Surpopulation carcérale : La commission des lois de l’Assemblée s’empare du sujet
À l’issue de l’audition du groupe de travail sur la régulation carcérale créé par Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, ce mercredi matin, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Florent Boudié, a annoncé qu’il déposerait une proposition de loi au second semestre de cette année.

« Plus de 5 000 nouveaux détenus par an, c’est une bombe, on vous aura avertis » explique, ce mercredi matin, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, Ivan Gombert, secrétaire national du syndicat FO-Directeur des services pénitentiaires. Il appartient au groupe de travail constitué par Dominique Simonnot, Contrôleur générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), il y a trois ans, pour mener une réflexion collective sur la régulation carcérale. Celui-ci rassemble 27 organisations en lien avec le monde pénitentiaire : directeurs d’établissements, avocats, magistrats, associations…« Nous avons des divergences, mais une chose nous lie, c’est l’urgence de la régulation carcérale, de faire sortir du monde de prison, car les conditions actuelles sont infernales tant pour les détenus que pour le personnel pénitentiaire, a rappelé Dominique Simonnot, lors de son intervention. On vous demande d’avoir un courage énorme, au nom de l’urgence ».
L’urgence, c’est de mettre fin à l’augmentation sans fin de la surpopulation carcérale : 84 447 détenus au 1er juin pour seulement 62 566 places disponibles. Le groupe est venu demander à la représentation nationale d’inscrire un système contraignant de régulation carcérale dans la loi. En clair, de prévoir un mécanisme qui permette de ne pas dépasser un certain nombre de personnes incarcérées au regard des places disponibles, par exemple, en bloquant les entrées, ou en accélérant les sorties. Le Royaume-Uni vient de le décider, a expliqué Prune Missoffe de l’Observatoire international des prisons. Mais parce qu’ils craignaient d’atteindre le taux de 100 % d’occupation des places, estimant qu’alors il ne serait plus possible d’incarcérer quand en France, on continue de le faire à 135 %.
« Récemment, un détenu en a tué un autre parce qu’il puait »
Cette surpopulation met en danger tant les détenus que les surveillants eux-mêmes. « On compte un agent par cellule, donc quand on met trois ou quatre détenus au lieu d’un, lorsqu’il ouvre la porte, l’agent se retrouve face à trois ou quatre personnes », explique Ivan Gombert. Cela pose des problèmes insolubles aux établissements pour déterminer qui peut partager une cellule avec qui. « Récemment, un détenu en a tué un autre parce qu’il puait ; à Nancy, il y a eu un décès à cause d’une divergence sur un programme TV » poursuit-il. Le risque est grand, dans ces situations-là, qu’une émeute se déclenche dans les établissements. Le représentant des directeurs pénitentiaires n’est pas le seul à se soucier de son personnel. Les autres organismes aussi mettent leur point d’honneur à ne pas opposer détenus et surveillants, car, soulignent-ils, tous souffrent de cette situation. Juliette Viard-Gaudin, d’Emmaüs France, a décrit « un personnel épuisé », victime d’un « sentiment d’abandon ». Pour elle, la prison française est « une cocotte-minute sur le point d’exploser ». Elle a rappelé également qu’on constate une surreprésentation de personnes précaires affectées de problèmes psychologiques que la détention fragilise encore plus : « aujourd’hui une personne sort de détention plus abîmée qu’elle n’y est entrée ». Et c’est là le cœur du problème, la surpopulation n’empêche pas la prison de punir, mais elle ne permet plus de réinsérer, faute d’accès au travail, aux soins, aux activités culturelles et, à la sortie, à un programme d’accompagnement. Sans compter bien sûr les conditions de vie indignes, dans des établissements vétustes, au milieu de la crasse et de la vermine. Résultat, un taux de récidive de 63 %, nettement plus élevé que pour les peines alternatives.
Il y avait 58 000 détenus en juin 2000, ils sont 84 000 aujourd’hui
Le modèle que tous les intervenants ont à l’esprit, c’est la décision prise lors de crise sanitaire de remettre en liberté plusieurs milliers de détenus. Entre la baisse des incarcérations en raison du ralentissement des tribunaux et les sorties décidées, on était arrivé, il y a 5 ans, au chiffre de 58 000 détenus fin juin, a rappelé Dominique Simonnot. Ils sont plus de 80 000 aujourd’hui. En cause ? La fin des grâces présidentielles décidées par Nicolas Sarkozy qui faisait sortir de 4 000 à 5 000 personnes par an, le « ratage de la réforme des crédits de réduction de peine, « l’étude d’impact évaluait que si ça ratait, il y aurait plus 8000 détenus, c’est ce qui est arrivé ». Elle a évoqué aussi la réduction de la possibilité en milieu ouvert d’aménager les peines, passée de deux ans à un an. Selon, Ivan Gombert, la principale cause de cette augmentation de la surpopulation réside dans l’allongement de la durée des peines. Existe-t-il une solution miracle ? Ce n’est pas à nous de proposer un mécanisme, ont tous plus ou moins expliqué les professionnels auditionnés, notamment parce que si le diagnostic fait l’unanimité en leur sein, sur les solutions, les avis divergent. Cécile Delazarri, vice-présidente de l’association nationale des juges d’application des peines ANJAP) a cependant évoqué des pistes : des mécanismes existent dans la loi, il suffit de les adapter. Par exemple, en intégrant parmi les motifs de réduction de peine la surpopulation, comme on l’a fait avec la covid pendant la crise sanitaire. Quelle que soit la solution choisie, a souligné la magistrate, il faut que ce soit accompagné d’une obligation de résultat « c’est cela que nous venons vous demander ». Jusqu’ici en effet, les tentatives locales de désengorgement n’ont pas donné de résultats probants, faute de contrainte.
« Il n’a jamais été question de faire sortir des assassins ou des violeurs »
Lors des questions des députés des différents groupes, sans surprise a été objectée l’attente de sécurité des Français ou encore la manière dont les victimes étaient susceptibles de percevoir ces demandes consistant à vider les prisons. « Il n’a jamais été question de faire sortir des assassins ou des violeurs » a assuré Dominique Simonnot. Anticipant le procès en laxisme, la juge Cécile Delazarri avait expliqué sur ce point lors de sa présentation « la prévention de la récidive passe par la régulation carcérale, car la surpopulation ne permet plus que les peines atteignent leurs objectifs. Toutes les études montrent que c’est la sortie accompagnée qui diminue la récidive, pas la sortie sèche ». Ce serait donc, en réduisant la population carcérale qu’on aurait le plus de chances d’atteindre l’objectif de sécurité.
À l’issue de l’audition, le président Florent Boudié a déclaré qu’il allait proposer un texte de loi au second semestre permettant de mettre en place un mécanisme national de régulation en allant au contact avec chaque formation politique « y compris les plus réticentes » pour « rechercher les points d’accord sans exclure la place des victimes ». Et de conclure « il me semble extrêmement urgent d’apporter une réponse politique ».
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Référence : AJU500260
