également à Chartres sur les thématiques des stupéfiants, des violences conjugales et de la parentalité, ainsi qu’à Nanterre pour la parentalité et la citoyenneté.

AJ : Comment évoluent vos missions depuis ces dernières années ?

O.D. : L’année 2021 est en augmentation par rapport aux années 2019 et 2020. En 2020, nous étions dans le contexte particulier du Covid-19. Malgré les mois de confinement, nous sommes parvenus à maintenir notre activité. Quant à 2021, cette année a été très chargée en termes d’activité.

AJ : Comment expliquez-vous cette augmentation durant l’année 2021 ?

O.D. : Nous l’expliquons d’abord par l’augmentation des auditions d’enfants dans la matière civile. De plus en plus de juges aux affaires familiales ont recours à ces mesures. Alors que, précédemment, ils recevaient systématiquement les enfants qui demandaient à être auditionnés, ces procédures nous sont désormais de plus en plus déléguées. Il y a également des situations familiales qui nécessitent que les juges aux affaires familiales sollicitent plus d’expertises ou d’enquêtes sociales.

Puis, dans la matière pénale, nous connaissons une augmentation importante des orientations vers nos stages mais également des contrôles judiciaires notamment dans le cadre d’affaires de violences conjugales. Aujourd’hui, un auteur de violences conjugales présumé, convoqué devant le tribunal, est systématiquement accompagné dans le cadre d’un contrôle judiciaire, en attendant son jugement, ce qui était moins vrai il y a quelques années.

AJ : Comment votre association intervient-elle dans le cadre d’un contrôle judiciaire ?

O.D. : D’abord une précision : tous les jours, au tribunal, nous avons deux professionnels qui tiennent une permanence d’orientation pénale. Elles rencontrent les personnes qui sont déferrées, chaque jour, pour réaliser une enquête sur leur situation sociale. Cela permet d’aider à prendre la décision la plus adaptée possible à leur situation. Lorsque ces personnes sont convoquées devant le tribunal à une date ultérieure et placée sous contrôle judiciaire, elles nous sont confiées. Nous avons donc déjà un premier contact à partir de cette enquête sociale.

Ensuite, dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour violences conjugales, nous attribuons un professionnel de l’association à la personne concernée qui va être en charge de son accompagnement jusqu’au jugement. Un rendez-vous est fixé tous les quinze jours. Le premier travail est d’accompagner la personne quant au respect de ses obligations et de ses interdictions. Il s’agit également d’aider cette personne à se situer dans la chaîne pénale afin qu’elle comprenne les rouages du système judiciaire auquel elle est confrontée. Le second travail est de l’accompagner sur le pan de sa situation sociale globale et de l’inciter à un travail de réflexion et de responsabilisation au regard des faits qui lui sont reprochés.

Nous avons mis en place, il y a quelques années, un groupe de parole pour les auteurs de violences conjugales, auquel nous leur demandons de participer. Ce sont des séances collectives, le mercredi soir, tous les quinze jours, encadrées par une psychologue et une intervenante socio-judiciaire au sein desquelles les personnes sous contrôle judiciaire peuvent rencontrer leurs pairs. Ils peuvent y participer volontairement ou y être obligé afin de répondre à une obligation fixée dans le cadre de leur mesure judiciaire. L’idée est de responsabiliser la personne et de décortiquer sa situation afin de comprendre ce qui l’a conduit à commettre un acte de violence.

L’expression de la parole a également pour objectif de comprendre les dysfonctionnements psychologiques mais également de couple, ayant abouti à la commission des violences. Plusieurs thématiques sont abordées visant à aider ces personnes à comprendre et à s’exprimer.

Le soutien apporté à l’autre au sein du groupe leur permet d’être dans l’empathie les uns vis-à-vis des autres au travers de leurs histoires ; chacun y trouve un écho thérapeutique. C’est également le moyen de favoriser l’expression de l’anxiété ressentie face à la justice et d’analyser comment y faire face. Cette confrontation à la réalité permet ensuite de réfléchir à des orientations pouvant être données dans la suite de leur vie pour trouver un mieux-être ou un apaisement et, ainsi, éviter la réitération.

AJ : À travers le regard de votre association, comment évolue globalement la prise en charge des violences conjugales ?

O.D. : Il y a une réelle évolution dans la prise en charge des auteurs de violences conjugales puisqu’aujourd’hui, la réponse judiciaire est systématique. Au-delà de cette systématisation, on peut déceler le souhait de la justice de répondre avec une forme de gradation qui est la plus adaptée possible à la situation de chacun. Tous les auteurs de violences conjugales ne vont pas être convoqués devant le tribunal correctionnel pour être jugés. Certains vont pouvoir bénéficier d’une mesure alternative aux poursuites, notamment en participant à un stage. Pour les faits les plus graves, ils vont être convoqués devant le tribunal mais vont bénéficier d’un accompagnement dans le cadre du contrôle judiciaire. Ils peuvent même être éloignés du domicile, en étant hébergés dans des structures d’hébergement dédiées aux auteurs de violences conjugales.

Une des caractéristiques du département des Yvelines est de disposer d’un bon nombre de travailleurs sociaux en commissariat ou en gendarmerie, grâce aux financements publics. Notre territoire est également mobilisé quant à la formation des policiers et des gendarmes. Les actes de violences conjugales et la volonté de les prendre en charge ont généré une attention particulière des acteurs judiciaires et administratifs qui se mobilisent pour animer le réseau autour de cette thématique. Dans les Yvelines, nous sommes régulièrement tous mis en présence, nous nous connaissons et nous savons nous identifier.

AJ : Comment accompagnez-vous les auteurs de violences conjugales dans le cadre des stages de votre association ?

O.D. : Notre association intervient à 97 % en présentiel, avant le jugement. Mais, dans le cadre du sursis probatoire ou d’une peine complémentaire, les personnes peuvent avoir l’obligation de faire un stage. C’est une minorité. Nous accueillons surtout au sein du stage « auteur de violences conjugales » des personnes dans le cadre de mesures alternatives aux poursuites qui n’ont donc pas été convoquées au tribunal correctionnel pour répondre de leurs actes. Le plus souvent, ces personnes bénéficient d’une composition pénale, par laquelle il leur est demandé d’exécuter un stage.

Au sein de ce stage, l’auteur va exprimer sa perception des violences conjugales. Nous travaillons, avec lui, sur la définition des violences conjugales et sur ses conséquences pénales et sociales. Très souvent, dès lors qu’il n’y a pas eu un échange de coups, certaines personnes n’intègrent pas le fait comme une violence.

Nous travaillons à partir d’outils, dont notamment des vidéos mises à notre disposition par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF). Ces films permettent d’évoquer plusieurs sujets tels que l’emprise et ses conséquences sur l’enfant. Il y a, par exemple, ces vidéos – « Tom et Léna » ou « La tasse de thé » – à propos de la notion de consentement. Ensuite, nous abordons la question de la gestion des émotions ainsi que de la manière d’agir lorsqu’on se trouve débordé émotionnellement.

Enfin, dans le cadre de ces stages, nous sollicitons également les associations d’aide aux victimes pour faire des interventions. Ainsi, la parole des victimes peut être portée face aux auteurs de violences conjugales.

AJ : Comment réussissez-vous à évaluer l’impact de vos stages sur les personnes suivies ?

O.D. : D’abord, le premier critère est l’évaluation faite par les personnes, après leur stage. Ces évaluations individuelles de chacun sont très positives. Certains auteurs de violences auraient aimé effectuer ce stage avant, en termes de prévention. Pour les personnes venant de l’étranger, il y a une forme d’acculturation aux coutumes et aux lois françaises, qui ne sont pas forcément les mêmes que dans d’autres pays. Malheureusement, nous n’avons pas de statistiques sur la réitération des personnes. Nous pouvons nous faire une idée si nous recroisons des participants à un stage précédent, dans le cadre d’un contrôle judiciaire en récidive. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas ; nous ne retrouvons pas cette situation. C’est donc plutôt positif, sur ce critère.

AJ : Globalement, quels sont les objectifs de votre association ?

O.D. : Notre vocation est de concourir à une forme de justice humaine, à travers des peines individualisées pour chacun. Il ne faut pas prononcer des mesures de manière systématique, sans que celles-ci n’aient de sens pour les personnes. L’intervention de la justice doit être incarnée. Les décisions judiciaires doivent être comprises par les prévenus et faire sens pour eux et dans leur parcours de vie ; elles ne doivent donc pas se contenter d’être des sanctions pénales, sans éducation et sans prévention. C’est ce qui permet, à plus long terme, de mettre fin à des comportements inadaptés et illégaux.

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