L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes

Publié le 28/08/2024

Lors d’une audience de référé qui a duré deux heures et demie, l’OIP a réclamé, dans le cadre d’un recours contre une décision du tribunal administratif de Pau concernant la maison d’arrêt de Tarbes,  une mesure de stop-écrou. C’est la première fois que le Conseil d’État est saisi d’une telle demande ; elle vise à bloquer les nouvelles arrivées dans un établissement surpeuplé.

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes
Façade de la Maison d’arrêt de Tarbes (Photo : ©CGLPL)

 

Ce mardi matin à 10 h 30, plusieurs associations emmenées par la Section française de l’Observatoire international des prisons  (OIP)* sont venues demander au Conseil d’État, saisi en référé, d’annuler du tribunal administratif de Pau qui a rejeté le 18 juillet dernier la quasi-totalité de leurs requêtes visant à assurer des conditions décentes de détention à Tarbes.

Un taux d’occupation de 203%

Car rien ne va dans cet établissement centenaire situé en centre-ville qui compte 62 cellules, comme en témoignent les recommandations en urgence du 10 avril 2024 émises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot. Le taux d’occupation y était de 203 % au mois mars 2024, soit 134 détenus pour 66 places. Les cellules sont vétustes, surchauffées l’été et en même temps humides, peuplées de cafards. Les détenus ne mangent pas à leur faim en raison du manque de personnel. Les activités proposées sont quasi inexistantes.

Surtout, la violence y règne depuis de nombreuses années.

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes
Les détenus dorment à trois dans une cellule prévue pour une personne (Poto : ©CGLPL)

Des passages à tabac dans la cellule 130

Dominique Simonnot n’est pas partie au recours,  mais elle a été invitée à participer à l’audience par le Conseil d’État à la demande de l’OIP. Elle résume en quelques mots ses constats sur place :  «  J’ai été surprise de lire dans les conclusions du ministère qu’aucun droit n’était bafoué, alors que j’ai vu un Monsieur de 81 ans pleurant en me montrant qu’il dormait par terre. Les passages à tabac dans la cellule 130 qui a été cadenassée devant nous, c’est la vieille pénitentiaire, celle que j’ai connue il y a longtemps quand j’étais éducatrice, j’ai mis un moment à accepter ce que je venais de voir à Tarbes ». Un constat appuyé par la députée LFI Sylvie Ferrer, également présente à l’audience, qui s’est rendue dans l’établissement à deux reprises : « Les cellules sont prévues pour une personne, mais en accueillent deux, voire trois. Il y régnait quand j’y suis allée, une chaleur humide, suffocante ». Le problème de ces alertes, c’est qu’elles demeurent la plupart du temps lettre morte. On sait, mais on ne fait rien.

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes
Les cellules sont dans un état fortement dégradé (Photo : ©CGLPL)

C’est pourquoi les associations se tournent vers la justice pour tenter de contraindre l’administration à réagir. Ainsi, en s’appuyant sur les constatations du CGLPL,  l’OIP a-t-elle saisi en référé  le juge administratif. En vain. Sur la trentaine de demandes qui lui ont été soumises, le tribunal de Pau n’en a retenu qu’une seule : la pose de cloison de séparation pour les WC. Un résultat dérisoire au regard de l’ampleur des problèmes à régler. Alors l’OIP a décidé de contester l’ordonnance devant le Conseil d’État. Me Patrice Spinosi, représentant l’ensemble des requérants, a rappelé qu’il serait temps que la France applique enfin la décision de la CEDH (JMB et autres c/France du 30 janvier 2020) qui exige qu’elle mette fin à la surpopulation carcérale et qu’elle permette aux détenus de disposer d’un recours effectif contre les conditions de détention indigne. Ce recours a été créé,  (lire à ce sujet notre article ici) mais rien n’est résolu.

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes
Considérant 46 de la décision de la CEDH dans l’affaire JMB c/ France

Pire : depuis 2020, la situation s’est encore aggravée. Au 1er avril dernier, la France comptait 77 450 personnes détenues pour 61 570 places, un nouveau record de surpopulation carcérale. Une situation d’autant plus intenable qu’elle s’accompagne le plus souvent de conditions de détention très dégradées. Il a rappelé les limites des recours existants qui relèvent du parcours du combattant. Il aura fallu par exemple 7 ans pour obtenir l’annulation de la décision de refus de fermer le quartier des femmes de Fleury-Mérogis reconnu insalubre.

Il est vrai que les requérants qui souhaitent dénoncer l’état d’un établissement pénitentiaire et obtenir en urgence des améliorations se heurtent aux conditions très strictes du référé-liberté : il leur faut démontrer l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté publique. Quant au juge de l’urgence, il ne peut prononcer que des mesures non structurelles : dératiser, nettoyer, réparer….Or l’administration a beau jeu de rétorquer pour chaque demande qu’elle relève précisément du « structurel ».

La solution du stop-écrou appliquée à Gradignan en 2023

Parmi les principales figure celle d’un stop-écrou. La mesure a été appliquée pour la première fois à l’initiative de l’administration elle-même à Gradignan, du 14 mai au 5 juin 2023. « C’est structurel » répond sans surprise le représentant de l’administration. Mais le conseiller Jean-Yves Ollier entend bien qu’on lui explique précisément en quoi. Ce qui permet à Me Spinosi d’interpeler l’administration : « qu’est ce qui s’est passé pendant ces trois semaines ? Nous n’avons pas d’information, il y a bien eu quelqu’un au ministère qui a décidé de faire quelque chose, nous demandons que cette même mesure soit appliquée à Tarbes ». Réponse : la décision a été prise par la pénitentiaire et l’autorité judiciaire, au vu de l’état de l’établissement et parce que c’était possible de répartir les détenus dans les autres centres du ressort.

Cela pose en effet un problème de vases communicants :  soulager un centre pénitentiaire en déviant les entrées sur les autres, revient à les pénaliser à leur tour. Le représentant de l’OIP plaide que ce serait une mesure entrant dans la compétence du juge des référés et qui permettrait de ne pas laisser perdurer une situation intolérable. Il suffirait d’enjoindre à l’administration de s’engager dans un stop écrou, tout en la laissant définir le temps et la mise en œuvre de cette mesure.

S’agissant des nombreuses autres demandes, qui vont de la chasse aux nuisibles – un établissement privé qui serait dans cet état aurait été fermé depuis longtemps, observe une représentante du CGLPL – jusqu’aux activités proposées aux détenus, en passant par les repas, l’état vétuste des cellules etc…le juge devra déterminer au cas par cas ce qui est structurel de ce qui ne l’est pas.

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes
La cellule 130 (Photo : ©CGLPL)

Violence des surveillants : « La gravité de notre constat est inédite »

Mais il y a un sujet encore plus embarrassant pour la prison de Tarbes que l’état des peintures ou la présence de nuisibles, celui de la violence qui sévit dans l’établissement. Brutalisé à son arrivée, un détenu a fait une tentative de suicide. Des procédures disciplinaires et judiciaires ont été ouvertes. Ce qui semble suffire à l’administration mais pas aux associations ; celles-ci soulignent que les violences ne se limitent pas à ce cas précis mais s’inscrivent dans la durée (2008), ce qui justifie à leurs yeux le déclenchement d’une enquête de l’inspection générale de la justice.

Une des représentantes du CGLPL lit un extrait de son rapport où l’on découvre la sinistre réputation de la cellule 130 de l’établissement :

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes

 

« Je ne pensais pas qu’en France des pratiques pareilles avaient lieu, la gravité de notre constat est inédite » conclut-elle.

L’audience touche à sa fin. Le représentant de l’OIP souligne au juge à quel point la moindre amélioration est importante pour les détenus, ne serait-ce qu’un banc dans une cour de promenade.

L’OIP saisit le Conseil d’État d’une demande de stop-écrou à la prison de Tarbes
Terrain de sport de la prison de Trabes (Photo : ©CGLPL)

La clôture de l’instruction a été reportée au mardi 3 septembre, avec possible prolongation au jeudi 5, la décision sera rendue dans les jours qui suivront.

D’autres demandes de stop-écrou ont déjà été soumises aux tribunaux administratifs concernant Perpignan en 2023 (lire notre article ici), et Carcassonne cet été. En vain. Autant dire que la position du Conseil d’État est attendue avec impatience. De son côté, Dominique Simonnot travaille sur un mécanisme national depuis des mois. Elle est parvenue à mettre d’accord la grande majorité des professionnels intervenant en milieu pénitentiaire et s’apprête à saisir les parlementaires. En Allemagne, pays qu’elle prend pour modèle, un établissement qui atteint 90 % d’occupation refuse toute nouvelle entrée. Pourquoi la France n’y arriverait-elle pas ? D’ici là, les associations ont besoin de l’aide des juges pour lutter contre l’indignité des conditions de détention.

 

*Association des avocats pour la défense des droits des détenus, Ligue des droits de l’homme, Conseil national des barreaux, Association des avocats pénalistes, Fédération nationale de l’union des jeunes avocats.

 

Ci-dessous, la décision du tribunal administratif de Pau objet du recours.

Décision TA Pau

 

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