Les auteurs de violences conjugales privés d’héritage et de solidarité familiale
Pour tenter d’endiguer les violences conjugales et mieux accompagner les victimes après le Grenelle contre les violences conjugales, la loi du 30 juillet 2020 innove en introduisant de nouveaux outils de lutte. Dans le volet civil de cette dernière réforme, outre les modifications visant l’ordonnance de protection et l’extension du retrait de l’autorité parentale, le législateur aborde la question de la jouissance du logement conjugal et, surtout, il introduit deux sanctions symboliques liées à l’indignité successorale et à la décharge de l’obligation alimentaire.
Dans une loi ciblée sur la protection des victimes de violences conjugales, le législateur liste de nouvelles parades visant tant les victimes directes que les enfants du couple, victimes collatérales. Complétant l’arsenal de lutte contre les violences, avec la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020, il précise certaines pistes, les rendant plus opérationnelles, en ajoute d’autres, modifiant en ce sens plusieurs codes1.
En droit civil, de nombreux apports sont à signaler tant pour les époux, concubins ou partenaires que pour leurs enfants, sachant que l’objectif du législateur est à la fois d’accompagner les victimes et de tenter de prévenir les violences. Deux aspects de la loi sont intéressants selon ce point de vue bien qu’ils ne protègent pas directement ou immédiatement les victimes. Les problématiques sont en effet envisagées d’une manière élargie dans ce nouveau texte pour tenter de prévenir les violences. Le fait pour le conjoint ou compagnon violent de mesurer pleinement la suite de ses agissements pourrait l’amener à réfléchir et, peut-être, à changer de comportement au sein de sa famille.
En effet, il encourt des sanctions pénales, point déjà développé au travers des précédentes réformes mais complété encore. Quant aux retombées en droit civil, il peut être privé de prérogatives à l’égard des enfants du couple, la question relative à l’autorité parentale ayant déjà été au cœur de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 et faisant l’objet de prolongements dans la nouvelle réforme. Le législateur affine aussi la protection du logement familial, attribuant sa jouissance à la victime dans le cadre de l’ordonnance de protection, sauf décision spécialement motivée tant pour les couples mariés que pour les couples non mariés (C. civ., art. 515-11, 3° et 4°), et complète le dispositif relatif à l’ordonnance de protection, notamment pour éviter des rencontres entre auteurs et victimes (C. civ., art. 515-11-1). Il réduit aussi à un mois le délai de préavis si le locataire victime de violences veut quitter les lieux (art. 11 de la loi2). Ces questions apparaissaient déjà dans les textes antérieurs mais, cette fois, le législateur innove en modifiant deux articles du Code civil qui, pour le premier (C. civ., art. 727), concerne le droit à l’héritage en créant un nouveau cas d’indignité successorale et, pour le second (C. civ., art. 207), s’attache au droit aux aliments. Dans les deux cas, c’est l’attitude indigne de l’auteur des faits qui est ciblée.
Une fois de plus, le législateur balaie largement les problématiques classiques et, face à l’ampleur que prennent les violences conjugales3, affinant le dispositif de lutte, il tente par différents moyens de mettre en place des parades et d’améliorer la protection des victimes.
Certes, les réformes législatives se succèdent en la matière4 et, lors du Grenelle des violences conjugales, 30 nouvelles mesures ont précisément été listées le 25 novembre 2019 afin d’avancer vers l’éradication de ces violences. Chaque texte fait évoluer le droit applicable en vue d’améliorer le sort des victimes et parfois, plus précisément, de rendre mieux applicable l’ordonnance de protection5, même si beaucoup reste encore à faire6.
Si l’arsenal législatif met l’accent sur les femmes victimes de violences conjugales, mariées, concubines ou partenaires, vivant avec leur époux ou compagnon ou vivant séparément après leur rupture, la place des enfants est aussi de mieux en mieux reconnue7. Ils peuvent être victimes directement quand leur parent les agresse mais, ce qui est admis à présent, c’est qu’ils ne sont pas de simples témoins des violences portées contre leur mère et parfois leur père. Ils subissent vraiment les retombées des violences conjugales et la reconnaissance de leurs droits figure dans les textes récents8, en particulier dans la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 (JO, 29 déc. 2019)9.
La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales (JO, 31 juill. 2020) constitue le deuxième volet législatif en réponse au Grenelle des violences conjugales, après les avancées issues de la loi du 28 décembre 2019.
En quelques mois, le législateur tente de rattraper un certain retard dans la lutte contre les violences au sein de la famille et, avec la réforme de 2020, il insiste sur le sort des victimes. Certes, il ne suffit pas d’accumuler des textes pour régler les questions touchant à l’intimité de la vie des familles et les moyens doivent suivre, notamment en termes de budget alloué et de formation du personnel. Il faut aussi pouvoir rendre opérationnelles les mesures issues des réformes si l’on veut rendre le dispositif efficace (on peut ainsi critiquer la lente mise en place du bracelet anti-rapprochement). Les efforts législatifs doivent néanmoins être salués car les nouvelles dispositions renforcent la protection offerte aux victimes de violences conjugales.
Cette réforme complète l’arsenal de lutte en alourdissant les peines en cas de harcèlement, tentant d’endiguer le phénomène d’emprise et de domination. Elle prévoit, de plus, qu’en cas de violence au sein du couple, l’inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes est automatique pour les infractions les plus graves (sauf décision contraire du juge). Elle complète aussi des textes antérieurs en encadrant la médiation en matière pénale et civile (dans le cadre d’un divorce, C. civ., art. 255, 1° et 2°, ou, pour régler les questions relatives à l’autorité parentale, C. civ., art. 373-2-10). En outre, elle réprime la géolocalisation d’une personne sans son consentement et plus généralement les cyberviolences conjugales.
Novatrice, elle autorise les médecins, ou tous professionnels de santé, à déroger au secret professionnel s’ils estiment qu’il y a un danger pour la vie de la victime. Une levée du secret médical est effectivement envisageable si les violences mettent en danger immédiat la vie de la victime, laquelle se trouve sous l’emprise de son auteur. Le professionnel de santé doit s’efforcer d’obtenir l’accord de la victime mais, s’il n’y parvient pas, il lui revient de l’informer du signalement fait au procureur de la République.
La loi nouvelle contient également plusieurs avancées concernant les mineurs. Le législateur entend en effet mieux protéger toutes les victimes de violences conjugales, dont les enfants. Les relations parentales sont affectées par le contexte et l’exercice de l’autorité parentale est au cœur des préoccupations du législateur depuis quelques années10. Récemment, la loi de 2019 avait déjà pris acte de l’une des 30 mesures du Grenelle contre les violences conjugales concernant la suspension de l’exercice de l’autorité parentale des parents violents11 et elle est complétée sur ce point. À présent, le droit de visite et d’hébergement du parent, auteur de violences, pourra être suspendu par le juge dès sa mise en examen, même s’il n’a pas directement agressé ses enfants. La loi relève précisément que le juge d’instruction ou le juge des libertés ou de la détention peuvent prononcer cette suspension au début des poursuites en cas de crime d’un parent commis sur la personne de l’autre parent et aussi en cas de condamnation pénale lorsque le juge ne s’est pas expressément prononcé (CPP, art. 138). Le législateur (art. 2 de la loi) prévoit encore de sanctionner l’auteur en limitant ses droits dans les relations parents/enfants car, dès lors que le juge aux affaires familiales délivre l’ordonnance de protection, il doit signaler au procureur de la République les violences susceptibles de mettre les enfants en danger (C. civ., art. 515-11, al. 2).
La victime pourra également se voir attribuer prioritairement le logement conjugal, solution moins déstabilisante pour les enfants (C. civ., art. 515-11, 3° et 4°). Ce droit s’applique d’office, sauf circonstances particulières laissées à l’appréciation du juge aux affaires familiales.
L’article 378 du Code civil, relatif au retrait d’autorité parentale, est lui aussi modifié pour permettre au juge de retirer l’autorité parentale en cas d’agissements violents d’un parent contre l’autre. Tel était déjà le cas en cas de condamnation pour crime mais, à présent, il en ira de même en cas de condamnation pour un délit. Enfin, le chapitre IX de la loi s’attache spécialement à la protection des mineurs, de manière indépendante des violences conjugales, notamment s’ils sont exposés à la pornographie.
Si toutes ces avancées proposées sont pertinentes, deux points sont particulièrement novateurs en droit civil et pourraient endiguer les violences si leurs auteurs se rendent compte des suites que cela peut avoir dans les relations familiales et s’efforcent de trouver d’autres modes relationnels.
D’abord, le législateur étend la liste des faits pour lesquels un héritier peut être exclu d’une succession, l’indignité successorale pouvant à présent découler des faits de violence même si ce ne sont pas ces derniers qui ont entraîné la mort de la victime. Ensuite, il permet à la victime d’un crime commis par un parent ou un conjoint d’être déchargée de son obligation alimentaire. Si les époux, auteurs de violence, sont davantage concernés que les concubins ou les partenaires par cette réforme dans la mesure où ils sont seuls héritiers ab intestat et où il n’y a pas d’obligation alimentaire au sein du couple non marié, ce texte a une portée plus large car les enfants comptent aussi parmi les victimes pour le législateur. Les parents violents seront donc privés de certains droits, en cas de décès du conjoint mais aussi si l’enfant meurt avant les auteurs des violences ou si ces derniers lui réclament un soutien financier.
L’objectif est dans les deux cas de faire supporter son indignité à l’auteur des agissements répréhensibles et donc indignes, le législateur traitant de ces retombées dans le chapitre III de la loi, « Dispositions relatives aux exceptions d’indignité en cas de violences intrafamiliales ».
Certes, l’idée n’est pas de sauver la victime, décédée, dans la première hypothèse, mais c’est sa famille qui, d’une certaine manière, est protégée. En effet, si le couple marié a des enfants, lors du décès d’un parent, les héritiers ab intestat que sont les descendants, et le conjoint survivant, viennent en concours. À partir du moment où le conjoint est l’auteur de violences conjugales, il est écarté et les enfants héritent donc seuls. Si le couple n’a pas d’enfants, écarter le conjoint survivant de la succession ouvre la voie à d’autres membres de la famille. De plus, cette innovation de la loi pourrait être considérée comme une façon d’agir préventivement. Précisément, savoir que l’on risque d’être un jour écarté d’une succession peut influer sur le comportement et calmer l’animosité au sein du couple.
Dans la deuxième hypothèse, la victime est protégée, mais seulement à retardement, car c’est au moment où elle devrait être débitrice d’une pension alimentaire qu’elle peut invoquer les violences.
Dès lors, l’esprit de protection des victimes autour duquel cette dernière réforme est construite se retrouve bien aussi dans ces deux avancées législatives.
Ces nouvelles mesures, qui sanctionnent l’indignité en excluant la vocation successorale (I) ou le droit aux aliments (II), constituent assurément un pas en avant, même si elles ne mettront sans doute pas un terme aux agissements répréhensibles dans le huis clos des foyers. Espérons qu’elles agiront préventivement : connaître ces retombées sur la vie familiale et comprendre de quoi on risque d’être privé peut faire réfléchir et dissuader les uns ou les autres de faire preuve de violence.
I – Prise en compte des violences conjugales au travers de l’indignité successorale
Introduisant une nouveauté liée au droit à l’héritage, la loi de 2020 vient compléter celle de 2019 (art. 9), qui avait déjà supprimé la pension de réversion pour les conjoints violents. En conséquence, en cas de décès de la victime, lors des brutalités ou bien plus tard, l’auteur des violences se voit privé à la fois de son droit à hériter de la victime et d’une éventuelle pension de réversion. Il est interdit d’héritage car les violences entrent désormais dans le champ d’application du texte qui prévoit les cas d’indignité successorale (A) et donc écarte certaines personnes de la succession (B).
A – Extension des cas d’indignité successorale
La nouvelle loi (art. 8) ajoute effectivement un 2° bis à l’article 727 du Code civil pour déclarer indigne de succéder « celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt ». Lorsque les violences étaient mortelles, leur auteur était déjà interdit d’héritage mais, désormais, avec cette nouvelle avancée, l’indignité successorale joue pour toutes les violences conjugales. Une condamnation pour coups, blessures et agressions, y compris sexuelles, est ainsi sanctionnée lors de l’ouverture de la succession, même si la mort n’est pas causée par ces agissements.
On notera toutefois que cette disposition ne concerne que les couples mariés, seuls les époux survivants étant des héritiers ab intestat. Ils ont une vocation successorale dont sont privés tant les concubins que les partenaires ayant conclu un pacs. Par ailleurs, l’indignité successorale ne vise que les droits tirés de la qualité d’héritier, non ceux tirés de la qualité de légataire du défunt. On peut précisément regretter que le législateur n’ait pas aussi modifié les textes relatifs à l’ingratitude qui peuvent conduire à la remise en cause d’une libéralité, laquelle peut cette fois concerner un époux, un concubin ou un partenaire.
Cette sanction est mise en place à la demande d’un autre héritier ou du ministère public. Précisément l’article 727 du Code civil traite des cas d’indignité facultative, tandis que l’article 726 prévoit une exclusion automatique de la succession, le texte restant inchangé.
B – Privation du droit à l’héritage
En cas d’indignité successorale, l’intéressé perd le droit de recueillir la part de succession à laquelle il pouvait prétendre et dont vont bénéficier ses enfants : les descendants peuvent représenter leur auteur indigne et venir à la succession à sa place (C. civ., art. 755). Le fait d’avoir violenté son conjoint est assurément une attitude indigne et il est très satisfaisant qu’elle ait des retombées successorales. En effet, un conjoint condamné pour des violences n’ayant pas entraîné la mort peut désormais être frappé d’indignité successorale (l’indignité était déjà prévue dans le Code civil en cas de mort, qu’il y ait eu ou non l’intention de la donner).
On peut se féliciter de cette modification de l’article 727 du Code civil en ce que le législateur ajoute aux motifs d’indignité facultative les violences volontaires, faits de tortures, actes de barbarie, viols et autres agressions sexuelles. La sanction joue lorsque l’intéressé est condamné comme auteur ou complice à une peine criminelle ou correctionnelle.
Il n’est pas exclu toutefois que la victime ait accordé son pardon mais il lui revient alors de faire un testament en faveur de l’auteur des anciennes violences.
On notera que le législateur n’a pas réglé la question de l’application dans le temps de ce texte. Il faut dès lors se référer au principe général de non-rétroactivité de la loi nouvelle. Par conséquent, seules les violences postérieures au 1er août 2020, date d’entrée en vigueur de la loi, seront prises en compte.
Certes, cette avancée de la loi de 2020 ne protège pas la victime des violences puisqu’elle est décédée lors du recours à l’exclusion successorale, mais ce texte est important car il montre la volonté du législateur de sanctionner, même à retardement, toutes les violences intrafamiliales. Il pourrait aussi avoir un effet préventif, amenant le conjoint à se calmer s’il mesure la pleine portée de ses agissements.
Par cette sanction à retardement, le conjoint violent voit ses droits successoraux réduits. Dans le même ordre d’idée, une autre surprise du législateur en droit civil concerne le droit aux aliments, prévu au titre de la solidarité familiale entre proches parents mais qui peut être écarté lorsque la vie conjugale et familiale a été perturbée par des violences physiques ou psychologiques.
II – Prise en compte des violences conjugales à l’occasion de l’obligation alimentaire
La loi du 30 juillet 2020 (art. 7) innove encore en ce qu’elle vient priver les auteurs de violences conjugales de l’aide financière liée à l’obligation alimentaire familiale12. Forme de sanction des violences perpétrées au sein des foyers, même il y a longtemps (A), cette mesure phare de la proposition de loi met fin à la solidarité familiale en cas de condamnation pour crime (B).
A – Contexte de la suppression de l’obligation alimentaire
Alors que les descendants sont astreints à verser des aliments à leurs ascendants dans le besoin (C. civ., art. 205 à 211), de même que les époux l’un à l’autre sur le fondement du devoir de secours (C. civ., art. 212), le législateur donne la possibilité aux enfants de ne pas s’acquitter de cette charge s’ils ont été les victimes directes ou collatérales des violences.
Il leur était possible d’échapper à cette solidarité familiale quand leur père ou leur mère avait manqué à ses devoirs (C. civ., art. 207), mais la situation devait être appréciée par le juge aux affaires familiales. Une dispense était en effet prévue quand les parents avaient été privés de l’exercice de l’autorité parentale (C. civ., art 379) ou quand les mineurs avaient fait l’objet d’un placement 36 mois avant leurs 12 ans (CASF, art. L. 132-6), afin de prendre en considération le délaissement subi par ces derniers.
Les violences subies sont désormais prises en compte quand un parent a été condamné pour des violences sur la personne de son enfant, aujourd’hui débiteur d’une obligation alimentaire, mais aussi quand l’un des parents a tué ou tenté de tuer l’autre, a été condamné pour viol ou violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou pour des actes de torture13. Elles le sont même à retardement, au moment de mettre en place l’aide alimentaire que les enfants doivent à leurs parents dans le besoin et même si les violences ont été dirigées vers un tiers par rapport à cette relation, membre de la famille et notamment conjoint ou concubin de l’auteur des actes, aujourd’hui demandeur d’une aide alimentaire.
L’innovation ne vise toutefois que les hypothèses dans lesquelles l’auteur des violences fait l’objet d’une condamnation pour crime. Le législateur aurait sans doute dû englober aussi les délits14. Le ressenti familial est tout aussi intense quand les violences subies par un parent n’ont entraîné ni sa mort ni son infirmité permanente15.
B – Conséquences de la suppression de l’obligation alimentaire
Désormais la solidarité familiale s’efface devant les drames vécus en famille. Cette mesure est automatique : « Le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire ». La formulation étant générale et visant les violences intrafamiliales, la loi supprime l’obligation alimentaire mise à la charge d’un enfant envers le parent qui a tué ou tenté de tuer l’autre, mais aussi quand il est condamné pour viol ou violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, ou encore pour des actes de torture ou de barbarie à l’égard des ascendants du débiteur (notamment le conjoint, concubin ou partenaire de l’auteur), de ses descendants ou frères et sœurs. Surtout, le débiteur de l’obligation alimentaire est dispensé de devoir entamer un procès contre son auteur pour refuser de l’aider financièrement car la dérogation à cette obligation est devenue automatique.
Avec cette réforme, en cas de condamnation du créancier pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs, le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire à l’égard du créancier, sauf décision contraire du juge. Le champ d’application du texte est très large, car il ne vise pas seulement les violences contre le débiteur mais aussi celles contre l’ensemble de sa famille, y compris collatérale.Cette avancée est assurément à saluer : comment imaginer que l’enfant privé de sa mère tuée par son père soit un jour obligé de subvenir aux besoins de ce dernier en lui versant une pension alimentaire ou en réglant la facture de sa maison de retraite ? Si un juge souhaite rétablir l’obligation alimentaire au vu des circonstances, il lui incombera de relever expressément ce point dans sa décision, en le motivant.
On le voit, l’auteur des violences subira donc les retombées de sa désastreuse attitude bien après avoir fait souffrir ses proches. Cette sanction à retardement liée à la privation d’héritage et de soutiens familiaux constitue une avancée remarquable qui permet de moraliser l’obligation alimentaire et la solidarité familiale16. Elle devrait aider aux prises de conscience pour faire changer le regard de la société et permettre de sortir du cycle des violences. Il est bon de ne pas oublier que les violences sont destructrices à vie, les victimes ayant du mal à se reconstruire et à effacer de leur mémoire les drames vécus.
Il faudra poursuivre dans cette voie qui permet de sanctionner une attitude indigne17. Il serait notamment pertinent de supprimer aussi les frais funéraires qui incombent aux descendants, même quand, des années auparavant, le défunt a agressé brutalement l’autre parent, voire l’a tué. Il ne suffit effectivement pas de renoncer à la succession pour ne plus en être tenu (C. civ., art. 806).
Cette étape supplémentaire dans l’édification de l’arsenal juridique mis en place face à la recrudescence des violences est d’autant plus la bienvenue que, avec le confinement et la tension qui règne dans la sphère familiale depuis la pandémie de Covid-19, le nombre de violences intrafamiliales est en nette augmentation18. En effet, on note une explosion des appels, signalements et interventions des forces de l’ordre19. Le confinement a accentué le fléau20, multipliant aussi les violences sexuelles21.
Notes de bas de pages
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1.
La loi comporte 29 articles, alors que la proposition de loi n° 2478, enregistrée à l’Assemblée nationale le 3 décembre 2019, n’en comptait que 14. Sur la question, v. Roumier W., « Lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales », Dr. pén. 2020, alerte 63.
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2.
Modifiant l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs.
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3.
Selon les « chiffres glaçants » répertoriés dans la proposition de loi précitée, 120 à 150 féminicides ont lieu chaque année, plus de 220 000 femmes sont victimes de violences et 170 000 enfants assistent à ces scènes.
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4.
Pour un rappel non exhaustif : L. n° 2006-399, 4 avr. 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs ; L. n° 2010-769, 9 juill. 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ; L. n° 2014-873, 4 août 2014, pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ; L. n° 2018-03, 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ; L. n° 2019-1480, 28 déc. 2019, visant à agir contre les violences faites en famille.
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5.
Mauger-Vielpeau L., « Violences conjugales. Une nouvelle réforme de l’ordonnance de protection », Dr. famille 2020, étude 11.
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6.
Jouanneau S. (dir.), « Violences conjugales, Protection des victimes. Usages et conditions d’application dans les tribunaux français de mesures de protection des victimes de violences au sein du couple », Mission de recherche droit et justice, 2019.
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7.
Durand E., Violences conjugales et parentalité. Protéger la mère, c’est protéger l’enfant, 2013, L’Harmattan.
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8.
Cario R., « L’enfant exposé aux violences familiales : contextualisation », in Cario R. (dir.), L’enfant exposé aux violences familiales. Vers un statut spécifique ?, 2012, L’Harmattan, p. 11 ; Corpart I., « Ne pas oublier les enfants dans la lutte contre les violences conjugales ! », in Fulchiron H., Meunier B. et Toulieux F. (dir.), Mélanges offerts à Emma Gounot, Mare & Martin, à paraître ; Gatto C., « L’enfant face aux violences conjugales », AJ fam. 2013, p. 271 ; Gatto C., « L’intérêt de l’enfant exposé aux violences conjugales », RTD civ. 2014, p. 567 ; Sadlier K., L’enfant face à la violence dans le couple, 2e éd., 2015, Dunod.
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9.
Bonfils P., « Le renforcement de la lutte contre les violences au sein de la famille », Dr. famille 2020, n° 3, p. 9 ; Corpart I., « Pour une famille, véritable havre de paix, de nouveaux renforcements de la lutte contre les violences conjugales », Lexbase 29 mai 2020, n° 809 ; Darsonville A., Delnaud V., Prache P., Morain E. et Lauféron F., « Qu’attendre de la loi du 28 décembre visant à agir contre les violences au sein de la famille ? », AJ pénal 2020, p. 59.
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10.
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11.
Gouttenoire A., « La prise en compte des violences dans le cadre de l’autorité parentale », AJ fam. 2010, p. 518.
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12.
Corpart I., « Après le Grenelle des violences conjugales, suppression de la coparentalité ?, Grenelle des violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019 », RJPF 2019/12, n° 22.
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13.
Pour une analyse critique : Houssier J., « Proposition de réforme de l’article 207 du Code civil : les bonnes intentions font-elles les bonnes lois ? », AJ fam. 2020, p. 122.
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14.
On doit à la commission des lois d’avoir, le 15 janvier 2020, modifié le texte initial de la proposition de loi pour mentionner l’ensemble des crimes, y compris les viols.
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15.
La correctionnalisation de certains crimes peut alors poser problème.
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16.
Pour des regrets : Houssier J., « Proposition de réforme de l’article 207 du Code civil : les bonnes intentions font-elles les bonnes lois ? », AJ fam. 2020, p. 122.
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17.
Pas question d’y échapper même si on ne vit pas dans l’Hexagone car les innovations concernent aussi les Français établis hors de France (art. 29 de la loi).
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18.
On peut effectivement rapprocher l’indignité successorale et l’indignité alimentaire. V. déjà Hauser J., « L’indignité alimentaire de l’article 207, alinéa 2, du Code civil », RTD civ. 1999, p. 611 ; Lienhard C., « Article 207 du Code civil : le renouveau de l’exception d’indignité », AJ fam. 2014, p. 283.
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19.
Le confinement de la population s’est toutefois accompagné d’une vigilance accrue à l’égard des violences domestiques. V. Rép. min. n° 29602 : JO AN Q, 7 juill. 2020, p. 4787. De plus, la circulaire du 25 mars 2020 de présentation des dispositions applicables pendant l’état d’urgence sanitaire et relative au traitement des infractions commises pendant l’épidémie de Covid-19 a rappelé que la lutte contre les violences intrafamiliales relève d’un traitement prioritaire. Les juridictions ont notamment maintenu les audiences d’ordonnance de protection et les poursuites contre les auteurs.
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20.
Le Parisien, 14 mai 2020.
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21.
Corpart I., « Covid-19 : un risque accru pour les membres de la famille ? », Riséo 2020, n° spéc., p. 6.
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22.
Corpart I., « Retour sur le risque accru de violences sexuelles pendant le confinement imposé par la pandémie de Covid-19 », Journal des accidents et des catastrophes mai 2020, n° 197.